Comptes-rendus et bilans d’actions

Trois années d’ateliers policiers-habitants à Marseille (2001 à 2003)

Nous avons dirigé des ateliers habitants-policiers en 2001, 2002 et 2003 à L’Ecole Nationale de Police de Marseille. Voici le compte rendu de 2003 à 2001.

 

L’atelier de 2003

Les participants :

Le projet initial prévoyait un groupe composé pour moitié par des élèves policiers de l’ENP et pour moitié par des habitants.

En fait, des défections d’habitants en cours d’action (dues à des raisons de vie personnelle et à des changements de direction d’associations partenaires) nous a amenés relativement vite à un groupe composé de 2/3 d’élèves policiers et 1/3 d’habitants. Pour autant, le groupe a pu mener son travail de confrontation des différents points de vue.

Les partenaires :

En 2003, c’est l’association MCRS qui a été la structure porteuse du projet. Elle a organisé l’action, constitué et suivi le groupe des habitants, assuré le suivi avec l’ENP, organisé la séance publique finale.

L’Ecole de Police a sensibilisé le groupe d’élèves policiers, les a, dans la mesure du possible, libérés pour les séances de travail internes, a mis à disposition une salle de travail, assuré un certain nombre de repas de midi pour les intervenants et les habitants. Elle a également mobilisé les élèves pour la séance publique finale.

Les séances de travail :

Elles se sont toutes déroulées dans les locaux de l’Ecole Nationale de Police de Marseille, de 9h30 à 17h, soit 6 heures chaque fois Il y a eu 12 journées d’intervention avec le groupe, échelonnées entre mai et décembre 2003.

La dernière journée a été ouverte au public le 11 décembre 2003, avec une séance pour les élèves policiers de l’ENP le matin et une séance mixant des élèves policiers et des habitants des quartiers Nord de Marseille l’après-midi.

La vie du groupe :

Comme les années précédentes, le groupe a mis quelques séances à se constituer sur des bases permettant que le travail se fasse. Il faut effectivement que chacun apprenne à écouter le point de vue de l’autre (même s’il est différent) et à ne pas avoir pour objectif absolu de convaincre l’autre de voir les choses autrement. Il faut aussi que les membres du groupe puissent se faire confiance à deux niveaux : d’une part sur la question de la confidentialité des débats ; d’autre part sur la véracité des situations concrètes et réelles relatées par les uns et les autres afin d’être soumises à l’analyse et à la confrontation.

Cette année, l’échange des points de vue a été facilité par le fait que rapidement, au sein du groupe de policiers comme au sein du groupe d’habitants, des points de vue différents sont apparus. Ainsi, au lieu d’avoir  » le point de vue des policiers contre le point de vue des habitants », nous avions différents individus, ayant eu des parcours différents et ne voyant pas les choses de la même manière. Après quelques heurts de départ, le groupe a pu fonctionner dans une ambiance relativement compte tenu du coté « sensible » des questions abordées.

La méthode de travail

Les jeux et les exercices :

Au début de chaque journée, le groupe pratique des jeux et exercices puisés dans notre méthode. Ces jeux ont tous des objectifs multiples, notamment la constitution du groupe, l’échange entre les participants, la prise de confiance en soi et en ses capacités à échanger, à penser et à créer, la prise d’assurance sur ses capacités à exprimer ses émotions et à être entendu sur ses questionnements intimes.

Le théâtre-images :

Nous y avons beaucoup recouru, d’abord pour permettre au groupe de se relancer sur un nouveau sujet, mais aussi, et surtout, pour décoder des situations concrètes, pour mettre en question les images des uns et des autres, pour chercher à interpréter ce qu’il y a dans la tête des protagonistes et de leurs antagonistes ainsi mis en image…

Le théâtre-forum :

C’est la technique essentielle que nous avons utilisée, car c’est cette technique que le groupe a utilisée lors de la séance publique finale. Au sein du groupe, c’est au cours des improvisations des histoires de chacun que le groupe a appris à entendre l’autre et à se mettre à sa place. Le théâtre-forum permet de partir d’une situation concrète et réelle ne laissant que peu de place aux interprétations pour aller progressivement vers une analyse globale et macroscopique de la situation en question.

Les habitants ont amené au groupe des situations vécues (soit comme témoin, soit comme protagoniste) dans lesquelles ils ont des critiques à formuler sur la manière d’intervenir des policiers mais aussi sur la manière des habitants de se situer par rapport à la citoyenneté. Ils ont amené leur connaissance des populations des quartiers Nord.

Les élèves policiers ont amené au groupe des situations problématiques vécues, soit sur les terrains dans lesquels ils ont été stagiaires, soit sur les terrains sur lesquels ils étaient ADS avant d’entrer à l’ENP. Certains ont également amené des histoires dans lesquelles ils ont eu à faire avec la police lorsqu’ils étaient adolescents. Ils ont amené aussi leur connaissance de l’institution police.

Les problématiques abordées :

Cette année, nous avons été frappés par une information que nous avait donnée Monsieur Sibille, le directeur de l’ENP : une étude sociologique réalisée auprès d’un groupe de policiers sur plusieurs années (de leur entrée à l’ENP jusqu’à plusieurs années après leur prise de fonction effective) révèle que la motivation et la fierté du métier des policiers, très forte à leur entrée à l’école, diminue très vite après leur prise de fonction, bref que l’usure professionnelle semble très rapide et très profonde.

Cet élément a été très présent pour nous tout au long de l’intervention et nous a amenés à proposer un travail aux élèves sur  » comment conserver sa motivation et les valeurs qui ont sous-tendu notre choix professionnel « .

La question de l’image des uns et des autres :

Du côté des policiers, la question a été traitée autour de  » comment faire pour ne pas considérer a priori tout le monde comme délinquant potentiel « . En effet, des habitants ont amené cette thématique avec plusieurs récits différents. Et il est vrai qu’il n’est pas si facile de ne pas entrer dans cette vision déformée des citoyens quand on a pour fonction de traquer la délinquance. Nous avons cherché des réponses du côté de la relation avec les autres professionnels, les administrations, les associations… et aussi du côté de la prise en compte de ceux qui voient une intervention policière sans y être impliqués : comment procéder pour communiquer avec ces « témoins « , leur expliquer pourquoi et comment la police intervient… Il y a là un gros chantier de réflexion à mener, nous le disons depuis trois ans maintenant.

Du côté des habitants, la question s’est trouvée en travail avec les récits des difficultés relatées par les policiers dans l’exercice de leur fonction. Par exemple, quand on pense en tant que citoyen :  » A l’accueil au commissariat, quand on va porter plainte, on attend, on n’est pas bien reçus ; celui qui est derrière son bureau ne fait rien et on en voit derrière qui discutent entre eux au lieu de nous recevoir  »

Pouvoir entendre que, du point de vue du policier :  » A l’accueil, c’est souvent bondé, les gens sont énervés et tendus. Souvent, on passe un temps énorme à trouver qui va pouvoir accueillir un SDF ou quelqu’un qui ne va pas bien… On voit là une misère énorme et ce n’est pas possible de compatir avec tout le monde, sinon c’est nous qui déprimerions « .

Nous avons également travaillé en théâtre-images sur des situations, vécues par les uns et par les autres, de relations positives entre citoyens et policiers. Ces images ont été gardées en références pour y confronter les images construites à partir de situations vécues négativement et en faire l’analyse de contenu.

La question des valeurs des uns et des autres : 
Nous avons construit avec les policiers des « images » des valeurs qui ont sous-tendu leur choix professionnel. Leurs images ont été : la fierté de l’uniforme ; la fierté d’appartenir à un grand corps de l’Etat ; le fait de servir ; le fait de protéger ; le respect de la loi ; l’intégrité et la droiture ; le fait d’appartenir à une équipe ; la relation avec les habitants. Ces images ont été des références tout au long de l’intervention. Comment ne pas les perdre de vue au cours de l’exercice professionnel ? Comment agir en posant chacun de ses actes en fonction de ces valeurs ?

Pour ce qui est des habitants, nous avons travaillé à décoder les systèmes de valeurs qui ont cours dans les quartiers Nord en ce qui concerne la délinquance : entre le fait de refuser de cautionner la délinquance (avec la conscience du danger que cela représente pour les jeunes eux-mêmes et pour la vie sociale) et le fait de se plier à la loi du silence (avec la peur des représailles, le sentiment d’être lié aux autres habitants dans le délaissement, la conscience que la délinquance permet aussi à des familles de survivre et maintient ainsi une paix sociale), comment se situer ? Entre être un héros et ne rien faire, comment trouver sa place ?

Le rôle de la police et le rapport à la loi :

Cette question s’est débattue, toujours à partir des histoires concrètes amenées par les uns et les autres, dans plusieurs directions :

La police est une institution de la démocratie. Ses manières d’intervenir soutiennent-elles la démocratie, aident-elles à renforcer la capacité citoyenne des habitants ? Comment pourrait-on avancer dans ce sens ?

Lorsqu’un délinquant est arrêté, le policier se situe-t-il vis-à-vis de lui comme un individu porteur de ses propres valeurs et affects, comme une sorte de substitut de la fonction dite paternelle, ou comme un professionnel appliquant la procédure ? Un délinquant mérite-t-il d’être « engueulé » ou insulté ou bousculé ou frappé ? (et où se situent les nuances entre ces différents termes ?). Sur ce point, les débats ont été houleux dans le groupe : certains exprimant fortement que quelqu’un qui ne respecte pas la loi n’a pas à être respecté et d’autres exprimant que tout policier qui outrepasse ses fonctions en ne respectant pas strictement la loi ne peut plus être perçu comme un représentant de la loi ou, ce qui est plus grave, donne à penser que la loi n’a aucune valeur. . 
Police et justice : il est parfois difficile pour les policiers d’accepter les décisions des juges. Nous avons travaillé à tenter de clarifier les rôles et fonctions de chacun, de permettre la prise de recul et l’analyse globale.

La question du rapport du policier à son institution :

Comme les années précédentes, nous avons travaillé sur l’appui que donne ou ne donne pas l’institution à ses agents lorsqu’ils ont vécu une intervention difficile. Il est possible pour un agent de demander l’appui d’un psychologue, mais cela veut dire qu’il accepte d’assumer une image de faiblesse vis-à-vis des collègues. La mentalité générale ne le permet guère. 
Nous avons travaillé sur  » comment faire lorsqu’un collègue outrepasse ses fonctions ou qu’il a des manquements professionnels ? « . Cette question pourrait se résumer à la réponse simple qui est généralement donnée par l’institution : en référer à son supérieur. Dans la réalité, ce n’est pas si simple car la valeur qui semble avoir cours est plutôt le soutien entre collègues. Dans la police aussi, c’est difficile d’assumer d’être une « balance ». 
Le contrôle d’identité comme procédure normalisée vis-à-vis des jeunes : Nous avons travaillé autour de cette question très sensible. Quand un contrôle d’identité est-il justifié ? Comment l’effectuer ? Là aussi, les débats ont été vifs, les récits concrets nombreux. 
Les élèves ont tendance à penser qu’une personne qui n’a rien à se reprocher ne peut pas mal ressentir un contrôle d’identité.

Les habitants signalent que ce n’est pas le cas, que la généralisation des contrôles ne correspond pas à l’image qu’ils se font d’une république, qu’ils ont le sentiment que cela met tous les citoyens sont transformés en délinquants potentiels… 
Par exemple, nous avons travaillé sur les échanges verbaux dans le cadre de contrôles routiers : des habitants ont mis en question la justification qu’il y a pour les policiers à toujours demander d’où l’on vient et où l’on va et ont demandé si l’on est tenu de répondre à cette question qui leur semblait porter atteinte au droit des citoyens d’aller et venir à leur guise sur le territoire sans avoir à en rendre compte. Les élèves policiers ont été très étonnés par cette question : ils avaient le sentiment que cette question est une question anodine et qu’ils le font pour engager la conversation.

Les images et séquences présentées le 11 décembre 2003 pour ouvrir le débat avec le public :

Les images idéales à l’entrée à l’ENP

1/ Le salut : la fierté de porter l’uniforme et d’appartenir à un corps de l’Etat.

2/ L’arrêt du voleur et l’aide aux habitants. Cette image commence à deux par un policier qui tient un voleur menotté. Dans un deuxième temps, on rajoute un deuxième policier qui rend le sac volé à la victime.

3/ Le policier ami des citoyens : En premier tableau, il y a trois habitants en groupe qui discutent. Puis on rajoute un policier qui passe et les trois habitants lui font un signe de bonjour de la main.

4/ L’interpellation Un homme est plaqué au sol par le policier. L’autre policier le tient en joue. Il s’agit d’une image d’action.

5/ La revue et la mêlée : l’appartenance et l’équipe soudée. En premier tableau, tous sont en colonne, au garde à vous. En deuxième tableau, ils sont en rond comme une mêlée de rugby.

6/ Les félicitations ou la fierté du père Le père tient sa fille par les épaules et la montre en même temps aux autres : elle a réussi son concours d’entrée à l’ENP.

Les situations qui démotivent en stage de terrain : Ces trois images avaient été conçues pour n’être présentées qu’aux élèves policiers car le groupe ne souhaitait pas que ces images soient utilisées pour être généralisées. En fait, après leur présentation du matin, la majorité du groupe a souhaité ne pas en priver les élèves policiers présents l’après-midi. Cela a donc été fait.

1/ Pas de si bon matin : Un stagiaire part en patrouille avec deux agents. Il s’avère que les deux agents font leurs courses personnelles pendant le temps de travail, n’arrêtent pas un jeune qui grille un feu, mais préfèrent mettre un pv à une voiture mal garée parce que cela leur donnera une demi heure d’attente de la fourrière pendant laquelle ils pourront faire des mots croisés. Que faire dans ce cas-là ?

2/ La police est une grande famille : Un stagiaire est en patrouille avec deux agents qui passent leur temps à médire et à colporter des ragots sur les autres agents du service. Que faire ?

3/ A l’accueil : Un stagiaire est à l’accueil aux côtés de l’agent en service. L’agent met en place plusieurs stratégies pour ne pas recevoir les plaintes de gens. Il dit à une femme à qui l’on vient de voler son sac à mains qu’il faut un justificatif d’identité sans lui expliquer quels documents peuvent faire l’affaire en dehors de sa carte d’identité et de son permis de conduire. Il renvoie un homme à qui l’on vient de voler sa voiture vers un autre commissariat : celui de l’arrondissement dans lequel le vol a été fait. Il dit à une femme de frapper à une porte et d’attendre qu’on lui dise d’entrer alors qu’il sait très bien qu’il n’y a personne derrière cette porte. Il pense qu’elle partira d’elle même au bout d’un moment.

Une séquence jouée : le contrôle d’identité : Un groupe de jeunes assis en bas de leur immeuble. Ils se montrent une barrette de résine de cannabis qu’ils se promettent de fumer dans la soirée. Une patrouille de police décide de contrôler leur identité. Les jeunes ont un peu peur que leur cannabis soit découvert et sont en colère parcequ’ils estiment être chez eux et qu’un contrôle chez eux n’est pas acceptable. Le chef de patrouille s’adresse à eux sur un ton désagréable. La tension monte et l’affrontement physique se prépare, les jeunes refusant d’obtempérer. Une policière qui était restée en retrait jusque-là fait un signe au chef de patrouille et prend le relais. Elle explique aux jeunes que cela ne durera que cinq minutes, que c’est un contrôle de routine. Ils acceptent alors de donner leurs papiers. Le troisième policier les fouille un à un. La barrette de haschich est trouvée. Le chef de patrouille la met dans sa poche et dit aux jeunes qu’elle est confisquée. La patrouille de police repart. Les jeunes resteront persuadés que le policier leur a pris leur haschich pour le fumer lui-même. Ils ont le sentiment d’avoir été rackettés par la police.

Une séquence jouée :  » Personne n’a rien vu  »

Les policiers ont été appelés par un habitant de chez lui parce qu’un règlement de compte a lieu dans la rue. Lorsqu’ils arrivent les trois agresseurs sont partis et la victime est au sol. Après les premiers gestes de sécurité, ils questionnent les habitants présents. Aucun d’entre eux ne dira quoi que ce soit qui puisse permettre de reconnaître les agresseurs. Certains feront juste semblant de ne pas savoir, d’autres diront qu’ils ne peuvent parler par peur des représailles, d’autres encore que ce n’est pas leur rôle de dénoncer. Les policiers questionnent ensuite l’agressé. Lui non plus ne veut rien dire. Il dit qu’il réglera cela tout seul et que ce n’est pas lui qui a fait appel à la police. Les policiers entrent au commissariat : affaire classée. Ils ont le sentiment de ne servir à rien et sont en colère contre les habitants. v

Une séquence jouée :  » Frappé sur les bras  »

Un jeune va en centre-ville pour faire des courses. Il n’emporte pas sa carte d’identité. Les policiers cherchent les gens sans papier. Par ailleurs, ils ont reçu un signalement car il s’est passé quelque chose au centre commercial d’à côté. Ils pratiquent donc des contrôles d’identité. Le jeune ne peut fournir ses papiers, il est fouillé, menotté et emmené au commissariat selon la procédure et de manière très polie. Au commissariat, l’agent qui va l’interroger est persuadé que le jeune ment. Il a beau décliner son nom, celui de ses parents, son adresse… l’agent ne le croit pas. Pendant deux heures, l’agent va le questionner en lui frappant sur le bras avec une règle. Un autre policier est présent dans le bureau, mais il ne dit absolument rien. L’agent qui l’interroge finira par envoyer une patrouille chez lui vérifier son adresse et la patrouille reviendra avec la carte d’identité du jeune. Il est donc libéré, mais il demande que l’agent qui l’a maltraité lui fasse des excuses. Celui-ci est parti dès qu’il a su que la patrouille rentrait avec la carte d’identité. L’autre policier lui explique :  » Je serais toi, moi je partirais tout de suite « .

Une séquence jouée : le suicide en gare

Une patrouille est appelée en gare de Marseille. Le central annonce qu’il y a une personne énervée. Lorsque la patrouille arrive, elle aperçoit de loin la personne se jeter sous un train. Le sang gicle, des morceaux de chair aussi… Les gens sont très choqués. L’un des deux policiers appelle les pompiers, assoit les gens choqués… l’autre policière est choquée, elle aussi. Comme les passants, elle vomit. De retour au commissariat, ils racontent aux autres qui réagissent en disant qu’ils en verront d’autres, qu’un policier qui ne supporte pas la mort n’est pas un bon policier… La jeune policière, elle, est en retrait, mais elle entend tout cela et, quand on lui demande si cela va, elle dit « oui, bien sûr ». Le commissaire a su ce qui s’était passé et il l’appelle dans son bureau, lui disant que si elle a besoin d’être aidée, c’est possible. Là aussi, elle décline l’offre, disant que tout va bien. A la suite de cela, elle sera dix jours en maladie.

 

L’atelier de 2002 

L’action engagée en 2002 fait suite à celle réalisée en 2001 avec un groupe composé de 7 élèves policiers de l’Ecole Nationale de Police de Marseille, d’Agents Locaux Médiation Sécurité, de mères de famille et de jeunes des Quartiers Nord. Le travail riche réalisé (début de compréhension des logiques des différents groupes, construction du sens de la relation habitants/police, mise en perspective du contexte local avec le contexte macro-politique) avait incité à poursuivre dans cette voie.
Dans la continuité de ce premier travail, il s’agissait donc de mettre en commun les représentations de la police et des habitants (en particulier des jeunes) sur la question des relations Police/ citoyens. A partir d’histoires et de témoignages apportés par les membres du groupe, du croisement et de l’analyse comparée de ces témoignages, nous avons travaillé à décrypter les images véhiculées et à comprendre les effets produits sur les deux groupes. Cette première phase a permis de progresser et de clarifier les objectifs de chacun, de prendre conscience des fonctions de tous et d’établir des débuts d’interprétations partagées. Le spectacle réalisé lors du colloque de janvier 2003 peut être considéré comme une première étape dans la construction d’objectifs communs.
Les participants : 7 élèves policiers
2 médiateurs acteurs de citoyenneté, membres de MCRS
1 psychologue de 3MS
5 habitants
…. Les partenaires

L’association MCRS qui avait été l’initiateur de l’opération en 2001 est restée le référent. Deux de ses membres ont participé et contribué au bon déroulement de l’opération et Hélène Marx s’est assuré de la bonne coordination de l’ensemble de l’opération, notamment dans la perspective de l’organisation du colloque de janvier 2003.

De la même façon que l’an passé, l’Ecole Nationale de Police de Marseille nous a permis de mener à bien ce projet en facilitant à chaque fois que cela était possible la participation de ses élèves aux réunions mensuelles du groupe. Ainsi la préparation et la réalisation du spectacle de théâtre-images lors du festival de la ville de Créteil a pu se dérouler dans de bonnes conditions. Toutes les séances de travail se sont déroulées dans les locaux de l’Ecole de Police de 9h30 à 17h. Une douzaine de journées de travail ont été réalisées.

L’ensemble des ateliers ont été dirigés par Fabienne Brugel et Jean-Paul Ramat de la Compagnie NAJE, Pierre Lénel étant chargé de la prise de notes lors de chaque séance.

Le fonctionnement du groupe

La règle de la stricte confidentialité a sans doute permis au groupe de trouver dans l’organisation de ce secret vis-à-vis de l’extérieur le premier élément d’une structuration positive. La grande vivacité des échanges n’a finalement pas remis en cause l’écoute nécessaire à ce type de travail. Hors les grands moments de représentation, la vie du groupe a été ponctuée par des moments clés (histoires d’injustice, débat sur la confiance et la capacité du groupe à assumer une présentation d’images au festival de la ville de Créteil) porteurs à la fois de tensions mais aussi de confrontations au réel du travail : la question du politique et du sens du travail mené par la Compagnie NAJE a pu être abordé. La méthode du théâtre de l’opprimé permettait alors de réguler des échanges qui parfois pouvaient revêtir une certaine virulence. Notamment, le passage par les images permettait d’instaurer une certaine distance, de dépersonnaliser les échanges et de faire apparaître la relation habitants/policiers comme un prisme du rapport social.

Méthode de travail

Trois points doivent être particulièrement soulignés et ont été mis en oeuvre au cours de ce travail :

 les jeux et les exercices (1.)

 le théâtre-images (utilisé dans la plupart des séances, il a constitué l’intégralité du spectacle de Créteil) (2.)

 le théâtre-forum (utilisé pour la présentation du spectacle lors du colloque de janvier à Marseille) (3.)

1.

Les jeux ont été régulièrement utilisés, quasiment à chaque réunion du groupe habitants /policiers. Contribuant à une mise en situation dynamique des individus et du groupe, ils ont contribué à constituer le socle permettant un échange entre les participants. Le caractère ludique permet aux participants de trouver en eux les ressources pour exprimer leurs émotions, reconnaître les différents types d’expression possibles et se préparer ainsi dans les meilleurs conditions au théâtre-images.  » L’espace de jeu  » (Sibony) est bien le ferment de toute relation potentielle entre les personnes. L’étonnement, voire la crainte du début a vite laissé place au jeu, à la  » demande de jeu « . De mise en jeu, le jeu devient ainsi régulateur d’un fonctionnement de groupe. La constitution du groupe qui en découle permet également de faire le lien entre expérience intime et mise en évidence de la relation qui existe entre intime et espace public.

2.

Contrairement à l’expérience de 2001, le théâtre-images constituait un objectif en soi puisque le groupe avait retenu l’idée de présenter un travail sous cette forme dans le cadre du festival de la ville de Créteil. Il a d’abord permis au groupe de rechercher, en commun, les problématiques désirées. Si le théâtre-forum permet de rechercher avec les publics les moyens d’avancer dans la proposition de solutions, le théâtre-images constitue bien souvent l’étape essentielle. Il découle parfois naturellement des jeux qui ont été réalisés.

Une dizaine d’images ont ainsi été proposées dans le cadre du festival de la ville de Créteil (une vidéo a été réalisée à cette occasion) :

 un jeune des quartiers devient policier et retrouve ensuite ses copains : la trahison ?

 les multiples formes de la présence de la police dans un quartier : les facettes du métier ?

 un vol de billets au distributeur en présence de CRS : que fait la police ?

 un commissariat bondé et sous tension(s).

 l’attente angoissée d’une femme au commissariat : l’empathie des policiers ?

 l’intervention de policiers au domicile d’un couple dont le mari est violent : comment intervenir ?

 des jeunes dans un quartier, certains trafiquent, les policiers interviennent suite à un  » bras d’honneur  » et l’un des jeunes se rebelle : que révèle cette situation ? 
 une agression dans un quartier : comment témoigner ?

 les policiers soumis aux pressions : comment exercer son métier ?

Le spectacle de Créteil a constitué une étape essentielle dans la construction de la confiance entre tous les participants du groupe : confiance en la capacité du groupe de présenter un travail intéressant en dépit des difficultés et tensions qui avaient pu surgir dans la préparation ; confiance également en la compagnie NAJE pour animer et construire en toute  » objectivité  » un spectacle et un débat : cette question de la confiance avait en effet été très directement posée par certains membres du groupe et avait conduit à un débat sur les conditions minimum nécessaires du travail, sur le sens du travail et sur la dimension politique du type de travail mené par la compagnie. Nous y reviendrons.

Cette méthode a permis de faire travailler spécialement les situations difficiles, les situations où l’on ne sait pas, là où l’on ne peut pas dire :  » lui il est pourri  » par exemple. On travaille les situations où il y a débat là où lorsque l’on a exposé les éléments un peu sérieusement il est difficile de trancher.

A partir du constat simple qu’en France il existe un problème de relations entre habitants et policiers, différentes thématiques ont été abordées. Il ne s’agissait pas en effet de faire changer l’état d’esprit des uns ou des autres mais d’essayer ensemble d’avancer dans la compréhension mutuelle et la recherche de solutions en commun.

Les thématiques abordées

Ces thématiques sont en réalité imbriquées entre elles et nous les séparons analytiquement uniquement pour les besoins de l’exposé. Nous en présenterons simplement quelques-unes, celles qui nous paraissent centrales dans les mécanismes subtils et discrets de la relation habitants/policiers. Elles ont émergé à l’occasion des histoires racontées par les habitants, histoires mises en images afin que chaque participant puisse s’approprier la situation et donner aux autres son  » interprétation  » des faits rapportés.
Les images croisées (positives et négatives) des deux groupes ont constitué un des moments privilégiés pour l’élaboration de ces thématiques communes.

Nous privilégierons cette année des problématiques transversales (voire communes) et plus théoriques que l’an passé. Cela nous permettra de constituer une base pour le bilan commun aux différents partenaires et de mieux préparer les conditions d’un dialogue.

La question du respect

Comme l’année dernière, la question du respect est apparue centrale aussi bien du côté des policiers que du côté des habitants.

Pour les policiers, elle se pose aussi bien à l’encontre des habitants qu’au sein de l’institution ( » je respecte les chefs, mais ils doivent prouver qu’ils sont respectables « …). Ce point nous renvoie directement à la question du programme institutionnel que nous aborderons plus loin.
Il ne faut pas  » se laisser démonter  » : le respect de soi, des chefs, certes, mais sous condition de légitimité : aujourd’hui sur quoi repose cette légitimité ? 
Ce constat rejoint celui de l’an passé : il n’est plus question aujourd’hui de pouvoir exiger a priori un respect de l’uniforme. Le respect doit nécessairement être fondé soit en droit, soit en fait.
Notons que cette exigence n’est pas propre à l’uniforme ou à la fonction de policier : elle se retrouve dans toutes les sphères de la société (hôpital, éducation). En conséquence, le respect ne peut être que co-construit par les parties en présence. Cette co-construction d’ailleurs est non seulement requise entre les habitants et les policiers mais au sein même de l’institution.
La question du respect semble constituer une des dimensions très forte de l’identité. Elle renvoie également à la capacité de  » s’arracher de soi  » pour se respecter (se regarder dans une glace). Ce n’est pas le lieu ici de s’interroger sur la prégnance de cette notion ni sur les figures qu’elle prend. Notons simplement qu’elle doit sans doute s’articuler à la question de la virilité ( » Il y a des principes chez moi : tu peux m’insulter de tout sauf de cela « ), question que l’on retrouve aujourd’hui dans de nombreux travaux de sociologie ou de psychopathologie.

Le respect (des principes, de soi, de sa lignée, etc.) est un des ferments des processus qui conduisent à la violence (physique, symbolique) : dans de nombreux cas, l’apparition de la violence s’articule sur le déni de valeurs perçues comme légitimes (habitants ou policiers, les mécanismes sont les mêmes).

Justice, injustices et reconnaissance

La question de la justice s’articule d’abord très fortement avec celle de la confiance (principalement du côté des habitants) et de la reconnaissance :  » de ce que je suis, de ce que je peux faire, de ce que je peux apprendre « .
Il y a une sorte de demande de justice a priori, renvoyant uniquement à la personne, une exigence quasi anthropologique : c’est bien la reconnaissance qui est en jeu.
Dans le même temps, et paradoxalement, tout est constamment en train de se construire ou de se déconstruire : rien n’est donné a priori et pour toujours. Exigence universelle donc dont les conditions sont à construire au quotidien…

Injustice encore lorsque qu’au nom du respect de principes supérieurs une personne est obligée de quitter son emploi. La clarté des principes ou valeurs respectés s’accommode mal des petits arrangements quotidiens qui se transforment alors en une grande injustice et structurent tout le comportement pendant de longues années suivantes.
Les principes hiérarchiques de l’institution entrent alors en conflit avec les principes supérieurs : l’injustice est ressentie lorsque ce sont les principes hiérarchiques qui l’emportent. Cette perception des conflits moraux nous renvoie à ce que Georges Orwell appelle la  » common decency « . Nous y reviendrons plus loin.

Enfin, justice et égalité de traitement (injustice et application bureaucratique du règlement) : l’égalité (républicaine) peut contribuer à nourrir un fort sentiment d’injustice : la confrontation des logiques des acteurs est alors redoutable pour le maintien d’un minimum d’échange. Les conditions d’un dépassement de cet état de fait ne semblent pas aujourd’hui réunies : comment dépasser cette incompréhension ?

La confrontation quotidienne des lois et des valeurs n’est pas particulièrement neuve (que l’on songe à Antigone). Simplement, dans le contexte contemporain et spécifiquement dans celui qui nous occupe ici, cette guerre des dieux prend une signification particulière : elle contribue à opposer des groupes et à stigmatiser car elle se retrouve très quotidiennement et n’est que trop rarement interprétée en termes de conflits de valeurs. 
Dans le meilleur des cas, elle aboutit à une remise en cause de l’institution dans ses dimensions bureaucratiques (au mauvais sens du terme).

Encore une fois, insistons sur le fait que cette incompréhension est partagée par les habitants comme par les policiers :  » on ne demande que justice  » mais toute la justice dans la perception des actions.
Au-delà des classes, des appartenances, les sentiments d’injustice, de non-reconnaissance, voire d’insécurité sont partagés.
On touche du doigt la difficulté de se mettre dans des situations qui ne sont pas les siennes : les lieux d’aide à l’ouverture, à la connaissance de l’autre semblent rares.

La logique de la violence

La violence (physique) apparaît, dans bien des histoires rapportées, comme routinière, habituelle. Elle finit par faire partie du quotidien des habitants qui évoquent la  » loi de la rue  » : la violence comme loi. On touche là un problème de culture, c’est-à-dire de limites, de tolérance : qu’est-ce que je tolère ? A partir de quel moment ? Cette tolérance est-elle fonction de l’endroit dans lequel je me trouve, de la situation ?
Le mécanisme de la violence apparaît  » naturel « , ou en tous cas il semble quasiment impossible de s’y opposer. A tel point que du côté des policiers, si l’on refuse la violence on peut être amené à ne plus intervenir dans certains endroits réputés tels.

C’est dans ce cadre que le phénomène concret des pressions a été longuement abordé : pressions sur les habitants pour qu’ils ne témoignent pas, pressions sur les policiers pour qu’ils ne fassent plus (ou différemment) leur travail. Il semble que la régulation de ces difficultés soit notoirement insuffisante au sein de l’institution.

Cet exemple concret est typique des mécanismes de la relation policiers/habitants. Il est significatif également des menaces qui pèsent sur la common decency : nous y reviendrons.

Impuissance et incompréhension

L’impuissance des uns nourrit celle des autres. Cette impuissance pourrait paraître paradoxale : impuissance face à l’Etat et impuissance de l’Etat. 
Cette double impuissance au lieu de se reconnaître se méconnaît : pas de reconnaissance de l’une par l’autre. Elle conduit à des phénomènes d’incompréhension qui peuvent se radicaliser en violence (physique ou symbolique) : les réflexes  » anti  » fonctionnent tout le temps, ils sont devenus le terreau de la  » communication « .

La symétrie des problématiques entre les deux groupes est frappante dans leur articulation et leur développement logique. Du point de vue de la logique procédurale elles sont donc exactement équivalentes et devraient être traitées démocratiquement de manière équivalente.

Perspectives de travail et apports théoriques

Respect et discussion

 » Le respect est une notion controversée car il est souvent considéré comme une valeur conservatrice ou, plus précisément, un moyen particulièrement sournois de faire taire ceux qui auraient des velléités de rébellion contre l’ordre établi. L’irrespect apparaît alors comme une valeur de révolte antiautoritaire ou, plus simplement comme un moyen de liberté qui secoue la sclérose des relations humaines « .
Mais cette conception s’explique par le privilège accordé à l’un de ses compléments : celui de l’ordre établi et des institutions sacrées. Si l’on considère le respect d’autrui,  » le respect apparaît d’avantage comme une valeur de solidarité et de progrès que de conservation et, loin d’être un concept réactionnaire, il peut être un concept subversif « .
On voit bien l’ambivalence de cette notion qu’il est difficile d’élever au niveau du concept. La demande de respect rencontrée des  » deux côtés  » peut recouvrir de nombreuses significations ou revendications : demandes de respect pour la personne, exigence de respect pour l’institution, respect de l’origine, on voit bien que cette revendication peut soit renforcer l’incompréhension, soit au contraire porter les ferments d’une discussion. 
Les deux principaux niveaux de demande de respect sont bien présents : d’un côté une exigence a priori du respect de l’institution, de l’autre une demande de respect d’autrui. La confusion peut s’installer lorsque dans certains cas critiques, le rabattement de l’institution sur une personne conduit à la confusion des deux formes de respect et brouille une éventuelle reconnaissance légitime de cette revendication.
Si l’irrespect avait pu apparaître comme une vertu subversive, on voit bien aujourd’hui que le contexte a changé et que le  » respect  » porte en lui au moins autant de pouvoir subversif. Dans certains contextes  » difficiles « , le respect d’autrui n’est-il pas la marque d’un effort sur soi, ce qui est bien la définition de la subversion ?

Le déclin du programme institutionnel

Le travail de ce groupe atteste sans doute à sa façon du glissement ou de ce que certains appellent le déclin du programme institutionnel : le travail de policier peut être lu comme un travail sur autrui, c’est-à-dire les activités professionnelles qui visent à transformer autrui. Le maintien de l’ordre a fait place à l’agir communicationnel, les liens fonctionnels ont fait place à la communication et à l’action sur autrui. C’est sans doute ce passage qui crée des difficultés dans les relations policiers habitants.
On peut interpréter la demande des habitants à la fois à la lumière du maintien de l’ordre (le fonctionnel et l’action sur la matière) et de l’agir communicationnel dans lequel le respect occupe une place centrale.
Le travail sur autrui est une médiation entre des valeurs universelles et des individus particuliers. Le travail de socialisation est une vocation parce qu’il est directement fondé en valeurs. Ce programme croit que la socialisation vise à inculquer des normes qui conforment l’individu et, en même temps, le rendent autonome et  » libre « .
On voit bien la difficulté aujourd’hui de ce travail. Il est devenu une expérience composite et c’est bien ce qu’expriment de différentes façons les policiers rencontrés ; et c’est encore plus frappant d’autant que nous avions affaire à des élèves policiers.
Les élèves policiers  » savent  » qu’ils seront confrontés dans l’exercice de leur mission à la sortie de ce programme institutionnel. En ce sens ce type d’expériences de rencontre avec des habitants constitue l’une des manières de se préparer à la difficulté de l’expérience de terrain qui n’a sans doute jamais aussi bien porté son nom…
La difficulté de l’ancrage dans un rôle rencontre les années de la liberté et de l’obligation d’être libre.
C’est bien le mode de légitimité qui est en jeu. Toute la difficulté pour les policiers étant de reconnaître la nécessaire co-construction de cette légitimité avec les habitants ; et pour les habitants, d’admettre la légitimité institutionnelle. Egalement pour les habitants, ils sont bien forcés de comprendre que en dépit de la fragilisation du programme institutionnel, la reconnaissance et la légitimité des institutions ne peut être totalement niée. Simplement il faut trouver pour eux aussi les voies et moyens d’une légitimité acceptable.
Le problème est alors le suivant :  » c’est la discussion et le débat rationnel qui fondent les principes communs de l’action dès lors qu’ils ne peuvent être justifiés par la tradition, la volonté divine ou le désir commun de faire société. Mais cette réponse suppose que les acteurs de la démocratie soient déjà formés et socialisés, et surtout elle implique une égalité formelle des individus « .
Sans doute, ce serait un contresens et un anachronisme que de concevoir simplement le programme institutionnel comme un appareil à produire de la discipline et à justifier la violence ; il ne devient cet appareil que dans la mesure où nous ne croyons plus aux principes qui les fondent. Alors la violence et le contrôle sont nus :  » …le programme institutionnel engendre un type particulier de croyances : des fictions nécessaires auxquelles les acteurs ne croient pas vraiment, mais auxquelles ils ne peuvent renoncer sans que leur travail se vide de sens. Ce ne sont ni des idéologies, ni des convictions morales, mais des cadres cognitifs et moraux indispensables à l’accomplissement du projet de socialisation  »

Ce sont ces cadres qui aujourd’hui des deux côtés sont perçus comme fragilisés et qu’il est nécessaire de reconstruire.

La common decency, une ressource pour cette reconstruction ?

Ce constat ne doit pas nous conduire à une vision tragique de la relation policier/habitants ni à un renoncement à un programme institutionnel quel qu’il soit. Un des apports de ce travail consiste également à notre avis en la mise en évidence de ce que Georges Orwell appelle la  » common decency « . De quoi s’agit-il ? Dispositions éthiques et psychologiques partagées par l’ensemble de la classe populaire (même si elles peuvent également se retrouver au sein d’une autre catégorie de la population), sentiment intuitif  » des choses qui ne doivent pas se faire  » si l’on veut rester digne de sa propre humanité quand les circonstances l’exigent et si l’on cherche à maintenir les conditions d’une existence quotidienne véritablement commune, la common decency pourrait constituer un socle sur lequel s’appuyer.
En effet, ces deux dimensions (être digne de sa propre humanité, maintenir une existence quotidienne commune) se retrouvent exactement dans les histoires qui nous ont été rapportées que ce soit par les élèves policiers ou par les habitants. Du côté des habitants la question du témoignage, lorsque que l’on se retrouve en présence de violences inadmissibles, est exemplaire de cette volonté de maintenir sa dignité et de maintenir les conditions d’une existence commune. Du côté des élèves policiers, le respect de certaines valeurs qui peut conduire à des comportements contraires au règlement (ce qui ne veut pas dire que le règlement est construit en opposition à ces valeurs) peut également s’expliquer au regard de cette common decency. On voit donc bien à travers ce type de travail que les conditions d’une entente minimum sur un certain nombre de principes sont réunies. Cette entente constituerait le socle des cadres moraux et cognitifs que nous avons évoqués. Simplement le contexte, l’évitement réciproque, l’enfermement dans des logiques de défense ne favorisent pas la reconnaissance chez les uns et les autres de ces dimensions.

Le monde commun existe, il suffit de lui proposer les conditions de son émergence.

L’intérêt de la référence à Orwell est d’insister à la fois sur les complexes historiques singuliers et sur l’universalité de cette réciprocité. C’est sans doute sur ce fonds, ce monde vécu, qui n’est pas commun au sens où il s’ancre sur des fondations métaphysiques diverses, qu’il est possible de fonder un agir communicationnel, celui-ci étant constamment ancré sur cette common decency. Le travail de l’institution consisterait alors à contribuer à faire reconnaître cette common decency et à admettre que le programme institutionnel ne peut plus être appliqué comme il l’était au 19ème siècle mais que pour autant son ambition peut encore être maintenue.

C’est en ce sens que l’histoire de la  » trahison  » de l’élève policier issu d’un quartier qui essaie de retrouver l’amitié de ses camarades est vécue douloureusement par lui. La rupture de ce qui se fait ou ce qui ne se fait pas nécessite une réelle discussion qui a effectivement bien peu de chance de se réaliser.
C’est bien cette common decency qu’il faut s’efforcer de mettre en évidence si l’on veut lutter contre la désassociation de l’humanité : le travail réalisé tout au long de cette année s’inscrit bien dans cette perspective. La capacité morale des hommes à s’obliger réciproquement pourrait constituer le ferment d’une restauration d’un programme institutionnel partagé et de ne plus vivre sans but dans une époque sans pouvoir.

Conclusion provisoire

Si l’on prend au sérieux l’hypothèse du  » déclin du programme institutionnel  » et en même temps celle de l’existence d’une  » common decency  » alors on voit bien l’urgence qu’il y a à créer des espaces publics de discussion réunissant l’ensemble des partenaires afin de prendre acte de cette crise de la régulation du système républicain français. Articuler la construction républicaine, l’institution police et les quartiers au sein d’une même réflexion nécessite de prendre acte de ces difficultés, d’y faire face plutôt que de renvoyer dos-à-dos les différents protagonistes. L’espace public, fut-il républicain, ne peut plus aujourd’hui se décréter. Il doit, pour pouvoir se réaliser, s’appuyer sur la réalité des mondes vécus des personnes, mondes vécus qui s’ils peuvent paraître parfois éloignés ou se référer à des valeurs antinomiques, n’en sont pas moins animés de logiques axiologiques proches ou similaires, ce qui permet d’envisager un minimum de vie commune.

Bibliographie

Augusto Boal :

Théâtre de l’opprimé, Paris, La Découverte, 1996.

 Jeux pour acteurs et non-acteurs, Paris La Découverte, 1997.

François Dubet, Le déclin de l’institution, Paris, Seuil, 2002.

Jurgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard, 1997.

Georges Orwell, cité in Jean-Claude Michéa, Impasse Adam Smith, Castelnau-le-Lez, Climats, 2002.

Patrick Pharo, La logique du respect, Paris, Cerf, 2001.

Daniel Sibony, Entre-deux, Paris, Seuil 1991.

L’atelier de 2001

Les participants :

Le projet initial prévoyait l’intégration dans le groupe d’élèves policiers, de policiers en exercice et d’habitants. Les autorités compétentes avaient été rencontrées et avaient donné leur aval. Mais du fait des lenteurs administratives et du changement du préfet de Police, les policiers en exercice n’ont pu être partie prenante.

Le groupe a été composé comme suit :
7 élèves policiers
2 membres de MCRS
1 jeune adulte du 14ème 
4 habitantes du 14ème mobilisées par Schebba dont deux jeunes adultes et deux mères de famille
2 ALMS 
1 psychologue de 3MS

Les partenaires :

Le partenariat a été effectif et riche entre les structures porteuses de l’action soit la compagnie N.AJ.E. et l’association MCRS. Chacun a su assumer pleinement sa fonction en collaboration avec l’autre.

L’Ecole de Police a été attentive à mettre à disposition ses élèves policiers, une salle de travail… Des réunions de synthèse ont été programmées avec Monsieur Esposito -chargé de la promotion concernée- et monsieur Civil – Directeur de l’Ecole afin de les tenir informés du déroulement de l’action, des problématiques soulevées et obtenir d’eux les renseignements que les élèves n’étaient pas en mesure de nous donner concernant le fonctionnement de l’institution. Mais Monsieur Esposito et monsieur Civil n’ont pu se libérer pour venir passer un temps dans le groupe même malgré nos demandes et notre regret.

En ce qui concerne l’association 3MS, si le psychologue engagé dans l’action a toujours été présent et d’une manière très positive, les ALMS n’ont pas participé régulièrement : il semblerait que des difficultés quand à la circulation de l’information dans leur association n’aient pas permis à chacun de cerner clairement le sens et les objectifs de cette opération.

Les séances de travail : Elle se sont toutes déroulées dans les locaux de l’Ecole Nationale de Police de Marseille de 9H 30 à 17H soit 6 heures chaque fois Il y a eu 12 journées d’intervention avec le groupe, la dernière ouverte au public.

La vie du groupe :

Les premières séances ont été relativement difficiles pour tous, les habitants se décourageant de n’être pas entendus par les élèves policiers et les élèves policiers vivant mal les remises en cause de leur institution par les habitants.

Puis le groupe a trouvé son mode de fonctionnement interne et s’est finalement constitué en un groupe solidaire et chaleureux :v D’une part les repas pris en commun une fois sur deux à l’association Shébba et le travail relationnel mené par le salarié de MCRS ont permis de vivre -hors travail- des moments de convivialité… ensemble.
D’autre part, au sein des ateliers, la conduite stricte de la méthode a permis d’éviter les débordements, d’apprendre à chacun à exprimer ses idées, son histoire en tenant compte des sensibilités des autres et sans violence verbale. Petit à petit, la tension interne s’est calmée laissant la place à des échanges riches avec une écoute des uns par les autres dans le soucis de comprendre comment l’autre fonctionne. Les remplacements de rôles des uns par les autres ont également permis à chacun de tenter de  » se mettre dans la tête de l’autre « . A partir de là, les mises en cause des fonctionnements des uns et des autres ont pu être plus vrais, plus profonds aussi bien que plus analysés, le théâtre de l’opprimé constituant un langage commun au groupe.

La confidentialité de nos échanges à été tenue, semble-t-il, de manière rigoureuse par chacun. Cette confidentialité a constitué également un élément de structuration du groupe. Elle était par ailleurs nécessaire pour que puissent se dire les histoires douloureuses, les doutes…

La méthode de travail

Les jeux et les exercices :
Au début de chaque journée, le groupe a pratiqué des jeux et exercices puisés dans la méthode Théâtre de l’Opprimé. Ces jeux avaient tous des objectifs multiples, notamment la constitution du groupe, l’échange entre les participants, la prise de confiance en soi et en ses capacités à échanger à penser et à créer, la prise d’assurance sur ses capacités à exprimer ses émotions, à être entendu sur ses questionnements intimes. Les jeux ont eu-même amenés des questionnements du groupe sur la problématique de la relation police-habitants.

Le théâtre-images :
Nous y avons eu recours beaucoup afin de permettre au groupe de se relancer sur un nouveau sujet d’une part, mais surtout pour décoder des situations concrètes et pour la mise en question des images des uns et des autres, pour chercher à interpréter ce qu’il y a dans la tête des protagonistes et des leurs antagonistes ainsi mis en image… Le travail en théâtre-images s’est révélé très riche : c’est essentiellement lui qui a permis aux membres du groupe d’acquerrir les capacités d’une analyse intellectuelle et sensible des problématiques soulevées.

Le théâtre-forum :
Nous avons utilisé cette technique à chaque séance, plutôt en deuxième temps de travail. Elle s’est avérée très utile pour provoquer des déplacements car elle permet un travail très fin sur la recherche de  » comment aurait-on pu faire autrement  » en intégrant les conséquences de chaque essai -si minime soit-il- de transformation sur les policiers comme sur les habitants, en donnant au groupe les capacités d’une analyse des situations sur les différents enjeux et sur les différents niveaux qu’elles comportent. Le théâtre-forum permet de partir d’une situation concrète et réelle ne laissant que peu de place aux interprétations pour aller progressivement vers une analyse globale et macroscopique de la situation en question.

Les problématiques abordéés :

Il n’est pas question içi de dévoiler les histoires concrètes amenées par les uns et les autres : nous sommes tenus comme les participants au contrat de confidentialité que nous avons passé ensemble.
Il est cependant possible de faire une liste non exhaustive et simplifiée des thèmes qui ont été abordés.

La question du respect.

Elle se pose des deux cotés :

Nous avons noté, qu’en l’absence d’une réflexion de fond sur les fondements philosophiques et politiques de la police dans une république démocratique, et dans un contexte devenu ou perçu comme difficile pour les policiers, ces derniers ont pour tendance première de demander aux citoyens un respect à-priori de l’uniforme, c’est à dire de la fonction de l’institution et de la fonction de chaque fonctionnaire qui l’incarne. C’est cet  » à-priori  » de leur demande que nous avons questionné car il ne tient guère compte de l’histoire (histoire personnelle des uns et des autres avec le cortège d’expériences douloureuses des habitants, et histoire nationale et internationale) Il y a là un risque de confusion entre la personne du policier et sa fonction (Quand le policier est insulté, qui est insulté ?, Et quand le policier réagit, est-ce la personne qui réagit avec ses émotions ou le représentant d’une institution avec des objectifs pour le présent comme pour le long terme dictés par les buts fondamentaux de sa fonction ? Les réponses sont évidemment très différentes selon la manière dont se positionne le fonctionnaire de police mais nous avons eu quelques récits de pratiques douteuses et sortant du cadre légal de l’exercice de la profession quand se faire respecter devient l’objectif premier  » La loi c’est moi ».) Nous ne les avons bien évidemment pas gnéralisés mais pris comme tels : des situations qui existent aussi.

Du coté des habitants, nous avons également travaillé cette question à partir des histoires des uns et des autres concernant des relations avec la police, celles vécues comme positives et celles vécues comme blessantes. (Quand et pourquoi avons nous le sentiment d’être respecté comme personne et comme citoyen, quand, comment et pourquoi avons nous le sentiment inverse ?)

La question communautaire :

C’est une très large question et nous ne l’avons abordée que sous certains de ses aspects. La Police tache d’intégrer des personnes d’origine étrangère ; ses objectifs sont multiples. Nous ne nous sommes pas arrêtés sur la recherche de ces objectifs mais sur les difficultés spécifiques de ces fonctionnaires français d’origine étrangère comme sur les apports qu’ils amènent.
En ce qui concerne les difficultés, nous avons noté des problématiques autour de ce que nous nommerons  » le sentiment d’appartenance communautaire « . Suis-je d’abord représentant de l’Etat en tant que fonctionnaire ou suis-je d’abord membre d’une communauté minoritaire ? Les manières de se situer varient bien évidemment en fonction des individus, mais la question reste posée et en suspens souvent avec des situations douloureuses vécues et non résolues : quand un monsieur d’origine magrehbine dit au policier -d’origine magrehbine lui aussi- qu’il est un  » traître à sa race « , mais aussi quand un policier de religion musulmane n’arrive pas à concevoir qu’un musulman comme lui ne se conduise pas bien et  » salisse  » tous les musulmans….
En ce qui concerne les apports, il nous semble que, si l’institution Police a avancé sur ce point, sa volonté républicaine de ne pas prendre les origines en compte constitue une limite dans sa capacité à utiliser les compétences propres des fonctionnaires d’origine étrangère en matière de connaissance des quartiers et des cultures étrangères. Il n’y a pas d’échanges institués entre les policiers sur ce point.

La question du regard des uns sur les autres

Nous avons abordé la question des traces de l’histoire (la guerre d’Algérie, la guerre du Golfe, l’Afghanistan…)
Surtout, nous avons travaillé sur les modifications de perception qu’amène inexorablement une fonction particulière : les policiers apprennent de fait à ne parler des gens qu’en termes d’individus et à classifier ses individus dans des catégories qui ne nous ont pas toujours paru efficaces en terme de transformation de la relation de la police aux citoyens. Leur fonction étant du coté du répressif, il n’y a qu’un pas, parfois vite franchi, d’individu à suspect. Ainsi, au fil du temps, les citoyens ne sont plus perçus que comme suspects potentiels, non comme citoyens. Cela colore évidemment beaucoup la relation qui s’installe. 
Nous avons cherché comment il est possible de limiter ce phénomène, quel travail cela nécessite au quotidien, quel appui apporte l’institution à ses fonctionnaires sur ce point. Il nous semblerait judicieux quoi qu’un peu irréaliste, que la police organise régulièrement des ateliers d’échange avec les citoyens et invente des situations d’échange sur les terrains qui soient décalées de la fonction habituelle des policiers.

La question des modes d’intervention policières au regard de l’objectif de développement de la citoyenneté.

Les procédures d’intervention sont essentiellement basées sur la sécurité, ce qui est absolument primordial. Il n’en reste pas moins que, généralement, les policiers prennent peu en compte les  » spectateurs  » de l’intervention. La brigade, quand elle intervient, est soumise à un stress important et écarte les passants. Il se perd là une vraie occasion de travailler sur le positionnement de la police, d’expliquer le sens de son intervention dans une république, d’apprendre à tous à se considérer comme citoyen en les considérant à priori comme citoyens… et pour les policiers d’apprendre à gérer la place des citoyens. En effet, toute intervention de la Police marque ceux qui en sont témoins, d’autant plus ceux qui en sont les objets ; c’est à partir de là que les images se construisent, que le sens est perçu.

Dans le cadre de la police de proximité, les policiers sont poussés à développer le partenariat avec le tissus social. Si leurs partenaires historiques sont les commerçants (ce qui pose encore d’autres questions), comment entrer en relation avec une association et surtout pourquoi ? Les policiers semblent souvent démunis : pourquoi aller voir les associations ? Pour  » se planquer  » et être au calme pendant que les autres  » vont au charbon « , pour leur demander des  » renseignements  » qu’il n’est pas leur rôle de donner… Bref, il semble que la police se cherche sur ce terrain là. Comment déterminer des objectifs clairs en ce qui concerne les relations associations – policiers ? Ce point pourrait faire l’objet d’un grand chantier de travail .

Nous avons travaillé également sur les relations entre policiers et médiateurs. Là aussi nous avons noté la difficile mise au point de ce que pourrait être le partenariat entre ces deux fonctions si proches et si éloignées, parfois complémentaires, parfois antagonistes, parfois concurrentielles…

La question des fonctionnements internes de la police qui nous paraissent à questionner sur certains égards même s’ils sont parfaitement efficaces à d’autres égards.

La hiérarchie et le respect du supérieur sont intégrés dès l’école comme des valeurs primordiales, et chacun en comprend l’intérêt. Cependant, cette culture de la hiérarchie s’avère aussi être un frein à la notion de travail d’équipe. Une brigade en intervention suit les directives de son chef de brigade sans qu’il soit même imaginable de les questionner ; ainsi une seule personne décide. Il est évident qu’il y a des situations d’urgence dans lesquelles ce type de fonctionnement est nécessaire et vital pour la sécurité des policiers mais pas toujours. Les policiers interviennent le plus souvent alors qu’ils ont reçu de leur central très peu d’informations. Comment apprécier la situation au plus près alors ? Nous avons vu qu’il serait souvent possible de prendre quelques secondes de concertation de l’équipe afin de mixer les appréciations différentes des uns et des autres mais que cela ne fait pas partie du fonctionnement habituel.

De même, il est très difficile et périlleux de dire son désaccord avec la pratique d’un collègue. La loi de la cohésion, de la solidarité et aussi la loi du silence fonctionnent dans ce corps comme elle fonctionne dans le quartier. Pour la police aussi, être une  » balance  » est une infamie.

Le manque d’appui institutionnalisé aux policiers qui ont été victimes de coups ou d’insultes. Il n’y a pas de temps de reprise de ce qui s’est passé pour le policier. L’on considère que c’est son métier de savoir faire avec cela. Pourtant, il est des situations où cela serait judicieux d’en prendre le temps et les moyens, car la non reprise dans un cadre professionnel clair encourage le repli sur soi, le sentiment que la population est ennemie… 
Il nous semblerait par ailleurs intéressant d’imaginer des modes de médiation entre les policiers victimes de coups ou d’insultes et les auteurs des coups ou des insultes. Il n’existe que le dépôt de plainte pour insulte ou coups à agents : le cadre judiciaire. La pratique de médiations entre les habitants est instituée depuis longtemps déjà. Cette pratique de médiation nous paraîtrait intéressante à développer aussi pour les policiers et pour ceux qui les ont mal traités.

De même, les policiers interviennent dans des situations lourdes, pour aider des personnes en difficulté. Ils interviennent sur un temps de crise et de violence. Mais une fois l’intervention passée, ils n’ont plus de contact avec les personnes et ne savent plus ce qu’il est advenu après leur intervention comme ils ne savent pas qui est intervenu avant. Il est apparu que, avec l’établissement d’un cadre clair, il serait possible d’imaginer que le policier ait un  » retour  » sur l’évolution de la situation ce qui lui permettrait de mieux cerner l’impact de son action, entre quelles autres interventions elle s’est située… Et lorsque la situation évolue bien, ce serait valorisant.

La plainte et la main courrante. La perception des situations.

Les habitants ont raconté comme il est parfois difficile d’obtenir l’enregistrement d’une plainte. C’est d’accès au droit qu’il s’agit alors, et de la perception du rôle de la police dans l’accès au droit.

Nous avons travaillé à partir des situations de violence conjugale qui constituent une part importante du travail des policiers. Des histoires ont été racontées par les policiers et aussi par les habitants. Quand une femme porte plainte pour la énième fois pour coups de son compagnon et qu’elle revient vivre avec lui à chaque fois, les policiers ont bien du mal à ne pas simplifier  » elle aime cela puisqu’elle y retourne, alors elle n’a pas besoin de porter plainte  » . des histoires de vie de femmes ayant vécu cette situation, des récits de leurs différentes démarches au commissariat et des conditions dans lesquelles elles les ont faites, la mise en scène de ces situations afin de les analyser… ont permis aux policiers de modifier leur appréciation des situations comme des personnes qui en sont les victimes. Il nous paraîtrait intéressant de développer ces démarches ainsi que la formation des fonctionnaires sur tous ces sujets dans lesquels la pensée commune ne devrait pas être de mise et en tout cas dans lesquelles la pensée commune n’a rien de professionnel en ce sens qu’elle amène à poser des actes non adaptés.

Le sexisme et le racisme :

L’on trouve des histoires de sexisme et de racisme dans la police comme dans l’ensemble de notre société. Ce n’est pas pour autant qu’elles sont excusables. Nous avons travaillé essentiellement sur ce qui se joue pour les femmes policiers au sein de la police. Les questions que nous nous sommes posés concerne plutôt la capacité des fonctionnaires au sein du corps policier à exercer leur citoyenneté. Est on citoyen ou policier dans son travail ? Comment agir sans prendre trop de risque pour sa carrière au sein même de l’institution ?

FIN

 

 

Un atelier travailleurs sociaux et usagers avec le CG du Doubs en 2006

Le projet s’intitulait « Soleil ». Il a été mis en place par des travailleurs sociaux du Conseil général du Doubs

Dates : l’atelier de théâtre-forum s’est déroulé en trois périodes de deux journées pleines : les 9 et 10 mai, les 15 et 16 mai et les 12 et 13 juin. Il s’est clôturé par une séance de théâtre-forum ouverte au public le 13 juin au soir.

Lieu : l’ensemble de l’atelier s’est déroulé au 11 rue Battant. Nous avons disposé d’une salle pour travailler et de la cuisine pour les repas et les pauses café.

Le groupe a été composé de : 
 4 travailleurs sociaux du CMS Bachus dont 2 assistantes sociales, une conseillère ESF et une stagiaire. 
 13 femmes en situation de grande précarité et usagères du service social. Plus une assistante sociale supplémentaire qui vient nous assister les deux derniers jours.

La participation des femmes a été absolument régulière du premier au dernier jour à part quelques empêchements dont elles ont averti. Ainsi Ainsi le groupe a été le même du premier au dernier jour ce qui faisait partie des objectifs des travailleurs sociaux.

Organisation : 
 Les travailleurs sociaux ont suivi les personnes entre les séances d’atelier et ont veillé à ce qu’elles soient en mesure de venir. 
 Dès le premier jour, nous avons compris que nous avions fait un erreur qui aurait pu être préjudiciable : nous n’avions pas prévu de nourrir les participantes sur le repas de midi. Nous avons donc improvisé un casse-croûte au dernier moment. Dès la deuxième session, le repas a pu être pré organisé et préparé par les participantes. 
 Par ailleurs, nous nous affrontons à la question de mode de garde des enfants pour la séance publique qui a lieu en soirée. Cette question n’ayant pas été prévue au départ de l’action.

Déroulement et contenu de l’atelier :

1er jour :

Présentation du projet, présentation des personnes.

Mise en place de jeux du théâtre de l’opprimé avec l’objectif : 
 de constituer le groupe, 
 de permettre aux participantes de se rencontrer sur un mode convivial et d’échanger des choses de l’ordre de l’intime, 
 de créer des relations de confiance, de respect, d’écoute et de bienveillance entre les participantes, 
 de donner confiance aux participantes en leur capacité à s’exprimer dans le groupe et plus généralement en leurs capacités à penser et créer.

Récits de situations difficiles vécues par les participantes par une technique dite du copilotage qui permet le récit a deux puis le compte rendu des récits au groupe par d’autres personnes que celles qui ont vécu la situation.

Choix par le groupe de trois des situations relatées et mise en improvisation de ces trois situations : deux histoires de violences faites aux femmes et une histoire d’attitude perçue comme raciste d’un policier.

Chaque mise en scène est dirigée par la personne qui a vécu la situation. A travers ce travail, c’est une analyse qui est faite par la personne elle-même de la situation et de ses enjeux : elle doit choisir ce qui fait partie de la scène et ce qu’elle laisse de coté et faisant cela, elle organise son discours sur cette situation. Elle même jouera dans la scène l’un de ses antagonistes de manière à pouvoir prendre une certaine distance. 
Puis la scène est jouée pour tout le groupe et les retours des autres sont sollicités autour des questions suivantes : qu’avez-vous vous de ce qui se joue là, quelles sont les volontés de chacun des protagonistes, où se situe exactement le conflit, en quoi cette situation est individuelle et en quoi elle est sociétale… Le travail d’analyse continue , porté par tout le groupe permettant de confronter des points de vue différents sur la même histoire et de construire le discours du groupe. Les récits individuels deviennent collectifs.

Deuxième jour :

Mise en place de nouveaux jeux de théâtre de l’opprimé avec les objectifs déjà cités plus haut.

Nouveaux récits faits directement dans le grand groupe pour engranger de nouvelles situations qui n’ont pas été dites le premier jour.

Improvisations de trois nouveaux récits : deux histoires au travail de personnes jugées trop lentes et une histoire de travailleurs sociaux tenant des propos discriminatoires vis à vis des étrangers.

Travail d’analyse collective de ces trois séquences jouées sur les mêms principes que la veille.

Bilan de cette session de 2 journées fait par les participantes autour de la question : dites ce que vous avez le plus aimé et ce que vous avez le moins aimé de ces deux jours.

+ Rencontrer des personnes de milieux différents

 les problèmes m’ont attristée

+l’espoir dans le futur

 Le manque d’espoir dans le futur

+Il y a eu un vrai groupe cette fois

 Le café est trop tiède et mes propres limites physiques

+ Les rencontres de nouvelles personnes

 Le ressassement des problèmes

+ Être ensemble réunies. Cela me soulage

 Les histoires entendues font mal dans ma tête

+ Refaire confiance dans les autres et me ré-ouvrir

 Les histoires dures. Je croyais être seule en détresse et je vois qu’il y a encore pire que moi

+ La confiance, le partage

 La réalité de la vie qui fait mal

+ Ce même combat de toutes pour les droit de l’homme

 Cette impuissance qu’on a parfois face au combat à mener.

+ Les différences de parcours de chacune qui ont été partagées

 Ce groupe manque d’hommes et de leur point de vue

+ La différence des gens du groupe qui ont accepté de rester

 On constate toutes les mêmes fléaux. On est enlisées dans un monde dont on ne pense pas qu’il ira mieux.

+ Les parcours de vie touchants des unes et des autres qui donnent envie de se battre. L’espoir

 Que ca s’arrête ce soir.

+ L’énergie du groupe car ensemble on arrive ici à exprimer des choses qu’on ne dit pas ailleurs. Ca nous renforce à affronter l’extérieur car on sait qu’on a raison et on y puise de l’énergie. 

 je suis énervée par le combat de tous les jours qu’on est seules à mener au quotidien.

+ A partir de nos faiblesses, se crée la confiance entre nous. On s’ouvre et on donne

+ L’authenticité de ce qu’on dit là. Il n’y a pas de frime dans ce groupe. C’est de l’intimité et de la solidarité.

Troisième jour :

Mise en œuvre de jeux du théâtre de l’opprimé.

Nouveaux récits de : 

 situations de difficultés rencontrées par les usagères dans leur relation avec les travailleurs sociaux. 

 situations relatées par les travailleurs sociaux soit dans leur rapports avec des usagers soit dans leurs rapports avec des collègues

 récits de situations vécues par des usagères qui relatent comment des travailleurs sociaux les ont vraiment aidées, comment et pourquoi.

Improvisations de tous ces récits et analyse collective.

Premier choix du groupe sur l’orientation qui sera donnée au spectacle prévu en fin de troisième session : le groupe décide de jouer autour de deux thèmes : la relation travailleurs sociaux-usagers et administrations-usagers, les violences faites aux femmes. 
Nous pouvons alors faire une première sélection des récits qui seront portés à la scène.

Quatrième jour :

Le matin, nous reprenons chacune des récits sélectionnés la veille et les ré-improvisons une deuxième fois afin de commencer à les préciser et nous organisons l’ébauche du déroulé du spectacle que nous prévoyons de jouer.

l’après midi :

L’une des participantes qui n’est pas venue le matin arrive dans le groupe pour nous dire qu’elle ne restera pas car son fils a fait une tentative de suicide mais qu’elle a tenu à venir nous informer de ce qui lui arrive et aussi prendre un peu de forces avant de repartir.

Nous avons invité la responsable de circonscription à venir échanger avec nous sur le contenu de notre travail. Elle déjeune tout d’abord avec nous puis vient passer une heure dans l’atelier. Nous avons en effet besoin de parler avec elle de ce que nous allons jouer et qui implique le service social.

Par ailleurs, nous avons croisé par hasard en rentrant dans la salle le Président de la CPAM et nous l’avons invité à venir voir une séquence qui concerne la CPAM. Il se joint donc à nous pour une heure lui aussi.

Enfin, deux usagères du service social qui n’ont pas fait partie du groupe arrivent pour voir ce que nous faisons.

Ainsi, la première heure de l’après-midi est consacrée à jouer pour nos invités une partie de notre spectacle puis d’en débattre avec eux. 
Il s’avère que ce temps est un temps fort pour tous les participantes : le groupe est très touché par les réactions de solidarité et de compréhension des deux représentants institutionnels présents et il y a une grande qualité des échanges entre eux et le groupe sur le rôle de chacun, sur ce qui est prévu et ce qui s’avère parfois être, sur où sont les difficultés qu’iols rencontrent à leur niveau pour faire avancer les choses…

Le groupe sortira renforcé de ce temps d’échange et confiant dans ce que sera la représentation du 13 juin.

La deuxième partie de l’après midi voit les participantes très fatiguées de ce qu’elles ont vécu depuis le matin. Nous la consacrons donc au bilan et à une recherche pour chacune de ce qu’elle pourrait s’accorder à elle même d’ici notre prochaine rencontre.

Le bilan de cette deuxième session est fait par les participantes :

En tant qu’AS, nous sommes témoin de chose anormales parfois. Cela m’a réconfortée de voir ma chef touchée. La dignité de notre société est bafouée dans un pays riche et moderne. Nous sommes très courageuses de porter cela au débat public.

Cela a été facile d’exposer nos histoires à nos spectateurs ce cet après-midi. Cela ne sera pas plus difficile le 13 juin. On veut que tout le monde ressente ce qu’on a de plus profond de nous mêmes.

L’effet de groupe est là. Jouer stresse mais l’ambiance et le groupe donne la force alors on s’oublie car tout le monde est là. Je sui bien là. C’est pas comme cela au travail et cela fait mal.

J’ai aimé la rencontre de l’autre. J’ai parlé de ce que je sens en moi alors que d’habitude, je me cache. C’est comme si on était ensemble depuis longtemps. J’ai repris confiance en les autres.

J’ai aimé voir les AS dans un autre contexte et les appeler par leur prénom. Moi j’aime pas être vouvoyée.

J’étais seule en soucis. J’allais voir L’AS mais au CMS on me disait qu’elle n’avait pas le temps. Ici, le groupe, c’est bien, j’y suis bien ; je dors bien maintenant même si au CADA on me dit de retourner dans mon pays.

Je suis contente d’avoir pu dire au Président de la CPAM ce qui m’est arrivé rue Papin. Il est tombé tout rôti ici pour cela. Le soir, quand je quitte le groupe, je suis très triste car je suis en difficulté psychologique et toutes les histoires des gens expriment mon cas. Même si les personnes me font du bien, les histoires me secouent comme si c’était à moi qu’elles arrivaient.

Ce qui me touche, c’est de réussir à jouer le théâtre et partager les soucis entre nous et confronter certaines réalités pour l’avenir.

On se sert des leçons des autres.

Cette action me montre qu’il faut absolument développer des actions collectives si on ne veut pas devenir des travailleurs sociaux « de merde ».

C’est rigolo. Aujourd’hui, il y a de petits signes avec ces gens venus de l’extérieur dont le Président de la CPAM. On l’a accueilli. C’est tout simple. On a pris le moment qui se présentait et on a vécu le présent.

Le monsieur de la CPAM a ressenti nos histoires, la chef aussi.

Il faudrait inviter le Président du Conseil général le 13 juin.

Pour moi, ça a accroché tout de suite alors que je suis coincée et que j’ai peur de l’inconnu. J’ai raconté dès le premier jour alors que je cache tout et fais comme si j’étais gaie. Comme si vous étiez mes amies. j’ai eu confiance et je suis sortie de mon trou. je suis venue pour faire plaisir à mon assistante sociale mais maintenant je viens pour moi.

Pour clore :

Avant de nous quitter, nous cherchons chacune ce que nous pourrions nous faire d’ici la prochaine fois comme cadeau à nous même en faisant quelque chose que nous avons très envie de faire et que nous faisons pas ou rarement (commencer une cagnotte en vue d’un séjour futur au Magrehb afin de voir sa mère malade avant qu’elle ne meurre, aller au cinéma, prendre une journée pour soi sans ses enfants pour faire ce qu’on a envie, planter des fleurs, dormir, se faire des soins corporels, passer un week-end ailleurs).

Cinquième jour :

Nous commençons la journée par un jeu du théâtre de l’opprimé : le voyage aveugle.

Puis nous nous donnons des nouvelles de ce que nous avons fait pour nous mêmes depuis la dernière fois.

Puis nous reprenons le travail d’élaboration du théâtre-forum en répétition.

Il est à noter que des histoires sont ôtées du spectacle sur demande des participantes :

Les deux histoires de violences faites aux femmes ne seront pas jouées parce qu’elles sont encore trop lourdes à porter par les femmes qui les ont vécues et qu’elles ne se sentent pas assez fortes. Elles seront remplacées par une image de violence faite aux femmes qui vient d’ailleurs et qui est générique. Cela nous permettra d’aborder ce sujet quand même comme le groupe le souhaite. v

L’une des histoires mettant en cause un travailleur social, relatée par une collègue et non suffisamment anonymisable.

La dernière, relatée par une usagère, correspond à une « connexion » entre un maire et une assistante sociale : le maire veut récupérer le bâtiment dans lequel est locataire une usagère et l’assistante va plutôt servir les intérêts du maire que ceux de l’usagère.

Le reste de la journée est entièrement dédié à répéter les séquences et prises de paroles que le groupe a choisi d’assumer.

En fin d’après midi, nous rangeons les chaises dans la salle et prévoyons comment nous nous habillerons et comment nous éclairerons l’espace scénique (celles qui ont des halogènes et des rallonges les amèneront) et nous cherchons comment il est possible de prendre en charge les enfants en bas age des participantes pendant la soirée du lendemain.

Sixième jour matin :

Au regard de la fatiguabilité des participantes, nous décidons de ne commencer le travail qu’à 14 heures. En effet, la présentation publique est prévue à 20h et nous pensons que le groupe n’est pas en mesure d’assumer un temps de travail de plus de 8 heures consécutives.

La matinée sera consacrée à un travail de bilan fait entre les travailleurs sociaux et la comédienne afin de poser les bases de la mise en place d’une nouvelle opération. Ce bilan ne prendra donc pas en compte la séance publique du 13 juin.

Compte rendu du bilan fait ce matin là avec les travailleurs sociaux :

1/ Les apports repérés par les travailleurs sociaux chez les participantes :

M : sollicitée par la conseillère ESF, elle n’est venue qu’une fois et n’a pu être recontactée jusuqu’à ce jour.

V : sollciitée par une AS, déjà comédienne ayant perdu son statut d’intermittente, elle n’est venue qu’une fois.Il semble que cela soit une souffrance pour elle de se retrouver alors que c’est son métier, dans un groupe amateur.

K : personne qui est en grande solitude et souffrance psychique, elle ne communiquait avec personne. Dans le groupe, elle a trouvé sa place et créé du lien. Elle a honoré tous les rendez-vous du groupe et est prête à poursuivre car l’action collective l’a sortie de son isolement. Elle a appris à communiquer et à faire confiance à l’autre. Son évolution semble extraordinaire.

H : La conseillère ne l’avait rencontrée que deux fois pour un dossier de surendettement. Elle lui a semblé avoir envie de s’ouvrir. Elle a un certain niveau d’étude mais a vécu des années très difficiles. Il semble que l’action collective lui permet de réactiver ses ressources personnelles. Elle en a conscience et l’exprime.

L : Une jeune femme qui a des problèmes psychiques qui ont été très lourds et qui a été très suivie à ce niveau là. Elle est très dépendante de sa mère. Elle apparaît très intelligente et nous a étonné par sa finesse d’analyse plusieurs fois et sa capacité à être en lien avec les autres. Elle se socialise de plus en plus. L’action collective lui permet de s’exprimer et de sentir reconnue par les autres ainsi que d’accéder à l’autonomie. Elle a mis en place des relation de l’ordre de l’amitié avec certaines participantes. Elle va s’inscrire à l’Université Ouverte à la rentrée pour réintégrer un cursus de formation. v

Z : Une femme militante à sa manière, elle fait beaucoup de bénévolat pour accompagner les gens dans les différentes administrations. Elle est très inscrite dans la vie sociale. Elle mériterait d’accéder rapidement à un emploi dans le domaine social car elle a de réelles compétences dues à sa longue expérience même si elle n’a pas de formation. L’action collective lui permet de continuer sa démarche et de se sentir utile ; elle y accompagne sa fille et y développe sa capacité à dynamiser un groupe. Le groupe est aussi un lieu dans lequel elle peut prendre du recul vis à vis des difficultés importantes qu’elle rencontre dans sa vie (grande précarité financière, femme isolée avec six enfants vivant de réelles difficultés d’insertion…)

S : Une personne très craintive, très repliée sur elle même et très réservée qui a toujours peur de déranger. L’action collective lui a permis de se dévoiler et de reprendre confiance en elle et en les autres après des années de violence conjugale subie. Arrivée depuis peu sur la ville, elle ne connaissait personne. Peu à peu elle a trouvé sa place dans le groupe et s’est affirmée en tant que Je. Elle a osé prendre la parole, dire son opinion. Elle a accepté les contacts physique qu’elle ne pouvait jusqu’alors supporter en raisons des violences qu’elle a subi. Les derniers jours, sa capacité à se lancer dans l’improvisation nous a étonné. Elle a besoin d’être valorisée et motivée. Elle souhaite continuer cette action car elle se sent bien dans le groupe et voit comment l’action l’aide à avancer.

C : Pour elle, ce projet rentre dans le cadre d’une démarche de développement personnel et de réinsertion qu’elle mène. C’est une personne qui a vécu des épreuves très lourdes mais qui est de plus en plus en lien avec les autres. Elle est une artiste à la base et découvre dans le groupe qu’elle peut agir pour transformer les choses. Le groupe est aussi pour elle un vrai lieu de soutien psychologique.

E : C’est une femme ouverte sur les autres qui a besoin de donner. Elle a été chef de PME, elle vient de réussir ses concours d’aide soigante et de travailleuse familiale. Elle a vecu et vit des épreuves personnelles importantes. Elle est une force apaisante, rassurante et reposante pour le groupe. Elle aime partager des émotions et des centres d’intérêt avec les autres. L’action collective lui permet de se sentir utile et de sortir de sa solitude. L’action la conforte aussi dans son opinion sur la nécessité de toujours continuer à se battre pour y arriver. Elle a parfois besoin d’être rassurée sur les choix qu’elle fait et le groupe la dynamise.

ML : Elle est déboutée du droit d’asile mais à un titre de séjour au titre de la santé. Elle a fait confiance au service social et demande un suivi régulier. L’action collective lui permet de rencontrer des gens car elle est absolument isolée en France après avoir vécu des choses très traumatisantes en Afrique. Elle vient d’obtenir un hébergement qui lui convient entourée d’une équipe socio-éducative qui permettrra à son petit fils qu’elle a en charge d’évoluer et de s’épanouir. Elle a été très active dans le groupe malgrè le barrage de la langue. Elle dit avoir grand besoin de ce groupe.

C : Elle n’a aucun papier. Elle est en recours pour le droit d’asile. Elle est arrivée au CMS comme anéantie. Le suivi social lui a permis de reprendre espoir et de se retrouver une identité. L’action collective lui a permis de se sentir exister comme une personne, d’être reconnue et d’imaginer qu’elle pourra avoir d’autres projets pour s’intégrer en France.

A : Elle rentre de l’étranger et doit se reconstruire après avoir été très abimeée. L’action collective lui permet de rencontrer des gens (elle est très isolée) et de s’affirmer.

L : Elle est une femme très intelligente mais est très marquée par les violences qu’elle a subies. Elle vit dans la solitude et la peur. Elle se dévalorise énormément et sous estime ses capacités. Le groupe lui permet de s’appercevoir qu’elle est pleine de ressources et lui apprend à les mettre en oeuvre.

V : Venue d’Afrique, elle est une jeune femme pleine de ressources et pleine de vie. Elle avance très vite dans son intégration en France. Elle a obtenu son bac l’an passé en candidate libre. Le groupe lui permet de rencontrer d’autres femmes, de créer des liens d’amitié et de sortir de son isolement de mère célibataire sans ressources financières.

2/ Les apports de l’action pour les travailleurs sociaux :

L’action a permis :

D’aller à la rencontre des gens d’une autre manière, en allant vers eux au lieu que ce soit eux qui viennent à nous.

De transformer la manière d’être en relation avec les usagers dans le cadre d’une action particulière.

De mieux situer les personnes dans leur richesse et dans ce qui constitue leur authenticité.

D’échanger notre place avec les usagères dans les jeux de rôles pour un échange réciproque qui apporte aux deux parties et nous permet d’être reconnues dans notre rôle et les difficultés de l’exercice de notre profession.

De développer notre capacité à nous mettre à la place de l’autre.

De faire connaitre aux usagers le contenu de nos missions en les remettant à leur juste place et en leur donnant une autre image du service social.

De requestionner nos manières de les recevoir et de traiter leur situation en rendez vous individuel, de nous rendre compte de l’impact de nos attitudes et de nos mots sur eux : l’action est aussi une remise en question permanente de notre pratique et de notre savoir être professionnel.

De nous rendre compte de l’évolution positive très rapide des personnes : nous somme là pour reperer ce qui se passe.

Le groupe est une dynamique qui permet d’accompagner les gens sans les porter et qui permet des évolutions et des remobilisations très rapides. Ce travail collectif avec cette méthode particulière nous semble absolument complémentaire du suivi individuel. Il permet à chaque usagère de se resituer dans le collectif, de sortir de l’isolement et de s’appercevoir qu’elle n’est pas seule dans ses difficultés, de libérer la parole, de permettre à chacune la distanciation et l’analyse de sa situation et la remobilisation à agir pour soi même et les autres.

L’outil théâtre de l’opprimé permet de développer chez chacune les capacités de création et d’expression (de la pensée autant que des émotions) ; il met en oeuvre des valeurs fondamentales telles que le partage et la convialité, le respect…

Les tavailleurs sociaux notent aussi une valeur thérapeutique au théâtre de l’opprimé qui permet à toutes de travailler sur leurs propres histoires en les mettant à distance et en les collectivisant.

3/ Les limites de l’action :

Manque de temps pour organiser et préparer les journées.

Les frais de repas n’avaient pas été prévus dans le projet. Nous avons obtenu des bons d’achat mais ceux-ci nous paraissent insuffisants et contraignants (l’on ne peut les utiliser que dans un seul magasin qui est éloigné).

Les frais et modalités de garde des enfants n’ont pas été prévus non plus ce qui s’est avéré génant certains jours et notamment le jour de la présentation publique.

Il faudrait aussi prévoir des prises en charge des tickets de bus pour la prochaine action.

Aucun budget n’a été prévu pour les lumières et la sonorisation du spectacle. Nous avons donc fait avec les moyens individuels des travailleurs sociaux. Il faudrait prévoir quelques projecteurs et micros en cas de prochain spectacle.

En l’absence d’une commande ciblée de l’institution, certaines histoires n’ont pu être jouées publiquement car elles mettaient en question des dysfonctionnements de l’institution. Dans le nouveau projet, il nous faudra préciser le rôle de l’institution vis à vis du contenu du spectacle créé par le groupe car il est composé d’usagers mais aussi de travailleurs sociaux de l’institution : le groupe peut il dévoiler des dysfonctionnements institutionnels, comment pourquoi… comment permettre à l’institution de se saisir de ce qui est joué…

4/ Les préconisations pour la suite des travailleurs sociaux qui ont porté l’opération 

Continuer avec ce groupe mais l’ouvrir à de nouveaux usagers.

Lui donner un temps de travail beaucoup plus étendu : si possible deux jours tous les 15 jours voir toutes les trois semaines soit environ 30 jours au total comprenant le travail d’atelier interne mais aussi de 5 à 10 séances ouvertes au public.

Instituer le groupe comme un groupe chargé de proposer des séances publiques de théâtre-forum dans les autres quartiers en lien avec les autres intervenants sociaux.

Rencontrer le groupe de manière régulière : au moins une fois par mois sans compter les jours d’atelier théâtre de l’opprimé afin de maintenir les liens et l’accompagnement dans la durée.

Prévoir en septembre une transition avec une session de deux jours à l’extérieur de la ville pour le groupe mélant théâtre et activité de bien-être.

Sixième jour après-midi :

L’après midi a été entièrement consacré à la répétition et à la préparation du groupe au forum avec les spectateurs.
nous avons pris un apuse de 1h30 avant le spectacle de manière à permettre aux participantes de se reposer avant la séance publique.

Sixième jour soir : le spectacle de théâtre-forum

Les travailleurs sociaux et la responsable de pôle avaient été chargés d’inviter un public réduit : la soirée était pensée comme un atelier ouvert et non comme un spectacle à part entière du fait du peu de temps de préparation des usagères (6 journées seulmement). Les usagères avaient invité quelques amis ou membres de leur famille.

Ainsi, le public fut d’une soixantaine de personnes dont :

 une dizaine d’usageres des services sociaux

 une vingtaine de « militants » sociaux

 4 représentants institutionnels du CG

 Le président de la CPAM

 une quarantiane de travailleurs sociaux du Conseil géénral et du CCAS.

La soirée à duré deux heures comprenant la présentation théâtrale du groupe, les écahnges verbaux dans la salle et les interventions de spectateurs sur scène.

Il nous semble que cette soirée s’est avérée un vrai temps d’échange entre les travailleurs sociaux et les usagers et citoyens présents dans le public sur la question des rapports travailleurs sociaux – usagers.

Il est notamment apparu au cours de la soirée un réel manque d’information des usagers sur les services et leur organisation, sur les recours qu’ils peuvent avoir quand ils ne sont pas satisfaits des services publics…

Il est aussi apparu que les difficultés sont grandes pour une istitution a repérer lorque un ou des agents dépassent le cadre de leur fonction et à trouver la manière de traiter cela. 
Les questions suivantes ont été soulevées : 

 quels appuis ont les travailleurs sociaux dans leur institution lorque les situations des usagers les percutent dans leur personne ?

 comment permettre ou imposer un recadrage aux professionnels lorqu’ils ont dérapé (quelles modalités d’appui et de formation, quels résultats ont les sanctions qui sont parfois prises..etc…), 

 comment être en permanence attentif à ces questions pour tenter prévenir les « dérapages » éventuels ?

 comment agir dès les premiers symptomes ans attendre que de véritables fautes professionnellles soient commises

Bref, des questions complexes qui ne peuvent obtenir de réponses simples mais qui nous semblent devoir être en permanence en travail dans chaque institution.

En ce qui concerne l’impact sur les usagères, il semble que la soirée ait été un fort lieu de reconnaissance. les usagères ont été étonnées de l’implication des spectateurs. Elles ont été reconnues elles-mêmes et elles ont senti que leur discours était entendu et pris en compte. A la fin de la soirée, elles nous sont semblé très heureuses et très fières d’elles mêmes et d’avboir porté au public ces questions délicates.

Le contenu du spectacle de théâtre-forum

1/ Les belles histoires sous formes de récits :

Au CMS Bacchus, j’y vais pour la première fois. Je suis dans une petite salle d’attente. Je vais mal. Et je vois une dame toute pétillante face à un couple fatigué qui parle de son histoire. D’un ton juste et bon, la dame, c’est une assistante sociale, leur dit que faire. Moi, ca m’a fait du bien car j’ai vu quelqu’un qui redresse les autres. C’était juste ce qu’elle a dit. C’était son ton. Elle leur a dit juste ce qu’il faut faire avec un ton juste.

 J’étais à Plannoise. Je vais voir l’assistante sociale. Je tombe sur une femme merveilleuse. Je lui raconte toute mon histoire. Elle me dit « elle est bien triste votre vie ». Alors je lui raconte un proverbe indien qui dit : Il ne faut jamais juger quelqu’un avant d’avoir essayé de faire au moins un kilomètre dans ses mocassins. La fois suivante, elle avait affiché ce proverbe dans son bureau. 

 Il y a un an, j’avais été licenciée. J’étais sans revenus et je n’arrivais plus à payer mon loyer. Puis l’huissier est arrivé et je me suis complètement paniquée. Je voyais l’assistante sociale régulièrement. Ce jour là, j’arrive avec tout ça, avec ma panique. Elle me dit : ne vous tracassez pas, Nous avons le temps pour faire. Elle m’a sortie de l’urgence et de la panique qui empêche de comprendre et d’agir. Ca fait du bien.

 Quand j’ai été déboutée du droit d’asile, le Centre d’hébergement nous menaçait de nous mettre dehors, moi et ma fille. Je ne connaissais personne. Je n’avais plus rien . Même mon argent qui était à la poste, je ne pouvais pas le prendre parce que je n’avais pas de papiers. Le lendemain je suis allée au collège et ils m’ont indiqué un centre qui m’a indiqué le Centre Bacchus où je pourrais rencontrer l’assistante sociale. L’assistante sociale a téléphoné à la poste, partout. C’était comme si on me réveillait des morts parce que j’avais plus aucune force. L’assistante sociale s’est portée garante pour moi et la poste a fini par débloquer mes sous. Ca a été une merveille de rencontrer une assistante sociale comme-ça. J’ai repris goût à la vie.

 Quand j’étais petite fille, les AS faisaient comme partie de la famille. Elles passaient chez nous parfois juste pour prendre des nouvelles. Moi j’ai comme ca le souvenir de ces AS très avenantes avec les personnes issues de l’émigration. Chez nous, il y avait toujours une assiette pour elles. 

 Rentrée des États Unis, je vais rue denis Papin pour demander une carte vitale, la femme me dit que je n’ai pas droit à l’assurance maladie car je suis partie de France trop longtemps et que je ne suis plus française. J’étais sous le choc. Après je suis allée au 45 Grande rue pour leur raconter. Là, ils me remontent le moral et me disent mes droits. Ils ont même appelé l’assistante sociale qui m’a donné un rendez-vous. Ils m’ont dit de repasser les voir de temps en temps pour leur donner de mes nouvelles. Sans eux, j’aurai tout laissé tombé. v 
 J’avais 19 ans. J’avais rencontré que des AS qui ne pouvaient rien faire. Pour moi, une as, ça ne pouvait jamais rien faire. Un jour j’ai accompagné ma mère au CMS de Plannoise et là, je suis tombée sur un ange. Elle avait même le physique d’un ange. Elle nous a informé puis elle m’a dit qu’elle ne s’inquiétait pas pour moi car j’avais un vrai caractère. Ca m’a beaucoup aidée ce qu’elle m’a dit ce jour là par la suite. Je suis devenue moi aussi assistante sociale. Je l’ai jamais revue cette AS mais je pense souvent à elle. 

 Après avoir eu une AS cauchemard puis des AS qui faisaient leur boulot sans plus, j’avais cessé de faire appel à elles. Un jour, une nouvelle est arrivée et elle m’a dit de faire comme-ci et comme-ça et qu’on allait s’en sortir. C’est pas un coup de pouce, c’est un coup de pied qu’elle m’a donné pour me sortir de la déprime. Ma misère à moi, c’était la sienne. Elle ressentait ce que je vivais et elle cherchait des solutions. On en a trouvé. v 
 Je connais peu Besançon et je suis complètement seule. Un jour je vais voir l’assistante sociale et elle me dit : vous vous êtes super bien débrouillée, continuez comme-ça. Des fois, j’ai besoin d’être poussée car je suis peureuse et fragile. Je suis capable de tout lâcher si je ne suis pas soutenue.

2/ De jolis récits de travailleurs sociaux

L’an dernier, en stage, je vois une dame à l’age de la retraite avec un dossier très compliqué à monter. Je ne savais pas bien comment faire. Les professeurs m’aidaient à y voir clair. Cet accompagnement là se passait à l’extérieur, pas chez la dame. Un jour, nous devions aller à Papin et je ne savais pas où c’était. Alors c’est la dame qui m’a guidée dans le bus. Je me sentais bien a être guidée comme ça par elle. 

 Je suivais un monsieur magrehbin de 50 ans. Il me faisait penser à mon père. Je faisais le maximum pour lui. Il était dans l’alcool, avec des conditions de vie très dures. Il n’avait pas vu ses enfants depuis des années. En fait on se rencontrait régulièrement et on se faisait mutuellement du bien. 

 Quand j’étais stagiaire AS, je me suis occupée d’une dame indienne qui était victime de violences familiales. Puis j’ai eu mon DE et je suis allée dans un quartier difficile. Et un jour, je tombe sur cette dame indienne. Ca fait du bien de voir des gens qu’on connaît et avec qui on a de belles relations quand on est dans un quartier dur où il y a de l’agressivité. Un jour, cette dame nous a même invitées à manger mon ancienne monitrice de stage et moi.

 Je suis en stage. cette année, j’ai accroché avec une dame d’une cinquantaine d’année. Nous faisons ce qu’il faut pour faire avancer sa situation mais nous échangeons aussi beaucoup. Nous nous renvoyons beaucoup de choses. Et elle me renvoie aussi beaucoup de compliments. ca fait du bien des fois.

 Une jeune femme de 28 ans était venue me confier un problème d’inceste. J’ai cru en elle et elle en moi et je l’ai accompagnée pendant 5 ans. Elle a réussi à porter plainte ce qui est toujours quelque chose de très difficile car le risque est d’être discréditée. Le procès a eu lieu. J’avais fait un rapport avec toute ma conviction. Elle a fait un poème qu’elle a lu. Le lendemain, elle ma apporté le poème et m’a dit merci. Moi aussi je lui ai dit merci car c’est elle qui m’a permis de continuer à croire en mon travail.

3 / « Les mal-recues » par les services sociaux

J’ai quitté Paris pour ici. Je ne travaille pas donc je vais demander une aide. je vais à la mairie qui m’envoie au CMS. Je suis seule avec mon fils et je suis déprimée. Je raconte toute mon histoire à l’assistante sociale. A la fin elle me dit : Y’a rien à faire pour vous, vous voulez pas écrire un livre ?

 Je raconte mon parcours à l’AS : Au Portugal, j’avais fait l’université et j’avais fait du travail de psychologue. Elle me dit : Vous êtes portugaise, vous devez plutôt vous orienter vers les ménages. je lui ai dit : vous êtes pas à votre place madame. Alors elle me dit : excusez moi, parfois on s’exite et on dit des choses qu’on ne pense pas. 

 Je voulais passer le bac en candidate libre. L’assistante sociale me le déconseillait en me répétant sans cesse : Valentine, soyez réaliste. Elle me disait que personne ne m’aiderait pour cela, que j’avais une fille en bas âge et que je n’y arriverai jamais. Finalement j’ai eu le bac et me suis inscrite à la fac. j’ai réussi à mettre ma fille en crêche pour aller à la fac et l’as me reprochait que ma fille prenne la place de quelqu’un d’autre qui travaille.

 J’habitais en Algérie et j’étais venue en vacances en France pour voir comment je pouvais y venir vivre. Pendant les vacances, j’avais rencontré une assistante sociale qui m’avait promis de m’aider à mon retour. mais quand je suis revenue, elle ne voulait plus rien faire. Déjà, en rentrant dans son bureau, je m’étais assise et elle m’avait dit : la politesse, c’est de rester debout tant que je ne vous dit pas de vous asseoir Je lui demande de l’aide et là, elle me montre une vidéo qu’elle a d’un mariage algérien en France et là elle me montre les robes en me disant qu’elles sont chères et qu’elle aimerait bien en avoir d’aussi belles. Puis elle me montre les bijoux en or des femmes et me dit qu’elles ont de l’argent, qu’elles sont pleines d’or. Enfin, elle me dit que nous les algériens on a du culot car on est plein d’or, on a des maisons au bled et qu’on vient en France pour demander le RMI et des aides. J’ai retourné son bureau et après elle avait peur de moi. Elle avait plus son air arrogant.

4/ Les histoires de travailleurs sociaux

La race aryenne : Je reçois une dame qui vient demander une aide financière. Elle m’explique que c’est parce que son mari est en prison pour avoir poignardé un bougnoule et qu’elle a besoin d’argent. Elle m’explique qu’elle est déjà allée au CCAS mais que son mari ne veut pas qu’elle y retourne car l’assistante sociale est arabe. je lui demande ce que cela lui fait que je sois arabe moi aussi. Elle me répond que cela lui fait quelque chose car je suis arabe, que cela la gène parcequ’elle est pour la race aryenne, mais que bon elle a besoin d’argent et que je vais lui en donner. Alors je lui répond que cela tombe bien que cela la gène car moi j’ai pas envie de l’aider et qu’elle n’a qu’a se trouver une assistante sociale aryenne comme elle les aime.

Il est pas tout seul : Je fais un relai avec une assistante sociale avant la fin de mon stage. Je lui présente la personne et ses compétences professionnelles et ce qu’on a déjà fait : une demande de RMI car ses papiers viennent tout juste d’être en règle . Ce monsieur se démène. Si on lui dit ce qu’il faut faire, il le fait toujours. Il rêve de créer une micro société dans le bâtiment et a les compétences pour cela. On lui propose une formation sur la gestion. Pendant tout le temps que je parle, l’assistante sociale se regarde les ongles et fait des mimiques. Pour la formation à la gestion, il faut 280 euros. Elle dit qu’elle ne pense pas que ce soit possible, qu’on verra… que ce n’est pas une petite somme, que ce monsieur n’est pas tout seul dans cette situation.

Les noirs : je suis au CMS dans le couloir. Une collègue sort de son bureau pour venir chercher un usager dans la salle d’attente et me croise : Qu’est ce qu’on a comme noirs aujourd’hui, tu trouves pas qu’on a beaucoup de noirs ? Qu’est ce qu’on a comme noirs !

5/ Les autres services :

Le policier : J’ai été cambriolée et je vais au commissariat pour déclarer. Le policier qui prend ma déposition sur son ordinateur me demande de venir à coté de lui pour regarder des photos de suspects. Je lui dis que je n’ai absolument rien vu car je n’étais pas là pendant mon cambriolage alors que je ne peux reconnaître personne. Il insiste et me dit de regarder quand même. Finalement je regarde. Il me montre des photos. Ce ne sont que des arabes, les autres photos de français, il les passe très vite et il veut absolument me faire dire que je connais celui là car il habite dans ma rue, ou celui-là. Finalement je me lève et refuse de continuer. Il me dit : dans ces conditions là, si vous ne voulez rien faire, je ne peux pas prendre votre plainte.

La Sécurité sociale : Je rentre des États unis. je vais à la Sécurité sociale pour demander l’assurance maladie. la dame me dit que je n’y ai pas droit car je suis partie trop longtemps, que j’ai perdu la nationalité.

Le travail en insertion : Je travaillais dans une entreprise d’insertion sur un chantier où il fallait faire une sculpture. Le chef nous traitait plus bas que terre. Ce qu’on faisait n’était jamais bien. Il nous disait qu’il en avait marre de bosse avec une bande d’handicapés incapables. Nous nous sommes plaints à son responsable mais celui ci n’a rien voulu savoir et l’a couvert.

Nota Une nouvelle opération est prévue en 2007 qui sera plus importante en ce qui concerne le temps de l’opération comme en ce qui concerne ses objectifs.

 

Bref comte rendu de 2 journées avec des personnes en insertion avec l’Usine à St Denis (2011)

L’usine st Denis : journées des 17 et 18 août 2011

 Ces deux journées de travail ont été commanditées par la plate forme insertion de l’usine.

Elles avaient pour thème les discriminations, la citoyenneté, le respect.

Chaque journée a été consacrée à un groupe différent, d’une dizaine de participants à chaque fois, chaque participant étant en contrat d’insertion avec l’usine (serveurs, cuisiniers, chauffeurs, vigiles)

Nous avons débuté avec des exercices de mise en confiance, de mise en relation, avant d’aborder la question des discriminations.

En effet, qu’est-ce qu’on entend par discrimination et qu’est ce que la loi dit?

De quoi la loi nous protège et qui elle protège ?

Et à qui s’adresser si on a l’impression d’être victime de discrimination?

Nous avons débattu librement, afin que toutes les idées puissent s’exprimer et se développer sur ce que l’on pensait être juste ou pas.

Puis, le cadre légal a été rappelé, notamment en ce qui concerne l’homophobie. Difficile de dire aux gens quoi penser… En revanche, il y a des idées qui, si elles sont exprimées sont punissables par la loi.

D’autres thèmes ont été plus consensuels, comme la discrimination sexiste, en fonction de l’appartenance…

Nous avons travaillé dans les deux groupes sur des entretiens d’embauche, en amenant la question de la voiture, des enfants et de toutes ces questions qu’on nous pose sans en avoir le droit.

Des histoires ont été montées et nous ont amené à faire forum sur un racisme à peine masqué.

Les thème du voile, du communautarisme ont été abordés

Lors de ces forums, les groupes ont beaucoup évolué, aussi sur leurs propres à priori. Belle chose à voir vraiment!

 

Compte rendu de l’action femmes et emploi menée à Angoulêmes (2011)

Angoulême 2011

Cette opération a été initiée par la maison des solidarités Angoulême Sud la Couronne et co-financé par le FSE.

Elle s’inscrit dans le cadre d’une démarche de formation action de co-accompagnement vers un accès à l’emploi d’un public féminin allocataire du RSA.

Le théâtre forum est la troisième des quatres étapes prévues par ce projet.

 

Le travail s’est effectué sur 9 journées.

La première avait pour but de sensibiliser l’équipe des travailleurs sociaux concernés par le projet, afin qu’ils puissent l’expliquer aux allocataires du RSA susceptibles de rentrer dans ce dispositif.

La deuxième a permis aux personnes préssenties d’expérimenter le théâtre forum et de décider de poursuivre ou pas.

Nous nous sommes ensuite retrouvés avec le groupe définitif, constitué de 11 femmes allocataires et de 9 « travailleuses sociales », pour cinq journées consécutives de travail.

Les deux premiers jours ont servi à recueillir les histoires et à écrire collégialement le spectacle.

Nous avons ensuite travaillé sur la compréhension et l’acquisition du jeu théâtral, la maîtrise de l’espace scénique ainsi que sur le contenu du forum.

La cinquième journée a été consacrée à deux représentations publiques : à la MJC de La Couronne, devant 104 personnes ainsi que dans la Salle Polyvalente CSCS Grande Garenne devant 47 personnes, les publics étant mixtes les deux fois.

Cinq autres représentations ont eu lieu : le 5 mai devant 52 personnes à l’Espace d’Animation de La Rochefoucauld, le 6 mai à la Salle Polyvalente de Mansle devant 78 personnes et à l’Espace culturel La Cale à Cognac devant 25 personnes, le 17 mai à l’IRTS de Poitiers devant 53 élèves assistantes sociales, et le 25 juin dans un centre social de Paris 15ème devant 43 personnes.

 

Nous avons articulé notre spectacle autour de cinq thèmes, chaque thème comprenant une ou plusieurs histoires.

A l’intérieur de chaque thème le public a pu choisir sur quelle scène il souhaitait faire forum.

Thème n°1 : la maltraitance liée au travail

Un femme employée en contrat d’avenir ( aidé ) se voit reconnaître travailleur handicapé et n’arrive pas à obtenir la reconnaissance de ses droits par son patron, qui lui confie même des tâches plus difficiles.

☺ Pistes de forum :

exiger un poste adapté

faire appel à la maison des handicaps

faire appel à la médecine du travail

chercher une solidarité parmi les autres employés

 

Thème n°2 : drames quotidiens liés à la vie aux minimas sociaux

  • un enfant ne peut pas aller en voyage scolaire avec sa classe faute de moyens

☺ Pistes de forum :

faire appel à la cascade de travailleurs sociaux

faire jouer la solidarité entre parents

interpeler le principal de l’établissement

  • un enfant se fait tabasser au sein du collège par ses camarades et se fait traiter de « top budget » car il est habillé avec des premiers prix

 

Thème n°3 : les barrières mises par les employeurs qui empêchent le retour à l’emploi

  • florilège d’offres d’emplois délirantes
  • une personne se voit refuser un emploi car elle n’a pas de voiture

☺Piste de forum :

recours à des possibilités de prêt de véhicules par les services sociaux

  • une personne se voit refuser un emploi car elle vit dans une caravane

☺ Pistes de forum :

recours à la HALDE

appel à l’employeur

 

Thème n°4 : les difficultés du retour à l’emploi quand on est confronté aux structures

  • présentation des dépenses liées au retour au travail ( 700 euros )
  • une femme qui n’a pas travaillé depuis 10 ans a envie de faire une formation pour retravailler. Elle se rend à pôle emploi et se démotive car elle n’est pas reçue.

☺ Piste de forum :

Mobiliser l’attention d’autres professionnels de la structure

  • une personne se présente à pôle emploi pour reporter son rdv du lendemain auquel elle ne peut pas se rendre et se trouve tout de même menacée de radiation

☺Piste de forum :

oser interpeler ses amis quand on sait qu’ils appliquent des consignes abérantes

 

Thème n°5 : les fermetures de poste et leurs conséquences

  • consultation imaginaire avec un travailleur Social qui dévoile la complexité des dispositifs et la multitude des sigles
  • une structure dont l’accueil est assuré par un contrat aidé se voit privée de son agent d’accueil et dans l’incapacité d’offrir un service de qualité

☺ Pistes de forum :

organiser une lutte réunissant usagers et professionnels

arriver à faire dire à la direction ses intentions puis organiser la lutte syndicale et en appeler au CHSCT

 

Jeunes femmes et violences avec les Missions Locales du 91

Depuis 2010, un programme expérimental a été mis en place dans les Missions Locales du 91 avec l’appui du Conseil général du 91. L’action est portée par la Mission Locale des Ulis. Dix sessions sont organisées dans les Missions Locales du département pour des jeunes filles et femmes concernées par les violences familiales et conjugales. Notre compagnie participe à cette action : elle prend en charge la direction de trois journées par sessions.

Voici le Bilan global du dispositif Missions Locales 91 fait en 2012 par les Missions Locales,

Voici le Bilan d’une session à la Mission Locale des Ulis en 2012 fait par la Mission Locale. 

Voici le compte rendu de NAJE de la première session faite en 2010

Atelier dans le cadre du stage

Jeunes et femmes: des outils pour construire sa vie

organisé par la Mission Locale (2010) 

en ont fait partie: Mylena, Souadou, Aïssata, Grémé, Sakyna, Sarah, Bernadette, Eugénie, Sothie, Fanny, Mélanie, Alyssia, Sonia, Marie-France, Farida, Perrine

Le cadre

Nous intervenions dans le cadre d’un stage de trois semaines organisé par la Mission locale des Ulis pour douze jeunes filles de différents quartiers de la ville âgées de 16 à 24 ans. Ce stage était coordonné par Sonia Lebreuilly, sexologue, employée par la mairie des Ulis pour ce projet spécifique: accompagner des jeunes femmes dans leur prise en main de leur projet professionnel, mais aussi leur projet de vie. Dans ce cadre, diverses rencontres ont été organisées (assemblée nationale, féministes…), ainsi que divers ateliers d’expression, de nutrition, de réflexion…, autour de leur place de jeune femme dans la société.

Notre atelier de théâtre forum avait pour but spécifique de travailler sur la problématique de la grossesse précoce (quatre jeunes femmes sur douze étaient mères), mais aussi sur les différentes problématiques de la relation hommes/femmes par le moyen du théâtre forum -le travail de leurs histoires de vie, et l’exploration des pistes possibles pour sortir des oppressions, choisir et décider. Nous avions six séances d’une journée entière, avec l’objectif de monter des scènes de théâtre forum à présenter le 9 décembre devant les classes d’un lycée des Ulis.

Nous avons mesuré l’importance du projet global dans lequel était ancré notre atelier à différents niveaux. D’abord parce qu’il s’est tissée une solidarité particulièrement forte entre les participantes. Mais aussi parce que nous savions que ce groupe ne serait pas « abandonné » après le projet, Sonia et la maire des Ulis ayant une vraie volonté que ce stage soit la première pierre d’un accompagnement régulier et rigoureux de chacune des jeunes femmes. « Maintenant, vous êtes des ambassadrices » (la Maire au pot de bilan du projet).

Les séances

 

Les jeux

             « Ah, Je suis fatiguée, je suis fatiguée ».  Ainsi débutaient souvent les séances de théâtre forum. Collées au radiateur, l’hiver et la neige n’aidant pas, chacune partageait la mauvaise nuit qu’elle avait passée, ou la dispute qu’elle avait eue, ou bien l’heure tardive à laquelle elle s’était couchée. La fatigue, c’était le rituel du matin. C’est presque devenu un jeu au fil des séances.

C’était donc très agréable et drôle de découvrir plus tard dans la séance l’énergie qui était déployée pour jouer tel ou tel personnage, ou pour s’investir dans un jeu; la pêche qu’elles avaient en fait toutes.

Les moments de jeux étaient très agréables parce qu’ils étaient appréciés par le groupe, et entraînaient la plupart du temps beaucoup de dynamisme, d’énergie, et de bonne humeur.

Un des jeux qui permettaient de se mobiliser et qui était très apprécié, c’était le jeu cabanes/habitants, qui consiste à former des trios mur/mur/habitant pour que les habitants trouvent des cabanes et vice et versa. Il a effectivement été re-proposé souvent par les participantes elles-mêmes. C’était à chaque fois beaucoup d’agitation, de luttes entre les joueuses, et de rires surtout.

Les exercices plus axés sur la disponibilité et la concentration étaient souvent accueillis avec moins d’enthousiasme. Les exercices d’aveugles ont fait surgir beaucoup d’angoisse qui se traduisaient par des rires nerveux, et qu’il fallait calmer peu à peu. Les exercices ou improvisations qui demandaient un lâcher prise du corps et de la voix, mais surtout en fait un lâcher prise de la peur de l’image qu’on donne, étaient aussi un réel effort pour les jeunes femmes, qui pourtant se connaissaient bien entre elles. À ces occasions, nous avons pu échanger autour de la liberté d’être, de la part de folie en nous, de la détente à chercher. Nous avons une fois pris exemple sur la petite fille d’une des jeunes femmes qui était là et s’étonnait de l’alentour, jouait avec n’importe quoi, se trémoussait très librement.

Les histoires:

             Lors de la première séance, nous avons mis en place un co-pilotage, pour récolter des histoires par groupes de deux. L’une et l’autre raconte une histoire à l’autre qui se l’approprie et la retransmet au grand groupe. Les histoires qui sont sorties étaient pour la plupart très profondes et importantes, et ont beaucoup remuées celles qui les ont racontées. Nous avons été impressionnées de cette grande confiance faite au groupe dès la première séance. Nous avons ainsi pu mesurer la bienveillance et l’unité de ce groupe de jeunes femmes. Ce climat a perduré sur les six séances et a permis vraiment que nous fassions ensemble un travail de qualité. 

-la « grossesse précoce »

            Lors de la première « récolte d’histoire », deux histoires ont été racontées, qui avaient lien avec la problématique de la grossesse précoce. Les deux jeunes femmes qui les racontaient exprimaient le sentiment d’abandon qu’elles ressentaient, à cause de l’absence du père de leur enfant, ou bien de son peu d’attention, et la solitude dans laquelle elles étaient aujourd’hui dans cette parentalité toute neuve. Nous avons monté une de ces deux histoires et fait forum entre nous. La jeune femme dont c’était l’histoire a joué son oppresseur. Ça lui a été difficile, parce son histoire était encore complètement d’actualité. Malgré tout, nous avons pu échanger autour de cette histoire, sur le moment, puis aussi à d’autres moments, la questionner et lui donner des pistes dans la discussion. Par la suite, elle n’a pas souhaité que nous la montrions en spectacle, et n’est pas revenue très souvent à l’atelier. L’autre histoire était également encore « en cours », très sensible donc. Nous aurions aimé travaillé avec le groupe sur le désir partagé dans un couple d’avoir un enfant, et l’importance de ce choix-là. Nous ne l’avons pas fait sous forme de forum, mais l’avons abordé à plusieurs reprises dans les discussions.

A plusieurs reprises, des jeunes femmes ont amené leur enfant aux séances de théâtre forum, n’ayant pu trouvé une solution de garde. Ça a été parfois compliqué pour que le bébé n’accapare pas l’attention de tout le groupe, et particulièrement ne réclame pas sa maman continuellement. Nous nous relayions auprès de l’enfant, et c’était plutôt convivial.  Ces moments ont surtout été l’occasion de discuter avec les jeunes mamans, mais aussi avec le reste du groupe de l’éducation des enfants, de la relation fusionnelle mère/enfant, des limites et des règles à poser… etc. Ces moments informels ont été très importants et riches.

-les relations de couple

            Sur proposition d’une des participantes, nous avons travaillé sur des « situations de drague » très courantes dans la rue. Ce moment d’improvisation a été très drôle et important à la fois. Ce rapport de drague d’un homme à une femme qu’il n’a jamais vu, cristallise beaucoup de choses des relations d’oppression homme/femme (séduction, uni-latéralité, attirance du corps exclusivement…). A travers une situation anodine donc, et sans gravité au départ, on peut explorer les pistes de sortie de l’oppression. Les jeunes femmes prenaient un vrai plaisir à jouer les hommes qui les draguaient quotidiennement, mais aussi à faire forum en tant que femme pour essayer de s’en libérer. Durant le forum que nous faisions entre nous sur ces toutes petites scènes, beaucoup de pistes différentes ont été expérimentées. Certaines étonnaient beaucoup parce qu’elles n’avaient jamais été envisagées par beaucoup d’entre les participantes (faire celle qui perd la tête, celle qui ne comprend pas, faire exactement ce que fait l’homme en face, rester très calme…). Nous pouvions essayer ces pistes immédiatement au sortir de chaque atelier dans le quartier où nous étions!

Une des histoires racontées lors de la première séance et reprises pour le spectacle était celle d’une femme battue par « son mec ». Nous avons donc pu travailler sur cette relation-là. La jeune femme qui l’avait racontée et qui jouait son oppresseur, bloquait d’abord toute possibilité de transformation de la scène, disant que c’était impossible et qu’elle n’aurait jamais pu faire ça. Puis quelques pistes ont réussi à transformer un peu les rapports de force, mais le face à face avec le mec est resté difficile. Nous avons donc également fait forum avec les parents de la jeune femme qui étaient tous les deux très indisponibles dès qu’elle rentrait chez elle, pianotant sur l’ordinateur sans s’inquiéter de rien. Cette histoire a donc ouvert plusieurs pistes de réflexion.

Un des sujets qui revenaient très souvent dans les histoires racontées était celui de l’infidélité dans le couple, tant par les hommes que par les femmes, et les rumeurs qui courraient dans le quartier dès lors qu’un doute avait été émis par qui que ce soit. Une des jeunes femmes nous a par exemple raconter qu’elle avait de sérieux doutes sur la fidélité de son mari. Elle a donc improvisé la scène où elle fait part de ses doutes à ses amies, avec des jeunes filles du groupe, et notamment certaines qui faisaient partie réellement de l’histoire. Elles rebondissaient sur les doutes de la jeune femme, les attisait en certifiant l’infidélité de tous les hommes, qui n’étaient que des « chiens » etc. Au fur et à mesure que la scène avançait, la jeune femme était de plus en plus certaine de l’infidélité de son mari. Il a été intéressant de noter cela, et d’en discuter avec le groupe.

Une autre histoire qui a été apportée et jouée dans le spectacle final était du point de vue d’une jeune femme dont la copine avait trompé son mec avec le frère de celui-ci. L’ayant appris, son mec avait été crier, sincèrement désespéré, devant sa fenêtre, et lui avait donc mis la honte dans tout le quartier. Cette histoire était intéressante à monter car elle mettait un scène un homme en situation d’oppression, et parlait bien de la rumeur, et du peu de liberté qu’il existe dans de tels quartiers si l’on ne veut pas voir sa réputation salie.

Cela a été intéressant donc de se rendre compte ensemble que ce qui nous faisaient agir ou réagir à pleins de moments était en partie notre intérêt pour l’image qu’on donnait et alors aussi notre avenir dans le cadre social où l’on évoluait. Mais aussi cela a été très riche de discuter avec le groupe de la relation de couple, de la liberté ou non de l’un et l’autre d’ « aller voir ailleurs », et surtout des raisons qu’elle avaient, elles, de l’importance de l’exclusivité. Cela nous a amené à discuter des conventions, des religions, mais aussi de la jalousie, de la peur d’être « jetée ».

-le mariage

             Une des jeunes femmes nous a raconté les menaces que lui faisaient son père de l’envoyer au pays pour la marier de force, et la complexité de sa relation à lui, qui était extrêmement strict et violent, particulièrement concernant les relations qu’elles pouvait avoir avec des garçons. Cette scène a été jouée en spectacle et plusieurs interventions de spect’acteurs ont apporté des pistes intéressantes pour cette jeune femme dont la situation n’était pas du tout réglée. Cela a également permis d’enclencher des discussions dans le groupe sur les jugements des différents parents, et le dialogue ou non à instaurer avec eux sur ses sujets là.

Faire face aux employeurs, aux administrations

Le matin, en attendant que toutes les participantes arrivent, nous avons souvent questionné celles qui étaient là sur leurs projets professionnels ou de formation. C’était l’occasion pour Sonia qui était présente à chaque séance, de prendre des informations mais aussi surtout de donner des contacts intéressants pour chaque situation.

Nous avons fait durant toute une matinée des simulations d’entretiens d’embauche afin que les participantes s’entraînent à affirmer leur motivation, leurs compétences, leurs volontés face  aux employeurs ou aux chefs d’établissements de formation qu’elles allaient rencontrer  très prochainement. Une des participantes nous a alors fait part d’un rendez vous qu’elle avait le lendemain avec la CAF, qui avait perdu son dossier et ne lui versait pas depuis un bout de temps les allocations dont elle avait besoin. Nous avons donc joué ce rendez-vous pour qu’elle s’entraîne  à être claire avec son interlocuteur. D’autres participantes se sont entraînée et ont ainsi donné des pistes d’attitude ou d’argumentation à Sakyna.

Le spectacle

 Préparation du spectacle

               Lors de la première séance, nous nous sommes rendues compte que les jeunes femmes n’étaient pas au courant que nous allions jouer un spectacle au bout des six séances. La plupart d’entre elle étaient donc vraiment rétives à cette idée, et ont continué à l’être pendant encore quelques séances. Jouer devant des classes d’un lycée des Ulis était particulièrement effrayant pour certaines d’entre elles, qui y connaissaient les élèves et craignaient les rumeurs qui allaient circuler ensuite etc.

Nous avons donc travaillé lors des trois premières séances sur leurs histoires, sans trop mentionner le « spectacle final », pour jouer et s’entraîner entre nous, se donner des billes. Le groupe s’est finalement dit prêt et motivé pour jouer le 9 décembre.

Nous avons donc choisi des scènes et commencé à les retranscrire sur ordinateur lors des moments d’attente ou de pauses durant les séances. Ces moments étaient plutôt chouette: il y avait une grappe de jeunes femmes autour de l’ordinateur, se remémorant les scènes, corrigeant l’orthographe, précisant les paroles…

Le groupe s’est aussi bien impliqué dans le choix des éléments de costume, prenant un réel plaisir à enfiler bonnets et larges joggings de mecs, et à imiter démarches et attitudes dans des fous rires.

Une des jeunes femme qui refusait d’abord tout rôle, et freinait des quatre fers pour beaucoup d’exercices, a finalement joué un personnage une fois dans une des histoires, et n’a pas cessé par la suite de se proposer pour d’autres rôles. La solidarité avec les histoires jouées a été très importante pour elle, puisqu’elle la voyait comme son moteur de jeu.

Par ailleurs, une des jeunes femmes n’a pas souhaité jouer dans le spectacle final de peur que les spect’acteurs malveillants lancent des rumeurs sur elle. « Les Ulis, c’est un village. Y a trop de gens qui parlent sur tout le monde ».Elle était néanmoins présente et a pu monter avec le groupe sur scène lors des applaudissements ».

 

Jeunes femmes concernées par les violences avec les Missions Locales du 91

Depuis 2010, un programme expérimental a été mis en place dans les Missions Locales du 91 avec l’appui du Conseil général du 91. L’action est portée par la Mission Locale des Ulis. Dix sessions sont organisées dans les Missions Locales du département pour des jeunes filles et femmes concernées par les violences familiales et conjugales. Notre compagnie participe à cette action : elle prend en charge la direction de trois journées par sessions.

Voici le Bilan global du dispositif Missions Locales 91 fait en 2012 par les Missions Locales,

et voici le Bilan d’une session à la Mission Locale des Ulis en 2012 .

Un atelier à Port de Bouc en 2004

Compte rendu de notre intervention dans le quartier des Amarantes à Port de Bouc fait le 10 décembre 2004, soit avant la fin de l’opération.

 L’objectif initial

L’objectif initial fixé avec le pôle culturel de la politique de la ville à Port de Bouc avait été défini comme suit : soutenir les objectifs de la commission  » expression des habitants  » à savoir inciter les habitants à co-construire des solutions avec les acteurs professionnels.

Il s’agissait donc de travailler dans deux directions : constituer un groupe d’habitants et le mettre en travail sur les problématiques du quartier et, ce faisant, permettre le dialogue et l’envie de travailler avec les professionnels intervenant sur le quartier qui s’intégreraient au groupe d’habitants.v

Pour ce faire, nous avions arrêté le mode opératoire suivant :

* 1 journée d’immersion de la responsable artistique de NAJE en septembre.

* 1 spectacle de la compagnie début octobre joué sous chapiteau afin de faire une démonstration de ce qu’est le théâtre-forum susceptible de donner envie aux spectateurs de s’inscrire dans un atelier de création.

* 8 journées d’atelier programmées entre octobre et décembre 2004 pour un groupe mixte composé d’habitants et de professionnels aboutissant le 8ème jour à un théâtre-forum joué pour les autres habitants et professionnels  intervenant sur le quartier.

Il s’est en réalité très vite avéré que le mode opératoire choisi ne pourrait pas être mis en place. Le projet a donc du être remanié afin de s’adapter à des contraintes et des problématiques qui avaient été sous-évaluées :

A/ Le spectacle de théâtre-forum du 1er octobre :

Nous tirons un bilan négatif de cette journée quant à son impact en terme de mobilisation d’habitants du quartier mais un bilan positif quant au déroulement et à l’intérêt du théâtre-forum avec le public présent.

1/ Le spectacle n’a pas mobilisé le public escompté et ne s’est donc pas avéré un outil de sensibilisation efficace.

Les copropriétaires : aucun copropriétaire n’était présent malgré que nous les ayons rencontré en septembre pour leur expliquer le projet et leur demander de diffuser l’information auprès des copropriétaires. Il semble que leur absence soit à relier directement avec leur positionnement dans le quartier (repli sur eux mêmes, sentiment d’être en danger vis à vis des jeunes, sentiment d’être haïs ou incompris par les locataires, non-volonté de se méler aux locataires et de participer aux actions du centre social). Les responsables du syndic ne se sont donc pas déplacés et n’ont pas relayé l’information auprès des autres copropriétaires.

Les jeunes : la mobilisation auprès des jeunes devait être faite conjointement par le centre social et par les éducateurs de prévention mais elle n’a pas porté ses fruits. Seul un petit groupe de jeunes était présent sur la place lors du début du spectacle. Ils se sont approchés et l’un d’eux est monté en scène lors du forum sur une scène concernant les rapports des jeunes et de la police. Mais ils se sont ensuite éloignés du chapiteau et sont restés à l’écart pendant tout le reste du spectacle (à une place d’où ils pouvaient suivre ce qui se passait sans y être impliqués).

Les adultes locataires : Ils étaient entre trente et cinquante. Le centre social avait pourtant organisé un repas collectif le midi même afin de mobiliser les habitants. Il s’est avéré que plus de personnes ont participé au repas qu’au spectacle, les deux propositions ne faisant pas sens ensemble pour la majorité des habitants présents au repas. Une quarantaine d’adultes étaient finalement présents au théâtre-forum : des mères de famille avec leurs enfants et des hommes.

Les enfants : Ils était initialement prévu que les enfants seraient en activité au centre social pour permettre aux parents d’assister au spectacle dans de bonnes conditions. En fait, les enfants sont venus assister au spectacle en compagnie de l’animatrice du centre social. Cela n’a non seulement pas facilité la séance (le spectacle n’ayant pas été conçu pour des enfants, ils ont été bruyants) mais n’a pas du faciliter l’image de sérieux du travail proposé aux adultes.

Les partenaires : N’ont été présents que  les professionnels du centre social, de la ville de Port de Bouc concernés par le quartier, du Conseil général plus les éducateurs de prévention qui sont passés un moment en cours de spectacle. Ainsi, il semble que, malgré les réunions préalables faites avec les professionnels, ceux ci n’aient pas mobilisé beaucoup de personnes, soit qu’ils ne se soient pas sentis partie prenante de l’opération, soit qu’ils n’aient pas la capacité effective de mobiliser les habitants.

2/ Pour autant, le forum avec les spectateurs c’est à dire leur intervention sur scène a été effective : Les scènes choisies pour le débat ont été reconnues par les spectateurs comme bien réelles et posant des problématiques qui les concernaient bien. Ils n’ont pas hésité à venir en débattre sur scène.

B/ L’atelier de création mixte

L’atelier de création n’a pas pu être organisé comme prévu initialement. Il a pris une forme différente et s’est éclaté en plusieurs ateliers différents : un atelier jeunes, deux ateliers femmes, un atelier copropriétaires.

Notre intervention a donc été d’un commun accord décalée d’un mois pour permettre la mise en place de cette nouvelle organisation. Nos interventions ont alors été programmées de la manière suivante : deux fois deux jours en novembre, deux jours en décembre et deux jours en janvier. NAJE a par ailleurs impliqué un quatrième comédien de manière à ce que les ateliers qui ont lieu en même temps puissent être assurés correctement. Enfin, , compte tenu du peu de temps de travail avec chacun des groupes dans cette nouvelle organisation, nous avons finalement décidé avec nos partenaires de rajouter deux jours en février portant à 10 jours au lieu de 8 jours notre intervention globale.

En effet, entre le 1er octobre et le 20 octobre, date initialement prévue pour le démarrage de l’atelier, les partenaires organisateurs de la politique de la ville de Port de Bouc se sont réunis et ont annulé les dates d’octobre car le nombre de personnes susceptibles de s’impliquer dans les ateliers était trop faible. Ils ont donc décidé d’une autre organisation afin de constituer des groupes et l’ont mis en place entre octobre et novembre en appelant au partenariat : la formatrice de la formation Greta en cours car les stagiaires sont essentiellement des jeunes gitans du quartier des Amarantes, les deux formatrices du cours d’alphabétisation organisé avec le centre social, l’animatrice et le Directeur du centre social pour ce qui concerne les femmes du quartier, les professionnels intervenant sur le quartier pour monter un groupe de professionnels, le syndic des copropriétaires pour rediscuter avec eux de cette opération et les engager à y participer.

Ainsi, entre octobre et novembre, plusieurs groupes ont ainsi été mobilisés à qui il a été proposé de travailler de manière isolée puisqu’il s’avérait que la rencontre de ces différents types de population était impossible parce que refusée massivement parle groupe de jeunes et par le groupe des copropriétaires :

Un groupe de jeunes qui devait initialement être constitué des jeunes en formation GRETA et d’autres jeunes du quartier et qui, dès la deuxième séance de fin novembre s’est limité aux jeunes du Greta. Ce groupe a travaillé une demi journée début novembre avec d’autres jeunes du quartier, une journée entière fin novembre et une journée entière mi décembre. Ce groupe est accompagné par Stéphane de la Ville de Port de Bouc. Il est dirigé par deux comédiens de NAJE et est programmé sur des mercredis.

Un groupe de femmes en alphabétisation qui devait être couplé avec des femmes du quartier mais qui s’est lui aussi organisé seul dès la deuxième séance. Ce groupe a donc  travaillé une demi journée début novembre avec d’autres femmes du quartier, une demi-journée fin novembre et une demi-journée entière mi décembre. Ce groupe est accompagné des deux formatrices alphabétisation, d’une animatrice du centre social et de la responsable du pôle culturel de la ville.  Il est dirigé par deux comédiens de NAJE et est programmé des jeudis matins.

Un groupe de femmes du quartier, limité en nombre puisqu’elles sont 4 qui a travaillé une demi journée fin novembre, l’autre demi journée de décembre ayant été réorganisée au dernier moment pour accueillir et travailler en réunion avec une vingtaine de femmes mobilisées en urgence car elles venaient de recevoir une facture importante de régularisation des charges locatives de 2003. Ce groupe est accompagné d’une animatrice du cnetre social et de la responsable du pôle culturel de la ville.  Il est dirigé par deux comédiens de NAJE et est programmé des jeudis après-midi.

Un groupe de composé de 6 représentants du syndic des copropriétaires, du président et de l’ancien président de l’amicale des locataires. Ce groupe est accompagné de Séverine de la politique de la ville et est programmé des mercredis.

Nota : le groupe des professionnels n’a pu être mis en place, les professionnels contactés n’étant pas prêts à participer à une telle expérience.

Si ces différents ateliers n’ont encore pu se rencontrer les uns les autres et concernent un nombre limité de professionnels, ils permettent néanmoins de travailler avec un nombre d’habitants plus que correct, d’aborder de réelles problématiques des habitants et du quartier, enfin  de faire un réel travail de fond avec tous les participants.

Les ateliers ont été jusqu’à ce jour intenses en émotions  partagées, en récits de vie forts, en enseignements pour les professionnels comme pour les habitants, en construction de solidarités et en mobilisation des capacités à changer sa manière d’agir et sa capacité de croire qu’il est possible de changer des choses, même si cela est difficile. Les ateliers ont mis les habitants en travail sur  » comment changer la vie  » et les professionnels en travail sur  » comment améliorer notre manière de travailler avec les habitants « .

Pour les habitants, il semblent avoir permis :

Le développement de leur capacité à prendre la parole

La création de liens différents entre les membres du groupe avec l’arrêt de la honte à dire qui l’on est, le respect des uns les autres, l’apprentissage à l’écoute,

L’apprentissage des règles d’un débat non violent entre des points de vue differents,

l’établissement de problématiques communes à travers le passage des récits individuels aux problématiques générales qu’ils portent,

la recherche en commun de pistes de résolution des problématiques mises à jour et donc les  » déplacements  » individuels qu’elles permettent dans le mode d’appréhension de la réalité et la manière de s’y situer soi-même.

Pour les professionnels, ils leur ont permis d’entrer en contact avec les participants d’une autre manière, de s’immerger dans les problématiques du quartier telles qu’elles se posent aux habitants et dans leur manière de les percevoir, de lier avec eux des rapports qui pourraient leur permettre d’envisager avec eux des actions communes dans le futur si les bénéfices du travail commencé peuvent être entretenus dans l’avenir.

A ce jour, mi décembre, nous nous orientons vers la tentative de mettre en place en février une séance de rencontre entre les différents groupes. Nous voulions la faire en janvier mais le groupe de jeunes et le groupe des copropriétaires à qui nous en avons parlé s’y sont refusés. Il nous semble cependant que les raisons qu’ils donnent à leur refus sont ambivalentes et nous essayerons néanmoins de les amener à une rencontre des autres groupes qui cloturerait cette première phase de l’opération et nous mettrait en condition de mettre en place une deuxième phase après février avec un groupe mixte.

En effet, si nous avions sous-estimé les barrières entre les différentes composantes de population du quartier, il semble que notre travail actuel  s’avère justement agir sur ce point qui reste justement un point crucial dans les problématiques des Amarantes et soit peut-être un moyen de permettre aux participants de les dépasser.

En conclusion, il semble qu’une dynamique ait finalement réussi à se mettre en place, qu’elle commence a avoir de réels résultats mais qu’elle a besoin de plus de temps pour s’enraciner et avoir quelques chances de laisser des résultats pérennes.

Nota : La rencontre inter-groupes a bien eu lieu début 2005. Elle s’est avérée très riche. Chaque groupe a joué pour les autres groupes ses séquences. le débat-forum fut très constructif et riche en échanges et déplacements individuels.

 

COMPTE RENDU RAPIDE ATELIER PAR ATELIER

 Il n’est pas possible ici de relater l’ensemble des récits et des échanges des groupes car nous nous sommes engagés comme chaque participant à la confidentialité de ce qui se passe en atelier. Pour autant nous pouvons donner les thématiques qui ont été abordées et notre point de vue sur ce qui se joue dans les groupes.

Compte-rendu atelier Copropriétaires et association des locataires.

Nous les avons rencontré 3 fois :  la première séance s’est limitée à une réunion-rencontre autour de la table, la deuxième fois pour une demi-journée d’atelier théâtre, la troisième fois pour une journée complète d’atelier théâtre ponctuée par un repas commun chez l’une des participantes.

Nous rappelons qu’aucun membre de ce groupe n’était présent au spectacle que nous avons donné le 1er octobre dans le quartier.

Le groupe se réunit au local du syndic, dans une petite salle où se tiennent généralement les réunions. La salle est trop exigüe pour ce genre d’activité mais nous avons compris que le groupe s’y sentait chez lui, à l’abri et qu’il n’était pas prêt à se déplacer vers l’espace réhabilitation ou vers le centre social, vécus comme les endroits des autres.

Le groupe, composé la première fois de 5 membres du syndic et de séverine pour la ville s’est élargi à une autre copropriétaire et au président de l’association des locataires puis, à la troisième intervention à l’ancien président de l’association des locataires.

Il est donc composé à ce jour (mi décembre) de 9 personnes :  2 femmes  et 3 hommes en copropriété, 2 professionnels de la politique de la ville et 2 hommes locataires.

Si ce groupe s’est montré au départ très réticent au projet ne voyant pas à quoi il pourrait leur servir, il s’avère aujourd’hui qu’il s’est emparé de l’outil de manière forte et que le travail qu’il réalise un vrai travail de fond.

 Les thématiques mises en travail :

La solitude de chacun dans le quartier vis à vis des drames personnels et familiaux vécus.

Comment mobiliser des habitants à agir avec l’association de locataires.

Comment clarifier les rôles respectifs des professionnels et des habitants militants vis à vis des habitants et des problématiques du quartier.

Comment valoriser les personnes à travers les idées qu’elles apportent à la communauté au lieu de ne pas les reconnaître.

 Le journal de notre intervention avec ce groupe de notre point de vue très subjectif 

 1ère réunion (3 novembre au matin)

Quand nous arrivons, à cause d’une erreur de planning interne au syndic, personne ne nos attend. Séverine, qui sera présente à tous les ateliers, s’occupe d’aller chercher quelques personnes à leur domicile.

Nous nous retrouvons autour de la table, avec des gens dans une intense colère, à cause d’une dégradation qui s’est produite la veille dans le quartier.

Impossible de démarrer le travail de théâtre : ils ne savent même pas qui nous sommes et ce que nous venons faire.

Ils se plaignent surtout des jeunes et des dégradations, des problèmes de parking aussi.

Plus ils parlent, plus le ton monte.

Il se dégage 2 axes :

la peur (des jeunes qui les insultent, de l’avenir…)

la colère (contre les institutions qui les  » entubent « , se  » servent d’eux, qui ne les aident pas assez – Séverine sur ce sujet se faire prendre à parti – et contre les jeunes qui  » détruisent leurs propres biens « . L’un des participants prend l’image du fou qui scie la branche sur laquelle il est assis pour parler de l’attitude des jeunes et des locataires du quartier.

La réunion se termine sur l’exposé des problèmes de santé que ces émotions leur provoquent.

La réunion en elle-même est informelle. Les gens entrent et sortent.

En repartant, la colère s’est un peu déchargée. Nous pouvons alors nous présenter et leur exposer notre proposition. Après discussion, ils nous donnent leur accord pour tenter avec nous quelque chose autour de l’objectif suivant : Créer les conditions d’un groupe solidaire dans lequel chacun puisse trouver réconfort et travailler ensemble sur comment agir vis à vis des problématiques qu’ils rencontrent puisqu’il sont d’accord avec nous pour dire que leur mode d’agir actuel n’aboutit pas aux résultats qu’ils voudraient. Nous leur parlons alors de la possibilité de rencontrer les autres groupes qui ont commencé à travailler mais cela leur semble inimaginable.

Ils sont donc d’accord pour qu’on se renvoie la prochaine fois. Un des participants, sur le pas de la porte, dit que ce serait bien de se retrouver plutôt le matin pour avoir le temps de travailler. v

Le lendemain, une réunion de la commission prévention est organisée à l’espace Réhabilitation par Jean François Ceruti à laquelle nous sommes invités à présenter notre proposition.

Sont présents : Un représentant des copropriétaires rencontré la veille. Le Directeur du Centre Social. La représentante du bailleur : Domicil. Le représentant de l’association des locataires. Une représentante d’Adelies. Un représentant de l’ADAP. Une représentante du Collège.

Après qu’ils aient abordé des problématiques du quartier, ils nous donnent la parole. Notre proposition est mise en débat. Finalement, il apparaît que le représentant de l’association des locataires pourrait être invité à participer au groupe des copropriétaires. Le représentant des copropriétaires présent donne son accord et s’engage à faire valider cela par le syndic.

 2ème matinée (24 novembre)

9 personnes sont présentes : 6 copropriétaires, 1 locataire, Séverine et Hassan pour les professionnels

Nous dégageons les tables et commençons l’atelier par des exercices visant la constitution d’un groupe capable de mener cette activité particulière qu’est le théâtre-forum. Les participants y mettent beaucoup d’entrain et y prennent  beaucoup de plaisir. Dans l’un d’eux, la question :  » Combien avez-vous de vrais amis ?  » les passionne et ouvre de riches échanges entre eux sur un mode dont ils n’avaient pas l’habitude.

Puis nous passons aux récits avec une technique particulière.

Les récits qui sont alors apportés au groupe ne traitent pas des sujets abordés avec colère la fois précédente. Pas question de jeunes, ni de dégradation mais de difficultés familiales notament liées à la maladie avec le handicap qu’elle représente et la solitude qu’elle entraine  pour une bonne part des participants. Nous avons aussi deux récits de solitude face à la militance (comment mobiliser d’autres habitants à agir, comment ne pas être utilisé)

A la fin de la matinée, le groupe réaffirme qu’il ne jouera jamais devant les autres.

Les participants affirment aussi que ce n’est pas possible de se voir plus d’une matinée et pourtant, ils nous proposent pour la fois d’après de manger ensemble chez l’une d’eux et qu’on verrait ensuite.

Un bilan rapide leur est demandé sur cette matinée autour de la question suivante : quel est le point le plus positif et quel est le point le plus négatif pour vous concernant cette demi-journée d’atelier ? leurs réponses sont retranscrites ici :

Positif :

Le dialogue sur les problèmes de chacun

C’est nouveau pour moi

C’est bien que les gens puissent commencer à parler de leurs problèmes et on voit la solidarité ici.

Parler d’insécurité

J’ai tout aimé car c’est intéressant et précis

Ca crée des liens car on est plus réceptifs

Ca relativise nos propres problèmes

Négatif :

J’ai eu du mal à faire l’exercice avec les yeux fermés

Cela fait beaucoup d’histoires dures dans un si petit groupe

Entre nous, cela va mais s’il faut faire entrer de nouvelles personnes, moi je ne pourrai pas

Je ne pourrais pas aller faire ça avec d’autres au centre social

J’ai moins aimé marcher dans le noir.

3ème journée ( 8 décembre)

9 personnes sont présentes : 6 copropriétaires, 2 locataires, Séverine pour les professionnels.

Nous commençons par deux jeux de notre méthode puis donnons les consignes pour que deux des récits de la fois précédente soient joués :

-Une situation au travail dans laquelle celui qui a donné une bonne idée la voit récupérée par un collègue qui en tirera bénéfice en faisant croire que l’idée vient de lui. Cette histoire parle à tous les membres du groupe qui repèrent que ce genre de pratique a aussi lieu sur le quartier.

-Une situation de bénévole associatif seul à assumer sa fonction, utilisé comme un service par les habitants mais se retrouvant seul chaque fois qu’il y a une démarche à faire ou une action à porter.

Nous décidons que les histoires liées à la maladie seront abordées plus tard.

Ces deux récits sont montés en courtes scènes dans un premier temps.

Les participants  » croquent  » avec plaisir les différentes stratégies des gens pour ne pas s’impliquer dans la vie sociale, celles des collègues voleurs des productions intellectuelles du protagoniste… les participants prennent beaucoup de plaisir à jouer.

Puis nous les mettons au forum c’est à dire que nous proposons aux participants de remplacer le protagoniste avec lequel ils se sentent solidaires pour mettre en place d’autres réactions, d’autres stratégies.

Le débat se fait alors rapide, intense. Plusieurs stratégies sont élaborées, rediscutées. Nous ne trouverons pas de solution miracle mais décortiquerons les deux situations d’origine et travaillerons à dévoiler leurs mécanismes, ferons des relations avec d’autres histoires qui se situent dans le quartier.

Par ailleurs, de nombreuses personnes ont reçu une facture de charges qu’ils trouvent exorbitante. Ils viennent dans l’atelier pour demander à Séverine de s’en occuper. Cela perturbe le travail du groupe et finit par agacer les participants.  En fin de matinée, une  » critique  » est faite à la professionnelle de la ville concernant sa manière de se situer vis à vis des habitants qui lui amènent leur régularisation de charges. Nous nous saisissons alors de l’occasion pour orienter le travail  sur la problématique suivante :  comment aider l’association des locataires à se renforcer. Il est décidé que nous travaillerons l’après midi sur ce sujet.

Le repas  de midi est pris chez l’une des participantes qui a cuisiné pour le groupe un couscous. Il est chaleureux. On y parle beaucoup des jeunes mais avec tendresse.

L’après-midi, il est difficile d’empêcher les participants  de débattre pour se remettre au jeu théâtral tant le sujet les concerne et les échauffe tous comprennent très bien que nous sommes en train tous ensemble de faire un travail sur la place respective des associations et des professionnels, sur ce que l’histoire de ces dernières années a amené en termes de dysfonctionnements à ce niveau. Tous savent que tout cela n’est pas simple, qu’on ne peut chercher que le moins pire des fonctionnement, que chaque fonctionnement représente des intérêts mais a aussi des effets pervers…

Sur la fin de l’après-midi, les langues se délient sur le flou

du rôle des différents acteurs ( officiels et de fait) dans la cité

de la façon dont l’argent de Domicil) est utilisé

Les différents participants s’étonnent : chacun pensait que les autres ne maîtrisaient pas la géographie du quartier aussi bien qu’eux. En fait, ils sont tous au même niveau d’information mais découvrent aujourd’hui que les autres font la même analyse qu’eux.

Le mini bilan rapide qui est demandé aux participants donne les points suivants :

C’est très fatigant de faire cela

On finit par dire le jeu de la vérité

C’est enrichissant

J’ai aujourd’hui mangé chez l’un de vous alors que cela fait trente ans que j’habite ici

C’est bien mais on perd du temps car on parle trop, on se coupe, on tourne en rond. On n’avance pas assez vite.

Là on fait du concret, on cherche comment faire. J’aime ça.

On se quitte en projetant une nouvelle journée complète, déjeuner commun compris et avec le contrat que NAJE mènerait le prochain atelier de façon plus directive pour limiter les temps où l’on parle trop et où l’on tourne en rond au profit du jeu théâtral qui permet de sortir de ça.

 

 Compte rendu du groupe alphabétisation

Le groupe composé le premier jour de novembre de femmes du cours d’alphabétisation et de femmes du quartier qui parlent la langue s’est scindé en deux groupes notamment du fait des décisions qui ont été prises au sein du centre social entre la première et la deuxième séance : l’atelier théâtre-forum serait porté par les deux animatrices alhabétisation mais ne durerait qu’une matinée à chacune de nos venues à Port de Bouc et l’animatrice du centre social proposerait aux autres femmes de participer à un atelier l’après midi.v

Ce groupe est composé de femmes qui parlent pas ou peu le français. Si Hacia (l’animatrice du centre social) assure la traduction en arabe, il n’y a pas de traductrice pour les cambodgiennes. Ainsi, les consignes prennent beaucoup de temps à expliquer, de même que solliciter leur parole et vérifier qu’elles cernent un peu ce qui est exprimé.

Les femmes qui y participent semblent y avoir trouvé de la chaleur, le temps de rire, le temps de percevoir une solidarité possible. A partir de la deuxième séance, l’idée que cet atelier sert à changer la vie commence a émerger.

Par ailleurs, si les premiers récits ont semblé à coté des objectifs et thématiques de l’atelier, ils ont été riches d’enseignements sur les modes de pensée en cours. La troisème séance a permis de travailler sur la thématique initiale du groupe : l’implication des femmes dans la vie du quartier et dans le travail avec les professionnels.

Il nous semble intéressant de travailler avec ce groupe, justement parce qu’il est composé des femmes les plus éloignées de la figure de l’acteur social telle que nous la concevons généralement. Elles posent la question de que faire avec les oubliés de la participation.

Les thématiques abordées :

-Vivre entre la tradition et l’intégration : une déchirure, des conflits.

les questions de violences conjugales et familiales

les mariages arrangés qui finissent mal

la question de la pression sociale et de la rumeur très pregnante dans le quartier

la question des adolescents qui sont en échec scolaire et sont à la maison ou dans le quartier sans espoir pour leur avenir et dans la violence

les difficultés de relations de voisinage (il est difficile de s’expliquer, les cris et les coups arrivent tout de suite)

– la question de la langue, de ce que le fait de ne pas parler amène au repli et à la solitude, avec l’impossibilité de s’intégrer

Une histoire de fuite d’eau après la réhabilitation qui a été difficile à vivre pour la personne qui ne parle pas le français.

Les moyens de transport collectifs non satisfaisants pour sortir de la ville.

les femmes asiatiques sont transparentes dans le quartier et restent isolées.

Les mères de famille ont peur pour leur enfant car il y a des voitures partout dans le quartier.

La non participation aux réunions collectives du quartier, pourquoi ? Que faire et quelles questions cela pose aux professionnels.

Les enfants qui voient les jeunes fumer du haschich, prendront plus tard exemple sur eux et les adultes qui passent et font semblant de ne rien voir.

 Notre journal subjectif

La première séance commune a eu lieu un jeudi matin au centre social.

18 femmes étaient présentes plus Marie Pierre pour la ville, Hacia pour le centre social et les deux formatrices alphabétisation.

Nous avons proposé deux jeux théâtraux puis des récits d’histoires autour de  » qu’est ce qui pour vous est injuste dans ce que vous vivez ?  »

Les récits apportés au groupe ont suscité chez l’ensemble des participantes beaucoup d’émotion. Il était question d’intime qui se livrait là.  Ils ont touché à plusieurs thématiques qui concernent plus la vie des personnes ou la famille que le fonctionnement du quartier. Comme si ce qui nous avait été dit des problématiques  du quartier  passait pour elles dans un lointain second plan, leurs réelles problèmes étant ailleurs :

-La question du voile pour lequel un emploi est refusé.

les questions de violences conjugales et familiales

les mariages arrangés qui finissent mal

la question de la pression sociale et de la rumeur très preignante dans le quartier

la question des adolescents qui sont en échec scolaire et sont à la maison ou dans le quartier sans espoir pour leur avenir et dans la violence

les difficultés de relations de voisinage (il est difficile de s’expliquer, les cris et les coups arrivent tout de suite)

– la question de la langue, de ce que le fait de ne pas parler amène au repli et à la solitude, avec l’impossibilité de s’intégrer

Une histoire de fuite d’eau après la réhabilitation qui a été difficile à vivre pour la personne qui ne parle pas le français.

Vu les difficultés de langue importantes d’une partie du groupe et vu le temps qu’avait pris le partage des récits, nous n’avons pas proposé au groupe un temps de bilan collectif de la matinée.

 2ème demi-journée :

10 femmes sont présentes (4 cambodgiennes, 2 turques, 4 magrehbines) plus les professionnels de la première fois.

Après deux jeux de mise en route, nous leur proposons de choisir quelles histoires de la dernière fois mettre en scène aujourd’hui. Nous proposons l’histoire de la fuite d’eau portée par une dame cambodgiennne. Pour la deuxième histoire, une femme qui n’était pas là à la première séance lève le doigt et dit qu’elle a une histoire à elle qu’elle veut monter aujourd’hui : il s’agit de sa fille qui vit dans sa belle famille et est sommée de fonctionner selon la tradition (port du voile, interdiction d’ouvrir la fenetre, service permanent de tous les membres de la famille…)

Nous décidons alors de monter ces deux histoires en séparant le group selon les langues : un groupe autour de la fuite d’eau avec les cambodgiennes, un groupe autour de la fille forcée à vivre traditionnellement avec la femme turque et les femmes magréhbines.

Le groupe des cambodgiennes met beaucoup de temps à mettre en forme quelque chose de son récit du fait de la non compréhension des consignes. Nous découvrirons en fin de matinée que la fuite est réparée mais que ce qui choque la dame et qu’elle trouve injuste est que les professionnels avaient affirmé qu’avec la réhabilitation, tout serait bien et qu’il s’avère que ce n’est pas vrai. Ont-ils menti ? Comment est ce possible qu’ils puissent se tromper ? Il est injuste que la réhabilitation ne satisfasse pas aux espoirs qu’elle y a mis. Par ailleurs, la dame ne parle pas le français et il lui a été très difficile de se faire comprendre pour demander la réparation, de savoir à qui s’adresser. toutes les démarches qu’il lui a fallu faire lui ont énormément couté.

Nous avons retenu de ce travail avec ce sous groupe que non seulement elles ne maitrisent pas la langue mais qu’aussi notre organisation sociale leur est totalement incompréhensible, qu’elle vivent là sans pouvoir avoir aucune maitrise sur leur environnement.

Le groupe des femmes magrehbines met en scène plus rapidement sa scène si bien qu’en fin de matinée, nous prenons un quart d’heure pour la mettre en forum avec l’ensemble des femmes présentes à l’atelier.

Les femmes n’hésitent alors pas à remplacer la fille dans sa belle famille ou la mère qui voudrait aider sa fille. Nous travaillons alors à ce qu’il est possible de se permettre avec sa belle famille, qui peut agir, comment faire sans tout casser… A notre grande surprise, une femme cambodgienne demande elle aussi à remplacer la protagoniste de la scène pour tenter sa proposition.

Vu l’heure avancée et la difficulté de formulation d’une partie du groupe, nous ne proposons pas de temps de bilan collectif.

3ème demi-journée :

5 femmes sont présentes : deux femmes asiatiques, une magrehbine, deux femmes turques. Plus une formatrice alphabétisation, l’animatrice du centre social et Marie Pierre Serre pour la ville. Deux femmes se sont excusées, étant prises par des impératifs extérieurs.

Nous proposons un jeu faisant appel à l’échange et à l’imagination, puis montrons la technique de construction des images et proposons à chacune de faire une image du problème du quartier qu’elle trouve le plus important. A chaque présentation d’image problématique, nous proposons au groupe de chercher quelle serait l’image idéale de la situation présentée de manière à permettre au groupe d’élaborer des pistes.

Les images relatent les point suivants :

-les moyens de transport collectifs sont trop limités pour quitter le quartier ce qui nous amène à devoir prendre le taxi ce qui est cher.

les femmes asiatiques sont transparentes dans le quartier et restent isolées. Non qu’elles soient l’objet d’agressivité, elles n’existent tout simplement pas pour les autres. Cette image amène le groupe a travailler pour les femmes asiatiques du groupe : comment  pourraient aller vers les autres ?

Les mères de famille ont peur pour leur enfant car il y a des voitures partout dans le quartier. Cette image amène Marie Pierre serre à montrer tout de suite son image : le maire a convoqué les habitants en réunion publique et quasiment personne n’est présent. Le fait de juxtaposer ces deux images nous amène a débattre avec les femmes de pourquoi elles ne viennent pas aux réunions dans le quartier : elles n’ont pas accès à l’information qui se diffuse sous forme d’affichettes en langue française et elles ne sont pas dans les réseaux dans lesquels l’information circule. De plus pourquoi venir à une réunion où il n’y a pas de traductrice et où l’on ne pourra ni comprendre ni parler). Nous leur expliquons que la place des voitures a beaucoup été discutée lors de la réhabilitation avec les habitants mais que personne n’a réellement parlé des problèmes de cohabitation des voitures et des enfants, la majorité des gens demandant plutôt plus de places de parking, que donc, leur point de vue n’avait pas été dit et qu’il ne serait pas non plus dit sur d’autres sujets tant qu’elles ne seraient pas en mesure de participer aux réunions collectives.

Nous nous sommes arrêtées là sur ce sujet qu’il faudra remettre en travail les prochaines fois afin de l’approfondir et d’avancer.

Les mères de famille dont les grands enfants sont là, sans travail et sans bouger pour en trouver. Sur cette image, nous avons seulement tenté une image idéale à laquelle elles ont pris beaucoup de plaisir. Ce sujet étant revenu plusieurs fois, il nous faudra le mettre en travail les prochaines fois.

Les bagarres dans le quartier soit entre voisins, soit entre jeunes, soit au sein d’une famille. Qui sépare les bagarreurs ? Comment ?

Cela amène le récit d’une participante sur une fois où elle a vu deux personnes se battre, une troisième arriver, un couteau sortir et où elle a hurlé de sa fenêtre (j’ai peur, arrêtez) et où les bagarreurs se sont arrêtés. La dame est très fière de son attitude à ce moment là. Elle a eu une extinction de voix pendant plusieurs jours mais trouve que le jeu en valait la chandelle. Comme quoi l’on peut parfois agir pour changer les choses mais si on a toujours le sentiment de ne rien pouvoir faire.

Les enfants qui voient les jeunes fumer du haschich, prendront plus tard exemple sur eux et les adultes qui passent et font semblant de ne rien voir.

 Nous proposons ensuite un mini bilan aux participantes :

On a parlé de la vie, c’est vraiment comme ça.

On est ensemble pour parler, c’est intéressant

J’aime être avec les autres pour apprendre le français.

Comment vivre tous ensemble dans le quartier ?

Ca fait réfléchir avec la tête. Les images, ça résonne dans ma tête. Ca fait réfléchir.

J’ai parlé avec tout le monde et compris un peu. Je suis contente. C’est pour avancer et changer la vie.

Je suis contente car je sais vos problèmes et car j’ai dit les miens.

  Le groupe de femmes du quartier.

 Ce groupe est très restreint et, du fait de l’histoire de la mise en place de l’opération, il ne s’est réuni en tant que tel qu’une fois avec 4 femmes plus Hacia et Séverine dans le local réhabilitation.

La deuxième fois, l’atelier s’est transformé en réunion des locataires du fait de la présence devant l’espace réhabilitation de plus de 20 femmes réunies pour rencontrer le président de l’association des locataires. Nous avons finalement dirigé la réunion et travaillé avec les personnes présentes autour de la nécessité de s’organiser collectivement pour agir.

La première séance :

Nous avons proposé trois jeux puis des récits et la mise en scène rapide de deux d’entre eux.

Les histoires abordées :

les conflits entre parents sur l’éducation à donner aux filles : deux idées de la tradition :  le père a  peur de ce que diront les voisins de ses filles si on les laisse sortir, de l’autre coté, la mère élevée au pays avec une éducation basée sur la confiance et la liberté et qui veut reproduire cela avec ses filles.

Le mari qui charge la femme de toutes les responsabilités vis à vis des enfants ;

Les conflits de voisinage qui s’enveniment vite.

La loi du silence et la rumeur.

Comment passer des cris et de l’indignation à l’action collective et à l’élaboration d’une stratégie ensemble (thème de la deuxième rencontre)

Journal subjectif de la réunion collective faisant office d’atelier (séance de décembre)

Alors que nous nous réunissons avec le deuxième groupe de femmes, la question des charges locatives et de leur régularisation revient en force. Un groupe en colère attend le président de l’association des locataires. Dans les mécontents se trouvent aussi des femmes de notre groupe. Nous décidons après brève concertation d’abandonner notre atelier et de laisser le local aux personnes qui attendent.

La thématique abordée la veille dans le groupe des copropriétaires ressurgit mais à l’envers : comment gérer positivement la colère des gens, au moment où elle peut devenir mobilisatrice, sans pour autant manipuler ? Quel rôle doit jouer le président de l’association des locataires ?

La réunion est houleuse. Les personnes présentes alternent entre les prises de paroles de colère dans le brouhaha et l’adresse individuelle au président de l’association des locataires pour qu’il leur explique leur facture particulière, entre les  » coups de gueule  » collectifs et le fait de quitter la réunion pour aller en solitaire à Domicil régler sa propre situation, le fait de dire qu’il faut faire quelque chose et en même temps que l’association de locataires ne sert à rien…

Au risque de déborder de notre rôle, nous décidons  » d’assister  » le président (qui travaille aussi avec nous dans le groupe de co-pro) dans la tâche difficile de réussir à faire émerger une action concrète au-delà du coup de gueule et nous dirigeons la réunion en distribuant la parole. Beaucoup de personnes parlent des charges de l’année précédente qu’ils avaient fini par payer après des  » entretiens individuels  » où on leur avait  » expliqué  » les détails de la facture. Mais la sensation de s’être fait rouler n’est pas apaisée. Les gens ont l’impression de payer pour la réhabilitation de la cité. D’ailleurs, un énigmatique  » suite à la réhabilitation…  » qui figure au début du courrier adressé par le bailleur aux habitants, renforce ce sentiment.

Il est finalement décidé, en plus du président qui demandera des explications directement au bailleur par téléphone, de rédiger une pétition demandant une suspension des paiements jusqu’à la levée des doutes par des entretiens individuels bâtiment par bâtiment et non plus individuels. Il est décidé aussi que le président devra faire appel à l’Union des Consommateurs qui est compétente pour travailler la question.

Nous rédigeons le texte dicté en  » vocabulaire institutionnel  » par une professionnelle présente à la réunion.

  Le groupe de jeunes Greta

 La première séance du 3 novembre après midi a réuni une cinquantaine de jeunes et d’enfants dont 10 jeunes en formation Greta.

Puis, dès la fois suivante, l’activité s’est organisée pour les jeunes du greta (elle était ouverte aux jeunes de plus de 16 ans qui le souhaitaient mais il n’y a pas eu de volontaires de plus de 16 ans, seulement des enfants que les jeunes du Greta, avec notre accord ont refusé d’intégrer dans leur groupe).

Cet atelier s’est donc réuni trois fois au centre social, soit deux journées complètes plus la première demi journée.

Il semble que les jeunes aient accroché à l’outil théâtre-forum car il leur permet de se dépasser, de parler ensemble de choses vraies et qui les touchent, de chercher des solutions aux problèmes quotidiens qu’ils vivent.

De notre point de vue, l’atelier est un lieu dans lequel ils prennent confiance en eux mêmes, dans lequel ils développent leurs capacités à analyser, chercher des alternatives…

Plus globalement, Le travail a permis de mettre en question certains fonctionnements dans le quartier, d’exprimer que les lois du quartier ne sont pas forcément bonnes. Pour autant, il ne semble pas encore possible d’en sortir. Nous devrons continuer à chercher avec eux dans ce sens là.

Les thématiques abordées :

– la rumeur et la pression sociale dans le quartier qui se pose pour les filles et pour les garçons de manière différente.

le racisme  envers les étrangers et aussi dans le quartier entre cultures ( arabe/ gitans),

les problèmes entre les jeunes et les copropriétaires perçus comme racistes, la question de ce qu’on a le droit de faire et de ne pas faire  » on est chez nous,  donc on a le droit de tout faire dit un jeune pour expliquer pourquoi il se sent légitime de squatter les halls des copropriétaires),

l’environnement avec la saleté et l’attitude des gens quant aux poubelles.

La fragilité des situations avec le spectre de la rue tout proche

Les relations familiales

 

Notre journal subjectif séance par séance :

1ère séance le 3 novembre`

Les jeunes étaient invités à une rencontre autour de la question de la vie dans le quartier.

Pour aborder ce thème, le responsable du centre social avait convié un chanteur rappeur pour  présenter ses textes basés sur  la vie dans un quartier, les dérives,  le mal être ». Sur ce temps de lecture, les jeunes ont été très à l’écoute. Les mots faisaient échos dans leurs têtes. En reprenant les mots « chocs » des textes, une discussion s’est installée petit à petit avec les professionnels et les jeunes. Certains jeunes ont exprimé les problèmes qu’ils rencontraient au sein de leur quartier comme la rumeur, le racisme entre culture ( arabe/ gitans),les problèmes entre les jeunes et les copropriétaires perçus comme racistes ,  le fait ou non d’avoir le droit de squatter leurs cages d’escalier (on est chez nous, on a le droit de tout faire chez nous), l’environnement avec la saleté et l’attitude des gens quant aux poubelles.

En deuxième partie d’après-midi, nous avons expliqué notre travail et leur avons proposé un atelier  les mercredis après midi.

Puis nous avons proposé au groupe de faire un exercice de déplacement  dans la pièce les yeux fermés. Bon nombre l’ont fait. D’autres n’ont pas accepté soit par peur de se faire moquer par les autres, soit par non adhésion à notre proposition soit les deux à la fois.`

Ensuite, nous leur avons proposé de faire des récits d’abord deux par deux puis à tout le groupe réuni.

C’est à ce moment là que certains jeunes sont sortis de la salle, comprenant qu’ils ne pouvaient pas rester sans participer eux aussi.

Finalement, ces récits ont été faits et ont tous relatés au groupe. Pour ce faire, nous avions posé des consignes précises de respect des récits et des autres.  Nous avons néanmoins été étonnés de l’écoute par tous jusqu’au bout de toutes les histoires. Ce temps, comme celui de la réunion du début d’après midi ont  constitué de véritables temps d’échange entre les jeunes participants.

Les grands thèmes qui en sont ressortis ont concerné la  discrimination raciale dont ils sont victimes vis à vis de l’extérieur et ce qui se joue entre les différents groupes du quartier, les bagarres entre enfants et entre jeunes,  les problèmes d’orientation scolaire, les problèmes d’environnement dans le quartier (saleté). Nous avons aussi eu des récits de délinquance relatés par ceux qui les avaient commis trouvant injustes d’être embétés ou poursuivis pour cela ou regrettant d’avoir tenté un cambriolage car il a fait courir une femme enceinte, ce qui n’est pas bien

2éme séance: mercredi 24 novembre toute la journée.

Sont présents : 12 jeunes en formation Greta (17-19 ans)

Dans ce groupe, 8 jeunes habitent le quartier et 4 sont extérieurs.

Les jeunes étaient inquiets et appréhendaient cette séance .

Après avoir réussi à les regrouper, nous avons commencé par des exercices pour travailler sur la cohésion du groupe, la concentration, la confiance en l’autre.

Nous avons mis en scène trois séquences et fait forum sur chacune :

Une bagarre dans le quartier entre des jeunes arabes et des jeunes gitans. L’histoire commence par un petit gitan qui accuse un grand arabe de l’avoir frappé et va se plaindre à son grand frêre.  Cela  provoque une montée en violence et amène la bande de gitans à aller se battre avec la bande des arabes. La bagarre ne cesse qu’à l’arrivée de la police. Plus tard un jeune arabe et un jeune gitan se font agresser à Martigues. Ils reviennent aux Amarantes pour mobiliser leurs groupes respectifs et vont tous ensemble se confronter aux jeunes de Martigues. Il s’agit là de sauver l’honneur des Amarantes. Pour cela, ils peuvent s’associer.

Le forum a vu la proposition d’un autre jeune se proposant pour aller sans le grand frêre concerné voir le groupe antagoniste afin de vérifier les propos du petit frêre. Cette piste ayant donné des résultats à l’improvisation,  un débat s’est installé sur la possibilité ou non d’agir de cette manière dans le quartier. Le jeune protagoniste nous dira qu’il peut faire cela au théâtre mais pas dans le quartier car alors il serait discrédité et traité de balance dans son propre groupe.

Une jeune fille découvre qu’elle va être orientée vers un BEP qu’elle ne veut pas. Le soir, très en colère, elle en parle à sa mère qui dit ne rien pouvoir. Le lendemain, elle va donc en parler à son professeur principal qui leui conseille d’aller en parler au principal. Rien n’y fait, elle iradans le BEP conseillé par le collège, y restera trois mois et abandonnera sans en parler à qui que ce soit. Après une période d’inactivité, elle se retrouve en stage greta.

Les interventions de forum des jeunes ont visé dans un premier temps à demander rendez-vous auprès d’une conseillère d’éducation pour tenter de trouver une orientation vers la cuisine qui soit compatible avec ses faibles résultats scolaires. Ils ont tenté aussi des choses en direction de la mère pour qu’elle aide sa fille, ce qui a amené des prises de parole sur le rôle des mères. Enfin ils ont proposé de négocier avec le professeur principal un redoublement afin de tenter d’améliorer les résultats scolaires et de pouvoir prétendre au BEP désiré. Le forum amène aussi les filles du groupe à parler avec leur mère autour de  » il faut me laisser faire mes devoirs au lieu de faire le ménage  »

Un jeune est en stage de trois semaines pour découvrir le métier de cuisinier. Pendant trois jours il reste à la plonge. Le quatrième jour, il va demander au patron de faire de la cuisine. Il obteint de participer à la confection d’un gateau puis retourne à la plonge. Le cinquième jour, il s’ennerve et part sans avertir personne.

Le forum a  vu des jeunes tentant de négocier avec le patron de faire de la cuisine et non la plonge. Ces pistes échouant, l’idée leur est venue de faire appel  à la convention de stage pour négocier avec le patron (donc le cadre législatif)

Leur bilan de cette séance

fatigué mais c’est franchement bien alorqs que j’étais pas chaud le matin

j’ai découvert qu’il y a toujours une solution à un problème

intéressant l’histoire de l’orientation et de la bagarre

le théâtre m’a permis de me lâcher et de pas avoir la honte

ca m’a pas plu, j’ai failli m’endormir

c’était bien

j’ai pris conscience que les petits nous emboucanent et qu’il faudrait arrêter de se battre pour eux.

Le  groupe se déclare globalement content de la séance et prêt à continuer la prochaine fois.

Nous notons qu’il semble que, même sio les jeunes ne le formalisaient pas comme cela, ils aient pris conscience de l’absurdité du conflit gitans-arabes.

 3ème séance : le 8 décembre toute la journée.

11 jeunes sont présents dont deux jeunes filles nouvellement intégrées au greta ( donc 3 qui ne sont pas revenus)

Le matin, nous reprenons deux scènes dans le but de préparer une rencontre avec les autres groupes. Il s’agit de les ré-improviser et de les améliorer pour les présenter à d’autres : la scène de la bagarre plus celle de l’apprentissage.

il s’avère alors que les jeunes n’ont pas très envie de répéter, que le dynamisme manque. Nous reprenons alors la scène de l’orientation en leur proposant un nouveau mode de forum : ils peuvent maintenant remplacer n’importe quel personnage de la scène. L’exercice leur plait. Nous repérons alors qu’ils sont beaucoup plus à l’aise pour imaginer des argumentations, que leur timidité disparaît progressivement, que le plaisir de jouer l’emporte sur la peur. Cela même si la concentration n’est pas toujours au rendez-vous.

L’après midi, nous appelons de nouveaux récits à mettre en scène. Deux récits sont choisis : l’un concerne des relations avec la belle famille très confictuels aboutissant à la mise à la rue d’une jeune fille.

Forum a été fait sur cette scène avec plusieurs directions : dire à sa belle mère ce que l’on pense d’elle, ce qui n’aboutit à rien mais permet de décharger sa colère, contacter le fiancé pour qu’il agisse sur son père et lui demande de faire une médiation, enfin contacter une association pour demander un hébergement d’urgence. Il est à noter que cette dernière piste a été amenée par une adulte.

Nous montons aussi une scène sur la discrimination dans un magasin qui est apportée par un adulte. Le forum fait par les jeunes consiste à demander à un français d’acheter à notre place. Une adulte propose la piste de l’appel à la justice en l’occurrence, le 114

Le bilan de  la séance :

Les animateurs du groupe ayant expliqué en début de journée leur projet d’une rencontre intergroupes dans laquelle toutes les productions seraient échangées, le bilan s’est organisé autour des réactions à cette proposition.

Les jeunes ont expliqué que le théâtre leur plait,  que l’improvisation d’histoires réelles les intéresse et aussi le fait de chercher des pistes ensemble. Par contre le fait de jouer devant les copropriétaires est une idée qui ne leur plait pas : ils n’ont pas envie de les rencontrer, ont peur qu’ils se moquent d’eux, ont peur que cela dégénère.