[La famille] Flo Arnould : « Un enfant vient du désir de ses parents, pas du matériel biologique »

Psychopraticien, formé à la Gestalt (thérapie humaniste et holistique (qui prend la personne dans sa globalité) et où le praticien ne se désinvestit pas de la relation avec le patient), à la thérapie du lien et à la sexothérapie, Flo Arnould est venu le samedi 9 janvier nous parler de la famille vue du côté des questions de genre, d’identité sexuelle, de filiation. Voici les grandes lignes de son intervention.

FloEn arrivant parmi vous, je ne me sens pas encore vraiment faire partie de votre groupe. Je ressens un peu de stress, d’angoisse, et ça me renvoie clairement à la famille, à la place que j’ai eue dans ma famille.

La famille, c’est le premier groupe d’appartenance, avec des liens qui se font, des liens qui n’arrivent pas à se faire ou qui se rompent, des questions de patrimoine, de filiation… Ça me fait penser à des personnes que j’ai accompagnées en tant que psy.

Je pense, par exemple, à une personne confrontée à une grande solitude, qui avait été confiée très jeune à ses grands-parents, et sa mère avait ensuite eu des enfants avec d’autres compagnons. Cette personne ne connaissait pas son père. La mère lui disait que son père était arabe, il refusait d’y croire. Il était militant FN, et m’a mis en grande difficulté dans l’accompagnement. Pour lui, être au FN, c’était avoir un sentiment d’appartenance très fort, en excluant tous les boucs émissaires. Quand j’ai compris cela, je me suis senti en lien avec lui. Et ensemble, on a pu partager et traverser des expériences de peur.

Je pense à une autre personne, confiée à cinq ans à une tante. Dans le hameau, il y avait le papa, la maman, des oncles et tantes, dont une veuve de guerre. La famille a décidé de quitter le hameau, mais comme elle estimait qu’elle ne pouvait pas laisser toute seule cette veuve, on lui a laissé l’enfant… alors même qu’elle était non-traitante, voire maltraitante, vis-à-vis de l’enfant !

La famille, ça renvoie naturellement à la norme. Une fille est « fille de » (alors qu’un garçon est « fils de », ce n’est pas le même mot) ; puis, une femme est « femme de » (alors qu’un homme est « mari de », et c’est pas le même mot non plus !). Le passage à l’âge adulte, pour une femme, c’est passer de « fille de » à « femme de »… ou aujourd’hui à « mère de ».

Questions de genre

Le genre, c’est quelque chose de très complexe à définir !

On peut partir de l’identité biologique. Mâle, femelle et inter-sexuation. Plusieurs éléments sont à regarder, les chromosomes (encore qu’il y ait bien plus de cas de figure que les deux classiques « xx « ou « xy » dont on parle généralement).

Il y a aussi les organes génitaux. Ce n’est pas si simple que cela non plus car, à la naissance, c’est une question de millimètres : jusqu’à 9 mm, on affirme clairement que c’est une fille ; au-dessus de 1,4 mm, c’est clairement un garçon ; mais entre les deux, on ne sait pas ! Alors on regarde les organes sexuels internes.. Longtemps, et même encore aujourd’hui, certain-e-s considèrent l’inter-sexuation comme une anomalie, et réassignent de force en fille ou en garçon.

Le caractère d’anomalie a longtemps été lié à l’idée de procréation. On le retrouve chez les hommes ou femmes non fertiles, qui n’arrivent pas à se sentir une vraie femme, ou vraiment un homme sous le poids du regard médical et de la société. On a pourtant découvert que certaines personnes « inter-sexes » peuvent à la fois donner la vie dans le corps de l’autre et recevoir la vie dans leur propre corps.

On nous a beaucoup menti sur tout cela. Et on a commencé à s’en rendre compte avec les tests de féminité pour les sportifs, notamment avec la parution du livre d’Anaïs Bohuon « Le test de féminité dans les compétitions sportives ». Des sportives ont dû quitter les Jeux olympiques car elles n’étaient plus classables comme des femmes.

Certaines femmes ont des seins, un clitoris, un vagin, des ovaires… et en même temps beaucoup de testostérone ! Finalement, il y a beaucoup plus de cas d’inter-sexuation que ce qu’on pourrait imaginer.

On a trouvé et défini cinq « identités de sexe ». Mais après l’identité de sexe, il y a le genre : c’est la partie psychologique, c’est comment je me sens avec mon matériel biologique. L’identité se construisant dans la rencontre avec les autres.. Le psychothérapeute Jean-Marie Robine a écrit un livre dont le titre résume très bien cela : « S’apparaître à l’occasion d’un autre ». Là vient l’idée de transition, de passing, pour être reconnu enfin dans le genre d’où la personne parle.

« Trans », c’est passer d’une identité à une autre, donc faire un voyage, s’écarter du strict biologique. Ce voyage peut être plus ou moins long : ça peut se limiter aux vêtements, après il y a la possibilité de la prise d’hormone ou pas (je prends moi-même de la testostérone), après il y a éventuellement les opérations (mammectomie, mais la phalloplastie a des résultats moins intéressants que la vaginoplastie)…

Certains parlent de continuum de genre, voire d’un archipel de genres…

La décision de créer une famille

Créer une famille, ça commence déjà par un couple, un trouple ou une communauté de personnes adultes majeures (en tout cas, qui ont la majorité sexuelle : on ne peut être consentant qu’à partir de l’âge de 15 ans), ayant une sexualité ou pas.

Comment fait-on un enfant ? Là, tout se complique : on peut être fertiles ou non. Prenons un couple « classique » – un homme cis et une femme cis (cis, c’est-à-dire non-trans), hétéros tous les deux -, dans lequel l’un des deux est stérile. S’il manque du matériel biologique, on va avoir recours à un don : c’est la procréation médicalement assistée (PMA). La grande question, c’est : « D’où vient l’enfant ? ». Est-ce que je viens du matériel biologique ? Ou bien, est-ce que je viens du désir de mes deux parents ?

Derrière tout ça, il y a la loi, sur laquelle se crée la famille, en tous cas en cette époque-ci et dans beaucoup de pays du monde, l’interdit de l’inceste. Dans l’inceste, ce qui compte, c’est le lien. Et il y a une distinction claire entre « géniteur » et « parent » : un père qui couche avec sa fille sans savoir que c’est sa fille, ce n’est pas un inceste. En revanche, un beau-père qui couche avec la fille qu’il élève, c’est un inceste !

Ca me rappelle une famille où le fils n’était pas bon en maths. Quelqu’un s’en est étonné : « Pourtant, son père est prof de maths ! ». Et la mère a chuchoté : « Oui, mais on eu recours au don ! » Comme si ce n’était pas vraiment leur fils ! C’est là que les parents créent un « abandon »…

Je me retrouve en cabinet avec des couples de lesbiennes qui me disent : « On voudrait un donneur qui ne soit pas anonyme, qui n’interviendrait pas dans la vie de l’enfant, mais celui-ci, à sa majorité, pourrait demander qui c’est et vouloir le contacter ! » Elles sont face à la pression sociale, qui leur affirme sans cesse que l’enfant voudra savoir « d’où il vient ? ». On ne leur demande jamais, à l’inverse, ce que cela peut créer dans la vie de cet homme, s’il a d’autres enfants et/ou une partenaire, de voir débarquer cet enfant qui a été conçu par cet homme cis mais pas élevé par lui-même, sans « lien »… Ni ce que cela fera à l’enfant de sonner chez cet homme inconnu qui a donné du matériel, mais n’a pas choisi d’être père… Non, on ne pose pas ces questions non plus aux couples hétérosexuels, ou très rarement !

Pour moi, on abandonne davantage un enfant quand on se force à l’élever alors qu’on n’arrive pas à être en lien avec lui plutôt que quand, conscient de là où on en est, on décide de le « confier » à quelqu’un d’autre. En Polynésie, on estime que les moins bien placés pour élever un enfant, ce sont ses géniteurs ! Donc on les confie systématiquement à d’autres. Et on ne met pas le mot « abandon » sur cette pratique. Accoucher sous X peut être une démarche très responsable, mais cette démarche est fortement stigmatisée, et c’est cette stigmatisation qui fait souffrir.

J’ai aussi entendu parler d’une autre culture où les femmes sont fécondées de manière anonyme, et les enfants sont élevés par la communauté des femmes.

Il faut être conscient d’une chose : on ne nait pas mère (ou père), on le devient comme Simone de Beauvoir disait qu’on « devient femme » ou pas.

Il y a des hommes qui sont très maternant et des femmes qui le sont très peu. On pourrait laisser tout cela fonctionner spontanément au lieu de culpabiliser les un-e-s et les autres !

Prenons aussi le cas d’un couple d’hommes homosexuels qui décide de faire un enfant : aujourd’hui les deux papas peuvent être proches de la grossesse, de ce qui se passe dans le ventre de la mère porteuse, grâce à l’haptonomie. Et être ainsi présents dès la grossesse jusqu’à la naissance, puis dans l’éducation, sans rupture de lien.

Echanges avec le groupe

  • Jean-Paul : le consentement entre deux adultes est vrai sur le rapport sexuel, pas forcément dans le projet de faire un enfant.

Flo : cela devrait être aussi un consentement sur le fait d’être parents ensemble, mais c’est loin d’être toujours le cas !

  • Marisa : si on reconnaît qu’on ne se sent pas des parents suffisamment bons, c’est déjà énorme !

Flo : oui, c’est être très responsable de faire ça… alors qu’on vous traite en irresponsables !

  • Sandy : jusqu’à 14 ans, je ne me sentais pas fille du tout, je jouais au foot, aux billes…

Flo : on peut être une femme, et ne pas aimer le rôle social de femme, le rapport au corps des femmes… et ça n’a pas forcément un rapport avec le genre. Moi, je me sens plutôt… un homme efféminé ?

  • Dominique : je m’identifiais à tous les héros masculins quand j’étais petite, j’aimais jouer au foot… mais je me sentais très « fille ». De même, j’ai eu des attirances amoureuses pour des filles, alors que je ne me sens pas homosexuelle.
  • Muriel : je pense à un couple d’amis, dans lequel la femme ne se sent pas franchement mère et c’est le père qui s’occupe surtout des enfants. Un jour où ils faisaient les courses ensemble, un commerçant lui a dit, très surpris : « Je croyais que vous étiez veuf » !
  • Socheata : je suis frappée par les catégories très rigides et précises sur ce qu’est un bon et un mauvais parent. C’est très normatif, comme les questions de genre, du reste. De même, un « abandon » repose en grande partie sur le regard normatif que porte la société dessus.

Flo : en fait, il faudrait distinguer l’acceptation du rapport sexuel, l’acceptation d’être géniteur, l’acceptation d’être parent, le fait d’accepter ou non l’identité et/ou le rôle parental…

  • Maurice : les couples lesbiens, n’est-ce pas un réflexe d’égoïsme ?

Flo : ce qui compte, c’est le désir de faire un enfant. Des lesbiennes se posent forcément cette question (alors que ce n’est pas forcément le cas des couples hétéros, pour qui les choses peuvent venir par accident). Si elles y ont pas mal réfléchi, elles trouveront les réponses à apporter à l’enfant. De toute façon, il n’y a pas d’histoire familiale parfaite, sans manque, sans frustration.

Et les enfants sont souvent assez à l’aise avec tout ça. Parfois, dans le métro, des enfants me demandent : « T’es un garçon ou t’es une fille ? » Je peux répondre : « Je suis inter-sexe ». Ou bien : « Tu crois que c’est important cette question ? » En général, les enfants sont à l’aise avec mes réponses, ça ne leur pose pas problème, mais leurs parents si !

  • Jean-Paul : le désir d’enfant n’est pas, en soi, bienveillant. Ce qui peut l’être, c’est la construction d’une famille.

Flo : dans le désir d’enfant, beaucoup de choses se mêlent. Ce peut être, par exemple, l’envie de réparer l’enfant qu’on a été. Il y a aussi la filiation, le patrimoine… On peut aussi avoir envie d’être enceint-e, mais pas d’être parent.

  • Vianney : on est dans des sociétés sexuellement très normées. Comment est-ce compatible avec tout ce que tu évoques ? Quels sont les problèmes auxquels tu te heurtes régulièrement ?

Flo : par exemple, je pense à mes patient-e-s, avant un entretien d’embauche : qu’est-ce que je mets sur mon CV ? Je pense à un établissement scolaire où on a annoncé aux élèves que leur prof de maths était « madame X »… et ils ont vu arriver un barbu !

Le parcours personnel de Flo

Je me considère comme un trans « F to X » (« female » to X »). J’ai pris un peu de testostérone, mais pas beaucoup. Je ne me sens pas un homme, je me sens du sexe « neutre ». Mais je me sens bien en me genrant au masculin, c’est-à-dire en parlant de moi au masculin (« il ») : par exemple, quand on me dit que « je suis tout beau », ça me fait plaisir, mais quand on me dit que « je suis toute belle », j’ai l’impression que l’on parle de quelqu’un d’autre ! J’ai des seins, mais ça ne me gêne pas. Si je ne mets pas mon binder, on me perçoit plutôt comme femme. Si je fais la gueule, je suis plus facilement perçu comme un homme !

Je peux me sentir a-gender, être biologiquement femelle, être attiré par les femmes, trans ou cis, avec beaucoup d’androgéneïté. Je ne suis attirée ni par les hommes cis-genre, ni par les hommes trans. Enfin, jusque-là…

Après, il y a aussi l’orientation sexuelle : homo, hétéro, bi, pansexuel… Certains trans qui sont attirés par les femmes se définissent comme hétéros, d’autres comme queer, etc. Moi, je me définis plus comme « gouine ».

En tout cas, ce n’est pas parce qu’on a une chatte entre les cuisses qu’on n’est pas un homme, et vice-versa !

D’autres histoires

Imaginons, si je continuais à prendre de la testostérone, j’aurais de la barbe, et je pourrais avoir une carte d’identité avec la mention « sexe M ». Mais je peux toujours prendre un rendez-vous avec le gynéco, et je peux même être enceint ! C’est une histoire réelle que je connais. Enceint avec un gros ventre et une barbe : qu’est-ce qu’on dit de lui dans la rue ? Comment va-t-il être remboursé avec sa carte vitale qui commence par 1 ? Par exemple, à l’arrivée à l’hôpital, on peut lui demander : « Elle est où, la maman ? ». Et s’il répond « C’est moi », alors on va se mettre à l’appeler « madame » ! Ça peut être très dur pour lui d’aller voir un gynéco, car celui-ci risque de lui faire la morale : « Alors, comme ça, vous vous sentez un homme et vous voulez porter un enfant ? ».Dans les salles d’attente, les autres parents regardent les couples atypiques de travers.

Prenons aussi les asexuels, hétéro- ou homo-romantiques. S’ils veulent faire un enfant et ont besoin d’assistance médicale, celle-ci risque de leur être refusée ! Surtout s’ils ont tout le matériel médical nécessaire pour ça, mais qu’ils ne veulent pas de rapport sexuel, car ils sont asexuels. Ils vont peut-être entendre : « Oh bah, ils n’ont qu’à faire un effort, se forcer un temps ! » Il y a une injonction de la société à avoir une sexualité, qui doit être génitale et au moins une fois par semaine ! En tant que psy, si on s’appuie sur du matériel théorique très normatif, très hétéro-normé, on peut faire du mal aux gens. En même temps, on ne peut pas nier que cette norme existe et que les gen-te-s y sont confronté-e-s tous les jours…

Autoriser la PMA pour les couples de lesbiennes est en cours de discussion, enfin c’est toujours reporté (alors qu’elle est autorisée pour les hétéros). Elles peuvent aller en Belgique ou en Espagne, mais il faut en avoir la possibilité financière et matérielle. Un couple hétéro-romantique ne peut pas y avoir droit non plus.

De manière artisanale, ça peut se faire à la maison. On peut aussi avoir un rapport d’un soir, non protégé, avec un mec cis par exemple. Ou demander à une copine hétéro de conserver du sperme de son mec. Ou récupérer du sperme dans une back-room. Ou auprès d’un copain sympa qui file son sperme : mais si on sait d’où vient le matériel génétique, que devient la place du deuxième parent ? En plus, souvent, on n’ose pas demander les papiers de dépistage au brave mec ! C’est une prise de risque pour la santé côté HIV (sida) et IST (infections sexuellement transmissible).

Etre parent, ça peut se concevoir à plus que deux. On peut être poly-amoureux, dans plusieurs relations amoureuses où tout est cadré tou-te-s ensemble, en exclusivité ou sans exclusivité (« plan cul », sex friend, rapports sexuels sans relation amoureuse). On peut avoir plusieurs relations et habiter seul-e, ou en colocation avec des gens qui ne sont pas partenaires sexuels ou amoureux. Ou tout le monde peut aussi habiter ensemble : la question se pose alors de savoir si l’on donne une place particulière aux parents biologiques, ou pas ? Quelles sont les places de chacun autour de l’enfant, des enfants ?

Ca me rappelle cette personne qui avait deux relations, l’une avec un homme trans, l’autre avec un couple (lui cis et elle cis-lesbienne). Si le couple a un désir d’enfant, quelle va être la place de chacun ? Qui va vivre avec qui, et comment ? Qui souhaite porter l’enfant ? Avec l’ovule de qui ? et le sperme de qui ?

La famille, ce n’est pas seulement celle qu’on crée, c’est aussi celle d’où l’on vient. Et il y a toujours cette question : comment on le dit à la famille ? Je pense à cette femme qui devait annoncer à sa famille à la fois qu’elle était femme et qu’elle allait devenir mère ! Il y a des histoires de ruptures familiales : des jeunes qui sont mis dehors parce que non conformes… Une femme est venue me voir avec sa « fille qui voulait transitionner ». Je lui ai parlé de mon propre positionnement. En fait, ça l’a rassurée, car elle me testait ! Je lui ai dit : « Vous pourriez venir avec votre… fils ? » Ça l’a fait beaucoup rire : « Oh bah oui, mon fils, vous avez raison ! »

Il y a enfin toutes ces notions d’« instinct maternel » (ou paternel). Et ça me rappelle l’histoire de cette femme qui a eu deux enfants. Le deuxième, à sa naissance, elle n’arrivait pas à l’aimer. Alors l’équipe médicale a choisi de la laisser tranquille avec ça (ce qui doit être assez rare) ! Le bébé était en nurserie et l’enfant de deux ans en garderie, la maman vivait seule. Un jour, elle repasse, voit un bébé dans un berceau, le regarde, s’exclame « Qu’est-ce qu’il est beau ! »… et c’était le sien !

 

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