voici le cr d’une rencontre des copropriétés de sept 2018
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Un article sur le spectacle parentalité du 25 octobre 2018 à Laon (02)
Le 25 octobre 2018, la Cie a joué un spectacle sur la parentalité au centre social CapNo de Laon (02). Un journal local a consacré un article à cette soirée.
Les récits des membres de l’équipe
Le 25 novembre 2017, lors de la fête des 20 ans de la Cie, les comédien.ne.s de NAJE et autres membres de l’équipe ont raconté ce qui les avait particulièrement marqué au fil de ces vingt années. Voici leurs récits.
Fabienne
Elle, c’était celle qui faisait le ménage du lieu dans lequel j’ai travaillé plusieurs années avec un groupe de femmes de Vaulx-en-Velin.
Un après-midi, elle est là, à balayer. Et ça dure, et ça dure, son balayage. Et je vois bien que c’est parce qu’elle nous écoute. Et moi je me dis : “Si je lui dis de venir s’assoir avec nous, elle va me répondre non, non !” Alors je fais mine que rien et je fais signe aux autres femmes de faire pareil. Juste, je rajoute une chaise au cercle. Et pendant deux heures comme ça, elle brique toute la salle, au ralenti. Mais elle s’approche de plus en plus près du groupe. A la fin, elle est là, tout à côté avec son balai. Elle ne bouge plus, elle écoute. Puis enfin je me sens de la solliciter et elle dit deux mots. Après ça, elle s’assoit enfin avec nous et s’intègre à l’atelier.
Quelques mois après son arrivée dans l’atelier, elle est venue me voir pour me dire qu’elle voulait travailler sur son histoire avec la prostitution. Je lui ai dit d’attendre plus tard parce que le groupe n’était pas prêt, je pensais qu’elle non plus ne l’était pas encore. Régulièrement elle m’en reparlait et toujours je répondais “Non attends”. Et un jour, j’ai pensé que le groupe était prêt et elle aussi. Alors on a travaillé sur son histoire : inceste, viols, prostitution…
Andrée
Un jour j’arrive à l’atelier et Fabienne me dit : ‘’Ça n’a pas l’air d’aller ! ». Je lui réponds : ‘’Non, ça ne va pas’’. J’avais reçu une lettre pour être expulsée de mon appartement. Alors Fabienne me dit : ‘’Bon, on ne répète pas, on va jouer ta scène et faire forum pour chercher comment faire’’. J’ai accepté. Et toute l’équipe a travaillé sur ma situation. Le lendemain, je me suis réveillée, c’était difficile, mais je me suis dit : “Tu n’as pas le droit de ne pas faire ce qu’on a joué !”. Et si j’ai eu le courage d’aller à la mairie, le courage de faire ce qu’il fallait pour ne pas perdre mon appartement et me retrouver dehors, c’est grâce au Théâtre de l’Opprimé.
Clara
Dans une Mission locale, on se retrouve un jour avec un groupe où le désespoir l’emporte sur tout le reste. C’est comme si il n y avait plus de fenêtre qui pouvait s’ouvrir, comme si la solitude était autour d’elles. Elles le disent : « Il n’y a personne sur qui on peut compter, ça sert à rien de faire du théâtre-forum, de toute façon on n’y croit plus ». Et là, à la pause de midi, on se dit avec Fabienne : « Il faut qu’on invente quelque chose »… Et nous revient une technique qu’on utilise dans les stages d’introspection et on se dit : « On va inverser les choses : au lieu de mettre en images leurs flics, on va leur proposer de mettre en images leurs passeurs de vie ». Et on leur dit : « Les filles, si vous êtes debout aujourd’hui, c’est qu’il y a une force en vous et des gens qui aussi ont été sur votre chemin et qui font que vous êtes en vie, il n y a pas que des gens qui vous ont détruites, il y aussi les autres… Alors vous allez repartir à la recherche de ces autres, vous allez les sculpter et vous allez aller les voir en leur disant : “toi tu es…”, “tu te souviens le jour où…” et “c’est depuis ce jour que…”. » Il y en qui disaient : « J’en ai pas », mais nous on lâchait pas, on leur disait : « Il faut que tu en trouves un, tu en trouves deux, mais il y en a… » Leurs passeurs, elles ont fini par les trouver et les mettre en images.
Ces groupes, ils nous mettent au travail en permanence, ils nous permettent de continuer à chercher, à inventer de nouveaux outils pour les aider à continuer à résister.
Fatima
C’était un atelier en Mission locale. La première séance, quand je me présente, une jeune me dit : “Le bus m’a loupée”. Et je comprends que c’est elle qui voulait se jeter sous le bus ! On commence, on présente la compagnie et j’explique ce que NAJE veut dire : “Nous n’abandonnerons jamais l’espoir”. Elle me dit : “Je comprends pas”. Toute la journée, elle était là sans être là. À la fin de la journée, je lui lance : “A la prochaine fois ?” Elle me répond : “Je ne sais pas si je serai là”. C’est la deuxième séance, elle est là : ouf ! On fait l’exercice “Prendre sa place”, elle le fait, vraiment : la place qu’elle a, la place qu’elle voudrait et celle qu’elle ne veut pas. Elle est là. Je lui demande : “Pour aller vers la place que tu voudrais, qu’est-ce que tu pourrais faire ?” Elle réfléchit, puis elle dit : “Si je pouvais faire des gâteaux avec mon frère et ma sœur, ça serait déjà ça”. La séance suivante, je la retrouve avec une banane jusqu’aux oreilles : “Tu sais, Fatima, ça y est : je les ai faits, mes gâteaux !” Quelque temps après, elle a dit qu’elle avait compris ce que ça voulait dire de ne pas abandonner l’espoir.
Mostafa
1998, j’ai 28 ans, j’habite à Vaulx-en-Velin. Un soir, je rentre du travail et je mets les informations régionales à la télévision. Et là, sur qui je tombe ? Jean-Pierre, un gars avec qui je bosse à l’usine, en train de faire du théâtre. Il joue le rôle d’un père dépassé par l’orientation scolaire de son fils. Ce que j’ai bien aimé, c’est le lien avec les spectateurs, qui montaient sur scène. Et puis, ce n’était pas du Shakespeare ou du Molière, les scènes me parlaient, j’avais a-do-ré. Quelque temps plus tard, je croise une éduc de rue et je lui demande : « Tu la connais cette compagnie ? » Elle le dit : « Ben, ça tombe bien que tu m’en parles, ils répètent en ce moment-même au local de ta cité ! ». J’y vais, je pousse la porte, et là, je vois tous ces yeux se braquer sur moi… Je suis prêt à repartir quand j’entends « Reste ! » C’était Fabienne et Jean-Paul : « Oui, on finit de répéter. Et si tu veux, pendant la pause après, on peut discuter ». Arrive la pause, je leur demande : « Vous avez des scènes sur la galère des jeunes dans le quartier ? » « Non, mais si tu veux, on peut les travailler ensemble ! ». Quelque temps plus tard, je suis rentré à NAJE.
Vianney
2009, 22h, Paris 19e. Je sors d’un atelier de théâtre-forum animé par les membres de la compagnie. Le thème du jour : « Les agressions du quotidien ». Pendant plusieurs heures, nous venons de nous entraîner à lutter contre l’oppression, à trouver collectivement des solutions, à transformer la réalité afin que demain ne soit pas totalement comme hier. Je sors, il est tard, je descends dans le métro, le quai est désert, le métro arrive, il est vide, je suis seul dans la rame. A la station suivante, un homme étrange entre, un extincteur dans les mains. Très vite, il s’approche de moi et me propose avec insistance de prendre de l’acide. J’ai peur, la situation n’est pas plaisante, je respire et lui dis : « Attends, tu veux qu’on s’asseoit ? on sera mieux, comment t’appelles-tu ? C’est gentil de proposer mais, tu vois, j’ai été accro à l’acide et j’ai réussi à arrêter. Là, j’ai qu’une envie, c’est de t’accompagner, mais je sais qu’il faut pas. J’ai besoin que tu m’aides, si tu veux vraiment me rendre service, ne m’en propose pas ! ». Les stations défilent, je vois son étreinte sur l’extincteur se relâcher, il me félicite d’avoir arrêté, me demande comment j’ai fait, on discute de désintoxication…
République : je descends, il me salue à travers la vitre, mes jambes tremblent, je respire un grand coup. Bien sûr, je n’ai jamais pris d’acide de ma vie. Mais je me dis que le théâtre forum, c’est un outil fabuleux.
Catherine
Ils chantent, ils marchent, lentement. Exactement comme on voulait lorsqu’on a travaillé la scène. On l’a répété tellement de fois ce moment, et ça y est, ils sont autonomes.
Je suis au milieu d’eux, je n’ai rien à faire d’autre que chanter, marcher. Chaque personne se sent forte, porteuse de ce chant, responsable de ce chant, je le sens. Et moi je me sens forte de nous tous. C’est le chant final de La marche des gueux, à 3 voix, à 50.
Danielle
Dans “Les impactés” je jouais une employée de France Télécom qui préparait sa retraite. Elle voulait réunir ses collègues une dernière fois, parce c’était toute sa vie de travail qui se terminait. Cette scène pourtant très courte m’a fait prendre conscience des changements intervenus dans le monde du travail avec la privatisation. 10 ans auparavant j’avais encore pu fêter ma retraite avec bonheur, mais à Orange, la compétitivité était telle qu’elle avait détruit jusqu’au plus petit moment d’humanité : cette femme fête sa retraite devant une machine à café avec un gâteau qu’elle ne peut même pas partager parce que les poses sont, à tour de rôle et trop courtes. C’est un défilé de collègues qui disent désolé, je dois y aller. C’est d’une violence extrême.
A la fin d’une représentation, une spectatrice vient me voir. A moi elle peut parler. Mon dernier jour dans l’entreprise, me dit-elle, c’était pire. Jusqu’à 17 heures, j’étais sûre qu’il allait se passer quelque chose, j’attendais qu’on me fasse une surprise, il ne s’est rien passé. A 17 heures, j’ai décroché mon manteau, j’ai pris mon sac et je suis partie. Elle m’a serré dans ses bras et a rajouté : ça me fait du bien ce que vous avez joué.
Ca m’a fait du bien à moi aussi ce qu’elle m’a dit. J’ai réalisé que reconnaître la souffrance vécue c’est déjà une étape gagnante dans la lutte. Car changer le monde c’est long, et moi je suis pressée.
Suzanne
Moi le théâtre, ça me dit rien. Le côté m’as-tu vu, la frime, pour moi, le théâtre, c’était ça.
Plusieurs personnes m’avaient dit il faudrait que tu rencontres NAJE, c’est des gens formidables. Moi, j’étais pas pressée.
Finalement la rencontre a eu lieu lors d’une formation dirigée ensemble. J’ai été impressionnée.
Je n’avais encore rien vu. Les spectacles issus des chantiers nationaux m’ont déroutée, les forums m’ont bluffée. Jusqu’à ce que je participe à un chantier national, sur un sujet qui me tenait à cœur. Et là j’ai été époustouflée. C’est impossible, NAJE le fait.
Ce qui me touche particulièrement, c’est cette communauté de personnes qui se crée sur la base de rencontres improbables.
Plus tard, j’ai aussi vu l’envers du décor, et ce n’est pas un décor.
Après ça, j’ai eu envie d’aller crier partout que NAJE c’est génial. J’ai pas beaucoup été entendue.
Alors quand il a été question de faire un livre pour les 20 ans de NAJE, j’ai proposé de recueillir les paroles de toutes sortes de gens qui avaient rencontré NAJE.
Ce que j’ai recueilli, c’est des larmes mais aussi des délivrances, des mondes qui se mélangent et chacun est touché à un titre ou à un autre, des fenêtres qui s’ouvrent, des vies qui changent…
Et surtout la compréhension, la prise sur le monde, la conscience qu’ensemble on est plus fort, la vision plus claire du rôle qu’on peut tenir dans la pièce de la vie.
Le livre est fini, les entretiens sont arrêtés, je suis en manque.
Farida
Je me souviens de la création du spectacle « Faits minimes », un spectacle sur les violences faites aux femmes au travail. Quand j’ai rencontré la commanditaire le premier jour de création, j’ai été bouleversée par sa détermination pour que ce spectacle se monte et se joue. Elle était tellement impliquée que je me suis dit qu’elle devait porter quelque chose de très lourd.
A la fin de la première représentation, on a passé un long moment toutes les deux à fumer des clops devant la porte du théâtre Dejazet et elle m’a raconté sa vie. Mariée à 16 ans et envoyée de force en Algérie pour vivre avec son mari et sa belle-mère. Là-bas, elle a subi les pires violences morales et physiques. Jusqu’au jour où elle a réussi à s’enfuir et à revenir en France. Elle n’a pu revoir ses enfants qu’à la mort de leur père.
Quelques mois plus tard, on rejoue ce spectacle, mais Hamida n’est plus là. Elle est morte d’un cancer de l’estomac. Elle est partie en trois mois. Avant de monter en scène, on rencontre un jeune enfant avec une collègue de Hamida et on l’entend dire « c’est le spectacle de maman ! ». C’était le fils de Hamida. On monte sur scène, on avait la gorge serrée, on se regardait et Fabienne raconte l’histoire de ce spectacle et les conditions de sa création. Et là, je me demande comment je vais faire pour jouer. Je suis en larmes. Et puis, j’y vais. Et on y va à fond. On était chargés un max.
Cette histoire date de 2009. Et aujourd’hui, c’est encore ça qui me porte. Parce qu’on ne joue pas, on porte une historie vraie, une histoire qui nous a été racontée par une personne qu’on a rencontrée. J’ai pas le droit de trahir cette parole. C’est ma contribution à la lutte.
Quand je repense à cette histoire, je me dis oui les violences tuent. Elle en est morte. Et moi le moins que je puisse faire, c’est de porter cette histoire, et toutes les autres, et de les porter vraiment, de pas faire semblant de jouer.
Pierre
Marseille.
Les trop fameux quartiers Nord.
J’accompagne Fabienne pour préparer un spectacle sur les relations entre les habitants et les policiers. Vaste sujet me dis-je, d’autant que j’ignore encore tout à ce moment du théâtre de l’Opprimé.
On se retrouve dans une petite salle d’un centre social où Arlette nous accueille chaleureusement.
Là tout s’accélère : quelques paroles et je me mets à faire le massage du boulanger.
L’autre, son corps.
Inévitable, impossible de s’échapper.
Et tout d’un coup je comprends : le théâtre de l’Opprimé c’est ça : approcher l’autre, accepter l’autre. Etre embarqué dans une action avec lui, sans en connaître toutes les conséquences.
Ne plus savoir, et pourtant être convaincu de la nécessité de ce geste.
Catherine
On répète la scène de l’abandon dans le projet Famille. Ça fait des heures que la comédienne travaille, je la connais par cœur.
Je suis sur le côté du plateau, comme toujours concentrée sur l’énergie qui émane de la comédienne. Quelque chose en moi transcrit en son, en timbre instrumental, en rythmique ce qui a lieu sur le plateau.
Et tout à coup, je réalise la scène, ce qu’elle raconte, ce que la comédienne tente de puiser en elle, ce que Jean-Paul dit pour l’y amener. Mais surtout je réalise ce que le personnage est en train de vivre, et je pleure en silence, bouleversée.
Je sais, à ce moment précis, que je suis au cœur du vrai travail – là où s’ancre la création.
Nathalie
Il y a trois ans, j’ai fait le stage « Techniques introspectives ». A cette époque, j’avais un problème : je n’avais jamais connu ma mère. Je l’avais cherchée 13 ans et je venais d’avoir son adresse. Se posait donc la question de la rencontre. Et, du coup, paradoxalement, peut-être comme tout ce qui te tend aussi intensément et aussi longtemps, arrivait la peur, l’effroi qui te paralyse face à l’événement. Pendant le stage, on m’a proposé d’utiliser la technique « Le futur qu’on craint », qui était assez adaptée à la situation… A ce stage, j’étais avec une amie que j’avais choisie pour jouer ma mère, puisque c’est elle qui connaissait le mieux mon histoire et qui, par son boulot, travaillait tous les jours avec des mères en difficulté. Je me souviens que j’ai été confrontée à un problème de porte qui ne s’ouvrait pas, à une mère pas très causante, très détachée… Je me vois, moi d’un côté de la porte, et elle de l’autre qui ne veut pas ouvrir, et puis qui finit par ouvrir, parce que Jean-Paul, qui dirige le travail, décide à un moment donné qu’il faut que la porte s’ouvre pour que je m’entraîne quand même à cette rencontre. Donc je rentre. Je ne me rappelle pas grand-chose de la scène à cause de la peur. Je me souviens juste que Lucile-ma mère trouve que j’ai l’air d’aller bien, qu’elle demande si mes parents adoptifs sont au courant de cette rencontre, qu’elle me trouve belle…
Un an plus tard, je me retrouve dans la réalité de l’expérience. J’ai monté un commando de quatre pour aller à Toulon et il a été décidé que c’est Lucile et moi qui monterions dans l’appartement. On se retrouve devant la fameuse porte de ma mère, on frappe, ça n’ouvre pas… Et puis, au bout de trois ou quatre fois, elle finit par ouvrir.
La rencontre se passe dans une ambiance assez similaire à ce que nous avions improvisé : il y a même des moments où la fiction EST la réalité. Elle me trouve en forme, elle parle de mes parents adoptifs, elle me trouve belle, je suis tétanisée. Aujourd’hui, avec trois ans de recul, je pense que ce stage-là, avec cette technique-là, m’a au moins entraînée. Entraînée à faire face à l’effroi de la rencontre réelle, accompagnée par cette scène jouée quelques mois avant.
Et puis il y a eu la suite, puisque l’année dernière, mon histoire a été jouée au spectacle national sur la famille. J’en parle parce que même si ca a été très dur, au sens d’épuisant, pour moi, puisque je revoyais cette histoire tous les week-ends, parfois plusieurs fois par week-end, il y avait le travail de Jean-Paul qui répétait avec la comédienne qui jouait mon rôle. Et là, c’est comme si une boucle avait été bouclée, parce que, la vérité, Jean-Paul, pour diriger la comédienne, il parlait du personnage, de ce qu’il pensait qu’il avait dû vivre, ressentir… c’était tout juste, et ce personnage, c’était moi ! Donc j’avais là un autre que moi qui remâchait mieux que moi presque, ce que j’avais vécu. C’était donc que c’était devenu compréhensible par un autre humain. Et comme travail de libération, je n’ai jamais connu mieux. Et donc but atteint. Puisque, si j’ai bien compris, le Théâtre de l’Opprimé, il doit permettre ça : te libérer d’un maximum d’empêchements pour être libre le plus possible d’agir sur le monde, avec ta pensée claire et libre !
Emy
La personne « moteur ».
Celle qui est là à chaque fois, souvent en avance.
Qui se jette dans chaque jeu, dit oui à chaque rôle qu’on lui demande d’endosser
Qui a le sourire la plupart du temps, qui soutient les autres dans leurs larmes et pleure un peu aussi.
Qui aide le groupe à exister.
À « la mie de pain », cette personne, c’est Gilles.
Et Gilles, on en a bien besoin dans cet atelier.
Parce que « la mie de pain », c’est une résidence sociale dans laquelle vivent des anciens de la rue qui ont appris à ne pas faire confiance pour survivre. Qui, avant même cette vie de sans abris, ont eu des parcours terribles.
Tous pourtant donnent tout ce qu’ils peuvent. A commencer par cette fameuse confiance. Enfin, toute la confiance qu’ils ont encore à offrir.
Les histoires de la rue, on n’arrive pas à les récolter; les absences sont fréquentes ; les présences un peu… avinées aussi.
Gilles nous confie une histoire. Une histoire très courte d’homophobie dans le métro.
On devine entre les lignes ce qu’a vécu Gilles. Le rejet par sa famille de son homosexualité, la détestation de lui-même, et la rue qui arrive à cause de tout ça.
On devine seulement. Au détour d’un regard, d’une phrase qu’il met dans la bouche de son oppresseur en forum.
Ce qu’on ne devine pas, c’est que Gilles boit encore. Pas tout le temps. Juste quand son RSA tombe.
Le jour du spectacle, le RSA de Gilles est tombé.
Alors Gilles ne vient pas jouer avec le groupe. Ce jour-là, il est seul, en train de boire dans sa chambre.
Et nous, on remplace Gilles, car, un peu grâce à lui, le groupe est suffisamment fort pour gérer son absence.
Gilles est mort d’alcool quelques mois plus tard. On n’a pas été informés de son décès.
On est retournés à « la mie de pain » pour regarder le film qui retrace le déroulement de l’atelier. La directrice était là. Elle n’y a pas reconnu le Gilles qu’elle connaissait. Elle ignorait le rôle central qu’il avait eu et surtout, ce dont il était capable.
Gilles, il nous a offert ce qu’il avait de plus beau.
Fatima
Pour moi, travailler avec les jeunes, c’est important. À cause de mes racines, de ma jeunesse. Quand j’étais ado, on m’a foutue dans des cases : soit j’étais violente, soit j’étais « cassoss », soit j’étais obèse… J’ai eu plein de trucs comme ça. Cette putain d’injustice, je me la suis prise comme ça. Et jamais j’avais les mots pour répondre, les mots n’étaient pas là. La violence, elle, était là. Parce que cette violence elle nous perd, enfin moi, elle m’a perdue. Moi, je me dis : ces jeunes, on les met dans des cases. Et je dis : non ! Je me dis : si à travers ces ateliers, ces jeunes arrivent à formuler, à se dire comment faire autrement, comment faire bouger les choses, j’aurais au moins réussi ça.
Clara
Un atelier avec des mères à Besançon
On fait l’exercice qu’on appelle « La double révélation » et, après ce travail, dans lequel on ne sait pas si elles ont expérimenté des vraies révélations qu’elles voudraient faire, certaines femmes disent : « Il y a des choses comme des secrets qu’on a et qui nous empêchent de vivre. On aimerait bien s’entraîner à pouvoir les dire… » Alors elles se mettent à raconter et on décide de travailler autour d’une histoire
C’est une mère qui accouche de deux jumeaux. Le père n est pas encore à l’hôpital.
Un des deux jumeaux meurt alors elle demande à l infirmière de faire disparaître le corps et que jamais, jamais son mari ne le sache…
L’autre enfant a aujourd’hui 14 ans, ça fait 14 années que, le même jour, elle fête l’anniversaire de naissance de l’un et l’anniversaire de la mort de l’autre. Elle dit : « C’est plus possible de cacher ça à mon mari ! »
Alors toutes les femmes de l’atelier vont s’entraîner à voir à quel moment on pourrait dire, comment on le dit, avec qui on le dit, et puis on fabrique aussi l’image du pire si elle lui disait, l’image idéale qu’elle voudrait en lui disant et l’image du probable qui pourrait arriver.
On fabrique les images, on improvise, on s’entraîne et à la fin elle dit : « C’est très beau tout ce que vous avez fait, mais moi j’y arriverai pas ! »
Elles se couchent, on est en gîte…
On se retrouve le dimanche matin, elle est épuisée, je lui dis : « Isabelle, t’as pas dormi ? » Elle me répond : « Non, j’ai téléphoné à mon mari et je lui ai dit… »
Jean-Paul
A Mulhouse, avec Fabienne, on avait créé une scène avec des jeunes d’un quartier autour d’une de leurs revendications : “On veut un local pour faire ce qu’on veut”. Un week-end, on la joue dans un autre quartier, et là, on fait un bide total. Les jeunes présents nous disent : “La semaine prochaine, on va avoir la visite de Jean-Marie Bockel, le maire de Mulhouse, avec le ministre de l’Intérieur et ils vont nous donner notre salle”. On leur dit : « Très bien, c’est génial ! Mais comme on est là encore deux heures, on vous propose d’improviser la scène pour voir comment ça va se passer, histoire de vous chauffer…” Ils sont d’accord, alors on improvise, je fais le ministre de l’Intérieur, les jeunes sont dans leurs rôles. À la fin, ils constatent qu’ils n’ont pas pu dire un mot. Ils nous demandent : “Ça va se passer comme ça ?” Je réponds qu’il y a de fortes chances pour que, oui, ça se passe comme ça s’ils ne se préparent pas. Alors, on reprend la scène, ils affutent leurs arguments, prennent leurs tours de parole, se chauffent comme ça pendant deux heures.
On revient quinze jours après, on leur demande comment ça s’est passé. “On n’aura pas notre salle, mais on sait que ce n’est pas de notre faute : on a pris la parole, on a dit ce qu’on avait à dire… mais ils n’en ont rien à foutre.” Faire forum, ça ne sert pas toujours à gagner. Parfois, ça sert juste à savoir que ce n’est pas de notre faute si on perd.
Jules
C’était dans un lycée pro, on jouait un spectacle sur les discriminations, les lycéens participaient assez bien au forum jusqu’à ce qu’on joue une scène d’antisémitisme où, à la fin, c’est un juif qui est exclu. Là, il y a eu une espèce de silence dans la salle : finalement, ils étaient moins solidaires avec le juif qui se retrouve tout seul. Moi je jouais un oppresseur antisémite. Pour le forum, j’avais l’impression qu’il fallait les provoquer en déballant les images les plus crues possibles. Du coup, mon personnage a tout de suite parlé de la Shoah, il a dit des choses terribles du genre : « Oui, on a recyclé les Juifs en abat-jours, en savons et en boutons, mais ce n’est pas une raison pour en faire toute une histoire ». Ca provoqué des « quand même on peut pas dire ça ». Il fallait qu’ils se rendent compte de ce que c’est que l’antisémitisme, jusqu’où ca peut aller. On est ressortis tous ébranlés, mais avec l’impression qu’on avait fait le boulot, qu’ils étaient repartis avec quelque chose à réfléchir.
Mostafa
C’était un atelier qu’on menait avec des personnes très handicapées à Orthez. Durant toute la semaine, ce qui était génial, c’est qu’elle se comprenaient toutes entre elles : les aveugles, les muets, les sourds, les sans-bras, les sans-jambes… C’était magique ! Avec Marie-France, tous les soirs on se triturait le cerveau pour trouver des jeux adaptés à tout le monde. Le jour du spectacle, je me souviens encore de la file d’attente de fauteuils roulants pour faire forum ! Une scène racontait l’histoire d’un restaurateur qui posait ses tables sur le trottoir, empêchant ainsi les personnes handicapées de passer. Après l’atelier, une partie du groupe est allé tous ensemble, pour aller engueuler le restaurateur et dire que ce n’était pas légal. Il a rentré ses tables.
Asmahàn
Dans La Force des gueux, il y avait un personnage qui disait : « Moi, avant d’aller voir l’assistante sociale, je me mets une petite musique dans la tête, et je me la chante quand je suis face à elle ». Quelques années plus tard, mon père m’a dit : « Tu vois, cette scène-là, je l’ai toujours en tête ». Il est assistant social, il reçoit des gens… Il a dit : « Voilà, je l’ai toujours en tête parce que je me dis qu’en fait, il faut faire un putain d’effort pour venir nous voir, les gens se mettent tellement en quatre… Maintenant, je l’ai tout le temps en tête, et je l’ai même partagée avec mon équipe ». Alors il y a des spectateurs qui ne monteront sans doute jamais sur scène pour faire forum. Mais lui, il a retenu ce passage-là, et ça lui sert au quotidien.
Philippe
Moi, je me souviens du spectacle qu’on a joué en Charente-Maritime pour l’université d’été du NPS, le nouveau parti socialiste (c’était le nom du courant “de gauche” du Parti socialiste à l’époque). C’était en 2003, l’année de la grande grève des intermittents et du blocage du Festival d’Avignon, et voilà le NPS qui nous a dit : “Nous, on veut réfléchir avec vous sur la place de la culture dans notre société”. Bon, on est en plein été, ils nous demandent ça au dernier moment, on déjà tous prévu nos vacances, mais on se dit : quand même, cette demande de politiques, c’est trop rare, et puis ce contexte est si grave… alors, il faut qu’on accepte… même si c’est bénévole ! Alors on change tous nos projets de vacances pour se retrouver dans le Cantal une semaine pour créer et répéter un spectacle. Et pendant qu’on est à répéter, on se dit : “Au fait, ce serait bien de savoir combien de spectateurs on va avoir”. Donc Fabienne appelle la commanditaire, qui lui répond : “Oh, sans doute pas grand monde… ce sera au même moment que le tournoi de foot interne à l’université d’été… et y en a beaucoup qui choisiront le foot quand même !” Bon Fabienne revient, nous explique tout ça, et là, je vous laisse imaginer nos tronches. Grand moment d’abattement. Et puis on commence à se prendre la tête : on laisse tout tomber ? on pique un bon coup de gueule ? Finalement, on trouve une belle idée pour se sortir de la merde : “Oui, on va y aller, mais la première scène de notre spectacle, elle racontera l’histoire de cette commande et de comment ça s’est passé avec eux”. Voilà, c’est ce qu’on a fait, et je me suis dit que faire forum sur cette histoire avec eux, c’était vraiment la meilleure façon de débattre de la place de la culture dans la société… y compris chez eux !
Celia
« Celia, je peux te poser une question ? Parce que je me demandais : pourquoi ça vous prend autant de temps, à Fabienne, Jean-Paul et toi, pour écrire un spectacle ? Qu’est-ce que vous faites pendant tout ce temps ? Parce que je veux dire, ce que vous écrivez, c’est ce qu’on a raconté… Si je prends mon histoire, vous avez juste recopié ce que j’avais raconté ! Non ? »
On en avait mis du temps à trouver comment raconter son histoire, à Patrick, ce travail aux horaires terribles qui l’a progressivement conduit à la rue : en faire une scène de forum ? en faire un récit ? mais sous quel angle ? comment raconter des années en l’espace de quelques secondes ? On avait essayé, hésité, réessayé, jusqu’à imaginer cet homme seul face au souvenir de ses enfants, petits fantômes marionnettiques jouant au foot à l’autre bout de la scène. On avait écrit et réécrit, rêvé avec Perrine, aussi, à qui ces deux marionnettes d’enfants posaient plus de problèmes que les autres du spectacle. Finalement, le texte était là… Pourquoi tout ce temps ? Je crois que c’est le plus beau compliment qu’on aurait pu nous faire.
Cathy
“Nous n’abandonnerons jamais l’espoir”. C’est une phrase qui donne du courage, je trouve. D’où vient-elle ? Hannah Arendt choisit de porter en épigraphe de son livre Les origines du totalitarisme une phrase d’un ouvrage de Karl Jaspers : « Ne s’en remettre ni au passé, ni à l’avenir. Il importe d’être pleinement présent« . Car, dit-elle : “Cette phrase m’a touchée au cœur, et je puis donc la retenir”. La réponse de Karl Jaspers viendra dans la correspondance quelques années plus tard : “Il convient peut-être de compléter par ceci : nous ne renoncerons jamais à l’espoir”. C’est une phrase importante, pour lui, pour Hannah Arendt, et pour nous aussi : “Nous ne renoncerons jamais à l’espoir« , ni ne l’abandonnerons ! Nous n’abandonnerons jamais l’espoir. Ainsi vint le nom de NAJE.
Détermination et courage. C’est fort quand même que ce soit cette phrase qui ait été choisie à l’origine, car elle dit ce qu’est cette compagnie : ce courage de faire du Théâtre DE l’Opprimé, de continuer tous les jours et d’être dans le concret, sans dévier d’un millimètre en vingt années. Ce courage des gens à porter leur propre histoire sur la place publique. “On sait très bien ce qu’on fait”, disait Boal.
Les récits des habitants et participants des grands chantiers
Le 25 novembre 2017, lors de la fête des 20 ans de NAJE, certain.e.s habitant.e.s et participant.e.s des grands chantiers ont raconté ce qui les avait particulièrement marqué au fil de leur compagnonnage avec la Cie. Voici leurs récits.
Sophie
Ça commence en petit groupe : j’y suis invitée, je livre ma voix faible, elle peine à sortir. Une comédienne s’en saisit, l’écrit, m’en décharge… J’ai passé le témoin. Devant le groupe entier, submergée par l’émotion, je ne parviens pas à dire à nouveau. La comédienne me relaie et parle à ma place ; ma voix, amplifiée, n’est plus la mienne. Puis, reformulée, elle sera incorporée sur scène. De bouches à corps, ma voix a été transportée, déployée. Elle a pris une dimension, politique, pendant le spectacle sur les normes.
C’est une des scènes du spectacle sur la famille : une voix grave m’a été confiée, elle m’accable. Mais encouragée par la compagnie, guidée par les comédiens, je suis parvenue à la faire entendre en la clamant, à la faire exister. À mon tour, je suis devenue porte-voix.
Arlette
Je suis à NAJE depuis bien longtemps. Je fais partie des meubles si on peut dire. C’est Fabienne et Jean Paul qui m’ont proposé de faire partie du chantier après notre rencontre à Marseille au cours d’un atelier avec des policiers. C’était dans le centre social dont je suis vice-présidente. Faire du théâtre dans un centre social, c’était normal… mais que moi j’en fasse !
Le théâtre m’a aidée à sortir les mots. Avant, c’était difficile de m’exprimer. Je coupais la parole à tout le monde, je n’écoutais pas, les mots que je sortais ne voulaient rien dire.
Avec les chantiers nationaux de NAJE, j’ai rencontré beaucoup de gens, des gens différents de moi, que je n’aurais pas connus sans les chantiers. Alors j’ai aussi appris à écouter.
C’est important de savoir parler, pour oser taper aux portes, pour défendre ce en quoi on croit.
Claudine
« Prêts pour la photo ? » Ce sera notre souvenir du chantier « Les Bâtisseurs »
« Ouistiti… Vous êtes prêts ? On ne bouge plus ! »
Ce jour-là, Armand Gatti était parmi nous ; il nous a remerciés pour notre spectacle et, avec un beau sourire, il a ajouté : « Vous êtes notre Rose Blanche » !
Quel honneur d’avoir reçu ce qualificatif : celui de ce groupe de résistants allemands qui a tenu tête au nazisme pendant la Seconde Guerre Mondiale. Une comparaison qui aujourd’hui résonne en moi comme un encouragement à ne jamais abandonner.
Ce soir, en mémoire de tous les chantiers, je voulais avoir une pensée pour Armand Gatti, et le remercier de nous avoir offert ce lieu à Montreuil : la Parole Errante.
Dominique
Scotchée je suis restée …..
Scotchée
À la fin du documentaire…
J’ai osé le faire
J´ai appelé le numéro
Ben oui, c´est bien elle
Qui m’ a répondu naturelle
Des histoires intenses qui m’ont marquée
Avec chacun de vous je pourrais en conter
Mais j’ai choisi
Ce jour de stage à la Reine blanche
Les techniques introspectives
Ma mémoire en est vive :
J’évoque mon histoire
Complexe qui dure …
L’animateur dit… de lui assez sûr
« Est-ce là la seule ambition
De vouloir de cette situation
La mettre dans une case morale
Si tu t’imposes ce vécu
ça devient sans issue…
Ben c’est fatal ….
J’ai pris conscience ce jour
Que même les engagements d’amour
Sont des réalités politiques
Un peu plus tard
Je joue le rôle de sa mère
Allongée par terre
Lui, c’est le protagoniste
Je suis morte… réaliste
Il tremble mon corps
Je vis la mort
J’ai tellement froid
Personne ne me voit
Mais je vous dis moi
J’entends tout ….
Je ressens tout …..
De ce corps froid
Enfin je peux mot dire
Et vraiment le lire
Que le protagoniste m’entend
C’est son visage ! Il se détend ……
Tout transformé
Et là mon corps connecté
De près écoutė me dit
D’aller vite le faire soigner
Avec NAJE, je n’abandonne pas l’espoir
Evelyne
C’était pendant un stage de techniques introspectives de NAJE. J’avais voulu jouer mon histoire en théâtre-forum.
Je vivais une période compliquée avec ma mère qui perdait chaque jour en autonomie et je n’arrivais pas à lui faire comprendre qu’elle devait arrêter de conduire sa voiture à 90 ans passés.
Alors je me mets à jouer ma mère. Jean-Paul joue mon rôle. Moi, je l’entends dire d’un coup : « Alors, si tu tiens à moi, tu me donnes les clés. C’est la voiture ou moi ! »
Eh bien, croyez-moi ou pas, sur le coup, ça a été très violent… J’ai continué à aller voir ma mère toutes les semaines et les choses ont fini par faire leur chemin, tant et si bien qu’un jour, peut-être trois semaines après ma scène de théâtre-forum, j’ai pris le trousseau de clés de ma mère et … j’ai eu le courage de les lui confisquer.
Eh bien, ça, pour moi, c’est un peu de la magie de NAJE qui m’a aidée à prendre une décision importante à un moment de ma vie où je me sentais fragile.
Marie-Thérèse
Je me souviens de ma première rencontre avec NAJE. C’était autour du spectacle de fin de « chantier annuel », avec une manif des opposants à l’ouverture de Notre-Dame des Landes. J’y renifle encore l’énergie qui a débordé de la scène pour monter dans les gradins de la Parole errante. J’y vois encore Renée face à moi, auprès d’autres, poing levé, bouche édentée, gueulant des mots d’ordre contre la répression policière. On n’y lâchait rien ! On ne lâcherait rien. Frémissements émotionnels d’épiderme. J’ai envie de gueuler avec eux. Uppercut au cœur.
Je ne découvre pas le « théâtre de l’opprimé », non ; vieille de la vieille syndicaliste à la CFDT des années 1970-80, puis SUDiste aux PTT et à Bercy, j’ai déjà croise ce théâtre-là qui nous était très proche à Paris, rue du Charolais notamment. Ce théâtre faisait forum avec des expériences vécues, jouées et proposées aux alternatives des spectateurs.
NAJE aussi fait du « théâtre-forum »… Mais le chantier c’est pas pareil. 50, 60, 70 personnes, de toutes origines et conditions, mises en scène dans une création partagée, c’est pas pareil ! L’énergie que ça demande et que ça développe et qui exhale en exaltant les spectateurs le jour J, c’est pas pareil !
Du théâtre, j’en ai toujours fait : gamine, à l’école, avec l’amicale laïque et la paroisse du village (rires), adulte avec la Compagnie du Message de théâtre amateur aux PTT… Et plus récemment à Montreuil.
Mais ce jour-là, à la Parole errante, ce ne fut pas la même chose. Ce jour-là, j’ai rencontré le théâtre qu’il me fallait. Le théâtre qui me permettrait de réconcilier mes engagements, ma militance et le jeu à partir de faits, de la réalité des uns et des autres, de nos histoires d’opprimés à nous, notre vécu, notre seul capital.
Alors j’ai rejoint le chantier. J’ai pris mon drapeau et je suis venue le déposer au centre d’un cercle comme un objet, fanion ou étendard, à offrir au plus grand nombre. Je me suis souvenue du 10 octobre 1995, 1er jour du mouvement social de novembre-décembre. Plus tard, j’ai joué cette scène dans un chantier annuel : un objet parmi d’autres qui se souvenait de ses jours glorieux autour du thème du travail.
En fait, ma rencontre avec NAJE, c’est comme si une part de moi s’était réconciliée avec elle-même, rebelle mais assumée dans l’en-dedans du ventre de la scène, comme au-dehors dans le théâtre bien réel des conflits sociaux, de la lutte des classes qui s’immisce dans les interstices du quotidien.
NAJE quelque part, ça transforme, ça fait grandir… Et, peut-être bien que ça place chacun.e dans une nouvelle vague : celle de son propre essor dans une combativité collective dont les ressorts restent encore à trouver. A chacun.e, avec son petit carreau d’âme, sa couleur et sa spécificité d’y mettre le sien et du sien dans le nouveau drapeau de la collectivité et le spectacle d’une société qui vibre, bouge et n’a pas l’intention de s’en laisser compter !
Renée
Quand j’ai pris ma plume, je me suis dit : « Que vas-tu écrire que tu n’aies déjà dit ? » Et tout à coup une idée de génie me traversa l’esprit.
NAJE ! NAJE ! NAJE ! Pour moi tout un programme.
Au tout début, il y 14 ans, j’allais vers l’inconnu, un peu intimidée – eh oui tout arrive – mais Mathieu m’a pris la main et m’a dit : « Viens ! »
Ensuite, Marie France, lors d’un jeu, m’a entraînée et nous avons valsé pour nous dire combien l’une et l’autre nous nous trouvions belles.
Depuis, de l’eau est passée sous les ponts ; il y a eu des peurs et des grincements de dents, des rires aussi, des fêtes – même si à mon goût il n’y en aura jamais assez !
Et s’il fallait choisir un chantier qui m’a remuée jusqu’au delà de mes tripes, j’opterais pour « Les Invisibles ». À chaque fois que je rentrais sur Angers, j’étais en larmes. Et à chaque fois, je retournais à Paris, et rebelote, et rebelote… Jusqu’au jour où j’étais en train de chanter et j’ai fondu en larmes sans raison apparente. Et là je me suis dit : « T’es devenue maso ma vieille ! Il faut te faire soigner ! » Mais j’ai tenu bon et j’ai été au bout du chantier.
Tout ça pour vous dire que j’adore NAJE et que je pourrais vous en parler pendant des heures et des heures.
Sachez que j’ai un cœur d’artichaut, une feuille pour tout le monde, et que toutes ses feuilles sont à l’abri, bien au chaud dans mon jardin secret, à l’ombre d’un grand chêne, à regarder les feuilles à l’envers.
J’irai au bout du monde avec NAJE ! Sachez aussi que je ferais le tour du monde si on me le demandait… mais ce serait un peu long… Non !
Marysa
Je me souviens du texte du cerisier, q
Que je disais en détimbrant,
Impuissante à m’en empêcher…
Ben oui, Mouss ! ben oui, Jean-Paul !
Je revivais le cerisier-refuge de mes 9 ans…
Quand même y m’avaient bien dressée,
Les quatre du gang du sacrifice,
L’oncle-prestige, la mère complice,
Le frère vengeur, le père cassé…
Gazé en 15, çà, c’est le grand-père
A cause des gaz, il viole sa femme,
Ma mère, puis moi, on récupère…
Elle le rejet, moi, le secret…
Au fond la vie, j’étais pas contre !
Mais comment naître, ma mère me veut
Pour elle toute seule, pour s’faire renaître,
Une pour deux, ma vie en creux…
Neuf ans se passent, grand-frère d’jouer,
Au père, au flic et au colon,
Il vise sur tout ce qui a un con,
La bonne le jette,…petite sœur paie…
Ma-nine, qu’y m’avaient appelée,
J’me sens bien que dans les arbres,
Je ne sais même pas que j’ai oublié
Comment penser prendre les armes,
Douze ans plus tard, l’oncle dirige
Son doigt de tueur, essai marqué !
Ce qu’il me fait, ma mère le sait !
L’avant, l’après, se brouillent, se figent…
J’suis la baudruche coincée sous le pack,
À étouffer dans l’air vicié,
Mise en exil, je creuse mes traques,
Et tisse mon identité
La famille NAJE m’a bien aidée
A raccorder l’encore relié
En rajoutant l’humanité
Envers et contre tous les dénis,
Elle m’a offert un vrai beau nid
En me r’mettant dans le cours du temps
De plus en plus vitalement,
Je peux crier, et on comprend,
Au nom de millions d’enfants,
Piégés par des parents en transe,
Le viol, ça tue en différé !
Le viol, ça tue si tu te tais !
Muriel
Quand j’ai commencé mon premier chantier à NAJE, il y a environ six ans, je travaillais au Conseil départemental du 93, qui était en pleine conversion managériale : dit autrement, je bossais dans un service public qui se réorganisait en entreprise privée ! Au service social, on était en rébellion : grèves, boycott des statistiques, débrayages… Et NAJE préparait justement un spectacle sur le démantèlement des services publics.
C’était super de pouvoir mettre en scène ce que l’on subit et ce qui se répercute sur les personnes qu’on est censé accompagner. C’était chouette de chercher des pistes de résistance.
NAJE m’a permis de retrouver du sens, de prendre de l’assurance, ce qui est très bien quand on doit négocier avec des élus et des chefs. C’était une bouffée d’oxygène, presque vitale, vu l’absurdité, la folie évaluatrice, les protocoles qui m’étouffaient.
Ca m’a aussi permis d’utiliser le théâtre dans un cadre syndical en jouant par exemple des petites saynètes pour dénoncer les effets du management, démonter les mécanismes mis en place pour nous asservir.
Peut-être que NAJE a aussi participé à me faire cheminer et à prendre certaines décisions comme celle de reprendre mon vrai métier d’assistante sociale dans un secteur où l’humain prime encore sur la gestion.
Ce que NAJE continue de m’apporter, ce sont des rencontres, de l’enrichissement. Le plaisir de réaliser de belles choses collectivement.
Nicolas
En travaillant avec cette compagnie, je découvre une continuité entre ma vie antérieure d’avocat – je participais avec l’Institution judiciaire à la « manifestation de la vérité » – et mon désir d’écrire et de représenter autre chose que des conclusions juridiques. Dans ma profession d’avocat, il s’agissait de défendre ceux dont on ne parle jamais, ou mal, voire en mal.
Ces histoires vraies que je réclame par le théâtre de l’opprimé, ce sont donc des histoires de rencontre. Si j’écris une scène, je veux savoir pour qui je l’écris; quand je joue une scène, je veux savoir qui je défends. Même si le spectateur ne le sait pas, ça n’a pas d’importance. La scène devient une arène où l’on défend la vérité d’une personne qu’on a rencontrée, qu’on a reconnue, qui se reconnaît… ou se reconnaîtra.
La force des histoire vraies, c’est alors la force des rencontres, avec ceux qu’on ne voit pas ou qu’on ne voit plus, qu’on ne veut pas voir, au point qu’eux-mêmes ne veulent plus se voir.
La force des histoires vraies, c’est ainsi la force de se réunir pour changer ce que nous n’aimons pas, ce que nous ne voulons pas voir prospérer ; c’est aussi la possibilité collective d’être des chroniqueurs infinis des luttes dont nous sommes témoins et acteurs, tout à la fois intimes et universelles.
La force des histoires vraies, c’est aussi la force de se dire soi-même, de s’avouer faible et vulnérable, de s’avouer bon comme mauvais, de mettre à nu son âme, pour combattre la stratégie bourgeoise du faux, dénoncée par Roland Barthes en son temps : une stratégie qui vise à dissimuler la douleur des opprimés sous les faux-nez de la gaudriole, pour la populace, ou de l’art pour l’art, réservé à une élite auto-proclamée.
Nos histoires sont courtes, immédiates, actives. Elles visent à produire des changements sans attendre des lendemains qui ne viendront jamais. Que nos textes soient vite oubliés, qu’importe… s’ils ont bien servi. L’art enfin pour autre chose que lui-même. L’art comme un marteau, qui ne se voudrait rien d’autre que sa fonction pure, pour agir, faire agir, faire vivre, en enfonçant le clou, même si ça fait un peu mal.
La force des histoires vraies, c’est celle de notre dignité de femmes et d’hommes, la dignité de ceux dont nous voulons raconter les galères, les exils, les joies ou les émerveillements, la vie et la mort.
Fiches bilan de stages réalisés
Le dernier bilan des stages « Jeunes et femmes » des Missions locales du 91
Depuis plusieurs années, les ateliers de théâtre-forum constituent le « fil rouge » des stages « Jeunes et femmes » organisés dans toutes les Missions locales de l’Essonne. Ce dispositif fait régulièrement l’objet d’évaluations, qui soulignent le rôle central du théâtre-forum pour redonner confiance à ces jeunes femmes victimes de violences. En voici une nouvelle édition, publiée en novembre 2017.
Une mini-interview par Hervé Kempf, fondateur de Reporterre
Fin juin 2917, la Fondation Un Monde par tous a réuni pour trois jours dans la Drôme certaines des structures qu’elle soutient, donc la compagnie NAJE. L’occasion pour Hervé Kempf, fondateur du site d’informations Reporterre, de réaliser une petite interview son sur ce qu’est le Théâtre de l’Opprimé.
La mini-interview sur Reporterre
Bilan de l’opération sur les copropriétés en difficulté menée avec l’ARC
Association des Responsable de Copropriété (ARC), Compagnie NAJE, Sylvaine Le Garrec – sociologue
Le Théâtre-forum : un outil pour la mobilisation collective et le pouvoir d’agir des habitants des copropriétés en difficulté
Bilan des premières actions réalisées concernant les copropriétés en difficulté
établi par l’ARC et Sylvaine Le Garrec
Le contexte et les enjeux :
un besoin d’outils de mobilisation collective des copropriétaires et des locataires dans les copropriétés en difficulté
Dans les copropriétés en difficulté, l’implication des copropriétaires et des locataires est indispensable pour parvenir à surmonter de manière pérenne les problèmes rencontrés.
Une copropriété en difficulté, en effet, ce n’est pas seulement un immeuble dégradé, c’est aussi une organisation sociale déstabilisée et un système de gouvernance et de gestion mis en péril par des déséquilibres financiers. Dans cette perspective, au-delà des travaux de requalification, de la maîtrise des charges et du recouvrement des impayés, la création d’une dynamique sociale collective au sein de la copropriété et le renforcement des capacités d’action des copropriétaires et des locataires sont nécessaires pour s’assurer d’un fonctionnement autonome de la copropriété et de ses instances de gestion (conseil syndical, assemblée générale) une fois l’action publique arrivée à son terme.
Recréer du pouvoir d’agir, de l’attention à l’autre et de la cohésion sociale – et ce autour d’un projet commun – est le point de départ pour que les copropriétaires et les locataires se réapproprient les parties communes et le devenir de leur copropriété. La qualité des relations sociales permet l’émergence d’une « intelligence collective » et constitue un moteur de l’engagement des copropriétaires au sein des instances de gestion. La mobilisation collective des copropriétaires et des locataires constitue ainsi le socle sur lequel peuvent reposer les différents piliers du redressement durable de la copropriété.
Et pourtant, au sein des interventions publiques sur les copropriétés en difficulté, les savoir-faire visant à développer les relations sociales, à créer une dynamique d’action collective et à renforcer les capacités d’action des copropriétaires et des locataires sont encore peu répandus. Pour développer ces pratiques et répondre à ce besoin, il apparait nécessaire de concevoir, expérimenter et diffuser des moyens d’action concrets et des méthodes éprouvées que les acteurs de l’intervention publique pourront aisément s’approprier.
Une première expérimentation de « théâtre forum » dans les copropriétés en difficulté
Dans ce but, la Fondation Abbé Pierre a soutenu en 2016-2017 un premier projet porté par l’Association des Responsables de Copropriété (ARC), la Compagnie NAJE et la sociologue Sylvaine Le Garrec visant à expérimenter et à valoriser le « théâtre forum » comme outil pour la mobilisation collective et le pouvoir d’agir des habitants des copropriétés en difficulté.
Le théâtre-forum – ou théâtre de l’opprimé – a été introduit en 1960 au Brésil par Augusto Boal, dans un contexte de dictature militaire et de résistance. Il s’agit d’une technique de théâtre qui vise à favoriser la participation du public en vue de soulever et de mettre des mots sur les problèmes que les spectateurs/acteurs repèrent comme les leurs, de décoder les enjeux de ses situations, de trouver ensemble des pistes de solution et de venir les tester sur scène. Le déroulement du « théâtre forum » est centré sur la représentation d’une ou plusieurs scénettes (de 3 à 5 minutes chacune) qui mettent en scène une situation qui ne convient pas : un des protagonistes est en conflit avec les autres personnages puisqu’il revendique un droit légitime. La conclusion est en général catastrophique, et soulève une question centrale : comment faire pour changer cela ? Dans la salle, pas des spectateurs passifs mais des acteurs du débat, le metteur en scène convie le public à intervenir à des moments clés pour dire ou faire quelque chose qui pourrait améliorer la situation finale de la scénette. De sorte que « faire forum », c’est s’essayer ensemble à l’action transformatrice et peser ses conséquences, pour que demain, les choses ne soient plus tout à fait comme avant.
L’ARC, la Compagnie Naje et la Communauté d’Agglomération Creil Sud Oise ont lancé une première expérience de théâtre forum sur les problèmes généraux de fonctionnement collectif des copropriétés en mars 2016. Pour un « forum de la copropriété » auquel étaient invités tous les copropriétaires de la communauté d’agglomération Creilloise, la compagnie Naje a conçu et joué plusieurs scénettes de théâtre forum mettant en scène les difficultés et les enjeux du « vivre ensemble » en copropriété : usage et appropriation des parties communes, tensions entre les intérêts individuels et les intérêts collectifs, difficulté des prises de décisions communes et de l’engagement au sein du conseil syndical. Cette première expérience a rencontré un vif succès auprès des copropriétaires, des professionnels du territoire et des organisateurs : rires, nombreuses prises de parole, témoignage, participation très active aux débats et aux scénettes, création de lien entre les participants…
Suite au bilan très prometteur de cette première expérience, l’ARC, la Compagnie Naje ainsi que la Sylvaine Le Garrec, sociologue spécialiste des copropriétés et la Fondation Abbé Pierre ont souhaité poursuivre l’exploration de cet outil et l’adapter aux habitants et aux situations particulières des copropriétés en difficulté.
Cette expérimentation a été menée en partenariat avec deux collectivités locales – la communauté d’agglomération Creil Sud Oise et la Ville d’Epinay-sur-Seine (93) – sur deux terrains significatifs des deux grandes catégories de copropriétés en difficulté habituellement rencontrées :
- Un îlot de toutes petites copropriétés anciennes dégradées dans le centre ancien de Montataire dans l’agglomération Creil Sud Oise. Comptant moins de 10 logements, ces copropriétés sont souvent désorganisées (absence de syndic, de conseil syndical et d’assemblée générale) et il est difficile pour l’intervention publique d’identifier un interlocuteur et de susciter des projets collectifs. La représentation de théâtre-forum a eu lieu le 4 février 2017.
- Les trois copropriétés Quétigny à Epinay-sur-Seine. Construites en 1972 dans le centre-ville d’Epinay, ces trois copropriétés composées chacune de 2 tours jumelles de 17 étages font l’objet depuis 2015 d’un deuxième Plan de Sauvegarde. Celui-ci comporte un « volet développement social » visant à améliorer le lien social et la participation des habitants dans les instances et la vie de la copropriété. Le projet de théâtre forum s’est inscrit dans cette démarche. La représentation de théâtre-forum a eu lieu le 11 février 2017.
Avec le soutien financier de la Fondation Abbé Pierre, des deux collectivités locales et du Commissariat Général à l’Egalité des Territoires (CGET), l’expérimentation a consisté à créer des scénettes sur les situations concrètes vécues sur chacun des sites à partir des récits recueillis auprès des habitants. Pour aller à la rencontre d’un large panel d’habitants, différents canaux de mobilisation ont été utilisés. Sur chaque site, une représentation de théâtre forum mettant en scène les problèmes soulevés par les habitants a été organisée à proximité des copropriétés concernées.
Au cours des représentations, deux innovations ont également été proposées :
- Un temps de « regard d’expert » : après les scénettes et le « forum » pendant lequel les spectateurs étaient invités à proposer et à jouer leurs solutions, nous avons invité le public à constituer deux groupes pour travailler collectivement sur les solutions échangées et les moyens de les mettre en œuvre concrètement. Un groupe était animé par l’ARC et l’autre par la sociologue Sylvaine Le Garrec. Ce temps de travail collectif a été l’occasion de communiquer des ressources utiles aux participants à travers la diffusion d’informations « expertes » en réponse aux questions posées pendant le forum (ex : comment convoquer une assemblée générale en urgence dans les règles, comment un dégât des eaux est-il remboursé par les assurances, etc…), des échanges d’expérience entre participants, l’identification des contacts à mobiliser (ex : quel service de la Ville contacter pour être accompagné quand on est une copropriété désorganisée ?)… Dans les copropriétés Quétigny, l’animation de ces groupes a permis aux copropriétaires de formuler et sélectionner les actions communes qu’ils souhaiteraient mener et de fixer une prochaine réunion pour qu’ils commencent à les mettre en place de façon autonome…
- L’intervention d’une facilitatrice graphique : lors de la représentation sur les trois grandes copropriétés d’Epinay (Quétigny), une illustratrice s’est chargée de traduire en dessins le contenu de la session de théâtre-forum, accompagnés de quelques phrases et mots-clefs qui synthétisaient les enjeux, les blocages, les leviers exprimés durant cette demi-journée. Les dessins ont été réalisés par l’illustratrice en temps réel. Ils ont été exposés sur place à l’issue de la représentation. Les habitants ont ainsi pu se réunir autour des dessins à la fin de la représentation, les commenter librement, faire leur propre bilan et mesurer le chemin parcouru. Ces illustrations ont aussi permis de garder une trace de cette aventure : la fresque a été exposée dans les halls des copropriétés et les images numérisées ont été transmises à l’opérateur du Plan de Sauvegarde et aux trois conseils syndicaux qui peuvent les réutiliser pour leurs supports de communication.
Un bilan très positif de cette première expérimentation
Le bilan de cette expérimentation a été très positif. Ces actions ont en effet montré que le théâtre forum avait tout son sens au sein d’un dispositif d’intervention publique visant à la requalification de copropriétés en difficultés et qu’il constituait un outil puissant de mobilisation et de « mise en action » des copropriétaires :
- L’écriture de scénettes à partir des récits des copropriétaires et des habitants permet de renverser les perspectives habituelles : la parole des habitants est mise sur le devant de la scène. Les problèmes que les habitants vivent au quotidien et qu’ils ont racontés sont joués devant eux par des comédiens professionnels. C’est déjà pour eux le signe qu’ils ont été écoutés, que leur témoignage a de la valeur et que l’on reconnait les difficultés auxquelles ils sont confrontés ainsi que les ressources qu’ils déploient.
- Le théâtre-forum permet de libérer l’expression et de favoriser la prise de parole, dans un climat collectif convivial où le rire et le jeu théâtral contribuent à créer de la confiance et de l’émulation.
- Le théâtre-forum n’est pas seulement un outil d’échange d’idées et de point de vue, c’est aussi un outil de mise en action. Sous l’action de la metteuse en scène qui joue le rôle de « Joker » à la suite des scénettes, le public est amené à dépasser le constat des problèmes et le registre de la plainte pour imaginer et proposer des solutions concrètes. On va ainsi au-delà du « c’était mieux avant » et du « il faudrait que » pour parvenir au « nous pourrions… ».
- Le travail en groupe lors du temps de « regard d’expert » permet d’amplifier et de structurer cette mise en action. La transmission d’information et d’expertise est alors d’autant plus efficace que les participants sont en questionnement et sont mis dans une dynamique individuelle et collective de recherche de solutions. Ce mouvement favorise aussi le partage d’expériences entre participants.
- Cette expérience d’écoute des copropriétaires permise par le théâtre-forum a bien montré que ces derniers manquaient surtout d’outils pour agir collectivement mais pas de volonté.
Sur les deux terrains d’expérimentation, le théâtre forum a eu des effets concrets sur la redynamisation des copropriétés visées :
- A Montataire, le théâtre-forum a permis de mobiliser des copropriétaires dans les petites copropriétés identifiées dans l’îlot du centre-ville visée par l’expérimentation (un tronçon de la rue principale). Mobilisés grâce à du porte à porte, du boitage et l’organisation d’une journée d’appel à témoignages, ces copropriétaires ont contribué à la création de scénettes en livrant leurs récits personnels et ils ont ensuite participé très activement à la représentation de théâtre-forum. Certains n’avaient pas conscience de vivre en copropriété, ils ont pu ensuite être accompagnés dans la résolution des problèmes rencontrés. Cette expérience a en outre permis de les fidéliser et d’instaurer une relation de confiance avec les services de la ville.
- A Epinay, sur la copropriété Quétigny 2, le conseil syndical et les copropriétaires présents ont choisi de travailler lors du temps de « regard d’expert » sur les solutions concrètes qu’ils pourraient mettre en place pour faciliter la compréhension des charges par les copropriétaires et favoriser la bonne information de tous : créer une note explicative illustrée par graphique à joindre à l’envoi des appels de fonds, créer une adresse mail du conseil syndical afin de répondre aux questions des copropriétaires, créer un carnet de contacts (adresse mail et numéros de téléphone) des copropriétaires, créer une « newsletter » de la copropriété, améliorer le « cahier de doléance » déjà mis en place par le conseil syndical en le renommant « boite à idée pour le conseil syndical », faire en sorte que les formations proposées dans le cadre du Plan de Sauvegarde attirent davantage de monde…
- Le théâtre-forum a aussi permis de créer une dynamique nouvelle au sein de la copropriété Quétigny 1 qui fait l’objet d’une administration provisoire depuis une dizaine d’années. Il existe dans cette copropriété un « conseil syndical consultatif » mais il n’est composé que de deux membres actives qui se sentent isolées dans leur rôle. Le temps de « regard d’expert » a permis de travailler avec l’ensemble des copropriétaires de Quétigny 1 présents à la représentation pour réfléchir à la façon dont ils pouvaient soutenir les deux membres du conseil syndical, soit en participant directement à leurs réunions, soit en les aidant plus globalement à améliorer la participation des habitants à la vie de l’immeuble. Le groupe a décidé de se réunir à nouveau le dimanche suivant de manière autonome pour organiser des actions concrètes et chaque personne a laissé son numéro de téléphone portable aux deux conseillères pour pouvoir être contactée et informée des évènements à venir. Le dimanche suivant, une vingtaine de personnes se sont rassemblées et ont programmé une journée de porte à porte pour aller à la rencontre de tous les résidents. Certaines personnes se sont portées volontaires pour jouer le rôle de traducteurs pour ceux qui ne maîtrisaient pas le français. Les personnes présentes ont aussi émis le souhait de poursuivre ces réunions élargies avec les deux membres actives du conseil syndical pour que ces dernières puissent diffuser des informations et expliquer leur travail au sein des différents groupes de travail thématiques du Plan de Sauvegarde.
Les effets du théâtre-forum ont pu être observés grâce à un retour sur le terrain par la sociologue un mois après les représentations. Ils seront décrits dans un récit d’expérience en cours de réalisation.
Cette expérimentation de « théâtre forum » adaptée aux copropriétés en difficulté a suscité l’intérêt des organisateurs du forum des politiques de l’habitat privé qui ont invité l’équipe du projet à valoriser cette expérience lors de leur Ve rencontre « Innover dans l’habitat » du 22 mars 2017. Ce retour d’expérience et les deux scénettes jouées par la Compagnie Naje ont fortement intéressé les participants de ces rencontres comme en témoigne le site Internet du forum des politique de l’habitat privé : « Cet outil de théâtre-forum leur ouvre en effet des perspectives pour dialoguer autrement avec les habitants dans le cadre de dispositifs d’amélioration de l’habitat et ainsi construire une dynamique de confiance, du «nous» pour faire émerger collectivement des solutions aux problèmes identifiés ».
Perspectives pour 2017-2018 :
C’est à la suite de cette conférence que les services de l’Etablissement Public Territorial Est Ensemble ont contacté l’équipe du projet pour réfléchir à la possibilité de poursuivre cette expérimentation sur leur territoire. La Direction de l’Habitat et du Renouvellement Urbain d’Est Ensemble est en effet à la recherche de nouveaux outils susceptibles de compléter les actions traditionnelles sur les copropriétés en difficultés pour favoriser la mobilisation collective des copropriétaires et s’assurer ainsi de la pérennité du redressement des copropriétés faisant l’objet d’une intervention publique.
NAJE aux ETS (rencontre des managers territoriaux) du CNFPT en 2016
Attac Var a remonté « Le Chantier »
Attac Var nous avait demandé le texte du spectacle « Le Chantier » (sur le travail) et vient de nous avertir qu’ils l’ont mis en scène avec des militants locaux. Nous en sommes ravis.
Voici le lien vers leur bande annonce