Nous avons dirigé des ateliers habitants-policiers en 2001, 2002 et 2003 à L’Ecole Nationale de Police de Marseille. Voici le compte rendu de 2003 à 2001.
L’atelier de 2003
Les participants :
Le projet initial prévoyait un groupe composé pour moitié par des élèves policiers de l’ENP et pour moitié par des habitants.
En fait, des défections d’habitants en cours d’action (dues à des raisons de vie personnelle et à des changements de direction d’associations partenaires) nous a amenés relativement vite à un groupe composé de 2/3 d’élèves policiers et 1/3 d’habitants. Pour autant, le groupe a pu mener son travail de confrontation des différents points de vue.
Les partenaires :
En 2003, c’est l’association MCRS qui a été la structure porteuse du projet. Elle a organisé l’action, constitué et suivi le groupe des habitants, assuré le suivi avec l’ENP, organisé la séance publique finale.
L’Ecole de Police a sensibilisé le groupe d’élèves policiers, les a, dans la mesure du possible, libérés pour les séances de travail internes, a mis à disposition une salle de travail, assuré un certain nombre de repas de midi pour les intervenants et les habitants. Elle a également mobilisé les élèves pour la séance publique finale.
Les séances de travail :
Elles se sont toutes déroulées dans les locaux de l’Ecole Nationale de Police de Marseille, de 9h30 à 17h, soit 6 heures chaque fois Il y a eu 12 journées d’intervention avec le groupe, échelonnées entre mai et décembre 2003.
La dernière journée a été ouverte au public le 11 décembre 2003, avec une séance pour les élèves policiers de l’ENP le matin et une séance mixant des élèves policiers et des habitants des quartiers Nord de Marseille l’après-midi.
La vie du groupe :
Comme les années précédentes, le groupe a mis quelques séances à se constituer sur des bases permettant que le travail se fasse. Il faut effectivement que chacun apprenne à écouter le point de vue de l’autre (même s’il est différent) et à ne pas avoir pour objectif absolu de convaincre l’autre de voir les choses autrement. Il faut aussi que les membres du groupe puissent se faire confiance à deux niveaux : d’une part sur la question de la confidentialité des débats ; d’autre part sur la véracité des situations concrètes et réelles relatées par les uns et les autres afin d’être soumises à l’analyse et à la confrontation.
Cette année, l’échange des points de vue a été facilité par le fait que rapidement, au sein du groupe de policiers comme au sein du groupe d’habitants, des points de vue différents sont apparus. Ainsi, au lieu d’avoir » le point de vue des policiers contre le point de vue des habitants », nous avions différents individus, ayant eu des parcours différents et ne voyant pas les choses de la même manière. Après quelques heurts de départ, le groupe a pu fonctionner dans une ambiance relativement compte tenu du coté « sensible » des questions abordées.
La méthode de travail
Les jeux et les exercices :
Au début de chaque journée, le groupe pratique des jeux et exercices puisés dans notre méthode. Ces jeux ont tous des objectifs multiples, notamment la constitution du groupe, l’échange entre les participants, la prise de confiance en soi et en ses capacités à échanger, à penser et à créer, la prise d’assurance sur ses capacités à exprimer ses émotions et à être entendu sur ses questionnements intimes.
Le théâtre-images :
Nous y avons beaucoup recouru, d’abord pour permettre au groupe de se relancer sur un nouveau sujet, mais aussi, et surtout, pour décoder des situations concrètes, pour mettre en question les images des uns et des autres, pour chercher à interpréter ce qu’il y a dans la tête des protagonistes et de leurs antagonistes ainsi mis en image…
Le théâtre-forum :
C’est la technique essentielle que nous avons utilisée, car c’est cette technique que le groupe a utilisée lors de la séance publique finale. Au sein du groupe, c’est au cours des improvisations des histoires de chacun que le groupe a appris à entendre l’autre et à se mettre à sa place. Le théâtre-forum permet de partir d’une situation concrète et réelle ne laissant que peu de place aux interprétations pour aller progressivement vers une analyse globale et macroscopique de la situation en question.
Les habitants ont amené au groupe des situations vécues (soit comme témoin, soit comme protagoniste) dans lesquelles ils ont des critiques à formuler sur la manière d’intervenir des policiers mais aussi sur la manière des habitants de se situer par rapport à la citoyenneté. Ils ont amené leur connaissance des populations des quartiers Nord.
Les élèves policiers ont amené au groupe des situations problématiques vécues, soit sur les terrains dans lesquels ils ont été stagiaires, soit sur les terrains sur lesquels ils étaient ADS avant d’entrer à l’ENP. Certains ont également amené des histoires dans lesquelles ils ont eu à faire avec la police lorsqu’ils étaient adolescents. Ils ont amené aussi leur connaissance de l’institution police.
Les problématiques abordées :
Cette année, nous avons été frappés par une information que nous avait donnée Monsieur Sibille, le directeur de l’ENP : une étude sociologique réalisée auprès d’un groupe de policiers sur plusieurs années (de leur entrée à l’ENP jusqu’à plusieurs années après leur prise de fonction effective) révèle que la motivation et la fierté du métier des policiers, très forte à leur entrée à l’école, diminue très vite après leur prise de fonction, bref que l’usure professionnelle semble très rapide et très profonde.
Cet élément a été très présent pour nous tout au long de l’intervention et nous a amenés à proposer un travail aux élèves sur » comment conserver sa motivation et les valeurs qui ont sous-tendu notre choix professionnel « .
La question de l’image des uns et des autres :
Du côté des policiers, la question a été traitée autour de » comment faire pour ne pas considérer a priori tout le monde comme délinquant potentiel « . En effet, des habitants ont amené cette thématique avec plusieurs récits différents. Et il est vrai qu’il n’est pas si facile de ne pas entrer dans cette vision déformée des citoyens quand on a pour fonction de traquer la délinquance. Nous avons cherché des réponses du côté de la relation avec les autres professionnels, les administrations, les associations… et aussi du côté de la prise en compte de ceux qui voient une intervention policière sans y être impliqués : comment procéder pour communiquer avec ces « témoins « , leur expliquer pourquoi et comment la police intervient… Il y a là un gros chantier de réflexion à mener, nous le disons depuis trois ans maintenant.
Du côté des habitants, la question s’est trouvée en travail avec les récits des difficultés relatées par les policiers dans l’exercice de leur fonction. Par exemple, quand on pense en tant que citoyen : » A l’accueil au commissariat, quand on va porter plainte, on attend, on n’est pas bien reçus ; celui qui est derrière son bureau ne fait rien et on en voit derrière qui discutent entre eux au lieu de nous recevoir »
Pouvoir entendre que, du point de vue du policier : » A l’accueil, c’est souvent bondé, les gens sont énervés et tendus. Souvent, on passe un temps énorme à trouver qui va pouvoir accueillir un SDF ou quelqu’un qui ne va pas bien… On voit là une misère énorme et ce n’est pas possible de compatir avec tout le monde, sinon c’est nous qui déprimerions « .
Nous avons également travaillé en théâtre-images sur des situations, vécues par les uns et par les autres, de relations positives entre citoyens et policiers. Ces images ont été gardées en références pour y confronter les images construites à partir de situations vécues négativement et en faire l’analyse de contenu.
La question des valeurs des uns et des autres : Nous avons construit avec les policiers des « images » des valeurs qui ont sous-tendu leur choix professionnel. Leurs images ont été : la fierté de l’uniforme ; la fierté d’appartenir à un grand corps de l’Etat ; le fait de servir ; le fait de protéger ; le respect de la loi ; l’intégrité et la droiture ; le fait d’appartenir à une équipe ; la relation avec les habitants. Ces images ont été des références tout au long de l’intervention. Comment ne pas les perdre de vue au cours de l’exercice professionnel ? Comment agir en posant chacun de ses actes en fonction de ces valeurs ?
Pour ce qui est des habitants, nous avons travaillé à décoder les systèmes de valeurs qui ont cours dans les quartiers Nord en ce qui concerne la délinquance : entre le fait de refuser de cautionner la délinquance (avec la conscience du danger que cela représente pour les jeunes eux-mêmes et pour la vie sociale) et le fait de se plier à la loi du silence (avec la peur des représailles, le sentiment d’être lié aux autres habitants dans le délaissement, la conscience que la délinquance permet aussi à des familles de survivre et maintient ainsi une paix sociale), comment se situer ? Entre être un héros et ne rien faire, comment trouver sa place ?
Le rôle de la police et le rapport à la loi :
Cette question s’est débattue, toujours à partir des histoires concrètes amenées par les uns et les autres, dans plusieurs directions :
La police est une institution de la démocratie. Ses manières d’intervenir soutiennent-elles la démocratie, aident-elles à renforcer la capacité citoyenne des habitants ? Comment pourrait-on avancer dans ce sens ?
Lorsqu’un délinquant est arrêté, le policier se situe-t-il vis-à-vis de lui comme un individu porteur de ses propres valeurs et affects, comme une sorte de substitut de la fonction dite paternelle, ou comme un professionnel appliquant la procédure ? Un délinquant mérite-t-il d’être « engueulé » ou insulté ou bousculé ou frappé ? (et où se situent les nuances entre ces différents termes ?). Sur ce point, les débats ont été houleux dans le groupe : certains exprimant fortement que quelqu’un qui ne respecte pas la loi n’a pas à être respecté et d’autres exprimant que tout policier qui outrepasse ses fonctions en ne respectant pas strictement la loi ne peut plus être perçu comme un représentant de la loi ou, ce qui est plus grave, donne à penser que la loi n’a aucune valeur. . Police et justice : il est parfois difficile pour les policiers d’accepter les décisions des juges. Nous avons travaillé à tenter de clarifier les rôles et fonctions de chacun, de permettre la prise de recul et l’analyse globale.
La question du rapport du policier à son institution :
Comme les années précédentes, nous avons travaillé sur l’appui que donne ou ne donne pas l’institution à ses agents lorsqu’ils ont vécu une intervention difficile. Il est possible pour un agent de demander l’appui d’un psychologue, mais cela veut dire qu’il accepte d’assumer une image de faiblesse vis-à-vis des collègues. La mentalité générale ne le permet guère. Nous avons travaillé sur » comment faire lorsqu’un collègue outrepasse ses fonctions ou qu’il a des manquements professionnels ? « . Cette question pourrait se résumer à la réponse simple qui est généralement donnée par l’institution : en référer à son supérieur. Dans la réalité, ce n’est pas si simple car la valeur qui semble avoir cours est plutôt le soutien entre collègues. Dans la police aussi, c’est difficile d’assumer d’être une « balance ». Le contrôle d’identité comme procédure normalisée vis-à-vis des jeunes : Nous avons travaillé autour de cette question très sensible. Quand un contrôle d’identité est-il justifié ? Comment l’effectuer ? Là aussi, les débats ont été vifs, les récits concrets nombreux. Les élèves ont tendance à penser qu’une personne qui n’a rien à se reprocher ne peut pas mal ressentir un contrôle d’identité.
Les habitants signalent que ce n’est pas le cas, que la généralisation des contrôles ne correspond pas à l’image qu’ils se font d’une république, qu’ils ont le sentiment que cela met tous les citoyens sont transformés en délinquants potentiels… Par exemple, nous avons travaillé sur les échanges verbaux dans le cadre de contrôles routiers : des habitants ont mis en question la justification qu’il y a pour les policiers à toujours demander d’où l’on vient et où l’on va et ont demandé si l’on est tenu de répondre à cette question qui leur semblait porter atteinte au droit des citoyens d’aller et venir à leur guise sur le territoire sans avoir à en rendre compte. Les élèves policiers ont été très étonnés par cette question : ils avaient le sentiment que cette question est une question anodine et qu’ils le font pour engager la conversation.
Les images et séquences présentées le 11 décembre 2003 pour ouvrir le débat avec le public :
Les images idéales à l’entrée à l’ENP
1/ Le salut : la fierté de porter l’uniforme et d’appartenir à un corps de l’Etat.
2/ L’arrêt du voleur et l’aide aux habitants. Cette image commence à deux par un policier qui tient un voleur menotté. Dans un deuxième temps, on rajoute un deuxième policier qui rend le sac volé à la victime.
3/ Le policier ami des citoyens : En premier tableau, il y a trois habitants en groupe qui discutent. Puis on rajoute un policier qui passe et les trois habitants lui font un signe de bonjour de la main.
4/ L’interpellation Un homme est plaqué au sol par le policier. L’autre policier le tient en joue. Il s’agit d’une image d’action.
5/ La revue et la mêlée : l’appartenance et l’équipe soudée. En premier tableau, tous sont en colonne, au garde à vous. En deuxième tableau, ils sont en rond comme une mêlée de rugby.
6/ Les félicitations ou la fierté du père Le père tient sa fille par les épaules et la montre en même temps aux autres : elle a réussi son concours d’entrée à l’ENP.
Les situations qui démotivent en stage de terrain : Ces trois images avaient été conçues pour n’être présentées qu’aux élèves policiers car le groupe ne souhaitait pas que ces images soient utilisées pour être généralisées. En fait, après leur présentation du matin, la majorité du groupe a souhaité ne pas en priver les élèves policiers présents l’après-midi. Cela a donc été fait.
1/ Pas de si bon matin : Un stagiaire part en patrouille avec deux agents. Il s’avère que les deux agents font leurs courses personnelles pendant le temps de travail, n’arrêtent pas un jeune qui grille un feu, mais préfèrent mettre un pv à une voiture mal garée parce que cela leur donnera une demi heure d’attente de la fourrière pendant laquelle ils pourront faire des mots croisés. Que faire dans ce cas-là ?
2/ La police est une grande famille : Un stagiaire est en patrouille avec deux agents qui passent leur temps à médire et à colporter des ragots sur les autres agents du service. Que faire ?
3/ A l’accueil : Un stagiaire est à l’accueil aux côtés de l’agent en service. L’agent met en place plusieurs stratégies pour ne pas recevoir les plaintes de gens. Il dit à une femme à qui l’on vient de voler son sac à mains qu’il faut un justificatif d’identité sans lui expliquer quels documents peuvent faire l’affaire en dehors de sa carte d’identité et de son permis de conduire. Il renvoie un homme à qui l’on vient de voler sa voiture vers un autre commissariat : celui de l’arrondissement dans lequel le vol a été fait. Il dit à une femme de frapper à une porte et d’attendre qu’on lui dise d’entrer alors qu’il sait très bien qu’il n’y a personne derrière cette porte. Il pense qu’elle partira d’elle même au bout d’un moment.
Une séquence jouée : le contrôle d’identité : Un groupe de jeunes assis en bas de leur immeuble. Ils se montrent une barrette de résine de cannabis qu’ils se promettent de fumer dans la soirée. Une patrouille de police décide de contrôler leur identité. Les jeunes ont un peu peur que leur cannabis soit découvert et sont en colère parcequ’ils estiment être chez eux et qu’un contrôle chez eux n’est pas acceptable. Le chef de patrouille s’adresse à eux sur un ton désagréable. La tension monte et l’affrontement physique se prépare, les jeunes refusant d’obtempérer. Une policière qui était restée en retrait jusque-là fait un signe au chef de patrouille et prend le relais. Elle explique aux jeunes que cela ne durera que cinq minutes, que c’est un contrôle de routine. Ils acceptent alors de donner leurs papiers. Le troisième policier les fouille un à un. La barrette de haschich est trouvée. Le chef de patrouille la met dans sa poche et dit aux jeunes qu’elle est confisquée. La patrouille de police repart. Les jeunes resteront persuadés que le policier leur a pris leur haschich pour le fumer lui-même. Ils ont le sentiment d’avoir été rackettés par la police.
Une séquence jouée : » Personne n’a rien vu »
Les policiers ont été appelés par un habitant de chez lui parce qu’un règlement de compte a lieu dans la rue. Lorsqu’ils arrivent les trois agresseurs sont partis et la victime est au sol. Après les premiers gestes de sécurité, ils questionnent les habitants présents. Aucun d’entre eux ne dira quoi que ce soit qui puisse permettre de reconnaître les agresseurs. Certains feront juste semblant de ne pas savoir, d’autres diront qu’ils ne peuvent parler par peur des représailles, d’autres encore que ce n’est pas leur rôle de dénoncer. Les policiers questionnent ensuite l’agressé. Lui non plus ne veut rien dire. Il dit qu’il réglera cela tout seul et que ce n’est pas lui qui a fait appel à la police. Les policiers entrent au commissariat : affaire classée. Ils ont le sentiment de ne servir à rien et sont en colère contre les habitants. v
Une séquence jouée : » Frappé sur les bras »
Un jeune va en centre-ville pour faire des courses. Il n’emporte pas sa carte d’identité. Les policiers cherchent les gens sans papier. Par ailleurs, ils ont reçu un signalement car il s’est passé quelque chose au centre commercial d’à côté. Ils pratiquent donc des contrôles d’identité. Le jeune ne peut fournir ses papiers, il est fouillé, menotté et emmené au commissariat selon la procédure et de manière très polie. Au commissariat, l’agent qui va l’interroger est persuadé que le jeune ment. Il a beau décliner son nom, celui de ses parents, son adresse… l’agent ne le croit pas. Pendant deux heures, l’agent va le questionner en lui frappant sur le bras avec une règle. Un autre policier est présent dans le bureau, mais il ne dit absolument rien. L’agent qui l’interroge finira par envoyer une patrouille chez lui vérifier son adresse et la patrouille reviendra avec la carte d’identité du jeune. Il est donc libéré, mais il demande que l’agent qui l’a maltraité lui fasse des excuses. Celui-ci est parti dès qu’il a su que la patrouille rentrait avec la carte d’identité. L’autre policier lui explique : » Je serais toi, moi je partirais tout de suite « .
Une séquence jouée : le suicide en gare
Une patrouille est appelée en gare de Marseille. Le central annonce qu’il y a une personne énervée. Lorsque la patrouille arrive, elle aperçoit de loin la personne se jeter sous un train. Le sang gicle, des morceaux de chair aussi… Les gens sont très choqués. L’un des deux policiers appelle les pompiers, assoit les gens choqués… l’autre policière est choquée, elle aussi. Comme les passants, elle vomit. De retour au commissariat, ils racontent aux autres qui réagissent en disant qu’ils en verront d’autres, qu’un policier qui ne supporte pas la mort n’est pas un bon policier… La jeune policière, elle, est en retrait, mais elle entend tout cela et, quand on lui demande si cela va, elle dit « oui, bien sûr ». Le commissaire a su ce qui s’était passé et il l’appelle dans son bureau, lui disant que si elle a besoin d’être aidée, c’est possible. Là aussi, elle décline l’offre, disant que tout va bien. A la suite de cela, elle sera dix jours en maladie.
L’atelier de 2002
L’action engagée en 2002 fait suite à celle réalisée en 2001 avec un groupe composé de 7 élèves policiers de l’Ecole Nationale de Police de Marseille, d’Agents Locaux Médiation Sécurité, de mères de famille et de jeunes des Quartiers Nord. Le travail riche réalisé (début de compréhension des logiques des différents groupes, construction du sens de la relation habitants/police, mise en perspective du contexte local avec le contexte macro-politique) avait incité à poursuivre dans cette voie. Dans la continuité de ce premier travail, il s’agissait donc de mettre en commun les représentations de la police et des habitants (en particulier des jeunes) sur la question des relations Police/ citoyens. A partir d’histoires et de témoignages apportés par les membres du groupe, du croisement et de l’analyse comparée de ces témoignages, nous avons travaillé à décrypter les images véhiculées et à comprendre les effets produits sur les deux groupes. Cette première phase a permis de progresser et de clarifier les objectifs de chacun, de prendre conscience des fonctions de tous et d’établir des débuts d’interprétations partagées. Le spectacle réalisé lors du colloque de janvier 2003 peut être considéré comme une première étape dans la construction d’objectifs communs. Les participants : 7 élèves policiers 2 médiateurs acteurs de citoyenneté, membres de MCRS 1 psychologue de 3MS 5 habitants …. Les partenaires
L’association MCRS qui avait été l’initiateur de l’opération en 2001 est restée le référent. Deux de ses membres ont participé et contribué au bon déroulement de l’opération et Hélène Marx s’est assuré de la bonne coordination de l’ensemble de l’opération, notamment dans la perspective de l’organisation du colloque de janvier 2003.
De la même façon que l’an passé, l’Ecole Nationale de Police de Marseille nous a permis de mener à bien ce projet en facilitant à chaque fois que cela était possible la participation de ses élèves aux réunions mensuelles du groupe. Ainsi la préparation et la réalisation du spectacle de théâtre-images lors du festival de la ville de Créteil a pu se dérouler dans de bonnes conditions. Toutes les séances de travail se sont déroulées dans les locaux de l’Ecole de Police de 9h30 à 17h. Une douzaine de journées de travail ont été réalisées.
L’ensemble des ateliers ont été dirigés par Fabienne Brugel et Jean-Paul Ramat de la Compagnie NAJE, Pierre Lénel étant chargé de la prise de notes lors de chaque séance.
Le fonctionnement du groupe
La règle de la stricte confidentialité a sans doute permis au groupe de trouver dans l’organisation de ce secret vis-à-vis de l’extérieur le premier élément d’une structuration positive. La grande vivacité des échanges n’a finalement pas remis en cause l’écoute nécessaire à ce type de travail. Hors les grands moments de représentation, la vie du groupe a été ponctuée par des moments clés (histoires d’injustice, débat sur la confiance et la capacité du groupe à assumer une présentation d’images au festival de la ville de Créteil) porteurs à la fois de tensions mais aussi de confrontations au réel du travail : la question du politique et du sens du travail mené par la Compagnie NAJE a pu être abordé. La méthode du théâtre de l’opprimé permettait alors de réguler des échanges qui parfois pouvaient revêtir une certaine virulence. Notamment, le passage par les images permettait d’instaurer une certaine distance, de dépersonnaliser les échanges et de faire apparaître la relation habitants/policiers comme un prisme du rapport social.
Méthode de travail
Trois points doivent être particulièrement soulignés et ont été mis en oeuvre au cours de ce travail : les jeux et les exercices (1.) le théâtre-images (utilisé dans la plupart des séances, il a constitué l’intégralité du spectacle de Créteil) (2.) le théâtre-forum (utilisé pour la présentation du spectacle lors du colloque de janvier à Marseille) (3.)
1.
Les jeux ont été régulièrement utilisés, quasiment à chaque réunion du groupe habitants /policiers. Contribuant à une mise en situation dynamique des individus et du groupe, ils ont contribué à constituer le socle permettant un échange entre les participants. Le caractère ludique permet aux participants de trouver en eux les ressources pour exprimer leurs émotions, reconnaître les différents types d’expression possibles et se préparer ainsi dans les meilleurs conditions au théâtre-images. » L’espace de jeu » (Sibony) est bien le ferment de toute relation potentielle entre les personnes. L’étonnement, voire la crainte du début a vite laissé place au jeu, à la » demande de jeu « . De mise en jeu, le jeu devient ainsi régulateur d’un fonctionnement de groupe. La constitution du groupe qui en découle permet également de faire le lien entre expérience intime et mise en évidence de la relation qui existe entre intime et espace public.
2.
Contrairement à l’expérience de 2001, le théâtre-images constituait un objectif en soi puisque le groupe avait retenu l’idée de présenter un travail sous cette forme dans le cadre du festival de la ville de Créteil. Il a d’abord permis au groupe de rechercher, en commun, les problématiques désirées. Si le théâtre-forum permet de rechercher avec les publics les moyens d’avancer dans la proposition de solutions, le théâtre-images constitue bien souvent l’étape essentielle. Il découle parfois naturellement des jeux qui ont été réalisés.
Une dizaine d’images ont ainsi été proposées dans le cadre du festival de la ville de Créteil (une vidéo a été réalisée à cette occasion) : un jeune des quartiers devient policier et retrouve ensuite ses copains : la trahison ? les multiples formes de la présence de la police dans un quartier : les facettes du métier ? un vol de billets au distributeur en présence de CRS : que fait la police ? un commissariat bondé et sous tension(s). l’attente angoissée d’une femme au commissariat : l’empathie des policiers ? l’intervention de policiers au domicile d’un couple dont le mari est violent : comment intervenir ? des jeunes dans un quartier, certains trafiquent, les policiers interviennent suite à un » bras d’honneur » et l’un des jeunes se rebelle : que révèle cette situation ? une agression dans un quartier : comment témoigner ? les policiers soumis aux pressions : comment exercer son métier ?
Le spectacle de Créteil a constitué une étape essentielle dans la construction de la confiance entre tous les participants du groupe : confiance en la capacité du groupe de présenter un travail intéressant en dépit des difficultés et tensions qui avaient pu surgir dans la préparation ; confiance également en la compagnie NAJE pour animer et construire en toute » objectivité » un spectacle et un débat : cette question de la confiance avait en effet été très directement posée par certains membres du groupe et avait conduit à un débat sur les conditions minimum nécessaires du travail, sur le sens du travail et sur la dimension politique du type de travail mené par la compagnie. Nous y reviendrons.
Cette méthode a permis de faire travailler spécialement les situations difficiles, les situations où l’on ne sait pas, là où l’on ne peut pas dire : » lui il est pourri » par exemple. On travaille les situations où il y a débat là où lorsque l’on a exposé les éléments un peu sérieusement il est difficile de trancher.
A partir du constat simple qu’en France il existe un problème de relations entre habitants et policiers, différentes thématiques ont été abordées. Il ne s’agissait pas en effet de faire changer l’état d’esprit des uns ou des autres mais d’essayer ensemble d’avancer dans la compréhension mutuelle et la recherche de solutions en commun.
Les thématiques abordées
Ces thématiques sont en réalité imbriquées entre elles et nous les séparons analytiquement uniquement pour les besoins de l’exposé. Nous en présenterons simplement quelques-unes, celles qui nous paraissent centrales dans les mécanismes subtils et discrets de la relation habitants/policiers. Elles ont émergé à l’occasion des histoires racontées par les habitants, histoires mises en images afin que chaque participant puisse s’approprier la situation et donner aux autres son » interprétation » des faits rapportés. Les images croisées (positives et négatives) des deux groupes ont constitué un des moments privilégiés pour l’élaboration de ces thématiques communes.
Nous privilégierons cette année des problématiques transversales (voire communes) et plus théoriques que l’an passé. Cela nous permettra de constituer une base pour le bilan commun aux différents partenaires et de mieux préparer les conditions d’un dialogue.
La question du respect
Comme l’année dernière, la question du respect est apparue centrale aussi bien du côté des policiers que du côté des habitants.
Pour les policiers, elle se pose aussi bien à l’encontre des habitants qu’au sein de l’institution ( » je respecte les chefs, mais ils doivent prouver qu’ils sont respectables « …). Ce point nous renvoie directement à la question du programme institutionnel que nous aborderons plus loin. Il ne faut pas » se laisser démonter » : le respect de soi, des chefs, certes, mais sous condition de légitimité : aujourd’hui sur quoi repose cette légitimité ? Ce constat rejoint celui de l’an passé : il n’est plus question aujourd’hui de pouvoir exiger a priori un respect de l’uniforme. Le respect doit nécessairement être fondé soit en droit, soit en fait. Notons que cette exigence n’est pas propre à l’uniforme ou à la fonction de policier : elle se retrouve dans toutes les sphères de la société (hôpital, éducation). En conséquence, le respect ne peut être que co-construit par les parties en présence. Cette co-construction d’ailleurs est non seulement requise entre les habitants et les policiers mais au sein même de l’institution. La question du respect semble constituer une des dimensions très forte de l’identité. Elle renvoie également à la capacité de » s’arracher de soi » pour se respecter (se regarder dans une glace). Ce n’est pas le lieu ici de s’interroger sur la prégnance de cette notion ni sur les figures qu’elle prend. Notons simplement qu’elle doit sans doute s’articuler à la question de la virilité ( » Il y a des principes chez moi : tu peux m’insulter de tout sauf de cela « ), question que l’on retrouve aujourd’hui dans de nombreux travaux de sociologie ou de psychopathologie.
Le respect (des principes, de soi, de sa lignée, etc.) est un des ferments des processus qui conduisent à la violence (physique, symbolique) : dans de nombreux cas, l’apparition de la violence s’articule sur le déni de valeurs perçues comme légitimes (habitants ou policiers, les mécanismes sont les mêmes).
Justice, injustices et reconnaissance
La question de la justice s’articule d’abord très fortement avec celle de la confiance (principalement du côté des habitants) et de la reconnaissance : » de ce que je suis, de ce que je peux faire, de ce que je peux apprendre « . Il y a une sorte de demande de justice a priori, renvoyant uniquement à la personne, une exigence quasi anthropologique : c’est bien la reconnaissance qui est en jeu. Dans le même temps, et paradoxalement, tout est constamment en train de se construire ou de se déconstruire : rien n’est donné a priori et pour toujours. Exigence universelle donc dont les conditions sont à construire au quotidien…
Injustice encore lorsque qu’au nom du respect de principes supérieurs une personne est obligée de quitter son emploi. La clarté des principes ou valeurs respectés s’accommode mal des petits arrangements quotidiens qui se transforment alors en une grande injustice et structurent tout le comportement pendant de longues années suivantes. Les principes hiérarchiques de l’institution entrent alors en conflit avec les principes supérieurs : l’injustice est ressentie lorsque ce sont les principes hiérarchiques qui l’emportent. Cette perception des conflits moraux nous renvoie à ce que Georges Orwell appelle la » common decency « . Nous y reviendrons plus loin.
Enfin, justice et égalité de traitement (injustice et application bureaucratique du règlement) : l’égalité (républicaine) peut contribuer à nourrir un fort sentiment d’injustice : la confrontation des logiques des acteurs est alors redoutable pour le maintien d’un minimum d’échange. Les conditions d’un dépassement de cet état de fait ne semblent pas aujourd’hui réunies : comment dépasser cette incompréhension ?
La confrontation quotidienne des lois et des valeurs n’est pas particulièrement neuve (que l’on songe à Antigone). Simplement, dans le contexte contemporain et spécifiquement dans celui qui nous occupe ici, cette guerre des dieux prend une signification particulière : elle contribue à opposer des groupes et à stigmatiser car elle se retrouve très quotidiennement et n’est que trop rarement interprétée en termes de conflits de valeurs. Dans le meilleur des cas, elle aboutit à une remise en cause de l’institution dans ses dimensions bureaucratiques (au mauvais sens du terme).
Encore une fois, insistons sur le fait que cette incompréhension est partagée par les habitants comme par les policiers : » on ne demande que justice » mais toute la justice dans la perception des actions. Au-delà des classes, des appartenances, les sentiments d’injustice, de non-reconnaissance, voire d’insécurité sont partagés. On touche du doigt la difficulté de se mettre dans des situations qui ne sont pas les siennes : les lieux d’aide à l’ouverture, à la connaissance de l’autre semblent rares.
La logique de la violence
La violence (physique) apparaît, dans bien des histoires rapportées, comme routinière, habituelle. Elle finit par faire partie du quotidien des habitants qui évoquent la » loi de la rue » : la violence comme loi. On touche là un problème de culture, c’est-à-dire de limites, de tolérance : qu’est-ce que je tolère ? A partir de quel moment ? Cette tolérance est-elle fonction de l’endroit dans lequel je me trouve, de la situation ? Le mécanisme de la violence apparaît » naturel « , ou en tous cas il semble quasiment impossible de s’y opposer. A tel point que du côté des policiers, si l’on refuse la violence on peut être amené à ne plus intervenir dans certains endroits réputés tels.
C’est dans ce cadre que le phénomène concret des pressions a été longuement abordé : pressions sur les habitants pour qu’ils ne témoignent pas, pressions sur les policiers pour qu’ils ne fassent plus (ou différemment) leur travail. Il semble que la régulation de ces difficultés soit notoirement insuffisante au sein de l’institution.
Cet exemple concret est typique des mécanismes de la relation policiers/habitants. Il est significatif également des menaces qui pèsent sur la common decency : nous y reviendrons.
Impuissance et incompréhension
L’impuissance des uns nourrit celle des autres. Cette impuissance pourrait paraître paradoxale : impuissance face à l’Etat et impuissance de l’Etat. Cette double impuissance au lieu de se reconnaître se méconnaît : pas de reconnaissance de l’une par l’autre. Elle conduit à des phénomènes d’incompréhension qui peuvent se radicaliser en violence (physique ou symbolique) : les réflexes » anti » fonctionnent tout le temps, ils sont devenus le terreau de la » communication « .
La symétrie des problématiques entre les deux groupes est frappante dans leur articulation et leur développement logique. Du point de vue de la logique procédurale elles sont donc exactement équivalentes et devraient être traitées démocratiquement de manière équivalente.
Perspectives de travail et apports théoriques
Respect et discussion
» Le respect est une notion controversée car il est souvent considéré comme une valeur conservatrice ou, plus précisément, un moyen particulièrement sournois de faire taire ceux qui auraient des velléités de rébellion contre l’ordre établi. L’irrespect apparaît alors comme une valeur de révolte antiautoritaire ou, plus simplement comme un moyen de liberté qui secoue la sclérose des relations humaines « . Mais cette conception s’explique par le privilège accordé à l’un de ses compléments : celui de l’ordre établi et des institutions sacrées. Si l’on considère le respect d’autrui, » le respect apparaît d’avantage comme une valeur de solidarité et de progrès que de conservation et, loin d’être un concept réactionnaire, il peut être un concept subversif « . On voit bien l’ambivalence de cette notion qu’il est difficile d’élever au niveau du concept. La demande de respect rencontrée des » deux côtés » peut recouvrir de nombreuses significations ou revendications : demandes de respect pour la personne, exigence de respect pour l’institution, respect de l’origine, on voit bien que cette revendication peut soit renforcer l’incompréhension, soit au contraire porter les ferments d’une discussion. Les deux principaux niveaux de demande de respect sont bien présents : d’un côté une exigence a priori du respect de l’institution, de l’autre une demande de respect d’autrui. La confusion peut s’installer lorsque dans certains cas critiques, le rabattement de l’institution sur une personne conduit à la confusion des deux formes de respect et brouille une éventuelle reconnaissance légitime de cette revendication. Si l’irrespect avait pu apparaître comme une vertu subversive, on voit bien aujourd’hui que le contexte a changé et que le » respect » porte en lui au moins autant de pouvoir subversif. Dans certains contextes » difficiles « , le respect d’autrui n’est-il pas la marque d’un effort sur soi, ce qui est bien la définition de la subversion ?
Le déclin du programme institutionnel
Le travail de ce groupe atteste sans doute à sa façon du glissement ou de ce que certains appellent le déclin du programme institutionnel : le travail de policier peut être lu comme un travail sur autrui, c’est-à-dire les activités professionnelles qui visent à transformer autrui. Le maintien de l’ordre a fait place à l’agir communicationnel, les liens fonctionnels ont fait place à la communication et à l’action sur autrui. C’est sans doute ce passage qui crée des difficultés dans les relations policiers habitants. On peut interpréter la demande des habitants à la fois à la lumière du maintien de l’ordre (le fonctionnel et l’action sur la matière) et de l’agir communicationnel dans lequel le respect occupe une place centrale. Le travail sur autrui est une médiation entre des valeurs universelles et des individus particuliers. Le travail de socialisation est une vocation parce qu’il est directement fondé en valeurs. Ce programme croit que la socialisation vise à inculquer des normes qui conforment l’individu et, en même temps, le rendent autonome et » libre « . On voit bien la difficulté aujourd’hui de ce travail. Il est devenu une expérience composite et c’est bien ce qu’expriment de différentes façons les policiers rencontrés ; et c’est encore plus frappant d’autant que nous avions affaire à des élèves policiers. Les élèves policiers » savent » qu’ils seront confrontés dans l’exercice de leur mission à la sortie de ce programme institutionnel. En ce sens ce type d’expériences de rencontre avec des habitants constitue l’une des manières de se préparer à la difficulté de l’expérience de terrain qui n’a sans doute jamais aussi bien porté son nom… La difficulté de l’ancrage dans un rôle rencontre les années de la liberté et de l’obligation d’être libre. C’est bien le mode de légitimité qui est en jeu. Toute la difficulté pour les policiers étant de reconnaître la nécessaire co-construction de cette légitimité avec les habitants ; et pour les habitants, d’admettre la légitimité institutionnelle. Egalement pour les habitants, ils sont bien forcés de comprendre que en dépit de la fragilisation du programme institutionnel, la reconnaissance et la légitimité des institutions ne peut être totalement niée. Simplement il faut trouver pour eux aussi les voies et moyens d’une légitimité acceptable. Le problème est alors le suivant : » c’est la discussion et le débat rationnel qui fondent les principes communs de l’action dès lors qu’ils ne peuvent être justifiés par la tradition, la volonté divine ou le désir commun de faire société. Mais cette réponse suppose que les acteurs de la démocratie soient déjà formés et socialisés, et surtout elle implique une égalité formelle des individus « . Sans doute, ce serait un contresens et un anachronisme que de concevoir simplement le programme institutionnel comme un appareil à produire de la discipline et à justifier la violence ; il ne devient cet appareil que dans la mesure où nous ne croyons plus aux principes qui les fondent. Alors la violence et le contrôle sont nus : » …le programme institutionnel engendre un type particulier de croyances : des fictions nécessaires auxquelles les acteurs ne croient pas vraiment, mais auxquelles ils ne peuvent renoncer sans que leur travail se vide de sens. Ce ne sont ni des idéologies, ni des convictions morales, mais des cadres cognitifs et moraux indispensables à l’accomplissement du projet de socialisation »
Ce sont ces cadres qui aujourd’hui des deux côtés sont perçus comme fragilisés et qu’il est nécessaire de reconstruire.
La common decency, une ressource pour cette reconstruction ?
Ce constat ne doit pas nous conduire à une vision tragique de la relation policier/habitants ni à un renoncement à un programme institutionnel quel qu’il soit. Un des apports de ce travail consiste également à notre avis en la mise en évidence de ce que Georges Orwell appelle la » common decency « . De quoi s’agit-il ? Dispositions éthiques et psychologiques partagées par l’ensemble de la classe populaire (même si elles peuvent également se retrouver au sein d’une autre catégorie de la population), sentiment intuitif » des choses qui ne doivent pas se faire » si l’on veut rester digne de sa propre humanité quand les circonstances l’exigent et si l’on cherche à maintenir les conditions d’une existence quotidienne véritablement commune, la common decency pourrait constituer un socle sur lequel s’appuyer. En effet, ces deux dimensions (être digne de sa propre humanité, maintenir une existence quotidienne commune) se retrouvent exactement dans les histoires qui nous ont été rapportées que ce soit par les élèves policiers ou par les habitants. Du côté des habitants la question du témoignage, lorsque que l’on se retrouve en présence de violences inadmissibles, est exemplaire de cette volonté de maintenir sa dignité et de maintenir les conditions d’une existence commune. Du côté des élèves policiers, le respect de certaines valeurs qui peut conduire à des comportements contraires au règlement (ce qui ne veut pas dire que le règlement est construit en opposition à ces valeurs) peut également s’expliquer au regard de cette common decency. On voit donc bien à travers ce type de travail que les conditions d’une entente minimum sur un certain nombre de principes sont réunies. Cette entente constituerait le socle des cadres moraux et cognitifs que nous avons évoqués. Simplement le contexte, l’évitement réciproque, l’enfermement dans des logiques de défense ne favorisent pas la reconnaissance chez les uns et les autres de ces dimensions.
Le monde commun existe, il suffit de lui proposer les conditions de son émergence.
L’intérêt de la référence à Orwell est d’insister à la fois sur les complexes historiques singuliers et sur l’universalité de cette réciprocité. C’est sans doute sur ce fonds, ce monde vécu, qui n’est pas commun au sens où il s’ancre sur des fondations métaphysiques diverses, qu’il est possible de fonder un agir communicationnel, celui-ci étant constamment ancré sur cette common decency. Le travail de l’institution consisterait alors à contribuer à faire reconnaître cette common decency et à admettre que le programme institutionnel ne peut plus être appliqué comme il l’était au 19ème siècle mais que pour autant son ambition peut encore être maintenue.
C’est en ce sens que l’histoire de la » trahison » de l’élève policier issu d’un quartier qui essaie de retrouver l’amitié de ses camarades est vécue douloureusement par lui. La rupture de ce qui se fait ou ce qui ne se fait pas nécessite une réelle discussion qui a effectivement bien peu de chance de se réaliser. C’est bien cette common decency qu’il faut s’efforcer de mettre en évidence si l’on veut lutter contre la désassociation de l’humanité : le travail réalisé tout au long de cette année s’inscrit bien dans cette perspective. La capacité morale des hommes à s’obliger réciproquement pourrait constituer le ferment d’une restauration d’un programme institutionnel partagé et de ne plus vivre sans but dans une époque sans pouvoir.
Conclusion provisoire
Si l’on prend au sérieux l’hypothèse du » déclin du programme institutionnel » et en même temps celle de l’existence d’une » common decency » alors on voit bien l’urgence qu’il y a à créer des espaces publics de discussion réunissant l’ensemble des partenaires afin de prendre acte de cette crise de la régulation du système républicain français. Articuler la construction républicaine, l’institution police et les quartiers au sein d’une même réflexion nécessite de prendre acte de ces difficultés, d’y faire face plutôt que de renvoyer dos-à-dos les différents protagonistes. L’espace public, fut-il républicain, ne peut plus aujourd’hui se décréter. Il doit, pour pouvoir se réaliser, s’appuyer sur la réalité des mondes vécus des personnes, mondes vécus qui s’ils peuvent paraître parfois éloignés ou se référer à des valeurs antinomiques, n’en sont pas moins animés de logiques axiologiques proches ou similaires, ce qui permet d’envisager un minimum de vie commune.
Bibliographie
Augusto Boal :
Théâtre de l’opprimé, Paris, La Découverte, 1996. Jeux pour acteurs et non-acteurs, Paris La Découverte, 1997.
François Dubet, Le déclin de l’institution, Paris, Seuil, 2002.
Jurgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard, 1997.
Georges Orwell, cité in Jean-Claude Michéa, Impasse Adam Smith, Castelnau-le-Lez, Climats, 2002.
Patrick Pharo, La logique du respect, Paris, Cerf, 2001.
Daniel Sibony, Entre-deux, Paris, Seuil 1991.
L’atelier de 2001
Les participants :
Le projet initial prévoyait l’intégration dans le groupe d’élèves policiers, de policiers en exercice et d’habitants. Les autorités compétentes avaient été rencontrées et avaient donné leur aval. Mais du fait des lenteurs administratives et du changement du préfet de Police, les policiers en exercice n’ont pu être partie prenante.
Le groupe a été composé comme suit : 7 élèves policiers 2 membres de MCRS 1 jeune adulte du 14ème 4 habitantes du 14ème mobilisées par Schebba dont deux jeunes adultes et deux mères de famille 2 ALMS 1 psychologue de 3MS
Les partenaires :
Le partenariat a été effectif et riche entre les structures porteuses de l’action soit la compagnie N.AJ.E. et l’association MCRS. Chacun a su assumer pleinement sa fonction en collaboration avec l’autre.
L’Ecole de Police a été attentive à mettre à disposition ses élèves policiers, une salle de travail… Des réunions de synthèse ont été programmées avec Monsieur Esposito -chargé de la promotion concernée- et monsieur Civil – Directeur de l’Ecole afin de les tenir informés du déroulement de l’action, des problématiques soulevées et obtenir d’eux les renseignements que les élèves n’étaient pas en mesure de nous donner concernant le fonctionnement de l’institution. Mais Monsieur Esposito et monsieur Civil n’ont pu se libérer pour venir passer un temps dans le groupe même malgré nos demandes et notre regret.
En ce qui concerne l’association 3MS, si le psychologue engagé dans l’action a toujours été présent et d’une manière très positive, les ALMS n’ont pas participé régulièrement : il semblerait que des difficultés quand à la circulation de l’information dans leur association n’aient pas permis à chacun de cerner clairement le sens et les objectifs de cette opération.
Les séances de travail : Elle se sont toutes déroulées dans les locaux de l’Ecole Nationale de Police de Marseille de 9H 30 à 17H soit 6 heures chaque fois Il y a eu 12 journées d’intervention avec le groupe, la dernière ouverte au public.
La vie du groupe :
Les premières séances ont été relativement difficiles pour tous, les habitants se décourageant de n’être pas entendus par les élèves policiers et les élèves policiers vivant mal les remises en cause de leur institution par les habitants.
Puis le groupe a trouvé son mode de fonctionnement interne et s’est finalement constitué en un groupe solidaire et chaleureux :v D’une part les repas pris en commun une fois sur deux à l’association Shébba et le travail relationnel mené par le salarié de MCRS ont permis de vivre -hors travail- des moments de convivialité… ensemble. D’autre part, au sein des ateliers, la conduite stricte de la méthode a permis d’éviter les débordements, d’apprendre à chacun à exprimer ses idées, son histoire en tenant compte des sensibilités des autres et sans violence verbale. Petit à petit, la tension interne s’est calmée laissant la place à des échanges riches avec une écoute des uns par les autres dans le soucis de comprendre comment l’autre fonctionne. Les remplacements de rôles des uns par les autres ont également permis à chacun de tenter de » se mettre dans la tête de l’autre « . A partir de là, les mises en cause des fonctionnements des uns et des autres ont pu être plus vrais, plus profonds aussi bien que plus analysés, le théâtre de l’opprimé constituant un langage commun au groupe.
La confidentialité de nos échanges à été tenue, semble-t-il, de manière rigoureuse par chacun. Cette confidentialité a constitué également un élément de structuration du groupe. Elle était par ailleurs nécessaire pour que puissent se dire les histoires douloureuses, les doutes…
La méthode de travail
Les jeux et les exercices : Au début de chaque journée, le groupe a pratiqué des jeux et exercices puisés dans la méthode Théâtre de l’Opprimé. Ces jeux avaient tous des objectifs multiples, notamment la constitution du groupe, l’échange entre les participants, la prise de confiance en soi et en ses capacités à échanger à penser et à créer, la prise d’assurance sur ses capacités à exprimer ses émotions, à être entendu sur ses questionnements intimes. Les jeux ont eu-même amenés des questionnements du groupe sur la problématique de la relation police-habitants.
Le théâtre-images : Nous y avons eu recours beaucoup afin de permettre au groupe de se relancer sur un nouveau sujet d’une part, mais surtout pour décoder des situations concrètes et pour la mise en question des images des uns et des autres, pour chercher à interpréter ce qu’il y a dans la tête des protagonistes et des leurs antagonistes ainsi mis en image… Le travail en théâtre-images s’est révélé très riche : c’est essentiellement lui qui a permis aux membres du groupe d’acquerrir les capacités d’une analyse intellectuelle et sensible des problématiques soulevées.
Le théâtre-forum : Nous avons utilisé cette technique à chaque séance, plutôt en deuxième temps de travail. Elle s’est avérée très utile pour provoquer des déplacements car elle permet un travail très fin sur la recherche de » comment aurait-on pu faire autrement » en intégrant les conséquences de chaque essai -si minime soit-il- de transformation sur les policiers comme sur les habitants, en donnant au groupe les capacités d’une analyse des situations sur les différents enjeux et sur les différents niveaux qu’elles comportent. Le théâtre-forum permet de partir d’une situation concrète et réelle ne laissant que peu de place aux interprétations pour aller progressivement vers une analyse globale et macroscopique de la situation en question.
Les problématiques abordéés :
Il n’est pas question içi de dévoiler les histoires concrètes amenées par les uns et les autres : nous sommes tenus comme les participants au contrat de confidentialité que nous avons passé ensemble. Il est cependant possible de faire une liste non exhaustive et simplifiée des thèmes qui ont été abordés.
La question du respect.
Elle se pose des deux cotés :
Nous avons noté, qu’en l’absence d’une réflexion de fond sur les fondements philosophiques et politiques de la police dans une république démocratique, et dans un contexte devenu ou perçu comme difficile pour les policiers, ces derniers ont pour tendance première de demander aux citoyens un respect à-priori de l’uniforme, c’est à dire de la fonction de l’institution et de la fonction de chaque fonctionnaire qui l’incarne. C’est cet » à-priori » de leur demande que nous avons questionné car il ne tient guère compte de l’histoire (histoire personnelle des uns et des autres avec le cortège d’expériences douloureuses des habitants, et histoire nationale et internationale) Il y a là un risque de confusion entre la personne du policier et sa fonction (Quand le policier est insulté, qui est insulté ?, Et quand le policier réagit, est-ce la personne qui réagit avec ses émotions ou le représentant d’une institution avec des objectifs pour le présent comme pour le long terme dictés par les buts fondamentaux de sa fonction ? Les réponses sont évidemment très différentes selon la manière dont se positionne le fonctionnaire de police mais nous avons eu quelques récits de pratiques douteuses et sortant du cadre légal de l’exercice de la profession quand se faire respecter devient l’objectif premier » La loi c’est moi ».) Nous ne les avons bien évidemment pas gnéralisés mais pris comme tels : des situations qui existent aussi.
Du coté des habitants, nous avons également travaillé cette question à partir des histoires des uns et des autres concernant des relations avec la police, celles vécues comme positives et celles vécues comme blessantes. (Quand et pourquoi avons nous le sentiment d’être respecté comme personne et comme citoyen, quand, comment et pourquoi avons nous le sentiment inverse ?)
La question communautaire :
C’est une très large question et nous ne l’avons abordée que sous certains de ses aspects. La Police tache d’intégrer des personnes d’origine étrangère ; ses objectifs sont multiples. Nous ne nous sommes pas arrêtés sur la recherche de ces objectifs mais sur les difficultés spécifiques de ces fonctionnaires français d’origine étrangère comme sur les apports qu’ils amènent. En ce qui concerne les difficultés, nous avons noté des problématiques autour de ce que nous nommerons » le sentiment d’appartenance communautaire « . Suis-je d’abord représentant de l’Etat en tant que fonctionnaire ou suis-je d’abord membre d’une communauté minoritaire ? Les manières de se situer varient bien évidemment en fonction des individus, mais la question reste posée et en suspens souvent avec des situations douloureuses vécues et non résolues : quand un monsieur d’origine magrehbine dit au policier -d’origine magrehbine lui aussi- qu’il est un » traître à sa race « , mais aussi quand un policier de religion musulmane n’arrive pas à concevoir qu’un musulman comme lui ne se conduise pas bien et » salisse » tous les musulmans…. En ce qui concerne les apports, il nous semble que, si l’institution Police a avancé sur ce point, sa volonté républicaine de ne pas prendre les origines en compte constitue une limite dans sa capacité à utiliser les compétences propres des fonctionnaires d’origine étrangère en matière de connaissance des quartiers et des cultures étrangères. Il n’y a pas d’échanges institués entre les policiers sur ce point.
La question du regard des uns sur les autres
Nous avons abordé la question des traces de l’histoire (la guerre d’Algérie, la guerre du Golfe, l’Afghanistan…) Surtout, nous avons travaillé sur les modifications de perception qu’amène inexorablement une fonction particulière : les policiers apprennent de fait à ne parler des gens qu’en termes d’individus et à classifier ses individus dans des catégories qui ne nous ont pas toujours paru efficaces en terme de transformation de la relation de la police aux citoyens. Leur fonction étant du coté du répressif, il n’y a qu’un pas, parfois vite franchi, d’individu à suspect. Ainsi, au fil du temps, les citoyens ne sont plus perçus que comme suspects potentiels, non comme citoyens. Cela colore évidemment beaucoup la relation qui s’installe. Nous avons cherché comment il est possible de limiter ce phénomène, quel travail cela nécessite au quotidien, quel appui apporte l’institution à ses fonctionnaires sur ce point. Il nous semblerait judicieux quoi qu’un peu irréaliste, que la police organise régulièrement des ateliers d’échange avec les citoyens et invente des situations d’échange sur les terrains qui soient décalées de la fonction habituelle des policiers.
La question des modes d’intervention policières au regard de l’objectif de développement de la citoyenneté.
Les procédures d’intervention sont essentiellement basées sur la sécurité, ce qui est absolument primordial. Il n’en reste pas moins que, généralement, les policiers prennent peu en compte les » spectateurs » de l’intervention. La brigade, quand elle intervient, est soumise à un stress important et écarte les passants. Il se perd là une vraie occasion de travailler sur le positionnement de la police, d’expliquer le sens de son intervention dans une république, d’apprendre à tous à se considérer comme citoyen en les considérant à priori comme citoyens… et pour les policiers d’apprendre à gérer la place des citoyens. En effet, toute intervention de la Police marque ceux qui en sont témoins, d’autant plus ceux qui en sont les objets ; c’est à partir de là que les images se construisent, que le sens est perçu.
Dans le cadre de la police de proximité, les policiers sont poussés à développer le partenariat avec le tissus social. Si leurs partenaires historiques sont les commerçants (ce qui pose encore d’autres questions), comment entrer en relation avec une association et surtout pourquoi ? Les policiers semblent souvent démunis : pourquoi aller voir les associations ? Pour » se planquer » et être au calme pendant que les autres » vont au charbon « , pour leur demander des » renseignements » qu’il n’est pas leur rôle de donner… Bref, il semble que la police se cherche sur ce terrain là. Comment déterminer des objectifs clairs en ce qui concerne les relations associations – policiers ? Ce point pourrait faire l’objet d’un grand chantier de travail .
Nous avons travaillé également sur les relations entre policiers et médiateurs. Là aussi nous avons noté la difficile mise au point de ce que pourrait être le partenariat entre ces deux fonctions si proches et si éloignées, parfois complémentaires, parfois antagonistes, parfois concurrentielles…
La question des fonctionnements internes de la police qui nous paraissent à questionner sur certains égards même s’ils sont parfaitement efficaces à d’autres égards.
La hiérarchie et le respect du supérieur sont intégrés dès l’école comme des valeurs primordiales, et chacun en comprend l’intérêt. Cependant, cette culture de la hiérarchie s’avère aussi être un frein à la notion de travail d’équipe. Une brigade en intervention suit les directives de son chef de brigade sans qu’il soit même imaginable de les questionner ; ainsi une seule personne décide. Il est évident qu’il y a des situations d’urgence dans lesquelles ce type de fonctionnement est nécessaire et vital pour la sécurité des policiers mais pas toujours. Les policiers interviennent le plus souvent alors qu’ils ont reçu de leur central très peu d’informations. Comment apprécier la situation au plus près alors ? Nous avons vu qu’il serait souvent possible de prendre quelques secondes de concertation de l’équipe afin de mixer les appréciations différentes des uns et des autres mais que cela ne fait pas partie du fonctionnement habituel.
De même, il est très difficile et périlleux de dire son désaccord avec la pratique d’un collègue. La loi de la cohésion, de la solidarité et aussi la loi du silence fonctionnent dans ce corps comme elle fonctionne dans le quartier. Pour la police aussi, être une » balance » est une infamie.
Le manque d’appui institutionnalisé aux policiers qui ont été victimes de coups ou d’insultes. Il n’y a pas de temps de reprise de ce qui s’est passé pour le policier. L’on considère que c’est son métier de savoir faire avec cela. Pourtant, il est des situations où cela serait judicieux d’en prendre le temps et les moyens, car la non reprise dans un cadre professionnel clair encourage le repli sur soi, le sentiment que la population est ennemie… Il nous semblerait par ailleurs intéressant d’imaginer des modes de médiation entre les policiers victimes de coups ou d’insultes et les auteurs des coups ou des insultes. Il n’existe que le dépôt de plainte pour insulte ou coups à agents : le cadre judiciaire. La pratique de médiations entre les habitants est instituée depuis longtemps déjà. Cette pratique de médiation nous paraîtrait intéressante à développer aussi pour les policiers et pour ceux qui les ont mal traités.
De même, les policiers interviennent dans des situations lourdes, pour aider des personnes en difficulté. Ils interviennent sur un temps de crise et de violence. Mais une fois l’intervention passée, ils n’ont plus de contact avec les personnes et ne savent plus ce qu’il est advenu après leur intervention comme ils ne savent pas qui est intervenu avant. Il est apparu que, avec l’établissement d’un cadre clair, il serait possible d’imaginer que le policier ait un » retour » sur l’évolution de la situation ce qui lui permettrait de mieux cerner l’impact de son action, entre quelles autres interventions elle s’est située… Et lorsque la situation évolue bien, ce serait valorisant.
La plainte et la main courrante. La perception des situations.
Les habitants ont raconté comme il est parfois difficile d’obtenir l’enregistrement d’une plainte. C’est d’accès au droit qu’il s’agit alors, et de la perception du rôle de la police dans l’accès au droit.
Nous avons travaillé à partir des situations de violence conjugale qui constituent une part importante du travail des policiers. Des histoires ont été racontées par les policiers et aussi par les habitants. Quand une femme porte plainte pour la énième fois pour coups de son compagnon et qu’elle revient vivre avec lui à chaque fois, les policiers ont bien du mal à ne pas simplifier » elle aime cela puisqu’elle y retourne, alors elle n’a pas besoin de porter plainte » . des histoires de vie de femmes ayant vécu cette situation, des récits de leurs différentes démarches au commissariat et des conditions dans lesquelles elles les ont faites, la mise en scène de ces situations afin de les analyser… ont permis aux policiers de modifier leur appréciation des situations comme des personnes qui en sont les victimes. Il nous paraîtrait intéressant de développer ces démarches ainsi que la formation des fonctionnaires sur tous ces sujets dans lesquels la pensée commune ne devrait pas être de mise et en tout cas dans lesquelles la pensée commune n’a rien de professionnel en ce sens qu’elle amène à poser des actes non adaptés.
Le sexisme et le racisme :
L’on trouve des histoires de sexisme et de racisme dans la police comme dans l’ensemble de notre société. Ce n’est pas pour autant qu’elles sont excusables. Nous avons travaillé essentiellement sur ce qui se joue pour les femmes policiers au sein de la police. Les questions que nous nous sommes posés concerne plutôt la capacité des fonctionnaires au sein du corps policier à exercer leur citoyenneté. Est on citoyen ou policier dans son travail ? Comment agir sans prendre trop de risque pour sa carrière au sein même de l’institution ?
FIN