En 2008, dans le cadre de notre chantier intitulé Politique, nous avons rencontré Stéphan Rozès, Directeur CSA opinion.
Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Stéphane Rozes et peut donc comporter des erreurs.
Le compte rendu
J’enseigne à Sciences-Po
Je suis depuis 14 ans à CSA. Auparavant j’ai travaillé à la SOFRES, à BVA. A l’origine je voulais être professeur d’économie. Je me suis dirigé vers les sondages car les questions de société et de politique m’intéressent. Jeune, j’étais militant d’extrême gauche.
Le sondage, pour moi, est une façon d’essayer de comprendre ce que les citoyens ont en tête, leurs attentes vis-à-vis des politiques. En tant qu’interprète de sondages, mon problème n’est pas de savoir qui a tort ou qui a raison mais d’essayer de comprendre.
Evolution des sondages
Ils viennent des USA. Les journaux US inséraient des questions auxquelles répondaient les lecteurs. En 1934, un journaliste prétend donner le résultat d’une élection en interrogeant seulement 1000 citoyens. Surprise, il ne se trompe pas. Le concept est adopté car plus rapide, plus sérieux et moins cher. L’informatique arrivant, on gagne en rapidité de correction.
En France, un des 1ers sondages de l’IFOP, pendant les accords de Munich, pose la question aux français: soutenez-vous ces accords ? beaucoup sont réservés.
En 1965, lors de la présidentielle. L’IFOP avait prévu que Mitterrand serait bien au 2nd tour.
Ce qui fait vivre les instituts de sondage, ce sont les études de marché marketing. Ca coûte tellement cher de lancer un produit qu’il vaut mieux faire une étude de marché avant. Sondages également sur le packaging – rond, ovale, carré… – tout ça est testé, sondé. Les sondages politiques ne représentent que 10% de notre travail.
On fait parfois des corrections techniques lorsqu’il nous manque une catégorie professionnelle – des ouvriers par exemple – en ajoutant 2 à 3 % d’un sondé ouvrier. En ce qui concerne la présence du FN aux élections présidentielles de 2003, 4% seulement des personnes interrogées disent avoir voté FN. Beaucoup ont utilisé le vote FN pour passer un message mais ne sont pas d’accord avec l’idéologie de ce parti. Ils ont honte et ne disent pas qu’ils ont voté FN. Sachant cela on a augmenté de 4% le vote FN pour corriger, mais on était loin du compte encore
Le panel
Environ mille personnes sont interrogées – modèle réduit de la société respectant proportionnellement le nombre d’hommes, de femmes, d’ouvriers, de cadres, de personnes de droite, de gauche, etc. On ne gagnerait pas plus à interroger 2000 personnes, et ça coûterait plus cher.
Presse, journalistes et rapport des français à la politique
Question: un journal qui demande un sondage, à travers les questions posées, manipule forcément ?…
– Je suis inséré dans un système (la démocratie est un système que se donne une société avec une logique économique, sociale, citoyenne), je ne peux donc pas être dans l’extériorité, étant moi-même citoyen à l’intérieur. Mais en tant que professionnel, ce que je contrôle, c’est la formulation des questions, c’est aussi accepter ou non de réaliser certains sondages, ou encore dire ce que je pense à travers l’interprétation de ces sondages.
– CSA refuse de réaliser un sondage quand un individu est mis en cause lors d’un procès en cours ou si l’intégrité d’une personne est mise en cause (exemple de Fabius lors de l’affaire du sang contaminé). Refuse également certaines formulations, par exemple sur le physique des femmes : un journal (féminin) voulait demander aux hommes si dans un bus ils avaient déjà pensé mettre la main aux fesses d’une femme… poser une telle question banalise le geste. Le journal a travaillé avec un autre institut de sondage.
– La publication de sondages peut avoir un impact sur la vie politique. Il faut donc que la profession ait des règles. Nous, nous demandons par exemple qu’un journal qui a commandé un sondage s’engage à le publier dans son intégralité ou pas du tout.
– CSA est parfois accusé de pervertir pour induire des comportements. C’est un questionnement interne permanent.
– Etre français c’est se disputer dans la même direction. Plaisir de discuter entre nous. Souci des gens de discuter de la même chose, peu importe qu’ils aient raison ou tort. On s’assure ainsi qu’on a des choses en commun. L’opinion est plus objet d’agitation pour une bataille qu’un objet de connaissance, comme en Grande-Bretagne ou aux USA. Les journalistes sont l’expression de ce rapport central des français à la discussion: ils interprètent sans avoir l’expérience de l’interprétation. Pour commenter un sondage, tout le monde est d’accord (il suffit de lire les chiffres). Par contre pour l’interpréter, c’est une autre histoire. L’enseignement critique des sondages devrait être au programme des écoles de journalisme.
Si un journal commande un sondage avec peut-être l’idée d’en faire ressortir ce que ses responsables veulent entendre, CSA fait son boulot, rien d’autre. Le Parisien, avec lequel nous travaillons beaucoup, fait un journal de marketing (« je fais le journal de mes lecteurs »). Les autres font un journal d’opinion. Nous avons d’autant plus l’image d’un organisme indépendant que nous travaillons avec un journal indépendant (Le Parisien).
Un autre volet de CSA, les études qualitatives:
Nous avons également créé des études qualitatives afin de mieux comprendre l’attitude des français: sont constitués dans toute la France environ 10 groupes de citoyens réunis pendant 4 heures autour d’un psychosociologue qui a pour but de faire parler les gens (selon des techniques psychosociologiques). Ensuite on analyse ce qui s’est dit et on comprend mieux le pourquoi des réponses. Exemple: à la question « est-ce que vous êtes heureux ? », 80% répond oui. « Les gens autour sont-ils heureux « ?, 50% répond oui. « L’ensemble des français est-il heureux ? », une majorité répond non.
90% de nos travaux est confidentiel. On peut nous demander de travailler sur le rapport au travail, à l’exclusion – pour un maire, sur le rapport à ma ville -, à la mondialisation, à la voiture, à la beauté, au luxe… Nos clients sont des entreprises, des syndicalistes, des politiques. Ils nous chargent, à travers des sondages, de leur expliquer le pourquoi des choses, ce qui se passe. Nous donnons des conseils mais ne sommes pas tenus par le client. Lors des présidentielles nous avons travaillé pour 7 clients de bords différents.
Qui est interrogé
– Les personnes entrant dans l‘échantillon représentatif ne sont en fait que des gens joignables par téléphone portable. On compose les numéros de façon aléatoire. En 1994 a été réalisé le premier sondage auprès des SDF par les journaux La Croix, La Rue et la FNARS (qui s’occupe de l’hébergement des SDF). Le gouvernement, pour des raisons politiques, n’ayant jamais effectué ce travail, il n’existe aucun document statistique. C’est que compter les gens c’est les faire exister, c’est donc bien vouloir que la société accepte qu’il y a effectivement des SDF.
Le DAL mène des actions publiques. CSA propose un sondage, s’associe à la FNARS, attend les grands froids et interroge ceux qui vont dans les centres d’hébergement. Par contre nous ne touchons pas les personnes qui squattent ou qui restent dans la rue.
– Jamais nous n’interrogeons les mêmes personnes car sachant qu’elles vont être réinterrogées, elles regardent différemment la vie politique, sociale, etc. On interroge au hasard.
– Nous pratiquons 3 types de sondage: au domicile, au téléphone, par Internet (pas très fiable pour les sondages politiques).
– Nous touchons les résidents ou inscrits sur les listes électorales – pour les sondages concernant une municipalité, les personnes inscrites sur les listes. Les personnes parlant mal le français ne sont pas interrogées.
Démocratie (déontologie, éthique, impact sur la société)
– Le client est roi. Quand je dis quelque chose, mon maître c’est l’opinion – ce que je comprends de l’opinion.
– Les hommes politiques sont gouvernés par des logiques économiques, sociales et financières, non par l’opinion. Un sondage sert à savoir comment faire et comment dire mais pas à savoir quoi faire mais la pression de l’opinion imbibe quand même les gouvernements.
– Les sphères d’influence du politique sont l’économie et le pouvoir, c’est tout. les gouvernements ont des réseaux de contrainte mais: » la société, comment elle réagit à ça ? » Le sondage répond.
– La politique c’est un compromis entre le souhaitable et le possible.
– 1997: Chirac dissout l’Assemblée Nationale. 4 mois auparavant, l’Elysée avait commandé à
CSA une étude sur » comment ça va se passer ? » Suite à l’étude, je réponds « vous allez droit dans le mur ». Le journal Libé m’appelle et m’interroge sur cette étude… je ne réponds pas (confidentialité oblige). J’appelle l’Elysée et apprends que c’est Dominique de Villepin qui a parlé de cette étude après avoir été accusé d’être responsable de l’échec.
– Trop de sondages ? Les sondages ça coûte très cher (pour les médias). S’ils en font c’est que les français en veulent. La France s’est re-politisée depuis le référendum et à la suite: les présidentielles de 2007. De 2002 à 2007, on comptabilise 1/3 de sondages en plus. Les médias ont constaté que le pays veut de la politique – savoir qui on est.
Fragments d’analyse politique
– La gauche, en son sein, est victime d’une contradiction entre catégories sociales, contradiction encore entre conquête du pouvoir et exercice du pouvoir.
– Fabius dit : il faut recoller avec les couches populaires et après, on verra – au risque de l’irréalisme. DSK dit: ne pas faire planer d’illusion, au risque d’apparaître comme acceptant le cours des choses. Royal dit: je n’ai pas peur du pouvoir. Je n’intègre pas des contradictions qui ne sont pas les vôtres (au PS). Son rapport à la gauche n’est pas structural, il est culturel (comme Mitterrand). Elle propose d’être co-propriétaire de ce souhaitable et du possible. Mais la gauche a du mal à comprendre ce discours.
– La gauche cultive la dispute sociale, la droite est dans la communion.
– Bayrou a dit: ceux qui se déterminent au dernier moment attendent le dernier élément de campagne qui va les confirmer dans ce qu’ils pensent entre le souhaitable et le possible. Ils attendent le dernier message pour le meilleur choix. 18% des gens disent effectivement s’être déterminés le jour même d’une élection.
– La personne, c’est l’incarnation. La personne a plus d’importance que le programme. C’est ce qui fait notre identité. c’est ce que la gauche n’a pas compris.
– Dans l’histoire, l’identité se crée au travers d’un dépassement. Tous les moteurs étaient arrivés à la crise au moment de l’élection: pour la gauche, le moteur c’est le progrès social – en panne !
– La gauche dit qu’on est passé du catholicisme à la providentialité des marchés – ce qui crée de la cohérence entre l’intérêt de chacun et le ça ira pour tout le monde.
– Il n’y a plus de possibilité de croire en un surmoi, ce qui crée un besoin de figure nationaliste, néo-Bonapartiste.
– La démocratie participative est pour ceux qui savent parler. Les classes sociales défavorisées préfèrent faire confiance à ceux qui gouvernent (c’est encore du Bonapartisme).
– Elections présidentielles : j’ai écrit un article dans la revue Débats: « ce ne sera pas un affrontement de contenu, ni gauche-droite. L’élection se jouera sur l’incarnation des personnes – l’image. Les sondages révélaient que les français considéraient DSK comme étant plus compétent mais ils voulaient voir Ségolène Royal. Il y a l’investissement symbolique et la réalité du contenu, ce qui crée du contradictoire parfois.
– Ce sont les français qui ont fait cette présidentielle et ils l’ont eux-mêmes bien compris. Qu’importe si Royal et Sarkozy n’avaient pas tout à fait la stature.