Marie-Françoise Ferrand

En 2006, dans le cadre de notre chantier « Les invisibles », nous avons rencontré Marie-Françoise Ferrand d’ATD Quart-Monde.

Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Marie-Françoise Ferrand ; il peut donc comporter des erreurs.

Le compte rendu
Naissance du mouvement

Marie-Françoise Ferrand est volontaire permanente d’ATD Quart-Monde (Aide à Toute Détresse dans le Quart-Monde). Ce mouvement, né aux portes de Paris dans le bidonville du château de France à Noisy le Grand, a cinquante ans cette année. C’est l’Abbé Pierre, qui en 1954. de colère après la mort d’un enfant, a  lancé un appel sur des radios pour sensibiliser les gens et le politique et créé ce bidonville. A l’époque il était député.

Les gens étaient abrités dans des tentes et des igloos en fibrociment, en tôle et terre battue. Il y faisait froid l’hiver et chaud l’été ! Ces abris qui devaient n’être que d’urgence ont duré… Il y avait 3 fontaines pour 350 familles, beaucoup d’associations venaient « donner des choses aux pauvres ».

Arrive le père Joseph Vrezinsky, venu juste faire un tout, il reste finalement et crée le mouvement ATD Quart-Monde. La préfecture, refuse d’abord l’association car dans le Conseil d’Administration il y a des gens qui ont fait de la prison. Ils font donc appel à des extérieurs au camp pour avoir plus de crédit.

Emigré mélange d’espagnol et de portugais par ses parents, le père Joseph a vécu la misère dans son enfance et raconte qu' »il devait toujours dire merci et rien d’autre ». Il déclare donc qu »ici on ne sera pas un mouvement d’assistance, on ne donnera rien de matériel. On se mettra ensemble, pauvres et riches pour mener le combat contre la misère ».

Ce n’est pas l’assistance qui règlera le problème de la misère. L’assistance aide à vivre mais ne règle pas la misère.

Si le monde de la misère pouvait se mettre ensemble, il n’y aurait plus de misère dans le monde. Mais il est difficile de se mettre avec les plus pauvres que soi – « Moi ça va, par rapport à lui, à elle… »

Des gens extérieurs à la misère sont venus, des amis qui sont devenus ou non des volontaires permanents, comme Marie-Françoise. Elle, elle a d’abord pris une année sabbatique (était enseignante) désirant donner une année à une association ou un mouvement. Deux associations lui ont répondu dont ATD Quart-Monde. Puis elle a pris une deuxième année de congé, puis une 3ème puis a démissionné de son poste d’enseignante.

Les volontaires bénévoles

Sur tous les continents, les volontaires, quel que soit leur métier, leur classe sociale ou leur fonction, ont tous le même salaire. « ça me plaît bien » dit Marie-Françoise, « on vit un peu ce qu’on dit, ce partage des richesses qui a à voir avec la lutte contre la misère ». On trouve parmi les volontaires toutes  les confessions, des célibataires, des mariés avec enfants etc. Chaque volontaire bénévole touche le revenu minimum de son pays d’origine (en France le SMIG) mais pour des français en mission au Burkina par exemple, ça représente beaucoup d’argent. La question de l’argent est mise sur la table, on en discute. Dans cet exemple, les 2 français ont décidé qu’avec leurs deux SMIG ils pouvaient payer un salaire à deux burkinabé de l’association… Les volontaires ont des fiches de salaires et sont libres de quitter l’association s’ils le désirent – ce n’est pas le salaire qui les retient ! Ils ne restent pas au même endroit, ils bougent selon les besoins. Les plus anciens décident un peu plus de là où ils veulent aller.

Une famille était en Côte d’Ivoire mais avec les événements et la violence, ont été rapatriés.

Ils sont 400 sur le terrain et chaque année une trentaine de jeunes arrivent de tous pays. A l’origine les volontaires bénévoles étaient dans la démarche : changer le monde parce-qu’il est trop injuste. Il semble que les jeunes arrivants soient plus portés par le côté convivial-familial du mouvement…

Le mouvement est financé à 50% par des subventions, 50% par des dons, ce qui permet une entière liberté.

Il est en lien avec d’autres associations dans des pays où lui-même n’intervient pas, pour les encourager, être solidaire. C’est ainsi que Jean Vannier (de l’Arche), a demandé des volontaires d’ATD pour l’aider à Ouagadougou. Là-bas ils ont découvert un hangar où on entassait les vieux qui allaient mourir. ATD a décidé d’entamer une action là. Le but, dans tous les cas, c’est que le pays soit gagnant et reconnaisse que les gens très pauvres ça vaut le coup !

Actions

« Ce qui me passionne le plus c’est de mettre ensemble des gens qui vivent des situations de grande précarité et des professionnels qui travaillent avec de l’humain (médecins, enseignants, travailleurs sociaux, juges…) ».

On reste ce qu’on est profondément: Marie-Françoise vient d’un monde ouvrier où elle a toujours entendu ses parents taper sur les patrons, utiliser les mots « lutte », « combattre »… Or un jour en réunion, la femme d’un patron, bénévole comme elle, ne comprend pas pourquoi Marie-Françoise emploie ces mots… Elle réalise là qu’elles ne viennent pas du même milieu. Il faut se rencontrer, se confronter mais comme le but est de travailler ensemble, il faut savoir prendre des chemins, il faut du temps.

Le père Vrezinsky dit « la lutte contre la misère doit obligatoirement rassembler les gens. Si on n’y arrive pas, quelque part les gens très pauvres vont y perdre. Ca concerne plus que les convaincus de l’âme ».

Avec Claude, son mari, ils sont passionnés par le fait de créer les conditions pour que ce soit les gens de la misère eux-mêmes qui prennent en charge leurs luttes, se mettent debout, parlent etc. (Marie-Françoise donne l’exemple du directeur d’école disant à une mère d’élève « Mme, si je me mets à votre place, je pense que pour vos enfants… » – mais comment peut-on oser se mettre à la place de quelqu’un ?…)

Les institutions appellent  parfois ATD pour un projet. Exemple dans le Nord, le conseil général décide de faire travailler ensemble des bénéficiaires du RMI et des référents RMI pendant 3 ans. Les institutions sont ensuite invitées à venir entendre ce qui est ressorti de ces échanges. Une femme du conseil général s’est exclamée: « Quelle leçon d’humilité on a reçu aujourd’hui ! »

 Les universités populaires

A Reims, à la suite de mai 68 et dans la continuité d’actions déjà existantes sur Paris, ils ont créé les Universités Populaires: Une fois par mois, sur un sujet et avec un invité qui écoute et réagit ensuite, on met en commun des réflexions travaillées dans les quartiers auparavant (par exemple concernant le sujet des médecins qui refusent de prendre en charge les personnes bénéficiant de la CMU ou de l’AME, l’invité était un chef de service d’une CPAM –Caisse primaire d’Assurance Maladie). Une femme, présente à chaque université populaire, parle toujours d’un certain Monsieur René qui participe aux préparations dans un quartier mais n’est jamais venu à la mise en commun. Elle en parle, le décrit, tellement bien que le jour où il se présente, seul, Marie-Françoise le reconnaît et lui dit »: vous, vous êtes Monsieur René  » Ce jour là, René dit s’être senti non seulement reconnu mais attendu.

A la gare centrale de Bruxelles, des sans-abri participent régulièrement à l’université populaire, dans le hall, aimée par un avocat et un chauffeur de bus. Quand on mélange les compétences ça donne des choses merveilleuses.

« Mais il faut aller plus loin ! » dit Marie-Françoise, « les gens sont capables si on leur donne les moyens ».

 Le Livre, 1

Ils décident de réunir des chercheurs, professeurs d’université et des gens d’ATD Quart-Monde pour un projet fou qu’ils ont mis deux ans à élaborer – il a fallu trouver de l’argent, convaincre les universitaires etc.

Les gens de la misère qui restent à ATD c’est parce-qu’ils en ont envie, et envie de s’engager pour défendre leurs droits et lutter pour les autres. Ce projet qui sera un vrai apport, un vrai travail sérieux doit être reconnu financièrement. Claude s’en charge et démarche en France et en Belgique.

« Quart-Monde Université » a duré 2 ans – soient 10 fois 3 jours en séminaires résidentiels à Gentilly, plus une journée intermédiaire de travail à chaque fois. L’objectif est de produire un livre afin que leur travail soit reconnu par les universitaires. Tous les militants engagés dans l’aventure (35) sont allés jusqu’au bout du projet. Les universitaires ont pris sur leur temps de travail, en accord avec les présidents d’universités, et sur leur temps personnel.

Ils choisissent ensemble les sujets:

1-     l’histoire de : comment on passe de la honte à la fierté ? (tout le monde est concerné. En tant que chercheur, par exemple, on n’a pas à être fier de la situation du monde. C’est une prise de conscience)

2-     La famille: le projet familial et le temps

Exemple de réflexion qui remet en question les idées admises: Il y a 2 sortes de temps, le temps linéaire (on avance dans la vie) et le temps circulaire (on tourne en rond, saisons, journée, c’est aussi le cercle vicieux de la misère, ça se reproduit. Or, après travail, les militants d’ATD réalisent qu’il suffit qu’il y ait une naissance dans la famille, que le père retrouve du boulot pour que tout reparte. Ils ont donc créé le concept de  » temps en boucle ». Les universitaires ont eu du mal à recevoir cette nouvelle conception du temps. Mais, disent les militants, ce temps circulaire montre trop la fatalité où rien ne peut changer. Si on pense comme ça, on meurt !

3-     Les savoirs pluriels: à quelles conditions un savoir est libérateur ? (savoir de la vie, des sciences etc.)

4-     le travail et l’activité humaine: les savoir-faire que les pauvres ont (« les talents cachés »).

Pour les militants, la reconnaissance c’est avant tout se reconnaître semblables, reconnaître ses points communs. Pour les universitaires au contraire la reconnaissance c’est reconnaître les différences ! Pendant toute une journée, il y a eu une bataille sur ce mot « reconnaissance ». On mesure combien ce qu’on met derrière les mots est différent, et combien on ne s’en parle pas ! Ce travail sur les mots est fondamental à ATD. Des mots comme SDF, insertion, handicapé social sont à bannir.

5-     La citoyenneté et la représentation: qui a le droit de parler au nom des pauvres ?

Tout le monde a trouvé sa place: les militants d’ATD ont réalisé des interviews autour d’eux, les universitaires ont cherché dans les bouquins ! Les réunions sont enregistrées, puis retranscrites sur papier, retravaillées avec les militants et validées par les gens et les universitaires. Au bout de la route, un livre: « Le croisement des savoirs », ou « quand le quart-monde et l’université se rencontrent ». C’est quelque chose de très beau au niveau intellectuel car personne ne savait ce que ça allait produire, c’était un questionnement permanent, et au bout du compte une aventure exceptionnelle.

Puis est venu le temps de rendre public ce travail. Ce fut lors d’un grand colloque à la Sorbonne. Proposition leur est faite alors de poursuivre cette action avec des professionnels du terrain cette fois pour faire bouger les choses au niveau de la formation de ces personnels (médecins, travailleurs sociaux, magistrats envoyés par leurs institutions – CCAS, éducation nationale, HLM, ministère de la justice etc.).

Le Livre, 2

L’aventure a continué mais à un autre rythme, pas toujours facile car ces professionnels connaissaient déjà le milieu et avaient de ce fait plus de mal à accepter un autre point de vue que le leur. Cinq directions de travail ont été décidées:

1-     Les connaissances réciproques entre professionnels et monde de la pauvreté: les représentations des uns et des autres

2-     Les logiques personnelles (selon qu’on est juge, policier, éducateurs ou autre)

les logiques d’action des professionnels

les logiques d’action des institutions

3-     La nature de la relation entre personnels et personnes en situation de pauvreté

4-     Initiatives et prises de risque

5-     La condition pour être acteur ensemble, pour participer ensemble (éviter les situations de pouvoir)

Est né un deuxième livre: « Le croisement des pratiques » ou « Quand le Quart-Monde et les professionnels se forment ensemble ».

Exemple de discussion animée: un professionnel a cité la pyramide de Maslow comme étant une évidence (le plus important pour un être est: 1- les besoins primaires vitaux – manger, boire, dormir 2- besoin de sécurité 3-besoins affectifs, relationnels 4- besoins culturels 5- besoins spirituels). Le groupe réagit de façon très vive »: moi je vis dans un taudis et quand je ne vais pas bien, je mets de la musique classique à fond. Je devrais pas car mes enfants n’ont pas mangé ce matin ? » Tout le groupe refait la pyramide qui devient… un cercle ! En fait avec cette pyramide (encore enseignée de nos jours) on continue à développer les circuits d’assistance. La lutte contre la misère est globale : nourriture et culture. On ne demande pas leur avis aux gens qui sont dans la misère, on ne leur demande rien, on ne prend pas le temps de réfléchir ensemble.

Il faut d’abord faire tout un travail sur les représentations, sur qu’est-ce qu’on met derrière les mots. Exemple : à la question « quel mot prioritaire associez-vous au mot pauvreté ? »  3 groupes sur 4 ont répondu MANQUE. Le groupe des parents a répondu: REGARD. On expérimente en permanence que les gens ont une intelligence. Si on va au bout de tout ça, quelque chose change évidemment.

Dans un groupe de travail une femme ne comprenait rien au mot citoyenneté, elle pose donc des tas de questions. Un professionnel cite la phrase d’Hannah Harrendt: « On est jamais citoyen tout seul. Il faut être reconnu par une communauté ». Une femme réagit: « j’ai été à la rue, j’avais droit à rien, je suis allée en prison, à ma sortie, j’ai eu un logement et un travail ». Ce professionnel ne voulait pas entendre cette logique qu’une  prison pouvait être cette communauté qui l’a reconnue comme citoyenne !

 

 

 

 

 

 

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