Compagnie Naje – Nous n’Abandonnerons Jamais l'EspoirCompagnie théâtrale NAJE – Nous n’Abandonnerons Jamais l'Espoir – est une compagnie théâtrale professionnelle pour la transformation sociale et politique. Elle pratique le Théâtre de l'Opprimé méthode Augusto Boal (théâtre forum, théâtre images, théâtre et thérapie, théâtre invisible, théâtre journal).
Dans le cadre de notre chantier sur la propagande, nous avons rencontré, le 21 octobre 2012, Yannick Kergoat, réalisateur, co-réalisateur du film documentaire : « Les nouveaux chiens de garde »
Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Yannick Kergoat et peut donc comporter des erreurs.
D’abord, nous avons visionné le film. Puis nous avons discuté à batons rompus avec Yannick Kergoat qui en est l’un des deux co-réalisateurs. « Si un autre monde est possible, d’autre médias le sont aussi. Mais pour qu’un autre monde soit possible, d’autres médias sont nécessaires. »
Attention, cette transcription est une prise de note partielle d’un échange qui n’avait pas vocation à être écrit.
« Pour faire ce film, nous nous sommes inspirés de tout le courant critique sur la question des médias qui a émergé en France il y a une quinzaine d’années. On peux citer notamment deux auteurs, Pierre Bourdieu avec son livre « Sur la télévision » et Serge Halimi, avec son ouvrage « Les nouveaux chiens de garde ». Il y aussi l’énorme travail de l’association Acrimed (http://www.acrimed.org/), dont je suis adhérant.
Nous voulions faire un film pour réveiller les consciences, pour dénoncer la marchandisation de l’information. Le film est un sorte d’état des lieux sur les trois piliers de l’information en démocratie : l’indépendance, le pluralité et l’objectivité. »
Questions des participants et réponses de Yannick Kergoat, après le visionnage du film :
– On voit bien dans le film l’intérêt que les journalistes ont, mais ceux qui osent parler, comment le vivent-ils, notamment Michel Naudy ?Yannick Kergoat : Ça lui coûte très cher « d’ouvrir sa gueule », aujourd’hui, il a été mis au placard et il vit dans une certaine précarité. Il a payé sa parole. Effectivement ça a un coût et même sur France 3.– Comment a été reçu votre film ?Yannick Kergoat : Quand on fait un film, il faut le montrer aux journalistes, mais surtout, il y a une règle dans le cinéma, il faut remplir les salles la première semaine pour espérer être programmé et prolongé ailleurs ensuite. On engage donc un attaché presse, chargé de promouvoir le film dans les médias. Nous finalement, on s’en fout de vendre notre film, on veut surtout défendre des idées et refuser les « faux débats ». Du coup, c’est très clivant, il y a ceux qui aiment et ceux qui n’aiment pas. Ceux qui ont adoré, sont les médias plutôt indépendants : La Croix, le Canard Enchainé, Télérama, l’Humanité. Et ceux qui non pas aimé, sont plutôt ceux qui appartiennent à de grands groupes comme la presse magazine. Un exemple pour la presse cinéma : un journaliste de Première, m’a dit que malgré la qualité du film, il ne pourrait pas en dire du bien car son directeur de la rédaction ne voudra sans doute pas.Bien sûr, au niveau du nombre d’entrées, on est loin d’Intouchables, mais un bouche à oreille s’est enclenché très vite. Nous avons fait 230 000 entrées, c’est le meilleur score pour un film documentaire « engagé » ces 5 dernières années. Pour donner un ordre d’idée, toutes catégories confondues, les films ne dépassent pas en moyenne les 100 000 entrées. Le film n’est pas sorti dans les grosses salles (UGC, Pathé, Gaumont…), mais dans un large réseau de cinémas indépendants, de salles associatives.– Comment arrivez-vous à tenir votre carrière professionnel, vous travaillez pour des films très commerciaux (notamment Asterix et Obelix…), comment parvenez vous à ne pas utiliser les armes de la propagande que vous dénoncez vous même. Comment gérer le côté commercial de votre film ? Et le travail de Pierre Carles ?Yannick Kergoat : Je gagne ma vie en tant que monteur de films de fiction, A coté de films plus commerciaux, je monte aussi beaucoup de films de cinéma d’auteur. En ce qui concerne mon travail sur « Les nouveaux chiens de garde » il est au croisement de mon savoir faire en matière de film et de mon engagement militant sur la question des médias comme co-animateur d’Acrimed depuis 8 ans. Pierre Carles, fait historiquement parti de ce courant critique sur les médias. A ce titre, il a été l’un des premier à mettre en scène cette contestation sur grand écran. On lui doit beaucoup.Concernant l’histoire de notre film, Les nouveaux chiens de gardes, c’est un projet à l’initiative de Jacques Kirshner son producteur. Il est venu nous trouver, car il pensait que les médias en France sont devenus un danger pour la démocratie. Les co-producteur institutionnels habituel (télévison – CNC) n’ont pas voulu du film. Jacques Kirchner a donc décidé de le produire seul, avec l’argent de sa société. Difficulté : il aura fallu 3 ans pour faire le film. Avantage : on a travaillé dans une totale indépendance.La sortie en salle s’est fait via les réseaux indépendants. Il y a eu environs 300 projections-débats partout en France depuis le 11 janvier. ,Ca a permis un vrai contact avec les gens. Aujourd’hui, le film est loin d’être amorti. Nous participons maintenant à beaucoup de projection « gratuite » comme celle-là.– Je découvre… Ce qui me bouscule, c’est l’immensité de la tâche. La parole des ouvriers sur le terrain. Comment on peut traduire ce message là, on a l’impression d’être entouré d’évidences dans ce film. Comment peut-on rejoindre un peu plus ce vent de révolte ?Yannick Kergoat : Il y a quelque chose d’écrasant aujourd’hui dans le système. Très vite on se sent isolé, seul. C’est pas toujours facile de garder la volonté de changer les choses. Les combats perdus sont ceux qu’on ne mène pas. Il faut essayer plein de choses différentes, un film par exemple. On aurait pu ne rassembler que 5000 spectateurs, tant pis, on l’aurait fait quand même.La question des médias est lié à l’organisation sociale et politique de la société. l’organisation sociale et économique des médias d’aujourd’hui sont liées au modèle néolibéral. Nous on dit : « Si un autre monde est possible, d’autres médias le sont aussi. Mais pour qu’un autre monde soit possible, d’autres médias sont néssésaire ». Les choses sont liées.– En termes d’outils, vous utilisez les mêmes que la propagande, à travers notamment le montage notamment, est-ce que vous vous êtes posé la question ?
Yannick Kergoat : Oui on se pose la question. Et c’est parce qu’il est bien monté qu’on fait un bon film. On créé une forme pamphlétaire, mais tout ce qu’on dit est vrai, argumenté et fait référence à des analyses construites depuis des années. On a toujours voulu que ça soit un film drôle justement pour que le constat ne soit pas trop écrasant. Beaucoup de choses dites dans le film sont connu de beaucoup de gents. Le films en fait une synthèse, offre un paysage sur ces questions. Par exemple, la montée des faits-divers dans les médias, tout le monde l’a vu. La difficulté, finalement, c’est qu’est-ce qu’on propose ? Une transformation radicale et profonde des médias, via Acrimed notamment.– Avez vous d’autres projets ?Yannick Kergoat : Oui, une autre film avec Jacques Kirshner, sur le thème de la construction européenne.– Ce qui m’a interpellé, c’est le moment où on parlait des banlieues, est-ce que les médias ne sont pas dangereux ? Ils bourrent la tête des gens.Yannick Kergoat : Les médias dominants quand ils parlent des quartiers populaires s’intéressent qu’à la sécurité des biens et des personnes et jamais des autres « insécurités » : sur le logement, l’emploi, la santé, l’éducations… Oui la montée des faits divers dans les médias a des conséquences. Ils stigmatisent les populations et contribuent à la montée du front national. Ce n’est pas la seule raison, mais c’est incontestable.– Avez vous interviewé des personnes connues, et quelles étaient leurs réactions ?Yannick Kergoat : Non, ce n’était pas notre but. On a pris la parole pour dire ce qu’on avait à dire. Il y a eu des réactions de journalistes qui ont dit : « c’est un film à charge, vous ne nous donnez pas la parole à ceux que vous attaqué », comme s’ils ne l’avaient pas assez ! Mais faire la critique des médias, ce n’est pas faire de la contrepropagande. Notre objectif était d’abord de rendre visibles les mécanismes.– Comment ça se passe dans les écoles de journalismes ? Les étudiant ne sont-ils pas formatés ?Yannick Kergoat : La question de la formation des journalistes n’est pas traitée dans le film mais elle est importante. Il y a aujourd’hui 29400 journalistes en France. Ils sont titulaires de la carte de presse sur des critères de ressources : 51% de leurs revenus doivent provenir d’un organe de presse. Mais les journalistes sont multiples et les réalités professionnelles sont extrêmement différentes. Il y a 30 % de journalistes précaires aujourd’hui. Depuis 3 ans, le nombre de journalistes n’augmente plus, notamment à cause de plans sociaux. Un journaliste précaire est évidemment plus « corvéable » et « malléable » par celui qui l’emploi.Il y a des formations qualifiantes au journalisme, mais ils ne forment pas du tout à la théorie. Ils forment à la pratique des grosses entreprises de presse. A lire, « Les petits soldats du journalisme » de François Ruffin. Pour les écoles les plus prestigieuses qui forme l’élite du journalisme, ce sont des écoles, privées ou publiques, qui recrutent à bac + 4 ou 5, donc à un niveau ou les enfants des classes populaires ne sont quasiment plus présents.– Est-ce que vous avez participé à beaucoup de débats? Yannick Kergoat : On a beaucoup accompagné le film. On a fait presque 300 projections débat comme aujourd’hui. C’est une manière de lutter contre l ‘hégémonie des médias dans l’espace public. Il faut réhabiliter un autre espace public. Si on prend l’exemple du référendum européen, en 2005, 90% du commentaire médiatique était favorable au traité. Mais les gens ont discuté entre eux, ont lu le traité, ont organisé des réunions et ça a suffit à discréditer le pouvoir médiatique. Les médias n’on que le pouvoir qu’on leur donne.– Suite aux élections, il y a eu la création d’ateliers au front de gauche, qu’en pensez vous ?Yannick Kergoat : Oui le front de gauche était l’un des rares parti à porter un programme conséquent de transformation de l’ordre médiatique actuel.
Bilan des passages « préférés » , marquants, révoltants du film pour les participants de notre groupe :
– « La séquence des experts qui n’ont pas voulu voir arriver la crise de 2008 »
– « L‘histoire des journalistes en ménages »
– « La paresse intellectuelle de tous ces gens »
– « Laurence Parisot : pour moi l’entreprise c’est une grande famille »
– « J’ai aimé voir les visages de tous ces gens à l’origine et acteurs de cette situation. Des humains en face de nous, qu’on puisse mettre des noms dessus. »
– « Les fausses histoires sur la vie des gens, l’exemple de l’émission de Drucker »
– « La séquence avec l’épidémiologiste sur la réussite anglaise »
– « Le regard d’amour entre Lagardère et son salarié dans l’émission de Drucker »
– « Les masses dangereuses »
– « J’ai trouvé Yves Calvi, t-un peu lourdaud »
– « Ces gens de tous bord politique au pouvoir »
– « Le fait divers qui dure avec des scoops pendant plus de 15 jours, exemple de Grégoire ou du notaire »
– « Regard paternaliste des journalistes qui demandent d’appeler au calme »
– « La théâtralisation des débats entre les personnes qui feignent d’avoir des avis différents »
– « Dans les images de banlieues qui crament, on montre toujours les mêmes images, les mêmes villes, les mêmes cités »
– « Le respect des 30 secondes de silence du monteur, suite à la séquence où il est dit : les écossais meurent plutôt que les indiens »
– « Xavier Mathieu de CGT Continental qui répond à Pujadas : Vous plaisantez j’espère ? On regrette rien… »
– « Aujourd’hui encore on parle de Vaux en Velin »
– « J’adore ce paysage reconstitué en bloc, c’est une force incroyable »
– « Ce n’est pas un film de propagande, ce n’est pas un film dénonciateur, c’est un film qui met en scène et qui rappelle les modèles du théâtre forum. »
– « Même quand on essaye, on se rend compte qu’on est endoctriné si on en cherche pas vraiment à sortir des boîtes »
– « Il faut lire le monde Diplomatique »
– « J’ai deux enfants en formation cuisine, j’aimerai bien qu’ils soient embauchés dans ce restaurant le dernier mercredi de chaque mois et qu’ils aient quelques problèmes gastriques (journalistes, politiques et financiers) »
– « Ok pour le monde diplo, il faut aussi lire médiacritique »
– « Si on enlève les 15 mots souvent utilisés par les journalistes, ils ne sont plus capable de faire une phrase »