Bernard Teper

Dans le cadre de notre chantier sur la propagande, nous avons reçu, le 20 octobre 2012, Bernard Teper, Co-animateur du Réseau Education Populaire (REP) et Co-auteur de « Néolibéralisme et crise de la dette » et de « Contre les prédateurs de la santé »
Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Bernard Teper et peut donc comporter des erreurs.
 
Question du jour :
Y-a-t-il un modèle alternatif à la société dans laquelle on vit ?
 
Constats :
 Nous sommes dans une triple crise : économique, financière et de la dette publique – ces 3 crises fonctionnent en poupées russes.
La crise éco est une crise de la profitabilité du capitalisme en lui-même. Les patrons ont un taux de profit de moins en moins important sur l’économie réelle (l’économie réelle est basée sur les entreprises qui produisent des marchandises. Le taux de profit est ce qui reste une fois payé salaires, amortissement et machines).
  Depuis 1990, le taux de profit baisse. Investir dans l’économie réelle fait baisser le taux de profit, on a trouvé la solution d’investir dans la finance et notamment dans les produits « à découvert à nu » : je vends un produit que je n’ai pas à plein de personnes, c’est un titre. Puisque je le vends à plein de gens, son prix baisse, je profite de la baisse pour l’acheter et je le revends au prix initial. Je gagne la différence. C’est une activité financière pure car je ne développe pas l’économie et je ne crée pas d’emploi. Je gagne plus d’argent que si j’avais investi dans une usine mais cette action ne tire pas l’économie réelle.
 
Exemple aussi de Sanofi (1er groupe pharmaceutique européen et 3ème groupe pharmaceutique mondial) qui déploie un bénéfice de 8,8 Milliards d’€, en reverse 4,5 Milliards d’euros à ses actionnaires et supprime 2000 emplois. Le groupe gagne plus d’argent en investissant dans la finance que dans la pharmacie.
  Par contre, en 1968, on a augmenté le SMIC de 30%. Les gens ont eu plus d’argent, ils ont donc acheté plus et pour satisfaire la demande on a produit plus, ce qui a créé de l’emploi. L’économie réelle a été entraînée.
 
La crise économique se transforme en crise financière à cause de l’écart entre la masse d’argent et la production.
  La France pouvait se faire financer par la Banque de France par création monétaire à des taux de 0 à 1%. Ce n’est plus possible depuis la loi du 4 janvier 1973. Pour  l’Union européenne, l’interdiction  des Etats à se financer à bas taux par la Banque centrale européenne date du traité de Maastricht de 1992. Aujourd’hui seules les banques privées à but lucratif pour les actionnaires peuvent se financer à ce bas taux . L’article 123 du traité de Lisbonne oblige les Etats à se financer auprès des banques privées à but lucratif pour les actionnaires qui empochent alors le différentiel des taux.
 
Les banques prêtent de l’argent qu’elles n’ont pas (chaque banque doit avoir des réserves d’environ  4% par rapport à ce qu’elle prête). L’activité financière provient en partie de cette création monétaire.
  En 2007, éclatement de la bulle financière aux USA : Les compressions de salaires ont entraîné des emprunts de plus en plus nombreux. Les gens n’ont pas pu rembourser et la banque Lehmann Brothers s’est écroulée le 15 septembre 2008.
  Pour éviter l’écroulement du système bancaire et financier mondial, l’oligarchie a réagi en de utilisant de l’argent public soit en renflouant les banques soit en garantissant les emprunts. Cela a accru la dette publique. Pour  financer l’endettement public , les dirigeants mènent une politique d’austérité pour faire financer cet endettement par les peuples. Mais est-il viable pour l’économie d’être dans l’austérité ad vitam aeternam car rien n’a changé sur les causes de la crise de profitabilité du capitalisme, de la crise financière, de la crise de la dette publique?
 
  Le Crédit Agricole, la Société Générale et La BNP ont acheté de la dette grecque, portugaise et espagnole, mais si les pays ne peuvent rembourser leurs emprunts, cette valeur d’achat n’existera plus et ces banques comme d’autres banques européennes seront en difficulté et feront sans doute appel aux Etats !
En Islande, il y a 3 banques pour 300 000 habitants. L’Etat a décidé de garantir les dépôts des islandais mais le peuple a refusé deux fois par référendum de rembourser  ceux des anglais et des néerlandais qui étaient venus spéculer chez eux.
 
  La BCE (banque centrale européenne) prête à un taux d’environ 0,5%. Les banques entre elles se prêtent au taux du marché interbancaire.
Quand l’Etat a besoin d’argent, il doit se financer auprès d’une banque privée à but lucratif pour les actionnaires (voir plus haut). Une banque privée prête plus facilement à un Etat qu’à nous.
Tous les 6 mois, on fait un traité pour mettre du scotch et des rustines, serrer les choses, ce qui crée un enchaînement sans fin des conséquences néfastes.
La BCE, en fonction des élections (cette année en France, l’année prochaine en Allemagne) donne des milliards aux banques privées à but lucratif pour les actionnaires pour calmer le marché(500 milliards d’euros le 31/12/2011 et de nouveau 500 milliards d’euros le 1er mars 2012).
 
Il y a de la bonne dette et de la mauvaise dette :
La bonne dette, c’est emprunter pour financer un hôpital par exemple car on répond aux besoins sociaux des gens.
La mauvaise dette, c’est quand on baisse la fiscalité pour les plus riches – qui représente 83 milliards d’€(chiffres donnés par le rapporteur UMP de la précédente mandature) -, car ça augmente la dette du pays. Mais aussi quand la dette publique provient du renflouement des dettes privées (banques).
La mauvaise dette, l’Argentine, l’Equateur, l’Islande ont décidé de ne pas la payer, ils s’en sortent bien tandis que les pays du sud de l’Europe s’enfoncent.
Le tour de vis donné par le dernier traité va empêcher la France de créer de la bonne dette.
 
Le système néo-libéral est né il y a 20 ou 30 ans avec Thatcher et Reagan. En 1989 l’économiste Williamson en a établi les règles (consensus de Washington).
 
Déformation de la répartition de la valeur ajoutée :
Entre 2002 et 2010 la part de profit a augmenté par rapport à la part affectée aux salaires et cotisations sociales. L’écart est de 9,3 points de PIB (somme des valeurs ajoutées par le travail de chacun), ce qui correspond à 186milliards d’€/an. Le trou de la sécu représentant 25 milliards d’€ par an, c’est du bidon à côté !
Le profit, c’est : les impôts, les investissements des entreprises ponctionnés sur les profits, les dividendes des actionnaires, le financement des économies parallèles via les paradis fiscaux.
 
Les dirigeants ont une obsession : baisser la masse des salaires. Par exemple, un jeune qui sort de l’université doit faire un an de stage non rémunéré avant de prétendre à être payé.
 
La répartition entre profits et salaires, c’est la mesure de la lutte des classes car l’ensemble de la valeur ajoutée est crée par les salariés.
 
Questions du groupe
– La récession c’est lorsque la richesse d’un pays sur un an est inférieure à la richesse de l’année précédente
– L’oligarchie, ce sont les patrons des firmes multinationales, les dirigeants des Etats les plus développés, les dirigeants d’associations multilatérales (OMC, Banque mondiale, FMI, G8, G20), l’Alena (accord de libre-échange nord-Amérique) et l’Union Européenne qui participent aux politiques néolibérales (et ordo-libérales en Europe).
Goldman Sachs forme des conseillers pour les Etats et les prête aux Etats (voir le film Inside Jobs). Tous les conseillers d’Obama et de Bush en sont issus. Ils ont un fil à la patte avec le système bancaire et financier.
– Planche à billets : la banque de France créait des billets pour un projet d’Etat. Il faut une licence bancaire pour créer de la monnaie. La BCE a le droit de prêter aux banques privées. Les Etats doivent emprunter aux banques privées, pas à la BCE (traité de Lisbonne).
En 1973 il y a eu beaucoup d’inflation, ce qui gênait les rentiers (la valeur des biens baisse). Le traité de Maastricht les a protégés en interdisant aux Etats de faire marcher la planche à billets (1kg de patates à 10 Francs passe à 20 Francs, ce qui fait baisser la valeur du Franc)
 
 Un modèle alternatif
 
  Tous les néo-libéraux pensent qu’il n’y a pas d’alternative à ce système, mais l’histoire montre qu’il y a toujours une alternative ! Les 3 crises perdurent, et tant qu’on n’agit pas sur les causes, on continue d’aller dans le mur.
 
  La réponse est de créer une République sociale – concept né en 1848, repris ensuite, au moment de la Commune, puis en1936, etc. Il s’agit d’un modèle, non d’un programme. C’est un ensemble évolutif auquel peuvent s’adapter des programmes différents.
Il comprend 10 principes constitutifs, 4 ruptures, 4 exigences indispensables et 1 stratégie (théorisée par Jean Jaurès).
Pour construire le modèle, au lieu de partir des profits, on part des besoins sociaux et on s’appuie sur des choses déjà existantes. On change la façon d’élire les dirigeants et on gagne la bataille culturelle qui consiste à transformer les esprits.
 
  A l’époque de la Révolution Française, les aristocrates et le roi bloquaient l’évolution du système. A son tour, la Bourgeoisie, définitivement au pouvoir dès la 3ème République, bloque l’avancement des nouvelles idées.
 
Les 10 principes fondamentaux :
1-    Liberté : être auteur et acteur de notre vie, augmenter l’autonomie de chaque citoyen et non la liberté du renard dans le poulailler !
2-    Egalité : une égalité en droit de l’ensemble des êtres humains (égalité dans le réel – exemple de l’IVG remboursée à 100% mais sans qu’il y ait de structures suffisantes pour que la loi soit effective). Le néo-libéralisme vise l’équité, c.a.d. donner des droits en fonction des besoins.
3-    Fraternité : Lien d’amitié et de solidarité entre des citoyens partageant le même combat et non une convivialité de comptoir
4-    Démocratie : aussi en cours de mandat (exemple d’autre pays où le président est révocable en milieu de mandat).
5-    Solidarité : « A chacun selon ses besoins, chacun doit y contribuer selon ses moyens » : devise des socialistes du 19ème. Le néolibéralisme s’emploie à privatiser les profits et à socialiser les pertes. Il en appelle à la charité pour répondre au social, ce qui fait le lit des intégrismes qui œuvrent dans ces secteurs. Baisser les cotisations sociales induit une baisse du principe de solidarité, c’est pourquoi il ne faut pas baisser les charges patronales. Par ailleurs, baisser les cotisations sociales, c’est diminuer l’impact des institutions salariales qui sont une  base d’appui importante pour la transformation sociale et politique.
6-    Laïcité
7-    Droit à la sûreté : il s’agit de la sécurité physique, être bien soigné, etc.
8-    Universalité des droits : Accès aux soins partout et pour tous, financés à 100% par la Sécu. Le néolibéralisme au contraire crée des droits par catégories – exemple de la CMU : ceux qui y ont droit,  les juste au-dessus qui n’y ont pas droit et ne peuvent se soigner, ceux qui n’y ont pas droit.
9-    Souveraineté populaire : exemple du traité européen refusé par certains peuples européens et dont il n’a pas été tenu compte du résultat du référendum. Le néolibéralisme c’est le choix par des « experts » qui choisissent à notre place.
10-  Développement écologique et social.
 
Les 4 ruptures nécessaires pour que les 10 principes puissent s’appliquer
Démocratique, laïque, sociale, écologique
 
1-    Démocratique : Au 17ème siècle, en Angleterre, le processus démocratique a débuté, et s’est amplifié, jusque dans les années1950. Ensuite, chaque traité européen a  fait baisser la démocratie au profit des structures et commissions où les gens sont nommés, pas élus.
Pour qu’il y ait rupture, Condorcet a émis des conditions : Information de tous les citoyens de toutes les propositions sur tous les médias. débat raisonné entre toutes les propositions, suffrage universel (si les pouvoirs des électeurs sont diminués par le pouvoir des nommés, il y a baisse du pouvoir populaire), possibilité d’action citoyenne en cours de mandat (référendum d’initiative populaire, processus révocatoire à mi-mandat comme au Venezuela).
  A l’intérieur des entreprises, la démocratie s’arrête. Il faut donc soutenir les Coop et faire en sorte que l’utilisation de l’ensemble de la valeur ajoutée soit débattue et décidée dans l’entreprise par les salariés qui sont les seuls créateurs de la valeur ajoutée.
2-    Rupture laïque : la laïcité est un principe d’organisation sociale qui respecte 3 conditions :
La liberté de conscience et d’expression, l’universalité du principe, le principe de séparation de la société civile d’une part, et de l’autorité politique et de la sphère de constitution des libertés (écoles, santé et protection sociale et service publique) d’autre part. La laïcité n’est en aucune façon un principe antireligieux.
3-   Rupture sociale : Développer de nouveaux droits sociaux (y compris dans les entreprises). Il n’y a aucune raison que quelqu’un qui est licencié ne touche plus un salaire. Eradication des inégalités sociales de toutes natures (y compris face aux soins, face aux logements, etc.). La plus-value appartient aux travailleurs car elle est produite par eux, ce qui implique l’ouverture du processus de reconquête de la plus-value. Politique de temps court : les allocations jeune et retraite seraient liées à la qualification personnelle du salarié et non au poste occupé.
4-   Rupture écologique : Développement de l’industrialisation en transition écologique, développement de la recherche énergétique fondamentale, développement de la recherche autour des énergies renouvelables, processus global d’économie d’énergie : permis de construire HQE (haute qualité environnementale), plan de réhabilitation massive du bâti, développement des services publics de transport pour tous, voitures hybrides, etc. développer des financements écologiques. Faire la transition énergétique du nucléaire 2ème et 3ème génération ainsi que pour les énergies fossiles.
 
Exigences de la République Sociale :  Dégager du marché l’école, la protection sociale, les services publics (c’est la sphère de constitution des libertés), refondation européenne des institutions, des traités, élargir l’Europe vers le sud (l’Afrique). Décréter une politique de la globalisation des combats et de la fin des prééminences surplombantes (penser qu’une seule idée peut résoudre tous les problèmes). Il faut penser global et clarifier le complexe et non simplifier à l’excès.
Créer une pensée industrielle dans la transition écologique
 
La stratégie de l’évolution révolutionnaire

La politique de temps court et la politique de temps long doivent être liées et surtout démarrées en même temps. L’histoire n’a jamais fait table rase du passé. Le nouveau modèle s’est toujours appuyé sur des institutions préexistantes au nouveau modèle.

 

 

 

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