Démocratie, démocratie…
Castoriadis, philosophe et analyste, définit que l’objet de la politique est de créer des institutions qui, intériorisées par les individus, facilitent le plus possible leur accession à leur autonomie individuelle et leur possibilité de participation effective à tout pouvoir existant dans la société. Mais notre société n’est pas autonome ; elle ne peut donc rendre quelqu’un autonome, et vice-versa.
Une société autonome, cela veut dire une société dans laquelle la réflexion collective a atteint son maximum. La démocratie est le régime où l’on réfléchit et décide en commun sur ce qu’on va faire. La liberté, dans une société où il y a des lois, c’est d’avoir la possibilité effective de participer à la discussion, à la délibération, et à la formation de ces lois. Le rôle du politique dans une démocratie, c’est donc de garantir et de promouvoir la plus large activité possible des individus et des groupes dans le cadre privé comme dans le cadre public.Presque toutes les sociétés humaines sont non autonomes : bien qu’elles créent toutes, elles-mêmes, leurs institutions, elles incorporent dans ces institutions l’idée incontestable pour les membres de la société que cette institution n’a pas été créée par les hommes mais par quelque chose de supérieur et qu’elle ne peut être remise en cause. L’autonomie, c’est la conscience explicite que nous créons nos lois et que, donc, nous pouvons aussi les changer.La Déclaration des Droits de l’Homme dit en préambule : « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis. »Mais le « soit directement » a disparu et nous sommes restés avec les seuls « représentants ».Du point de vue de l’organisation politique, une société s’articule en trois sphères :- la vie privée, la famille ;- l’endroit de rencontre du public et du privé, où les individus se rencontrent, discutent, échangent, forment des associations, des entreprises…- le lieu où s’exerce le pouvoir politique.S’il n’y a pas de société autonome (démocratie) sans individus autonomes, cela implique que la sphère politique garantisse et promeuve la plus large activité possible des individus (sphère privée) et des groupes (sphère publique) et aussi fasse participer tout le monde au pouvoir politique.Mais le pouvoir public est, en fait, affaire privée de divers groupes et clans qui se partagent entre eux le pouvoir. Les décisions essentielles sont toujours prises en coulisse ; le peu qui en est porté à la scène publique est maquillé et manipulatoire. Dans notre démocratie, la représentation a pris le pas sur la délibération. Il y a division très nette entre les gouvernants et les gouvernés, entre les dominants et les dominés.La population, elle, s’enfonce dans la privatisation. Elle abandonne le domaine public aux oligarchies bureaucratiques, managériales et financières. Un nouveau type d’individus émerge depuis une cinquantaine d’années, défini par l’avidité, la frustration et le conformisme généralisé. Le capitalisme semble être enfin arrivé à fabriquer le type d’individu qui lui correspond : perpétuellement distrait, sans mémoire, sans projet, prêt à répondre à toutes les sollicitations d’une machine économique qui détruit la biosphère pour produire des illusions appelées marchandises.Nous sommes complices de cette évolution de notre monde. Le resterons-nous toujours ? Une chose est certaine : ce n’est pas en courant après ce qui se porte et ce qui se dit, ce n’est pas en émasculant ce que nous pensons et ce que nous voulons que nous augmenterons les chances de la liberté. Lorsque nous luttons nous-mêmes au lieu de demander à notre gouvernement de faire quelque chose pour nous ; lorsque nous nous organisons, ne serait-ce que pour discuter de ce qu’il faut faire, nous sommes dans le mouvement vers l’autonomie – individuelle et collective, donc vers la démocratie.Ce n’est pas ce qui est mais ce qui pourrait et devrait être qui a besoin de nous.Tiré de Fait et à faire, de Cornélius Castoriadis
Cet ouvrage a dormi longtemps chez moi, dans l’abandon …
Trop de parasites m’avaient annexé coeur et cerveau…
Sentant cela confusément, je crois bien l’avoir offert ,il valait mieux!
Merci de me l’ouvrir à une excellente page..