Rencontres avec nos intervenants

D’une participante anonyme à propos de la mise en place d’une norme européenne pour les jouets

Dans le cadre de notre chantier sur les normes, le 10 novembre 2013, l’une des participantes nous a raconté une situation concrète pour que nous la mettions en scène. 
En voici le résumé.
 

Je travaillais au ministère de la Santé sur les intoxications au plomb sur les enfants : le saturnisme. Je devais essayer de trouver des moyens concrets à travers l’écriture de règlementations.

Il y avait beaucoup de travail, et les ordres arrivaient souvent de différents endroits.

Un jour, un fax arrive sur mon bureau, sans que je ne sache qui l’y a mis. Je découvre qu’il va y avoir une renégociation d’une directive sur la sécurité des jouets : on va faire des normes pour qu’il n’y ait pas de produits toxiques dans les jouets.

Quand des fax comme cela arrivent, on peut les prendre en compte ou non. Moi je décide de consacrer du temps à cette question qui me paraît importante, sans être certaine d’être soutenue par mes supérieurs.

Je passe des coups de fils à d’autres ministères pour entrer dans la boucle. J’essaye d’avoir le texte du projet de directive, je cherche qui a négocié pour la France la directive précédente.

Je m’aperçois que les trois places de la France pour les négociations européennes sont déjà attribuées et que le ministère de la Santé n’est pas présent dans les négociations. Il y a une représentante du ministère de l’Industrie, une autre de la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), et un représentant du ministère du Commerce. Lors de mon premier coup de fil de contact avec la représentante du ministère du Commerce, elle me prévient que cela fait dix ans qu’elle est sur ce sujet et qu’il n’est pas question pour elle de me laisser sa place.

Quand la France négocie une directive, c’est le SGAE, un service du premier ministre, qui décide quel ministère sera en charge de ce travail.

Je téléphone donc au SGAE pour  demander à assister aux réunions concernant cette directive. Le SGAE me met donc parmi les membres de la commission. .

Lors de cette réunion, je m’aperçois très vite que tout le monde se connait et que tout est déjà décidé.

J’avais travaillé le sujet qui me tenait à cœur et j’expose une situation qui a fait beaucoup de bruit au Canada. Une entreprise offrait un petit jouet en plomb pour l’achat d’une paire de baskets. Un enfant a avalé ce jouet et s’est retrouvé aux urgences. Mais les médecins n’ont pas réussi à identifier la nature de l’intoxication de l’enfant, et il est mort. Cinq années plus tard, l’entreprise est déclarée responsable de la mort de l’enfant. Après avoir exposé ce cas, j’explique qu’il faudrait faire en sorte que le plomb soit totalement absent des jouets destinés aux enfants.

Mais l’accueil est plus que froid. On me répond qu’imposer ce genre de normes génèrerait du chômage, que ça coûterait bien trop cher aux industriels et qu’on ne peut pas leur imposer cela. La répression des fraudes met en avant les difficultés de mesure. Quant au ministère du Commerce, il veut ménager la Chine, ne pas risquer d’ébranler les relations commerciales avec ce pays.

Cette réunion se déroule en visioconférence avec les fonctionnaires de la Commission européenne, mais personne ne réagit.

A la fin de la réunion, une personne de la SGAE vient me voir en aparté et me dit que j’ai soulevé des enjeux importants. Elle m’explique le mode d’emploi de ce genre de réunion : il faut que j’obtienne le soutien du cabinet de mon ministère. J’appends que c’est comme ça que les choses se passent.

(cette réunion m’aura ainsi appris qu’il y a aussi des normes comportementales… )

Mais le gros problème que je rencontre, c’est qu’il y a au moins 5 ou 6 couches hiérarchiques entre le cabinet et moi. Or, il me reste seulement une semaine avant la réunion suivante.

Je prends contact avec une chef qui n’est pas la mienne (le mien n’a pas d’intérêt pour ce sujet) et qui s’occupe des produits chimiques. Elle s’empare de ce sujet avec moi. Nous n’aurons pas le temps d’avoir le soutien du cabinet du ministère de la Santé… mais cette chef, au fil du temps, réussira à faire avancer les choses. En tous cas pour cette directive-là ! Si je n’avais pas lu attentivement ce fax, personne au ministère de la Santé n’aurait pris en charge ce dossier.

 

Stéphane Hessel

En 2006, dans le cadre de notre chantier « les rêveurs de mondes » , nous avons rencontré Stéphane Hessel.

Attention, Stéphane Hessel n’a pas relu notre compte rendu, il peut donc comporter des erreurs.

Nations unies : ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain

(entretien avec Stéphane Hessel)

Le samedi 5 janvier 2006, en fin d’après-midi, Stéphane Hessel est venu nous parler des Nations unies. Cet homme enthousiaste et chaleureux  a vite été sous le feu de la critique, tant l’ONU suscite déceptions et ressentiment. Mais son intelligence, son sens de l’écoute et son opiniâtreté ont eu raison de certaines de nos réticences. Résumé des temps forts de cette rencontre avec un « grand monsieur ».

Résistant, déporté, Stéphane Hessel a rejoint le secrétariat général des Nations unies en février 1946, six mois après l’adoption de la Charte. Il nous a rappelé que la création de l’ONU (Organisation des Nations unies) était le fruit d’un contexte très particulier : les lendemains d’Auschwitz et Hiroshima. La déclaration universelle des droits de l’homme (universelle en ce qu’elle s’adresse à l’humanité toute entière, sans exception) entend éviter la reproduction de telles horreurs. Adoptée en 1945, la Charte des Nations unies donne à l’organisation trois objectifs majeurs :
-  le maintien de la paix ;
-  la protection des droits de l’homme (civiques et politiques, mais aussi économiques et sociaux) ;
-  le développement économique par la coopération entre les Etats.

Un bilan mitigé

Quel bilan peut-on dresser de l’ONU en regard de ces trois objectifs ?

-  Concernant le maintien de la paix, « il y a des massacres et conflits dans beaucoup de pays, mais il n’y a pas eu de Troisième Guerre mondiale », rappelle Stéphane Hessel. Le problème, c’est que ces conflits deviennent de plus en plus internes aux pays (exemples du Rwanda ou de l’ex-Yougoslavie), alors que la Charte des Nations unies, qui respecte la souveraineté des Etats, ne prévoit aucun moyen d’intervention face à ce type de conflits. Peu à peu a donc émergé le concept de « droit d’ingérence ».

-  Concernant les droits de l’homme, « ils sont violés dans la plupart des pays » mais dans presque tous les pays (l’ONU en compte aujourd’hui 189), « on trouve des associations de défense qui s’efforcent de les faire respecter en se référant aux textes fondamentaux ». Des tribunaux pénaux internationaux ont été mis en place pour trois pays (le Rwanda, l’ex-Yougoslavie et le Sierra Leone), et un projet de Tribunal pénal international valable pour toute la communauté mondiale est aujourd’hui en chantier.

-  C’est sur le développement économique et social que le bilan des Nations unies est le plus décevant : « Les ressources et méthodes des organismes en charge de cette mission n’ont pas été satisfaisants », reconnaît Stéphane Hessel. En quelques années, l’aide au développement des pays du Sud est tombée de 0,58 % du PIB des pays du Nord à 0,32 % (alors que l’objectif affiché était de 0,7 %). Selon les chiffres officiels du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), l’écart n’a cessé de grandir entre pays riches et pays pauvres (le rapport entre les revenus des agriculteurs des pays riches et ceux des pays pauvres est passé de 50 à 1 000 en cinquante ans !). Sur l’écologie et le développement durable, les Nations unies ont contribué à la réussite du sommet de Rio, en 1992, mais les grand principes qui en sont issus n’ont pas été suivi d’effets (ainsi, les « agendas 21 », qui doivent les traduire aux niveaux national et local sont encore rares, surtout en France). Pour l’ancien ambassadeur de France à l’ONU, « les gouvernements se sentent coincés par les règles du jeu de la globalisation ; s’ils les refusent, ils pensent qu’ils vont être exclus du cercle du développement économique… »

Les blocages institutionnels

Les principaux blocages se situent au niveau institutionnel. Du côté de l’Assemblée générale – qui vote les « résolutions » -, chaque pays détient une voix. Mais le Conseil de sécurité – le seul à pouvoir voter une intervention militaire – compte quinze membres, dont cinq membres permanents (les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale) qui ont un droit de veto. Les Etats-Unis en usent et abusent pour imposer leur vision du monde (c’est ce qui explique l’impuissance des Nations unies sur le conflit au Moyen-Orient). Autre manque de démocratie, le poids pris par des organismes de type FMI ou Banque mondiale, où le vote s’opère proportionnellement aux fonds versés par les pays, et non plus selon le principe « un pays = une voix ». Cela permet aux Etats-Unis de faire passer leur politique. D’autant que ces institutions disposent de ressources bien supérieures à l’Organisation mondiale de la santé, à l’Unesco ou à l’Office international du travail.

L’appel aux citoyens

En conclusion, Stéphane Hessel a affirmé que la situation du monde serait pire si les Nations unies n’existaient pas. « Nous serions alors dans une jungle totale ». Il ne faut donc pas que l’ONU disparaisse, mais plutôt qu’elle voit ses moyens et sa légitimité renforcés. Il en a aussi appelé à la mobilisation des citoyens : « Chacun a un rôle à jouer. Non pour réformer le conseil de sécurité. Mais pour réfléchir à ce qui peut rendre plus efficace notre investissement civique. Cela passe par l’écoute de nos voisins, notamment dans ce qu’ils ont de plus difficile à vivre. » Enfin, il a rappelé que l’actuel secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan voit d’un très bon œil le mouvement civique et social mondial en construction autour de Porto Alegre.

Patrick Viveret

Le 6 janvier 2013, dans le cadre de notre chantier sur la propagande, nous avons rencontré Patrick Viveret (philosophe et « passeur »)
 
Attention notre compte rendu n’a pas été relu par Patrick Viveret et peut donc comporter des erreurs.
 
L’efficacité de la propagande se joue autour de la servitude volontaire. L’arme de l’oppresseur réside dans ce qui se passe dans la tête de l’opprimé. Quand le niveau de conscience s’élève jusqu’à identifier le système, celui-ci est toujours amené à s’effondrer.
 
La stratégie du désir face à la sidération
« Sidération » vient de l’univers sidéral qu’on croyait fixe. L’univers du désir opère une dé-sidération. Dans l’état de sidération, on n’imagine pas qu’il puisse en être autrement. C’est l’énergie du désir qui re-débloque l’imaginaire.
Pour aller vers la dé-sidération, les 3 éléments du trépied sont : la Résistance créative (et non pas désespérée), la Vision transformatrice (énergie du désir) et l’Expérimentation anticipatrice – Rê V E. L’un ne va pas sans les autres pour vraiment bouger les choses.
 
Les systèmes de croyances
Nous sommes tous victimes de systèmes de croyances. Un exemple : on croit qu’Hitler est arrivé au pouvoir à cause de l’inflation. En fait, c’est au moment de la déflation (chômage de masse). La déflation était due à la démesure des réparations demandées par le traité de Versailles, et non pas aux dépenses sociales.
Du coup, l’Allemagne a posé, entre autres conditions à la création de l’euro, que la Banque centrale européenne lutte contre l’inflation et qu’elle ne prête pas aux États.
 
La fonction émotionnelle est très importante : si on identifie une cause principale, on déduit des choses soi-disant logiques mais qui ne le sont pas car les hypothèses de départ sont fausses. Cela dit, on a tous besoin de systèmes de croyances. Il faut juste faire le tri entre les fonctions émotionnelles positives et les fonctions émotionnelles destructrices.
 
Quand les faits dénient la croyance, on dit que c’est parce qu’on n’a pas été assez loin dans la croyance. De ce point de vue, les programmes d’austérité sont l’équivalent des sacrifiés chez les Mayas (au moment des éclipses, pour faire revenir le soleil) : ils sacrifiaient toujours plus de jeunes hommes parce que le soleil s’éclipsait encore et encore. C’est qu’ils n’avaient pas été assez loin… Pour la Grèce, c’est la même chose : on n’a pas été assez loin dans les programmes d’austérité alors on continue d’attaquer le système de protection sociale. Cette croyance qu’il faut réduire les dépenses publiques et sociales est très largement partagée par les victimes elles-mêmes.
 
Si la cause est très éloignée (le dérèglement du système financier), ça semble trop complexe. Du coup, on attaque le plus directement atteignable. Idem pour la classe moyenne qui se retourne contre plus bas qu’elle plutôt que contre plus haut.
 
Faire de sa vie une œuvre
Dans ses vœux, François Hollande a repris la trinité-pilier du système de croyance dominant : compétitivité, croissance, emploi.
La lutte contre la pauvreté ne peut qu’être de la limitation de la casse. Il faut aller au cœur et dire que l’emploi n’est pas la priorité pour les humains. Il y a le travail contraint et le travail choisi. Il faut se mettre debout, vivre et non pas survivre. Ce qui est essentiel, c’est le droit à faire de sa vie une œuvre. On a le droit à construire ses projets de vie. Métier, au sens originel, indique ce que nous faisons de la vie et non dans la vie. La création d’un revenu d’existence permettrait de se concentrer sur nos projets de vie.
 
On nous dit que seules les entreprises créent de l’emploi, mais c’est faux ! L’emploi humain a été remplacé par de l’emploi-machine, de l’emploi-automatisme. Le progrès de la productivité crée du chômage alors qu’avec ce progrès, l’emploi aurait pu être multiplié par cinq (et on en serait à la semaine de 2h !).
 
Transformation personnelle et transformation sociale
Nous faisons tous partie du problème. Nous devons nous rénover, décrocher du système dominant, aller à la racine du problème. Or, au fond du fond, il y a de la peur (et ce qui s’ensuit : le mal-être, la maltraitance). Il faut déconstruire dans tous les domaines – finance, pouvoir, etc. La vraie alternative à la captation, c’est la joie, car la captation se nourrit de la peur.
 
Transformation personnelle et transformation sociale vont de pair. On sort de la peur, de la compétition, et on arrive au « bien vivre », vivre à la bonne heure. C’est une question d’attention, de présence. J’arrête de vouloir tout vivre et tout faire. Par contre, ce que je vis, je le vis le plus intensément possible. Si on veut tout vivre, on est dans un rapport boulimique et on est forcément rivaux. On ne peut pas tout vivre car nos potentialités sont limitées par le temps. Si j’arrête de vouloir tout vivre, je change mon rapport à moi-même, à l’univers (mon temps inscrit dans l’Histoire) et aux autres.
 
« La mort est la sculpture du vivant » : nos cellules s’autodétruisent en permettant la production de la vie. Si on ne fait pas de sa vie une œuvre, on laisse les autres prendre le pouvoir sur nous. Si je suis tout le temps dans le regret de toutes les potentialités de vie, je jalouse les autres qui deviennent des rivaux, je suis dans l’envie et je ne serais jamais à la bonne heure, ce qui engendrera un état de mal-être et de manque.
 
Même nés à 9 mois (à terme), nous sommes des prématurés. Par rapport aux animaux, nous mettons de nombreuses années avant de devenir des adultes autonomes. Nous sommes donc vulnérables. Nous sommes des mendiants d’amour.
Si on est scotchés à l’amour porneia (possession), si on n’accède pas à l’eros, on ne reconnaît pas l’altérité de l’autre. Le totalitarisme politique ou religieux et le capitalisme sont des porneia. L’eros, la tendresse sont différentes formes d’amour auxquelles il faut accéder.
 
Dans la croyance populaire, le bonheur est associé à l’ennui, l’amour à la chute (« tomber amoureux », « tomber enceinte »…) et le sens à la guerre (les guerres de religion sont les pires car au nom de Dieu).
La force du système dominant, c’est qu’à travers ces croyances, il fait mine de nous rendre service en déshumanisant le travail et la vie. On peut s’élever en qualité d’amour, en qualité de bonheur (bonne heure – qualité du présent). Et le sens est une chance pour l’humanité quand il fait dialoguer les différentes traditions.
 
L’or, la peur de la mort
L’or est une valeur refuge. En période d’incertitude, on achète de l’or. C’est dans un élément stable qu’on trouverait refuge… Ce n’est pas anodin : les métaux sont des socles qui nous font croire à une alternative à la mort. Un minéral est immortel. En plus, quand il brille, il provoque une double fascination. Il a donc une fonction émotionnelle inconsciente.
La déconstruction consiste à comprendre les fonctions émotionnelles profondes qui sont au cœur du système et qui nous disent, entre autres, que le prix à payer pour lutter contre la mort, c’est la vie elle-même.
 
Au départ l’univers nous est donné, la vie nous est donnée. Notre peur principale est celle de manquer de nourriture alors que c’est la respiration qui est première, et elle nous est donnée.
Le manque induit une production, donc une quantification.
Si je prends conscience que le besoin vital premier, c’est la respiration, je suis dans l’abondance, pas dans la production. Je suis ainsi dans un processus de qualification et non de quantification.
 
Le système crée des situations de rareté artificielle : on produit, on consomme. Or il faut une économie du don qui induise de la confiance et de la qualité relationnelle.
 
Le marché
Pour qu’il y ait marché, il faut du droit et la paix. Le marché doit donc être régulé.
Un marché utilise une mémoire de l’échange (qui crée de la confiance) et une comptabilité (tout savoir vaut un autre savoir). Un réseau d’échange réciproque de savoirs (RERS) est donc un marché, mais il n’a rien à voir avec le capitalisme, puisque celui-ci est dans une logique de puissance et non d’échange.
 
Si on abandonne le marché au capitalisme, à la longue, cela détruit le marché. Marxistes et capitalistes ont la même vision : « le capitalisme, c’est le marché » ou « le marché, c’est le capitalisme ». On peut avoir une économie avec marché (et non de marché), qui comprend aussi une économie sociale et solidaire et une économie publique. En pensant ainsi, on sort du système binaire des marxistes et des capitalistes.
 
Les échanges, la monnaie
La monnaie est un outil facilitateur de l’échange (avant c’était le métal précieux). Or, ce qui a de la valeur ce n’est pas la monnaie ou le billet, mais l’échange. Si quelqu’un sort un lingot d’or, il fait des curieux, des fascinés. Du coup, l’échange s’arrête. Dans l’inconscient, la monnaie est liée au lingot – ça brille, ça sidère. Pourtant l’or et l’argent sont déconnectés de la finance depuis 1970.
 
Quand naît une monnaie alternative, chacun en vient à réfléchir, poser des questions. On dit alors aux gens qu’ils ont le droit de se poser des questions aussi dans d’autres domaines pour déceler les croyances profondes qui font que le système dominant actuel est en place. On déconstruit ainsi les croyances. Les monnaies alternatives sont des expériences transformatrices.a monnaie
 
L’origine de la monnaie dans l’économie, c’est de remplir une fonction de pacification. Elle est un tiers espace, par rapport au politique et au religieux, pour échanger sans se poser la question de savoir si on aime ou pas celui avec qui on échange. Payer, à l’origine, vient de pacare : faire la paix. Quand l’économie oublie qu’elle est une alternative à la guerre, elle re-fabrique de la logique de guerre.
 
La monnaie est un outil de pacification, d’échange et de création de richesses. Elle est un bien commun. Elle est un substitut à la confiance qu’on ne se fait pas. Si on n’était que dans le besoin (et non pas dans le désir) on pourrait se passer de monnaie. Ce qui crée du désir, c’est la conscience de la mort.
Un désir bien orienté est du côté de l’être. Un désir mal orienté est du côté de l’avoir. Quand il y a un dérèglement du désir, il faut des outils rééducatifs – la monnaie en est un. L’objectif, c’est la progression, l’orientation sur l’essentiel qui est le désir dans l’ordre de l’être.
 
Une surabondance pour l’un crée du déficit pour l’autre. Il faut offrir la perspective d’aller vers la qualité d’être, de confiance.
Le vrai réalisme – ce que disent d’ailleurs les traditions – c’est que c’est un chemin personnel et un enjeu sociétal.
Sagesse a la même étymologie que saveur : il nous faut déguster notre condition d’humain. Le métier d’être humain (l’étymologie de métier est : minister = mystérieux) est plus difficile que tous les autres règnes (animal, végétal, minéral) car vivre en sachant qu’on va mourir, que des proches aimés vont mourir, est un métier. Donc, le revenu minimum d’existence rémunère un vrai métier !

Miguel Benasayag

En novembre 2006, dans le cadre de notre chantier « les invisibles », nous avons rencontré Miguel Benasayag. il est philosophe psychanalyste. Il vient d’Argentine où après avoir participé à a lutte armée il envisage une militance à la marge en créant entre autres le collectif Malgré tout.

Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Miguel bénasayag et peut donc comporter des erreurs.

Le compte rendu

 

Les questions que nous avons posées :

Quand on est dans la précarité, comment peut-on développer des projets et des actions ?

Est-ce que c’est lorsqu’on en a vraiment besoin qu’on peut changer le monde ?

Miguel Benasayag envisage de répondre suivant deux directions qui seront mêlées:

1-     Par rapport à des pratiques qui articulent précarité et utopie

2-     Par rapport à des réflexions plus théoriques consacrées à la question, et développées dans des livres.

Un point historique:

L’Argentine, la Bolivie et l’Uruguay, de 1970 à 1991, ont résisté à la dictature. D’un mode de lutte classique (armée), ces pays sont passés à un mode qu’ils ont appelé « la lutte des sans ».

Les sans sont les pauvres, les précaires. La lutte était menée avec eux mais organisée par les ouvriers, les artistes et autres intellectuels étudiants.

Les intellos peuvent développer une utopie – une mission. Les précaires, le « lumpron prolétariat », sont une force de choc utilisable par les fascistes (dans la pensée marxiste, le lumpron prolérariat est la classe des gens sans classe. On se méfie d’eux. Dénués de conscience, les groupes fascistes se servent d’eux). Avec plus de 120 000 personnes dans les bidonvilles, la guerrilla est très importante et une sorte de cohabitation tacite entre fascistes (proches de la mafia) et résistants s’est installée. Un projet politique fiable est difficilement envisageable avec ces précaires.

A la fin de la dictature en Amérique du sud, est donc né un mouvement des précaires – les sans toit, sans terre, sans droits… avec un projet politique. Les survivants résistants à l’origine de ce mouvement, s’étant cachés où ils ont pu (bidonvilles, chez des paysans, qui sont des lieux non contrôlés) ont emmenés dans leur sillage ces gens – les « Sans ».

Ils ont alors occupé des maisons désaffectées à Buenos Aires, aidés par une partie de l’église catholique divisée en deux: d’une part l’église fasciste des militaires et des bourgeois, d’autre part l’église du peuple. Ces précaires se réclament d’être sans projet. Sans cela ils seraient pourchassés et éliminés par les militaires. En Argentine, ils ont occupé des terres de l’état,

au brésil, des terres de grands propriétaires qui, pour déloger (et tuer) les occupants payaient des « escadrons de la mort « .

Les mouvements altermondialistes se sont beaucoup inspirés des actions des « Sans »

Le DAL, Droit Devant et AC défendent les droits des « Sans ».

 

En France

A la différence de l’Amérique du sud, ceux qui s’occupent des « Sans » ne sont pas sans, ils sont avec, ce qui crée une relation différente. On ne veut pas seulement que le gars qui est sans papiers ait des papiers, on veut changer la société. Par contre les gens qui sont sans papiers veulent des papiers et ne veulent pas forcément changer la société ! C’est une faille dans le mouvement, ça ne colle pas mais il y a quand même des pratiques – occupations d’immeubles, grèves de la faim…. les choses n’en restent pas au niveau de la théorie et des idées. En Europe, les militants et les « Sans » ayant des motivations différentes, on a du mal à créer un lien fluide et dynamique.

No vox

En 2003 le collectif No vox, issu des mouvements Atac, Droits des chômeurs et Sans, est créé. Son but est de défendre ceux qui n’ont pas de voix, de créer un socle commun entre militants et Sans. Ils ont été à l’origine de nombreuses actions de par le monde (Italie, Japon, Argentine) avec des militants No vox de ces pays. Le collectif incite à ce que chacun prenne la parole, non pas sur ses problèmes mais sur les problèmes de société. Il faut pour cela arrêter de parler de l’immédiat. L’immédiat c’est comme un symptôme, c’est un cri.

Il n’y a pas d’exclus. S’il y en avait ils pourraient être inclus. Or notre système, fait d’échange et de propriété, n’est pas extensible. Il génère donc des exclus. En Afrique le système économique fait que tous les pays d’Afrique ne peuvent se développer également.

Les riches ont besoin des pauvres, et de plus en plus. La gauche dit: il faut faire de la croissance puis repartir. Ca, ça développe un pays (ou une région), ça crée un appel de main d’œuvre, d’universitaires, de chercheurs etc. mais ça n’est possible que pour ce pays ou cette région, au détriment des autres bien sûr ! La gauche classique (marxiste) dit que le prolétariat est cassé par des intérêts locaux, et que penser une croissance alternative n’est pas pensable.

Les Sans ne sont pas un accident. Ils sont les représentants d’une vérité : le monde produit de plus en plus de laissés pour compte, et c’est structurel. Si on produit du surnuméraire, la force de frappe doit venir des surnuméraires. Pour l’instant ça ne fonctionne pas mais il faut continuer et surtout ne pas s’attacher aux modèles, partis, cibles et théories. Ce sont des morceaux morts auxquels on se coltine. Il faut aimer, créer, résister, vivre dans cette époque obscure, penser: pour l’instant ils nous écrasent, c’est comme ça, mais on continue de résister et surtout ne pas dire: je voudrais que l’époque soit autre.

Cet espoir d’une nouvelle utopie est assez rapidement retombé, No vox s’est cassé la figure, la question étant toujours la même: comment créer des ponts entre les utilisateurs et les militants. Les précaires et les sans ont du mal à élaborer une utopie car quand on est sans toit, on veut un toit, quand on est sans papiers on veut des papiers, point final. Une utopie doit décoller de ça, il faut regarder tout le monde.

Le pouvoir peut faire miroiter des choses: un toit, de la santé etc. Pour eux ce n’est pas un souci de changer la société.

Mais ce collectif n’a pas perduré. Il n’a pas su dépasser la barrière d’être privé de quelque chose, d’être carencé. La lutte est restée identifiable. L’articulation utopie et précarité

n’a pas été trouvée. En Amérique du sud, ça a marché et tout le continent est passé à gauche. le mouvement des « Sans » a accouché d’une nouvelle société.

 Le pouvoir

La gauche au pouvoir ne change pas pour autant les choses. Ego Moralès, en Bolivie – le plus aimé des présidents de gauche en Amérique du sud – dit que le pouvoir est le pire lieu pour changer une société. On y est pieds et poings liés. Hugo Chavez est un leader, il accompagne le changement social sous condition de le contrôler lui – les comités de base doivent être chavistes et obéir à Chavez.

Il faudrait ne pas systématiquement chercher un sauveur. Ce dernier, comme Chavez par exemple, centralise les voix d’émancipation au lieu de les multiplier. Du coup, si par exemple les Etats-Unis veulent arrêter une évolution, ils leur suffit de supprimer la tête et tout tombe.

Le besoin d’ordre au sein de n’importe quel mouvement fragilise le tout, ça fait entonnoir alors qu’un mouvement tous azimuts est bien plus difficile à réprimer.

Au Brésil, le président Lula a soudoyé des députés, prétextant que « ça se fait depuis toujours » – « oui mais si on a voté pour toi c’est pour que ça change » !… Giberto Gil, très grand musicien et ministre de la culture, pour aider cette dernière, l’a confiée à des entreprises privées. En échange elles payent moins de charges. Du coup, ce sont elles qui décident des subventions culturelles en quelques sortes !

Il faut que ça parte de la base. Les hommes politiques sont pris dans des luttes pré-électorales et politiques qui transforme la puissance des gens.

Herbert Marcuse a dit : « Le changement social viendra de la marginalité » (non pas des ouvriers)

Débat

– Ceux qui développent l’injustice ne peuvent pas changer la société. Ils n’auraient quand même pas le pouvoir de changer la société. En tant que président on peut commettre plus ou moins de crimes mais on ne peut pas changer le système. Carter en son temps (Aux USA) n’a rien pu changer. Le système est d’abord en nous. Le système tient parce-que les gens y tiennent.

– En Argentine, la dictature c’est la faute de tout le monde, on est complice de la dictature. Elle n’aurait pas tenu deux jours si les gens ne s’en étaient accommodés. Avant, il n’y avait pas à manger, des files d’attente nombreuses, et puis pendant la dictature, il y a eu à manger partout.

– En Amérique latine, les Sans n’aspirent pas à être des Avec. Ils ont trouvé des modes de vie supérieurs, en collectivités par exemple, hors des villes. Les indiens désirent vivre comme des indiens.

En Europe, les sans voudraient être des Avec. Désirant le système, ils n’ont pas développé d’alternative de vies. Une autre forme de vie n’émerge pas.

– Les sans-terre brésiliens: « on est privé de terre ? et bien on se regroupe sur une terre qu’on occupe ». Au bout de 3 à 5 ans, ils sont régularisés, chaque personne bénéficiera d’environ 10 hectares, ils auront leur école et leur administration. Ils n’ont pas envie de plus. Pas de production intensive, pas de grandes écoles !

Par contre dans les grands campements, ça va mal. Au début ça commence bien, c’est très festif. Ensuite on se heurte aux problèmes de comptabilité et d’isolement (la société autour n’évolue pas dans le même sens)… ça devient triste. Il faut une grande dynamique sociale et de solidarité sinon les problèmes comptables et autres prennent le dessus.

Avoir trouvé un mode de vie supérieur n’implique pas qu’il ne soit pas régressif, réversible.

Il ne faut ni la dispersion ni l’institution classique. Il s’agit de développer des instances intermédiaires. C’est le défi de notre époque.

– En Argentine, 500 000 personnes étaient dans un système de troc. On produisait pour faire du troc. En 2001, une crise énorme a éclaté poussant 5 à 6 millions de personnes à faire du troc. ce fut un fiasco car le troc ne fonctionne que dans une certaine proximité, en petit nombre. Il en va de même pour l’occupation des terres: si 80% des terres sont occupées ça ne marche pas non plus.

– Agir ce n’est pas trouver des solutions globales pour tous. Il existe des actions multiples qui provoquent des tendances, des mouvements, mais on n’a pas besoin pour cela de projet politique.

Il y a un problème dans la distribution du pouvoir: Hugo Chavez dit « je vous protège depuis le pouvoir ». Mais il ne faut pas tomber dans le piège du projet politique. Le projet politique couronne, rend légitime ce qui existe déjà dans la société. Les pratiques font émerger des projets politiques. Il ne faut pas attendre, il faut agir. Les actions ne font pas un projet politique mais si  on ne fait pas tout ça il n’y aura pas de projet politique. Il faut s’occuper de la vie, pas de projet politique !

Nous attendons que la liberté nous arrive d’en haut. On attend le maître qui va nous libérer… nous sommes lâches et fainéants ! Si on veut gagner il ne faut pas « gueuler », il faut réfléchir pour savoir où passer pour gagner. Une partie de la révolte c’est connaître les forces de l’ennemi. Etre contre les méchants ne suffit pas. Il faut être sérieux, travailler, s’entraîner.

– Dans un collectif on est tous des gestionnaires dont un sera appelé à être à la tête, mais à la tête c’est une femme de ménage, au service des idées du  collectif !

– Le théâtre, comme le cinéma, peuvent construire des images différentes, montrer des personnages qui sont dans une forme de vie différente et qui ne partagent pas les mêmes valeurs (exemple de « Planète verte », de Coline Serreau).

– Mais ce n’est pas la politique qui peut construire une forme de désir différent sinon c’est une dictature.

– La démocratie c’est ce qui se passe entre deux élections: mobilisation, collectif… Dans nos actions on est dans beaucoup plus que la politique, on est dans le « comment désirer autrement », on est dans l’individualité au lieu de l’individualisme. On veut quelque chose de beaucoup plus large que la politique. la politique c’est l’apparent de l’iceberg – une partie de la vie.

– Une utopie, c’est une tendance qui ne peut pas se réaliser comme un plan d’une maison. Une utopie n’a même pas pour vocation de se réaliser.   Comment faire en sorte que l’idée (l’utopie) ne soit pas figée dans une réalisation ? Dans les actions à taille humaine, on ne fige pas, on développe de la puissance. Dans l’utopie, quelque chose en permanence se renouvelle.

– Chez les altermondialistes, très peu pensent qu’il ne faut pas de projet politique. l’utopie doit se développer sans trop vite trouver une forme.

– Il faudrait développer des contre-pouvoir de longue durée et qui se foutent des élections.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Paul Blanquart

Dans le cadre de notre chantier sur la propagande, le 25 novembre 2012, nous rencontrons Paul Blanquart, philosophe. 
Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Paul Blanquart et peut donc comporter des erreurs.
 
« La construction d’une société civile autonome de tous les autres pouvoirs »
Hétéronomie/Autonomie
Hétéronomie : qui obéit à une loi extérieure/ Autonomie : qui obéit à une loi intérieure.
 
La première fois qu’est employé le mot « propagande », c’est dans la « Sacra Congregatio de Propaganda Fide » (« sacrée congrégation pour la propagation de la foi »), créée par le Pape en 1622.
Et c’est déjà contradictoire : la foi est quelque chose d’intérieur, qui touche à la subjectivité. mais comment peut-on hétéronomiser l’intime ?  Concernant la religion, dès le 17e siècle donc, le problème était là, à la source.
L’expression Société civile implique qu’elle est autonome, dirigée par elle-même et non organisée par au-dessus. La démocratie a quelque chose à voir avec l’autonomie, et donc avec le citoyen.
Est-on dans une société démocratique ? Avons-nous jamais quitté l’hétéronomie ?
La vie sociale, ce sont des conflits. Le 1er combat est celui de la maîtrise des mots qui sont le 1er outil parce qu’il font du lien. Si quelques-uns maîtrisent le langage, ils vont nous dominer, ils sont maîtres du sens (exemple : on se croit autonome parce qu’on n’a que le mot autonome à notre disposition). Pour ne pas se faire avoir, il faut maîtriser les différentes formes d’hétéronomie et les différentes méthodes de propagande qu’elles utilisent.
Selon les différentes périodes de l’histoire humaine, il existe différentes formes d’hétéronomie :
 
Tableau historique :
 

 Avant-hier

Ancien

Hier

Moderne

Aujourd’hui

Demain

Contemporain

Sociétés 1ères

Sociétés antiques

Rupture

de la modernité

Modernité classique

Aboutissement

de l’éducat° d’hier

Quelle alternative ?

1

2

3

4

4 bis

5

6

« Divin »

(religions)

Nature

Monarchie

Industrie

Consommation

Finance

     H    é     t     é     r     o     n     o     m     i     e     s

Hétéronomie 1

Hétéronomie 2

 
Colonne 1, Dans la religion, les humains sont liés car ils reçoivent quelque chose de l’extérieur (qui ne vient pas d’eux). Les 1ères religions étaient des religions d’ancêtres (papa habite ses successeurs par le sang qui coule dans leurs veines) – c’est l’origine. Le mythe, c’est le récit d’origine : papa, et le mythe est sacré. Quiconque vit en dehors de la référence à l’origine se met en dehors de la société. Il franchit le tabou, ne respecte pas ce qui permet de vivre ensemble. Socialement, ça prend la forme de la tombe de l’ancêtre ou de l’arbre à palabre autour desquels on fait cercle. Ce sont les sociétés tribales.
Aujourd’hui, nous revenons à Avant à travers le retour des fondamentalistes religieux et du  code de la nationalité (qui est le droit du sang – Le Pen) – c’est le retour aux Gaulois.
Tout cela n’est ni civil (car religieux) ni autonome.
En 1, les types de propagande sont l’initiation (séjours en forêt où les jeunes sont initiés au mythe). Aujourd’hui on a tendance à admirer celui qui est initié, on l’écoute. Il faudrait se poser la question à propos de celui qui prédique : sa prédication libère-t-elle la créativité, la subjectivité de chacun, ou enchaîne-t-elle ?
 
Colonne 2Le mot nation vient de naissance. Nation, c’est d’abord la famille. La première forme de famille est un couple hétérosexuel avec enfants. L’église catholique se réfère sans cesse à cette origine. Les personnes qui sont contre l’homosexualité se sentent menacées dans leur modèle, c’est un réflexe conditionné par l’éducation. Le débat actuel est un combat, rien n’est dé-noué.
 
Colonne 3, c’est la rupture de la modernité. L’hétéronomie est toujours là, mais elle devient une création humaine : la domination vient des gens qui sont à l’intérieur, et non plus du divin ou de la nature. Machiavel ouvre la philosophie au politique : le politique, c’est une affaire d’homme, pas de Dieu. L’homme s’autonomise par rapport au religieux et au naturel, c’est l’humanisme. Mais c’est aussi l’apparition de la science : « Nous allons connaître la nature pour la dominer » – Descartes arrive : « Nous ne sommes plus lovés dans la nature, l’homme est désormais possesseur de la nature ».
Le politique devient intra-humain. Le roi devient le dieu en se servant de la science (Colbert, Vauban, les mathématiques…). On homogénéise le territoire (Vauban), 1=1=1=1=1. Les élites sont des technos qui administrent le peuple avec des prétentions scientifiques.
Il faut remplacer la nature par du droit – droit pour chacun à la liberté et à l’égalité. Mais l’État a un tel pouvoir que c’est lui qui s’autonomise par rapport à la société.
Cette société est hiérarchisée, chaque étage obéit à celui du dessus : nobles, nobles d’épée etc. Au sommet le roi, entouré de prêtres et d’astronomes. L’empereur, lui, est inapprochable car lié à Dieu. Une société va bien quand chacun se tient à sa place, que chacun a intériorisé l’ordre de la nature.
La source du savoir, c’est la science. Les grandes écoles l’enseignent. Tous les technos sortent de là. La connaissance est relative, comme tout le reste, elle est construite. Si on est à l’origine du savoir, on peut fabriquer un autre savoir, ce qui est une force pour créer un autre pouvoir.
Le rôle premier de l’école devrait être de rendre les gens autonomes (colonne 6), connaître pour comprendre pourquoi on a pensé comme ça avant, pour aujourd’hui penser autrement. Et non transmettre.
 
Colonne 4, société industrielle.
En 1789, rupture. On passe de l’hétéronomie 1 à l’hétéronomie 2. La Révolution déclare qu’on est tous égaux et à l’origine de la vie collective, on peut donc parler de société civile – une société de citoyens.
L’État veille au développement industriel de la nation, c’est l’invention de la machine à vapeur et le début de la destruction systématique de la nature. On parlerait d’ailleurs d’une nouvelle ère : l’Anthrocène, où l’homme est devenu le premier facteur influençant la constitution même de la planète, et dont le début peut être fixé à 1780 (invention de la machine à vapeur). La science finit par détruire ce sur quoi l’humain repose. L’Homme abdique de sa responsabilité au prétexte de maîtrise, l’homme devant être producteur. C’est un aplatissement de l’humain.
On est passé de la Monarchie à la Re-publique. En 1789, avec les Jacobins, c’est encore l’état qui est au pouvoir. Ils n’ont pas respecté le renversement de 1789.
Chaque 14 juillet, c’est la fête de la Fédération (1790) et non la prise de la Bastille que l’on commémore. A l’époque, les mairies Girondines s’auto-organisent et nomment elles-mêmes leurs représentants. Ce courant a été balayé.
 
Colonne 4 à 4 bis, on passe de la production de masse à la consommation de masse. La propagande prend la forme du marketing pour faire vouloir le consommateur, le pousser à consommer de plus en plus.
 
Colonne 5, c’est l’ère de la financiarisation. Aux commandes, la finance qui s’autonomise de plus en plus de la production. On est à l’âge du systémisme, on fonctionne en globalisation, en totalisation close. Les global leader sont les maîtres des flux-finance, flux-image, flux-information et flux-intelligence (mariages entre personnes issus de ces milieux). La vitesse participe de ce décollement de tout enracinement. En 3, ces maîtres des flux étaient formés à l’ENA, en 4, à Polytechnique, en 5, à HEC et écoles de management, ce qui est révélateur du glissement vers la pensée finance. C’est l’ère du retour le plus rapide sur investissement, de la spéculation (speculum, miroir, narcissisme), de la finance autonome, de la virtualisation. L’hétéronomisation va jusqu’au vidage de soi (il faut juste « ressembler à »).
 
Dans la colonne 6, je ne globalise pas, le système reste ouvert, la société fonctionne par tous (et non pour tous) entre autres. Tous les individus fonctionnent avec du conjoint et du disjoint : nous sommes liés par ce qui nous distingue. Pour être lié, il ne faut pas être pareil – « tu es différent donc tu m’intéresses » (inter-essant).
Avant c’était le règne de la mêmeté, maintenant on est tous égaux et différents. C’est pourquoi il faudrait supprimer le mot individus et le remplacer par le mot singulier.
Les dominants veulent maintenir la colonne 5 (finance, virtualisation, industrie, nucléaire, etc.). Il y a donc lutte entre ceux qui veulent que l’humain soit préservé et non bouffé par ses propres œuvres et ceux qui ont intégré que l’avenir c’est ce que l’œuvre de l’homme produit, avec toutes ses conséquences. L’image + le calcul (1+1+1+1) – l’informatique – c’est notre époque.
On n’est singulier qu’en relation, singulier que dans le tissu même de la création.
En 6, on décentralise, on valorise le local. C’est une problématique du vivant : chaque lieu doit être vivant pour que la planète soit vivante. En 6, on passe de la mêmeté à l’ipséïté. En 6, on relancerait le symbolique sans le religieux. Les citoyens sont libres et responsables, autonomes parce qu’eux-mêmes. Ils se donnent eux-mêmes leur forme.
 
Citation de Valéry : « Le poisson se donne sa forme en luttant jour après jour contre le courant qu’il remonte »
 
 
Questions-débat avec Paul
 
(Paul) – La liberté va avec la responsabilité. On n’est pas libre, tout seul sans le souci de l’autre. Ce ne sont pas les institutions formatantes qui vont te permettre d’être libre. Elles ont toutes intégré l’idée de norme. Par le jeu des relations, le citoyen peut devenir lui-même, accéder à sa singularité, se façonner comme une œuvre, être soi-même à égalité dans la différence.
 
(Paul) – On naît inégaux et pas libres. La révolution a dit l’inverse, à tort.
(question) – On est plus dans des affrontements d’hétéronomies que dans de la recherche d’autonomie.
 
(Paul) – On ne peut lutter que par le local, le petit, par le décloisonnement des activités et disciplines, par l’auto-organisation qui ne va pas vers la concurrence – être en concours dans la variété, pas dans le même.
 
(question) – Les Martiniquais ont décidé de se définir, non comme une entité fermée, mais ouverte. Ils ont inventé le concept créole (toumonde).
(Paul) – On n’est singulier qu’en relation. Sinon c’est du narcissisme et on sait ce qui est arrivé à Narcisse… Il faut faire la différence entre substance et relation. Le problème c’est qu’on a l’individu dans la tête mais « je ne suis moi-même que si je ne suis plus le même ». L’approfondissement de soi va avec l’altération. L’altération m’altère, m’oblige à me creuser pour ne plus être le même (alter/alius/autre, idem/ipse/même).
 
–      (question) L’Emile, de Rousseau, et l’école Decroly sont des modèles différents d’éducation. Mon fils qui a fait Decroly est toujours fourré en Inde !
–      (Paul) Ton fils est peut-être encore en période de formation. Il sort de ce bloc d’hier (colonnes 3 et 4) et a besoin de se relier à d’autres expériences.
 
–      (question) Et le soi-même de Socrate : « Connais-toi toi-même » ?
–      (Paul) Socrate a refusé de ne pas boire la ciguë car il serait sorti des lois de la société ! Le travail de l’autonomie n’est pas fait.
 
(Paul) – Exemple de 6 : de la marge naît le micro, dans l’invention d’activités artistiques, politiques. Toute action qui devient centralisée se modélise.
 
(Paul) – Indépendance n’est pas autonomie. Autonomie va avec liaison. L’indépendance coupe.
 
(Paul) – Faire la différence entre règle et norme. Pour vivre en commun il faut des règles. La norme est une identité de contenu. On ne peut faire société que si on invente des règles.
 
(Paul) – Remettre dans le quotidien le sacré de la transe, cela voudrait dire aller chercher des choses de la colonne 1, réinterprétées bien-sûr… Un autre sacré, une autre transe – par exemple pratiquer la danse non pour être transporté mais comme outil de l’œuvre de soi.
 

Dominique Plihon

Le 17 décembre 2011, dans le cadre de notre chantier sur la mise à mal des services publics, nous avons rencontré Dominique Plihon, économiste et membre du comité scientifique d’Attac afin de mieux comprendre les enjeux de la crise et de la dette de l’Etat.
 
Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Dominique Plihon et peut donc comporter des erreurs.
 

COMPTE RENDU

Ma vision de notre sujet est politique. C’est une vision alternative que nos défendons à attac car nous estimons que nous allons droit dans le mur avec les politiques actuelles. L’on nous dit que la dette publique empêche toute marge de manœuvre et qu’il n’y a pas d’autre alternative qeu de faire des coupes sombres dans les budgets. C’est cette vision des choses qui s’impose dans les têtes. Attac s’oppose à cette vision.
 
LA CRISE
La crise actuelle est plus grave que la crise de1929. Elle dure et durera plus et elle a des conséquences économiques et sociales très importantes. Elle se transmet à la production et à l’emploi. Nous sommes en récession (à cause notamment de la politique d’austérité).
Attac dit que c’est une crise systémique : crise du capitalisme financier. Elle est multidimentionnelle : financière, économique et écologique. Elle est sur tous les plans et a une ampleur énorme. C’est tout note système de pensée et d’organisation qu’il faut repenser.
 
LA DETTE
Il y a la dette privée, c’est à dire celle des particuliers, des entreprises, et il y a la dette de l’Etat et des collectivités locales (elle s’endettent pour construire des équipements collectifs, des routes, des écoles…)
Depuis 2008, la dette de l’état a augmenté brutalement. Elle est passée de 60% à 80% du PIB notamment parce que l’Etat a secouru les banques privées (la règle européenne était que la dette ne devait pas dépasser 60% du PIB et la plupart des états y arrivaient avant 2008).
Les études qui ont été faites par les économistes montrent que le probleme n’est pas les dépenses mais que le problème est les recettes (voir plus bas).
C’est quoi les ressources d’un état : les impôts tout d’abord (impôts directs et TVA) et puis les emprunts : les obligations que l’Etat émet sous forme de bons du trésor.
Les états ont augmenté leur dette pour aller au secours du secteur privé défaillant en faisant des plans de relance (la prime à la casse, l’aide aux investissements, les aides à différents secteurs d’activité) en renflouant les banques.
 
POURQUOI L’ETAT SAUVE T IL LES BANQUES ET POURQUOI LES SOCIALISER ?
Les banques ont interdépendantes entre elles, elles se pretent de l’argent les unes les autres et si une banque craque, elle entraîne les autres dans sa chute (effet de domino) et tout le systême bancaire peut alors s’écrouler ce qui n’est pas possible car la crise du système bancaire entraine tout. Voir la crise de 29. Si Renault, fait faillite, c’est grave mais cela ne provoque pas de propagation aux autres secteurs de l’économie. S’il n’y a plus de moyens de paiement, tout est absolument bloqué.
A cause de cela, attac dit que la banque est un service public, que la monnaie doit être gérée par la société, par les acteurs de la société civile. Car l’on ne peut laisser cela entre les mains de personnes qui dirigent les choses dans leur seul intérêt financier.
La France a déjà par le passé nationalisé ses banques : en  36, après la guerre de 45, entre 81 et 83. En 1983, l’Etat était actionnaire unique de toutes les banques françaises (BNP, Paribas, La Société Générale… ) Seules les banques coopératives ou mutualistes c’est à dire détenues par leurs clients n’avaient pas été touchées (Crédit Agricole, Crédit Coopératif,  Crédit Lyonnais… ).
 Mais toutes les banques y compris les nationalisées sont entrées dans une logique capitaliste qui ne peut être tolérée, cf le scandale du Crédit Lyonnais. C’est pour cela qu’attac dit qu’il faut non pas nationaliser les banques mais les socialiser, pour qu’elles passent au contrôle des citoyens et non au contrôle exclusif de l’Etat.
 
LA BANQUE CENTRALE EUROPEENNE
La Banque centrale Européenne coiffe les banques nationales de chaque pays.
La Banque Centrale a deux fonctions :
-veiller au bon fonctionnement du sustème bancaire en surveillatn ce qui se passe, en créant de la monnaie au besoin pour la faire circuler entre les banques.
-faire la politique monétaire. La BCE par exemple tâche d’agir sur les taux d’intérêt en les faisant monter ou descendre selon ses objectifs (elle monte les taux d’intérêt quand elle veut limiter les emprunts et diminuer l’inflation, pour cela elle monte ses propres taux d’interêt pour ses prets aux banques et les banques répercutent cette hausse sur les prets qu’elles font aux particuliers et aux entreprises)
 
La BCE ne fonctionne pas comme la banque des Etats Unis. La BCE n’a pas le droit de preter de l’argent aux Etats européens. C’est un vrai problême car en période de crise, les Etats en auraient bien besoin car ils pourraient obtenir des taux d’intérêt faibles. Chez nous, Pompidou fait voter en 1973 une loi interdisant à la BCE de préter de l’argent à l’Etat et l’Etat doit donc dorénavant emprunter aux banques privées et payer les taux d’intérêt aux actionnaires.  (la Grèce emprunte à un taux de 22%). Aux Etats Unis ou en Angleterre, la banque centrale achète de la dette publique à des taux d’interêt inféreiurs à ceux du marché, dun coup les marchés n’ont pas de problème avec la dette publique et ont confiance en les capacités de l’Etat à rembourser. Car la monnaie repose sur la confiance en la banque centrale. Si la confiance n’est plus là, les acteurs ne veulent plus de cette monnaie là et se tournent vers des monnaies d’autres pays. Nous avons de la chance, il y a encore de la confiance en l’euro. Pourvu que cela dure.
A partir de 1986, nous avons reprivatisé les banques. Le Crédit Local de France qui peétait aux collectivités locales est privatisé, il fusionne ensuite avec une banque belge pour devenir Dexia. Dexia poussera les collectivités locales à prendre des produits bancaires toxiques ce qui leur fera perdre beaucoup d’argent. Avec la crise, comme les collectivités locales ne pouvaient plus rembourser leurs emprunts, Dexia plonge et la BCE doit renflouer Dexia pour ne pas prendre le risque de l’effet domino. 
La Banque populiare et caisse d’epargne (BPCE) Natixis à perdu 6 milliards dans les subprimes . Nous l’avons renfloué sans la nationaliser.
 
BANQUE DE DETAIL ET BANQUE D’AFFAIRES
Les banques font maintenant tout : elles prêtent et gèrent l’argent des particuliers mais elles font aussi de grosses affaires, organisent les fusions entre les grandes entreprises… Elles sont devenus des mastodontes financiers. La demande d’attac est de séparer la banque d’affaire de la banque de détail car on risque de couler l’épargne populaire avec les pertes des grosses affaires.
Roosevelt avait séparé banque de détail et banque d’affaires en 1933 pour diminuer l’impact du krack bancaire mais Clinton a annulé cela ensuite. Les Anglais sont en train de tenter une mesure qui va dans ce sens. Pas nous.
 
LA CRISE DE LA DETTTE ET SES CAUSES
Il y a une crise de la dette privée (les subprimes apr exemple, la dette des ménages espagnols. ..) qui a du être prise en charge par les états
Cette crise a entrainé une crise de la dette publique. Mais les raisons de la crise de la dette remontent à plus loin, au concept d’état néolibéral.
C’est quoi l’état néolibéral ?
On le date aux années Tatcher Reagan, fin des années 70. Ils développent ce concept, jsqu’au consensus de Washington qui oblige els états sous développés à entrer dans le libéralisme.
L’état libéral est encore plus omiprésent et autoritaire et prédateur et centralisateur qu’avant. Il travaille pour les intérêts des classes dominantes.
 
Entre 1980 et 2000 la dette publique des Etats a augmenté car la fiscalité à diminué. En France les dépenses publiques n’ont pas augmenté plus vite que le PIB. C’est donc du coté des recette de l’Etat qu’est le problême, pas du coté de ses dépenses. On a libéralisé la sphère financière et les investisseurs ont mis en concurrence les travailleurs des différents continents ce qui a eu pour résultat que les salaires ont augmenté très lentement (d’ou diminution des impots même si les taux d’imposition sur les salaires ont augmenté) alors que les bénéfices des actionnaires augmentaient (ils sont très peu imposés). Les grosses entreprises se localisent là où elles paient le moins d’impots et là où les subventions sont fortes (elles ont souvent plus de subventions qu’elles ont d’impôts) et l’on note que les impôts sur les sociétés sont passés de 50% à 32% aujourd’hui.
Ainsi, attrac dit que le mal est lié à la fiscalité plus qu’aux dépenses de l’Etat et qu’il faut donc faire une réforme fiscale.
 
LES NICHES FISCALES
Les niches fiscales représentent 70 milliards apr an soit la moitié du déficit de l’Etat.  Si on les diminuait pour qu’elles ne soient plus qu’à 20 milliards, on aurait enclanché un processus qui stabiliserait la dette. Certaines niches doivent être conservées par exemple celle qui est constituée par la prime à l’emploi mais d’autres sont des cadeaux à ceux qui n’en ont pas besoin (par exemple la loi sellier qui degrève les impots de ceux qui construisent des logements en vue de les louer, les plusvallues sur les ventes des chevaux de courses qui sont dégrévées, les pipes de St Claude, les antiquaires, les heures supplémentaires, le crédit impot recherche pour les entreprises alors qu’elles font passer sous recherche des frais qui n’en sont pas parce qu’elles sont très peu contrôlées sur ce point… )
Vouloir réduire les dépenses publiques en diminuant les fonctionnaires n’est pas la solution et est absolument contre productif.
Pour note il faut savoir que la France consacre 5% de son PIB aux dépenses de santé alors que les Etats Unis y consacrent 8%. L’on s’arrange pour que nous pensions tous le contraire.
 
LES IMPOTS
La France est le pays où les niveaux des cotisations sociales et des impôts sur le revenu sont les plus forts, en contrepartie nous avons de vrais services publics : des hopitaux, des routes… c’est le passif de la dette. C’est ce que nous léguerons à nos enfants. Ainsi il n’y a pas de raison qu’ils ne paient pas aussi pour ces équipements qu’ils vont utiliser pendant des années.
Pour Dominique, un état doit être en déficit. Il fait des investissements sur plus de 50 ans donc il est normal qu’il s’endette. Un état bien géré est endetté.
Nous notons que d’autres pays ont des taux d’imposition très élevés : ce sont les pays nordiques et ce sont ceux qui s’en sortent le mieux actuellement.
Les capitalistes veulent tout privatiser parce que leur intérêt financier est là, parce que l’eau privatisée est plus chère que l’eau publique, parce que la santé privatisée aux Etats Unis est plus chère que la santé publique chez nous… et donc rapporte plus.
Il faut rappeler à quoi servent nos impôts : à donner accès à tous aux services, y compris à ceux qui ont de faibles moyens. Les impots c’est la condition pour moins d’inégalités. Or l’on tache de nous convaincre que la privatisation c’est bien, on culpabilise les gens du public comme s’ils ne faisaient pas bien, comme s’ils étaient moins efficaces et on fait croire cela aux usagers. Voir la notion de gouvernementalité chez Michel Foucault.
 
LES AGENCES DE NOTATION
Qui est derrière ce que nous appelons les marchés ?
Les fonds de pension, les fonds mutuels : SICAV, Assurances vie (ils placent en bourse les fonds des particuliers), et les banques (qui achètent des titres, font des produits qu’ils revendent…)
Et puis il y a les agences de notation. Leur métier est de noter les emprunteurs (mieux l’emprunteur est noté plus bas sont les taux de remboursement de son emprunt). Elles notent donc les états, les collectivités locales, les entreprises… qui empruntent.
Il y a des notes directement demandées par les emprunteurs qui paient les agences de notation pour cela et des notes non sollicitées (les états).
Les agences sont très puissantes, il y en a essentiellement trois et elles sont indéboulonnables, même par un gouvernement. Leurs lobystes sont puissants.
Les agences appliquent aux états les grilles d’analyse prévues pour les entreprises ce qui est incohérent et amène a de grandes incohérences.
 
DETTE ILLEGITIME ET POUVOIR CITOYEN
Il y a des états qui ont annoncé qu’ils ne rembourseraient pas une partie de leur dette. A Attac, nous demandons une audit citoyenne de la dette pour déterminer quelle partie est illégitime (par exemple la partie qui est due aux aides données à la partie riche de la population).
Les islandais ont vu que leur gouvernement renégociait une dette avec les banques et ils ont pétitionné pour obtenir un référendum qui a annulé cela. Un an après leur gouvernement a recommencé et ils ont refait pétition pour référendum et ils ont annulé ainsi une partie de leur dette.
 
En Argentine, en 2003, Kirchner a refusé de payer sa dette et en a annulé toute une partie ce qui a permis au gouvernement de sortir de la crise. 

Marie Blandin

Dans le cadre de notre chantier intitulé Politique, nous avons rencontré Marie Blandin, sénatrice en 2008.

Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Marie Blandin, il peut donc comporter des erreurs.

 COMPTE RENDU

Je viens de Lille, faisais de la politique sans être femme politique, militais pour les femmes, l’éducation sexuelle, la paix dans le monde etc. Aucun parti ne m’attirait particulièrement. J’ai enseigné 4 ans dans un collège en Algérie. Mon retour correspond à la période où  se crée le parti des Verts, j’y adhère (nous n’étions pas nombreux encore). Ce parti étant déjà paritaire, à l’occasion d’un scrutin pour les régionales, on me dit « présente-toi ». Me suis alors retrouvée, par le jeu de l’absence de majorité des grands partis, puis des désistements à gauche, propulsée présidente de la région (Nord-pas-de-calais).

Six ans plus tard, sous Mitterrand-Jospin, la gauche régionale traditionnelle se reforme et gagne les élections suivantes. De présidente, je passe à conseillère régionale. Je suis proposée sur une liste et suis élue 1ère sénatrice verte en 2001 (ce sont les maires et conseillers généraux – grands électeurs – qui élisent les sénateurs). Fidèle au non cumul des mandats, je démissionne de mon mandat de conseillère régionale – tous les partis jeunes sont contre le cumul mais plus ils grandissent, plus ils le pratiquent, s’appuyant sur un mandat pour faire campagne pour un autre. Certains cumulent également pour être certain d’avoir des revenus après leur mandat (moi, j’étais enseignante et avais donc un parachute de sécurité).

Le sénat

Sur le site web du sénat on trouvait le nom des 320 sénateurs classés par ordre alphabétique, mais également par: présidents de  région, ou de départements, ou maires… comme un encouragement au cumul. Comme certaines personnalités parlementaires cumulent leur mandat avec celui de maire, on ne travaille pas, au sénat, le lundi et le vendredi pour leur permettre d’être dans leur ville. Le reste du temps c’est jour et nuit qu’on travaille. Si un sénateur est absent, il est payé quand même, ce qui n’est pas le cas au parlement européen.

C’est un bureau, autour du président du Sénat, qui se met d’accord sur l’agenda et le planning de travail. Les sénateurs travaillent de plus en plus, même certains WE car il y a de plus en plus de lois.

Cette assemblée appelée par certains « la danseuse de la République » est interrogée sur son utilité

mais l’expérience a montré (lors du vote de la loi Perben ou sur le divorce par exemple) le bien-fondé de son existence car l’Assemblée Nationale ne voit pas toujours toutes les conséquences d’une loi. La navette (voir plus loin) est indispensable pour d’utiles corrections. Le Sénat a une plus forte proportion de femmes que  l’Assemblée Nationale et la moyenne d’âge n’y est que de 2 ans supérieure.

Le sénat a des fastes publics visibles (concerts, expositions). L’Assemblée Nationale voyage beaucoup, ça se sait moins. Les deux budgets se valent.

Les lois

Le gouvernement fait un projet de loi – par exemple concernant le fichage ADN. Il passe au sénat – le président l’envoie dans une des 6 commissions qui interroge alors des associations d’immigrés, des policiers, des avocats, etc., ce sont des auditions. Puis le rapporteur donne l’avis de la commission au Sénat quand. la loi est exposée et débattue devant l’assemblée sénatoriale. Ministre, rapporteur, sénateur, tous peuvent alors déposer un amendement. Après chaque amendement, ministre, rapporteur et/ou sénateur de chaque groupe politique peuvent donner un avis favorable ou non. Le vote se déroule à main levée sauf si l’opposition demande le vote dans les urnes. Trois urnes, une oui, une non, une abstention   sont alors disposées dans l’hémicycle. Mais les sénateurs ne se déplacent pas pour déposer la plaquette portant leur nom dans l’urne de leur choix. C’est le mandaté de chaque parti qui amène toutes les plaquettes de tous les membres de son groupe et les glisse dans l’urne. Quand il y a des absents, on ne le voit donc pas, leur plaquette est glissée dans une urne !

Le texte, une fois préparé est donc amendé et un peu transformé.

En fait, depuis l’origine: du siège du gouvernement, un motard amène le texte à l’Assemblée Nationale qui fait le travail décrit plus haut . Le texte repart ensuite vers le Sénat qui fait ce même travail, puis il repart à l’Assemblée Nationale: même travail. Cette succession d’allers et venues est appelée: la navette.

Depuis Raffarin, quand on est pressé (et comme il y a beaucoup de projets de lois), on peut  commencer par le Sénat pendant qu’une autre loi se débat à l’assemblée, ou pire, déclarer « l’urgence », ce qui limite le débat à une seule lecture par chambre. Les auditions sont alors moins possibles et le temps de réflexion moins long. On confie le travail de synthèse entre les deux versions votées à une commission mixte paritaire composée de 7 députés et 7 sénateurs – 4 UMP, 2 PS, 1 PC – chargés de se mettre d’accord. La moitié des textes passe ainsi en urgence.

La loi repart enfin au gouvernement qui la transforme en décret d’application. Mais un décret n’est pas forcément appliqué – exemple des antiquaires qui voulaient interdire les braderies. La loi est passée mais à quelqu’un qui s’inquiétait de cette loi, un membre du gouvernement a répondu « vous en faites pas, on ne sortira pas le décret ! »  Parfois la suppression d’un décret est justifiée quand la situation a changé entre temps.

On peut aussi écrire des questions au gouvernement, qui figurent au  Journal Officiel. Le gouvernement doit répondre, le JO le mentionne également.

Le jeudi, c’est le  jour des « questions d’actualité ». Un sénateur interpelle le gouvernement, en présence du ministre (à l’Assemblée Nationale, c’est le mercredi). C’est l’occasion de grandes scènes, avec flash, caméras, tous les parlementaires  sont là, c’est un véritable jeu de rôles, retransmis à la télé.

Les commissions

Le président constate le nombre de places et définit le  nombre d’UMP, tant de PS, PC etc. Les groupes choisissent leurs membres. On ne peut être présent dans deux commissions mais on peut changer de commission (l’économie, la  culture, la plus prestigieuse: les affaires étrangères, qui comprend la diplomatie, la défense et l’armée – y siègent les anciens ministres. On y travaille peu de lois mais on est invité lors des visites des chefs d’Etats).

Un membre ou spécialiste d’une commission ne vote souvent qu’à propos des  sujets concernés par sa commission (mais c’est aussi du au fait que les commissions travaillent pendant le vote des autres commissions). Je suis moi-même à la commission culture.

Nous vivons une crise écologique mais je ne milite pas pour la décroissance. La croissance ou son inverse sont des  symptômes. Appeler à la croissance ou à la décroissance est donc inopérant. Ce qui est plus vertueux est d’appeler à l’arrêt du gâchis et à une justice dans la distribution des richesses.

Questions, débat :

– Concernant le paiement ou non des heures alors qu’on est absent, je suis pour instituer un prorata. Quand Sarkosy est venu à Lille pour les vœux, il y avait des lois à voter  le même jour, à la même heure. Le calendrier brouille les cartes pour le travail et les absences.

– Le bon engagement est-il dedans ou dehors ? Je suis là où je sais que je peux changer le réel – par des amendements – et où ma participation ne soutient pas un parti ou une action politique que je ne défends pas. Un philosophe grec a dit: la vraie démocratie c’est quand chacun peut gouverner et être gouverné.

 La commission des sites et paysages comprend 2 sénateurs et 2 députés, plus des associations du patrimoine etc. C’est elle qui précise si un site doit être classé ou non. J’y ai siégé 1 an.
 

EDF propose le passage d’une ligne très haute tension au-dessus d’un très beau paysage (le Verdon). L’entreprise vient expliquer au travers de films les 2 façons de faire passer le courant (aérien ou sous terre). Le film défendant l’aérien est en couleur, comme un conte, avec une musique genre Vivaldi. Sous terre, c’est en en noir et blanc et musique Science-fiction. Les associatifs de la commission sont un peu intimidés, j’interviens pour défendre le sous-terre afin de préserver le site. Alors que toues les paroles critiquaient les pylônes, le vote opte pour l’aérien ! Un sénateur était absent et les hauts fonctionnaires présents étaient de toutes façons chargés par leur ministre de tutelle de voter pour l’aérien. Des associations écolos locales ont porté plainte et la ligne haute tension n’a pas été autorisée. En fait, cette commission ne décide pas, elle rend un avis pour conseiller le ministre, mais elle est peuplée de gens « aux ordres », car salariés des autres ministères..

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) comprend 18 députés et autant de sénateurs. Sa mission: dire si les biocarburants (par exemple), c’est bon pour le pays. Des sénateurs volontaires  proposent de se charger du sujet.  On met à leur service un haut fonctionnaire.

En tant que sénatrice verte, j’étais rattachée administrativement au groupe socialiste mais pas apparentée. Tous les mardis on se voit et ce mardi-ci on annonce qu’une place se libère à l’OPESCT. Qui la veut ? 2 mains se lèvent – la mienne et une autre. Ce que je ne savais pas, c’est que le candidat socialiste était désigné dès le matin. Tout le monde est livide, ça ne se passe pas comme ça normalement.

C’est ainsi au Sénat, on vous explique tout, tout est lisse, aimable, on vous guide partout, sauf pour déposer une amendement, pour se présenter aux commissions etc.. Ce jour-là, le président PS, m’a fait passer avant !

L’OPESCT est pro-OGM et pro-nucléaire. Jusqu’en 2004, j’étais  la seule femme. S’y prennent les grands avis d’orientations technologiques. Comme les documents font 250 pages, l’habitude est le vote par confiance dans le travail des collègues.  Lors d’un vote concernant le nucléaire, j’opte pour le « non ». Le président se tourne vers moi et me glisse en aparté: il faudra t’habituer, c’est pas vraiment l’ambiance de voter contre. On se fait confiance… De même, lorsque j’ai fait un rapport concernant la pollution intérieure (AVI 3000, moquettes au formol, Décapfour – et des seuils de contamination  interdits dans le monde de l’entreprise mais pas pour l’usage domestique), ils m’ont aussi appliqué la règle de l’unanimité alors que je suppose qu’ils sont fondamentalement contre ce que je soutenais.

L’OPESCT a travaillé sur la contamination due aux essais nucléaires à Tahiti. (cancers multiples et facilement identifiables car ils provoquent des tumeurs simultanées sur plusieurs organes). La ministre des armées, répondant à une députée plaidant la cause de victimes, rétorque qu’ils ont la sécurité sociale et cite un passage tronqué du rapport de l’OPESCT: « En l’état actuel, on ne peut pas affirmer qu’il y a lien entre contamination et cancers en Polynésie », oubliant la suite: « parce que la France n’a jamais mandaté d’étude épidémiologique » !

Les cadeaux : Quelques exemples :

–  Toutes les sénatrices reçoivent un  flacon de parfum de l’industrie.

– SFR envoit tous les ans une bouteille de champagne à tous les sénateurs.

Les lobbies interviennent à forces inégales :

–       les apiculteurs bio relèvent des traces d’OGM ou ont des abeilles malades. Ils viennent expliquer ça devant la commission. Spectacle de gens en souffrance, s’exprimant difficilement, impressionnés, ou représentant un modèle de société sobre, ils sont peu écoutés.

–       et en face, une firme de maïs OGM informant les sénateurs avec DVD, invitant à un voyages aux USA pour information, mélangeant dans les esprits recherche et commerce, utilité médicale et quête de profits pour les semenciers. On leur déroule le tapis rouge. [Il faut faire la différence entre les OGM en serre et en labo et les OGM dehors. Les 1ers servent par exemple pour fabriquer de l’insuline, les 2nds fabriquent du pesticide dans leur propre tige ! Ils sont d’ailleurs depuis le Grenelle interdits en France].

En venant vous raconter ces pratiques, je prends un risque pour mes convictions : celui de vous dégoûter de la politique. Or, ce dégoût le Front National peut le récupérer. Ce dégoût il doit devenir chez vous une force pour exiger une meilleure démocratie.

Il faut avoir de meilleurs élus, les interpeller sur leur présence, leurs votes, leurs cumuls.

François Longerinas

Le 5 janvier 2013, dans le cadre de notre chantier sur la propagande, nous rencontrons François Longérinas (Pdg de la SCOP École des métiers de l’information et secrétaire national du Parti de Gauche en charge des alternatives concrètes). Il nous a parlé des scop. 
Attention notre compte rendu n’a pas été relu par François Longérinas et peut donc comporter des erreurs. 
 
Petit rappel historique
Il faut remonter au « socialisme utopique » de la fin du XVIIIe siècle (Fourier, Saint-Simon, puis Proudhon…), période avant l’industrialisation : communautés idéales basées sur la transformation sociale.
Au XIXème, pendant l’industrialisation, on se met à créer des mutuelles (« associations de secours mutuel » à l’époque), des associations, des coopératives. C’est très lié au mouvement ouvrier en France, en Allemagne et en Angleterre.
Puis, c’est la création de circuits de distribution de nourriture qui sont des coopératives de consommation et distribution en réseaux nationaux.
Mais il y a des difficultés à mettre en place les SCOP parce que certains socialistes pensent que c’est secondaire : il faut d’abord faire la révolution directe ou prendre le pouvoir par les urnes.
Aujourd’hui, il y a l’envie de travailler autrement, de réfléchir à quoi sert ce qu’on produit. Tout cela rentre dans le mouvement de l’économie sociale et solidaire. Celui comporte deux composantes :
1) Le mouvement de l’économie sociale : ce sont les coopératives et les mutuelles, qui prétendent fonctionner démocratiquement mais se sont éloignés de modes de fonctionnement démocratiques et solidaires aujourd’hui.
2) L’économie solidaire : depuis les années 1970, on a assisté à l’organisation de circuits différents, solidaires, comme les AMAP. Ce qui est produit doit être de bonne qualité et on pense aussi à la finalité. On veut faire des choses qui soient utiles à la communauté, peu importe comment on le fait.
Ainsi, certains mettent l’accent sur la démocratie (1), d’autres sur la finalité (2). Si on fait l’impasse sur une des deux valeurs, c’est mortifère. L’idéal, c’est de mêler 1 et 2, comme dans les Régies de quartier, qui sont un modèle d’économie solidaire réussie.
 
Il y a aujourd’hui plus de 2000 SCOP en France, soit entre 40 000 et 50 000 salariés (c’est difficile à comptabiliser, vu que certaines filiales de grosses SCOP ne sont pas elles-mêmes en SCOP).
Globalement l’économie sociale et solidaire, en France, c’est 10 % du salariat et 10 % du PIB.
La pérennisation de l’activité est plus forte dans les SCOP que dans les entreprises qui fonctionnent de manière « classique ». La prise de conscience est mesurée, mais de plus en plus de cadres y pensent. Beaucoup d’artisans choisissent aussi cette formule comme alternative à l’auto-entrepreneuriat.
 
Le fonctionnement des SCOP
 
C’est quoi une SCOP ?
Aujourd’hui, c’est un terme très courant, à la mode.
Aujourd’hui, cela signifie : « « Société coopérative et participative ».
A l’origine : « Société coopérative ouvrière de production ».
On a changé de nom parce que toutes les SCOP ne sont pas forcément liées à la production (il y en a qui fournissent des services).
Ce sont des entreprises qui ont un fonctionnement particulier.
 
Comment ça fonctionne ?
1) Le capital appartient majoritairement (au moins 50 %) aux salariés : ce sont eux les propriétaires de l’entreprise. Chacun a mis un peu d’argent dans l’entreprise (on ne parle pas d’ « action », on parle de « part sociale »).
2) Ce sont les salariés qui décident, en AG, ce qu’on va faire dans l’entreprise. Il peut y avoir des AG toutes les semaines. Chaque SCOP se met d’accord sur le nombre d’AG pour faire marcher l’entreprise. Chaque salarié = une voix.
3) Les bénéfices que fait l’entreprise restent aux deux-tiers dans l’entreprise. Ces deux tiers ne sont donc pas partagés. Ils restent dans l’entreprise pour garantir la solidité financière de l’entreprise (ce sont les « fonds propres »).
 
Les SCIC
Dans les les SCIC (société coopérative d’intérêt collectif), l’État, la Région, la commune peuvent entrer au capital pour participer à la vie de l’entreprise, à un niveau inférieur aux salariés, bien sûr. Exemple : ENERCOOP, qui produit de l’énergie de manière propre.
 
Autogestion et SCOP
Une SCOP n’est pas forcément auto-gérée, loin de là ! Cela signifierait que dans la vie quotidienne, on fonctionnerait de manière démocratique… Or on en est loin pour beaucoup de SCOP, qui séparent les choses entre la coopérative (gérée démocratiquement) et l’entreprise telle qu’elle fonctionne au quotidien (avec la hiérarchie, la séparation des tâches…). Mais l’idéal serait de viser cette autogestion, par exemple avec une rotation des tâches dans l’entreprise.
Le symbole de l’autogestion, c’est LIP, dont l’histoire est racontée dans le film « LIP, l’imagination au pouvoir ».
 
Nationalisation et SCOP
Faire une SCOP ou nationaliser une entreprise, comme cela a été évoqué récemment au sujet de Florange, c’est le même état d’esprit : on produit pour le bien commun. Mais nationaliser sans y investir les salariés, ça ne sert à rien !
 
Des exemples de SCOP
 
L’histoire de FRALIB (Française d’alimentation et de boissons)
Les « Fralibiens » sont en lutte depuis 780 jours contre la fermeture de leur site de production, qui était le seul en France à produire les thés Lipton et les infusions Eléphant. La production est arrêtée parce que soi-disant pas assez rentable. Unilever, maison mère de FRALIB, veut déplacer la production ailleurs.
Au départ, une seule idée pour les salariés : préserver l’emploi pour vivre.
Au bout d’un moment, ils se posent la question : est-ce qu’on ne serait pas capables de produire sans patrons ?
Un an après : si on faisait une coopérative ? Deux ans plus tôt, personne ne savait ce que c’était. Ce n’était pas dans la culture d’origine, pourtant très syndicaliste. Il faut savoir qu’il y a trente ans, c’est la CFDT qui soutenait la création des SCOP, cela n’est que récemment que la CGT s’y est mise.
Donc les salariés du site de Gémenos se rendent compte que la qualité de la production des infusions pouvait être améliorée (certains ont remarqué la présence de têtes de mort sur certains produits !). Ils se mettent donc à la recherche de produits locaux : tilleul, camomille, menthe…
En deux ans, on est face à une « révolution culturelle » : on a des militants pour créer une SCOP, et des militants écologistes avec une logique sociale pour tout le monde (seul souci : le thé doit être acheté à l’étranger). Même évolution au niveau du genre : les femmes sont de plus en plus présentes.
Sur les 182 anciens employés, 72 sont prêts à participer à l’aventure, baptisée « Société coopérative ouvrière provençale de thés et infusions » (Scop T.I.). Ils veulent récupérer la marque « Éléphant », qu’Unilever ne veut pas lâcher pour l’instant.
Problème : des femmes très investies dans le CHSCT (qui s’occupe de l’hygiène, de la santé, de la sécurité, des conditions de travail…) ne voulaient pas faire partie de la SCOP, parce qu’elles trouvaient qu’il y en avait qui étaient feignants. Mais elles ont fini par comprendre qu’elles aussi auront leur mot à dire. Donc maintenant elles sont OK.
 
Pour aller plus loin, articles intéressants :
Dans Le Monde du 16/11/2012 : http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/11/16/fralib-les-salaries-remettent-leur-projet-de-scop-au-ministre-benoit-hamon_1792135_3234.html
Dans LHumanité du 7/12/12 : http://www.humanite.fr/social-eco/les-fralib-peaufinent-leur-projet-de-cooperative-510472
Tous les articles de lHumanité sur les FRALIB : http://www.humanite.fr/mot-cle/fralib
 
L’histoire de l’EMI
 
Historiquement, a d’abord été créé il y a plus de trente ans le CFD (Centre de formation et de documentation « pour la presse associative, syndicale et différente »). Le but est de transmettre les techniques journalistiques aux associations, en travail avec les circuits d’éducation populaire comme le MRJC, la CFDT… Dans ces mouvements-là, certains voulaient devenir journalistes professionnels. Peu à peu, c’est devenu carrément une école.
Dans les années 70, ils créent le magazine « Politis » et sont à l’initiative du mouvement des radios libres.
Ils ont comme idée que, si on maîtrise les outils, on pourra maîtriser le reste de l’information.
Sous forme d’association, l’EMI fonctionne mal, et doit déposer son bilan fin 1993.
Sept salariés (sur 20) décident de la reprendre en SCOP, créée en mars 1995, en mettant leurs indemnités de licenciement au capital.
Sous forme de SCOP, ça marche mieux qu’en association, car les banques acceptent de leur prêter de l’argent à partir du moment où il y a du capital.
Depuis deux ans, les salariés ne sont pas forcément sociétaires, parce que quand c’était automatique, les gens se désintéressaient du projet. Alors que là, c’est une volonté de la part des salariés d’être sociétaires ou non, de s’investir ou non dans la SCOP.
Pour François, la SCOP est une forme transitoire.
Il y a une forte influence sur les conditions de travail : les salariés associés ont la préoccupation du bien-être de la boîte, quel que soit leur niveau dans l’entreprise.
Les salaires ne sont pas égaux, mais l’échelle des salaires est limitée : de 1 à 2.
Un problème est soulevé : le coût des formations, chères et donc pas accessibles à tout le monde. Mais pour sauver la boîte, il faut entrer dans les lois du marché. Donc on est coincé.
 
Questions posées
– Sur Marinaleda, village espagnol en autogestion. Débat sur la question par rapport au marché ? Est-ce qu’on ne va pas vers des formes d’auto-exploitation ? Comment rendre collective la démarche au quotidien ?
– La question de l’autarcie. L’autarcie ne prend pas en compte l’épuisement des ressources, ni l’inégalité des territoires. Il faut multiplier les logiques d’autogestion territoriale.
 
Pour conclure
L’essentiel, c’est de socialiser les moyens de production et les services.
Choisir une logique de coopération active contre la logique de compétition.

Miguel Benasayag: « L’amour n’est jamais du côté de l’ordre »

En 2002, dans le cadre de notre chantier sur l’amour, nous avons rencontré Miguel Benasayag. Philosophe et psychanalyste, ancien combattant contre la dictature en Argentine, intervenant aujourd’hui au sein du réseau international No Vox qui réunit les organisations des « sans », Miguel Benasayag a écrit de nombreux livres (1), dont l’un sur l’amour (2). Dans le cadre du projet « Les amoureuses », il est venu au Théâtre de Chelles, le 23 novembre dernier 2002, nous exposer sa vision de l’amour passion. Et nous inviter à résister à la démolition utilitariste et marchande du monde. Un moment riche en intelligence et en émotions, dont nous restituons ici les temps forts sous forme d’une interview collective reconstruite.

Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par notre intervenant, il peut donc comporter des erreurs.

Comment en es-tu venu à travailler sur la question de l’amour ?

Miguel Benasayag : Au milieu des années 80, j’ai écrit un bouquin qui s’appelait La critique du bonheur. J’y développais l’idée qu’une société en quête permanente du bonheur est une société condamnée à la canaillerie et… au malheur, de surcroît ! J’avais déjà l’intuition que l’amour est quelque chose qui a peu à voir avec le bonheur ou le malheur, mais que ça, notre société ne peut pas le comprendre. C’est ce que j’ai voulu étudier dans un autre livre, Le pari amoureux : je me suis posé la question de ce qu’était vraiment la passion amoureuse, quelles étaient les voies de canalisation de l’affect, comment tout cela était né en Occident et avait changé historiquement. Et je suis arrivé à la conclusion que ce qui est né en France voilà mille ans, ce qu’on appelle l’amour-passion, est profondément subversif. Car il fait partie des trois ou quatre sujets qui ne seront jamais du côté de l’ordre.

La question qui m’intéresse, ce sont les mouvements qui nous désubjectivisent. Pour Deleuze ou pour Spinoza, l’amour n’est pas quelque chose de subjectif. Pour le dire d’une certaine manière, à travers les amants, l’amour existe. Mais ce ne sont pas les amants qui s’aiment. L’ordre, ce serait de dire : « Comme Marinette aime Popaul, l’important c’est Marinette et Popaul… le crédit épargne-logement, la bague que tu m’as achetée, où on va vivre, le nombre d’enfants qu’on aura, quelle éducation on leur donnera…  » Tout cela, c’est la subjectivation à partir d’une réalité amoureuse. Mais lorsque la subjectivation prend le dessus, l’amour est déjà mort…

Comment, alors, peut-on définir cet amour ?

M.B. : L’amour, tel que nous le parlons en Occident depuis Abélard et Héloïse, est ce vécu qui ne s’identifie ni au lien ni aux individus. Héloïse était une jeune parisienne brillantissime, de 18 ans, une sorte de féministe avant l’heure parce qu’elle étudiait, écrivait, jouait de la musique… En 1080, elle entend parler d’un philosophe révolutionnaire de 40 ans, Pierre Abélard, et dit à son oncle, qui était chanoine : « Je veux des cours de philosophie avec Abélard ». Ils font de la philosophie, ils s’aiment, ils jouent de la flûte, ils se marient en cachette…

Mais quand l’oncle d’Héloïse le découvre, pour punir Abélard, il paye quelqu’un qui va le châtrer. Abélard s’enferme alors avec des amis dans un couvent de rebelles. Et Héloïse, à ce moment-là, décrit leur amour en ces termes : « J’adorais faire l’amour avec vous. On ne peut plus, mais l’amour, ce n’est pas ça. J’adorais philosopher avec vous. On ne peut plus, mais l’amour, ce n’est pas ça. J’aimais vous voir. On ne peut plus, mais l’amour, ce n’est pas ça. » Elle décline ainsi toutes les formes de l’amour, mais à chaque fois, elle dégage l’amour de toute forme. Donc l’amour, tel qu’inventé par Héloïse, est cette sorte d’énergie érotique, transversale, qui, en donnant vie à toute forme, ne correspond à aucune forme. Ca n’est pas non plus platonicien : l’amour ne peut pas exister sans formes. Mais il ne s’épuise pas dans la forme. Si la forme quelle qu’elle soit s’identifie avec l’amour, ce n’est plus de l’amour…

N’y a-t-il pas là un rapport avec les grands mystiques, comme Thérèse d’Avila ?

M.B. : Les mystiques font effectivement le pari d’un amour sans formes et tentent d’y parvenir à travers une ascèse. La différence avec l’amour-passion, c’est que celui-ci engendre des formes, et tente même d’en inventer, mais sans s’identifier avec aucune de ces formes. C’est vrai que la passion amoureuse désubjectivise : les amants sont là juste pour que quelque chose d’autre puisse exister à travers eux. Mais elle désubjectivise à travers des sujets différents, à travers les amants. Alors que chez les grands mystiques, l’amour absolu désubjectivise, un point c’est tout !

Peux-tu mieux nous expliquer ce processus de désubjectivisation ?

M.B. : Je vais prendre un exemple. Je ne suis pas entré dans la résistance en Argentine pour « faire de la politique », mais parce que j’étais un hippy qui jouait de la batterie, que je faisais du théâtre, que j’aimais la vie et que, quand on aimait la vie, il fallait résister au fascisme… Et chacun résistait à sa façon. Moi, comme je suis quelqu’un d’assez méthodique, le jour où je suis arrivé à la conclusion qu’il fallait une branche armée, j’ai décidé d’en faire partie. Je ne suis donc pas devenu un combattant par amour de la politique, mais par un dégoût total, pasolinien, de la politique…

Dans ce combat, j’ai perdu tout le monde, avec la charge supplémentaire que j’étais le premier – parmi ma femme, mon frère, les amis les plus proches… – à avoir dit, à un moment donné, qu’il fallait entrer dans la résistance. Parmi tous ceux qui m’ont suivi, il n’y a aucun survivant, sauf moi. Et les gens – les fascistes, les militaires, mais aussi les partis de gauche – ne comprenaient pas pourquoi on prenait ce risque-là. La désubjectivation, c’est exactement cela : pouvoir prendre des risques considérables pour des choses qui ne te regardent pas en tant que sujet ; là, tu participes de quelque chose dans laquelle tu acceptes de te dissoudre, au nom de quelque chose d’autre. Deleuze dit : « Plus on agit au nom du moi, moins on agit en son propre nom ».

Dans l’amour, c’est plus difficile à comprendre : on croit qu’on y agit en tant que sujet, avec un autre sujet. Or, l’amour est ce qu’il y a de moins intersubjectif au monde. Dans l’amour tel qu’Héloïse le décrit, c’est comme si, à travers chaque amant, l’amour s’aimait. Dans un état amoureux de ce type, au lieu de dire « Je suis au plus près de moi », il vaudrait mieux dire : « Cet état me met au plus loin de moi ».

Je suis convaincu que dans chaque couple qui s’aime, il y a tous les couples du monde et de l’histoire qui sont en train de s’aimer. C’est pour cela que l’amour, peut-être qu’il est joyeux au sens philosophique, mais pour qu’il soit léger, il faut se lever de bonne heure, car c’est quand même assez lourd !

Deleuze a écrit : « La vie n’est pas quelque chose de personnel ». Autrement dit, la vie consiste à être le plus possible dans des multiplicités… De même, l’art n’est pas quelque chose de personnel… Tout créateur, comme tout amant, est sur ce fil du rasoir : d’un côté, pour vivre cette passion-là, il doit s’absenter au maximum ; et, en même temps, c’est bien à travers lui qu’elle existe. Je crois que c’est sur ce fil du rasoir que tout se joue. C’est le propre de l’amour, de l’art, de la politique libertaire (c’est-à-dire la politique qui se préoccupe de la liberté et de la justice, et non pas de gérer des gens) et de la recherche scientifique : ces quatre devenirs où il y a de la passion, et où il y a des vérités…

Plutôt  que de désubjectivation, ne s’agit-il pas de distinguer l’ego et le « je » ?

M.B. : Dans mes bouquins plus théoriques, je distingue la « personne », qui est le sujet traversé par des multiplicités, et l' »individu », qui serait l’ego « moi-ïque ». Il y a deux citations à ce sujet qui me viennent en tête. La première est celle de Novalis, qui dit : « Est-ce que tu peux dire que tu aimes si tu ne trouves pas tout l’univers dans la personne aimée ? » C’est-à-dire que l’amour n’est jamais quelque chose en vase clos, quelque chose de personnel et d’intime, selon Novalis qui, avec Hölderlin, fait partie des grands romantiques du début du XIXe siècle. Cela veut dire aussi que si l’autre est trop « chaussure à ton pied », il faut se méfier !

La seconde citation, de Georges Canguilhem, a davantage à voir avec le sens. Il constate que « tout organisme vivant a tendance à développer sa nature, son essence, même au prix de sa survie ». Je pense à une bande de pigeons que je connais. J’essaye de voir comment ce que je sais de la neurophysiologie s’applique à eux. Qu’est-ce que j’observe ? Quand je leur donne à manger, il y a toujours assez pour tous, mais il y a des pigeons qui, plutôt que de manger, préfèrent perdre leur temps à chasser ceux qui ne sont pas de la bande. Pourquoi ? C’est bien parce qu’il y a là quelque chose de leur nature, de leur essence… Un artiste ne fait pas autre chose : pour développer sa nature, son essence, il va faire des choses que son banquier – ou son psychologue – vont considérer comme ridicules ou pathologiques.

Le film Le peuple migrateur, très beau par ses images mais très peu scientifique sur le fond, a pour idée centrale que si tous ces oiseaux volent si loin, c’est pour aller manger. Pourtant, on voit bien que non : ces petits oiseaux vont au pôle pour crever de froid et ne rien trouver à manger ! La nature montre que tous les organismes vivants ont autre chose à faire que s’assurer leur survie. Ils assurent leur survie, aussi ! Il n’y a que l’homme occidental, avec la technique, le consumérisme, le rationalisme, qui a cru quelque chose d’aussi stupide – et c’est pour ça qu’il y a l’économisme ou l’urbanisme criminel… – que de croire que la fonction principale de l’être humain, c’est la survie, et après seulement la vie !

En psychiatrie, on le voit tous les jours : quand une jeune femme anorexique arrive en consultation, il y a toujours un toubib pour dire : « Il faut d’abord qu’elle grossisse, après on s’occupera de sa vie…  » Et il se met le doigt dans l’œil ! Il ne faut pas manger pour vivre ; il faut vivre – dans le sens de désir – pour manger. Lorsque ces jeunes femmes arrivent à débloquer un désir, elles se remettent à manger : parce qu’on désire, on mange. Et c’est pareil pour les oiseaux : parce qu’ils migrent, ils mangent, et non l’inverse. C’est cela la confusion : un oiseau migrateur n’est pas migrateur génétiquement ; il faut encore qu’il migre. C’est le devenir. Autrement dit, personne n’EST d’un point de vue de stabilité ; il faut pouvoir le faire, il faut devenir, il faut assumer ce que l’on est.

C’est pour cela que, dans l’amour, la déclaration amoureuse est gravissime. Dire « Je t’aime », ça ne veut rien dire, parce qu’il n’y a que des actes d’amour. Tout reste à faire. C’est en cela aussi que l’amour est subversif.

Tu t’insurges contre tous les experts qui prétendent nous expliquer comment aimer…

M.B. : Dans notre société, il y a des sexologues, des psychologues, des conseillers matrimoniaux qui sont là pour dire comme il faut bien s’aimer… alors même que l’amour est un pur dysfonctionnement pour la personne qui « tombe » en amour… La seule question qui se pose est de savoir si elle aura le courage de vivre ces dysfonctionnements. Car il n’y a aucune raison pour que l’amour protège nos fonctions vitales. Il n’y a aucune raison pour que l’amour nous rende heureux. Il n’y a aucune raison pour que l’amour nous garantisse qu’on aura une vie bien construite.

Il me semble qu’il ne faut pas trop psychologiser ces questions-là. La psychologie est une dimension, mais elle n’est qu’une des dimensions. Toute personne qui parle de l’amour d’un point de vue « psy » confond les soubassements avec ce qui se passe. C’est comme si on expliquait un tableau de Dali en décrivant les matières et les couleurs qui le composent : on a raison, bien sûr, sauf que le tableau lui-même est passé à l’as !

Le problème des « psys », c’est qu’ils confondent les émotions avec les sentiments. Les émotions, c’est ce qu’on sent d’un point de vue factuel ; mettre des sentiments là-dessus, c’est un pas abusif. Moi, en tant que psy, je n’ai rien à dire sur l’amour ! Sauf en tant que clinicien : dire que c’est terrible comme les gens confondent l’amour avec le lien. L’autre jour, dans ma consultation, la mère adoptive de deux enfants m’a dit : « Miguel, je ne les aime pas ! » Je lui ai dit : « Bien sûr. Je le sais depuis longtemps… Mais ça ne gomme en rien le lien. » Elle est partie libérée car elle souffrait avec cette idée qu’il lui fallait aimer.

Tu penses qu’il faut absolument distinguer l’amour et le lien ?

M.B. : Souvent, les gens pensent que, puisqu’il n’y a plus d’amour, il n’y a plus de lien… Alors, ils se séparent, et après ils vont très mal ! Parce qu’ils se sont trompés : ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’amour qu’il n’y a pas de lien.

L’un des problèmes graves de notre société, c’est que nous n’osons pas aimer (parce que ça fait très peur, cette « non-forme » créatrice de toute forme) mais que nous ne nous sentons pas non plus responsables des liens. Dans des sociétés comme les pays arabes, où les gens ne se marient pas par amour mais par lien, l’amour existe toujours « de traviole », mais on s’unit par des liens, et les gens s’en sentent responsables.

A nous, tout cela nous semble horrible, car nous croyons que nous sommes dans l’amour. Or, la plupart du temps, nous ne sommes ni dans l’amour ni dans le lien. Parce que l’amour c’est trop, et le lien ce n’est pas assez ! C’est pour ça que 10 000 vieux peuvent mourir de la chaleur un été en France : parce que nous ne sommes pas dans l’amour de « mémé-pépé », mais nous n’assumons pas non plus le lien. On voit très bien tout cela dans les films américains : ils se disent tous « I love you », avant de raccrocher… C’est pour faire semblant que le lien est fondé sur l’amour. Mais plus on fait semblant, moins il y a de lien et moins il y a d’amour !

Le lien, c’est ce qui dit qu’entre toi et moi, il y a quelque chose qui existe. C’est constater que je ne peux pas continuer ma vie si toi, tu vas mal. Je peux tourner le dos au lien, je peux éviter le lien, je peux créer le lien, je peux être un salaud dans le lien… mais c’est quelque chose qui dit que je ne finis pas dans les limites de mon corps : c’est cela, le lien.

Heureusement qu’il peut y avoir des liens sans amour ! Sinon, vous imaginez : l’amour est quelque chose de beaucoup trop chaud, beaucoup trop déstructurant, beaucoup trop subversif… Tant qu’existe l’amour, le lien reste très fragile, parce que très peu sclérosé. Si tous les liens étaient fondés sur l’amour, ce serait un vrai désastre !

Comment reconnaît-on ces quatre passions porteuses de vérités qui nous dépassent ?

M.B. : Se lancer dans la passion, comme l’a expliqué Sartre, signifie s’engager en ignorant où on va. Dans la passion amoureuse, qu’est-ce qui fait peur, sinon une ignorance qu’il faut assumer et qui est consubstantielle avec l’amour ? Si on sait trop où l’on va, il y a quelque chose du côté du lien, donc de la « visibilité » ou du « moi » ; mais plus il y a de « moi » personnel, moins il y a de place pour la passion.

On a tendance à croire que l’état amoureux est un état dans lequel on existe en tant que soi. Or, l’état amoureux, à l’instar de l’art, de la politique libertaire ou de la recherche scientifique, suppose que, plus on est vraiment dans la chose, moins on existe soi-même. Dans l’amour, on peut aller jusqu’à la remise en cause de sa propre survie biologique. Voilà pourquoi on ne peut pas assimiler, comme le fait l’Occident, amour et bonheur.

Le bonheur est quelque chose qui a à voir avec un tas de composantes, très aléatoires, donc qui peut être là ou n’être pas là : ça va, ça vient… On ne peut donc pas dire que le fait d’être heureux soit une sorte de symptôme de l’état amoureux : parfois oui, parfois non. C’est comme un peintre qui est en train de souffrir pour réaliser un tableau. Il est écrasé par son art, et il y a toujours quelqu’un pour lui dire : « Mais au moins, tu es heureux ». Et le peintre, il a envie de le tuer, de lui dire : « Mais qu’est-ce que tu veux que ça me foute, espèce de connard ! ». C’est une agression de dire à un créateur qu’il est heureux… Parfois il peut être d’un bonheur total, parfois dans un malheur absolu, mais c’est autre chose qui oriente sa vie. Notre société est dans l’incapacité totale de comprendre que, dans l’amour comme dans l’art, le bonheur est de surcroît.

Tu critiques les illusions de l’Occident sur l’amour. Comment se passe, de ce point de vue, la rencontre avec les jeunes issus de l’immigration ?

M.B. : Je suis convaincu que l’érotisme est une « boucle autonome » (d’un point de vue physiologique, cela veut dire un élément qui – comme les cellules photosensibles d’un papillon qui le poussent à aller vers la lumière – fonctionne de façon autonome par rapport à l’ensemble). On passe notre temps à chercher à théoriser pourquoi on bande, pourquoi on mouille, pourquoi on s’excite… à vouloir expliquer cela par le « plus » ou « moins » d’amour… alors que l’érotisme s’explique très bien par l’observation des comportements animaux : on se reconnaît à tous les coups quand on voit une femelle qui bouge les fesses, ou bien un mâle dominant malheureux s’il y en a une qui ne le regarde pas…

Les sociétés traditionnelles arrivent assez bien à « gérer » ces boucles autonomes en les réprimant pour qu’elles ne désorganisent pas trop la société. Gérer assez bien, attention : cela veut dire aussi l’excision ou l’enfermement des femmes… En Amérique latine, c’est autre chose : cette boucle autonome est acceptée, et les gens savent quoi faire avec. A Buenos Aires, par exemple, tous les trois pâtés de maisons, il y a un « hôtel de passe » pour les couples illégitimes ! Il y a le discours officiel qui dit « Nous sommes fidèles », mais tout le monde couche avec tout le monde… Il y a une sorte d’acceptation de la chose, qui vient du mélange entre les noirs africains, les indiens, les européens…

L’Occident, lui, a fait le pari de l’émancipation des femmes. C’est un pari ontologique : une société qui a 100 % de ses corps et de ses cerveaux libérés est plus puissante qu’une société qui n’en a que 25 % (il faut compter qu’un homme qui soumet une femme est lui-même à moitié soumis) ! Cette déterritorialisation des boucles autonomes a produit une puissance énorme, mais l’Occident cherche a posteriori à se donner de bonnes raisons : c’est pour la liberté, c’est pour l’amour. Résultat : les gens culpabilisent tout le temps parce qu’ils s’excitent là où il ne faudrait pas s’exciter…

On voit ainsi apparaître trois modèles de gestion de la boucle autonome érotique : celui de la répression, dans les pays du Maghreb ou d’Orient ; celui de la banalisation, en Amérique latine ; et celui de l’Occident, où l’on ne sait pas trop quoi faire avec ça… Ici, un devenir amoureux peut coïncider avec la boucle autonome érotique, mais il peut aussi ne pas coïncider. Or, on continue à faire comme si le pas en avant qu’avait fait l’Occident sur cette question était au nom de l’amour et de la liberté. Quand les gens venus d’Orient trouvent chez nous cette déterritorialisation, d’abord ça les excite beaucoup, ça leur plait mais ça leur fait aussi très peur…

Nous sommes arrivés à un point où la déconstruction des liens est beaucoup trop forte. Le fait historique majeur, aujourd’hui, c’est que l’être humain, du fait de la puissance de la technique et de la science, est à la veille de pouvoir modifier son espèce… alors même que nous sommes plus enfantins que jamais, parce que plus déboussolés que jamais !

N’est-ce pas ce qui explique la ré-émergence du droit ?

M.B. : Oui, mais seulement comme nécessité. Le droit arrive comme quelqu’un d’essoufflé, quand les choses importantes se sont déjà passées. Le droit ne peut pas créer du lien. Le problème, aujourd’hui, c’est qu’il n’y a plus rien de sacré. Au sein du conseil national d’éthique, quand les représentants des religions interviennent, ils parlent de choses qui ne renvoient à rien. Ils s’expriment « au nom du sacré de la vie », et les scientifiques se disent : « Mais de quoi tu me parles, à moi qui travaille sur des molécules ? » Notre société ne sait plus au nom de quoi orienter ou limiter ces pratiques. Notre société ne connaît plus les « au nom de quoi ? » C’est pourquoi beaucoup de jeunes se tournent vers les intégrismes de tous poils : ils cherchent un totem qui établisse des tabous.

Je crois qu’il faut vraiment tout faire pour résister à la démolition utilitariste et marchande du monde. Il faut répondre à l’appel, ne pas dévier le regard. Il faut vraiment s’oublier, même plus que ce que l’on souhaiterait. Non pas dans une vision ascétique – l’ascétisme est puant parce que c’est moral -, mais dans une recherche d’une vie qui ne soit pas simplement cette merde ! Qui doit faire cela ? Chacun de nous est appelé, à la façon d’un oiseau migrateur, et doit partir. Chacun de nous, à travers une infinité d’affinités électives, entend cet appel-là. Cet appel, on peut l’oublier, l’écraser, ou on peut l’entendre, mais c’est une question d’exercice quotidien. Dans son Phédre, Platon dit : « Les hommes sont des anges déchus. Mais il y en a  parmi eux qui sentent encore la démangeaison des ailes. » A 50 ans, malheureusement (je dis malheureusement parce que toute ma vie j’ai lutté contre cela), je suis convaincu que Platon a raison quand il parle de « certains » seulement.

Il faut renoncer à vouloir « éveiller » les gens. Ni l’art, ni la science, ni l’amour, ni la résistance politique n’ont besoin d’une masse de gens pour exister. C’est pourquoi j’adhère à l’idée de « devenirs minoritaires » chère à Deleuze : nous n’avons pas à devenir majoritaires, nous avons à créer de multiples devenirs minoritaires. C’est là que réside mon optimisme, mais il est freiné par le fait que tout le monde aujourd’hui, y compris à gauche ou à l’extrême gauche, tente de tenir une parole majoritaire. Le devenir minoritaire – en amour comme en politique – consiste à écarter tout modèle global. Les devenirs minoritaires n’ont qu’à faire l’effort d’exister. Et au milieu de la jungle, au milieu de l’oubli, au milieu de la tristesse… des liens, des appels, des réponses, des échos se font. Les choses se font comme ça : tout à coup, au fond du trou, il y a comme un appel. On peut l’entendre, ou ne pas l’entendre. Ce qui est sûr, c’est que plus on commence à entendre, plus on a l’oreille fine…

Cette démangeaison des ailes peut-elle devenir contagieuse ?

M.B. : Je ne suis pas un pédagogue mais un passeur. La première responsabilité d’un passeur, c’est de sentir là où il y a quelqu’un qui sent les mêmes choses que lui. Je me promène comme un martien sur la terre, et c’est un profond bonheur chaque fois que je trouve un autre martien ! C’est pour ça, par exemple, que je m’investis dans le mouvement alternatif, même si j’y suis très minoritaire. Soit on est dans les miradors, soit on est en bas : dans les miradors, il peut y avoir des positions de gauche ou même d’extrême gauche, mais cela reste des miradors… Et ceux qui sont là-haut détestent ceux qui ne veulent pas monter parce qu’ils savent très bien que ces contestataires continueront de les emmerder… Etre un passeur, c’est n’être jamais du côté du pouvoir, donc se moquer de la notoriété et s’installer dans la durée.

L’art, la recherche scientifique ou la politique libertaire ont leurs propres finalités. Mais l’amour? Qu’est-ce qui fait que ça vaut le coup d’y aller ? Qu’est-ce que ça produit pour le genre humain ?

M.B. : Personne n’est obligé de vivre, ne serait-ce qu’un seul jour, dans l’une de ces quatre procédures-là. On peut vivre dans des procédures de l’immédiat, de l’individu, sur le mode « Après moi, le déluge ! ». Mais il nous est donné la possibilité de déborder cette forme un peu fermée, qui n’est qu’une illusion. Même sur un plan physiologique, c’est une illusion de penser que je finis là où finit ma peau. Nous sommes dans un bouillon d’atomes et d’énergies : il y a des singularités, mais elles sont incompréhensibles si elles ne font pas partie d’un tout…

Alors, qu’est-ce qu’on a à gagner ou à perdre ? Le problème, c’est qu’il y a deux modes de pensée concernant le « gagner » ou le « perdre ». Il y a un mode individualiste, utilitariste, qui consiste à parier sur son existence en tant qu’individu. Mais il nous est donné la possibilité de déborder cela en nous intéressant à des questions profondément scientifiques pour lesquelles tout cela est un mystère total. Ces questions-là, ça fait appel chez certains, et chez d’autres non… Personnellement, je pourrais mourir plutôt que d’arrêter ces recherches-là.

L’amour est une autre de ces procédures à travers lesquelles on éprouve la joie existentielle de participer à un tout. Spinoza parle de ces expériences à travers lesquelles on éprouve cette vérité que ce qui existe en nous a toujours existé et existera toujours, donc on réalise qu’on est éternels. Non pas immortels, dit Spinoza, mais éternels. C’est-à-dire qu’à travers des questions scientifiques, à travers l’art, à travers certains gestes libertaires et à travers l’amour, les hommes et les femmes (et, j’en suis convaincu, les bêtes) expérimentent cet « au-delà » de notre personne.

Tu dis que la passion nous tombe dessus : nous n’avons donc aucune possibilité d’en être acteur ?

M.B. : L’Occident s’est construit sur une culture qui croyait que, pour être libre, il fallait dominer. Dominer la nature, ses instincts, ses passions… Les gens qui viennent s’allonger sur le divan ne viennent pas chercher autre chose : apprendre à maîtriser des boucles autonomes qui échappent de tous les coins pour être libres. L’Occident pense que tout destin est fatalité. Le grand défi de notre époque, c’est de réarticuler l’idée de liberté, non comme libre-arbitre mais comme assomption du destin. Car qui n’assume pas son destin se le reçoit sur la gueule comme fatalité. Le destin, c’est l’appel : ce n’est pas moi qui décide de tomber amoureux, ce n’est pas moi qui décide que telle couleur va me travailler toute ma vie ou que le théâtre me happe.

Nous sommes tous une résultante – au sens physique – de données multiples. Parmi ces données, le « moi » n’est pas ce qui dirige, c’est juste un élément de plus. Ce que nous nommons, d’un point de vue scientifique, « essence » ou « destinée » n’a rien à voir avec la transcendance. Les appels que nous ressentons ont à voir avec une multitude de données (notre histoire, notre peuple, les climats, l’écologie, les étoiles…). Le problème de l’Occident, c’est qu’il croit que la conscience devrait orienter la résultante, alors qu’elle n’est qu’un élément de plus. Quand nous sommes happés, nous expérimentons que nous sommes une multiplicité qui ne s’identifie pas avec notre personne ou notre carte d’identité. Les romantiques allemands avaient parfaitement compris cela.

Cette résultante, mouvante et changeante bien sûr, c’est ce qu’on appelle le « destin » de quelqu’un. Alors, plus je veux être moi, moins j’existe puisque je m’identifie avec un seul élément de la multiplicité. Un toxicomane identifie sa multiplicité à une seule boucle, et il en souffre. Mais l’homme d’affaires est dans la même impasse, puisqu’il identifie sa multiplicité à une seule boucle : gagner des sous. Et l’homme de pouvoir, idem.

Dans l’amour, on est happé, au milieu de sa tranquillité, par un devenir amoureux qui vient déranger l’équilibre qu’on peut avoir. Alors qu’est-ce qu’on peut demander à l’amour ? Rien, car ce n’est pas notre partenaire. On peut juste essayer de l’assumer en apprenant petit à petit – et c’est un chemin lent et infinitésimal – à ne pas tout détruire ou à se suicider ou à casser tous les liens parce que la passion est trop forte. C’est un apprentissage, à l’instar du peintre : celui qui est happé au début par deux ou trois couleurs et quelques formes, il doit apprendre petit à petit. Si tu es happé, et bien tu dois te mettre à travailler. Ca peut sembler aberrant, mais l’amour c’est exactement le même devenir. Il s’agit d’explorer, comme le peintre, les nouveaux sentiments, les nouveaux liens, les nouveaux rapports… Si on crie « ça y ‘est ! », on tue l’amour. C’est la fainéantise du monde qui refuse de passer par le chemin de dépouillement qu’a suivi un Miles Davis, par exemple. Le désir, ce n’est que de l’appel au travail.

 

 

Bernard Teper

Dans le cadre de notre chantier sur la propagande, nous avons reçu, le 20 octobre 2012, Bernard Teper, Co-animateur du Réseau Education Populaire (REP) et Co-auteur de « Néolibéralisme et crise de la dette » et de « Contre les prédateurs de la santé »
Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Bernard Teper et peut donc comporter des erreurs.
 
Question du jour :
Y-a-t-il un modèle alternatif à la société dans laquelle on vit ?
 
Constats :
 Nous sommes dans une triple crise : économique, financière et de la dette publique – ces 3 crises fonctionnent en poupées russes.
La crise éco est une crise de la profitabilité du capitalisme en lui-même. Les patrons ont un taux de profit de moins en moins important sur l’économie réelle (l’économie réelle est basée sur les entreprises qui produisent des marchandises. Le taux de profit est ce qui reste une fois payé salaires, amortissement et machines).
  Depuis 1990, le taux de profit baisse. Investir dans l’économie réelle fait baisser le taux de profit, on a trouvé la solution d’investir dans la finance et notamment dans les produits « à découvert à nu » : je vends un produit que je n’ai pas à plein de personnes, c’est un titre. Puisque je le vends à plein de gens, son prix baisse, je profite de la baisse pour l’acheter et je le revends au prix initial. Je gagne la différence. C’est une activité financière pure car je ne développe pas l’économie et je ne crée pas d’emploi. Je gagne plus d’argent que si j’avais investi dans une usine mais cette action ne tire pas l’économie réelle.
 
Exemple aussi de Sanofi (1er groupe pharmaceutique européen et 3ème groupe pharmaceutique mondial) qui déploie un bénéfice de 8,8 Milliards d’€, en reverse 4,5 Milliards d’euros à ses actionnaires et supprime 2000 emplois. Le groupe gagne plus d’argent en investissant dans la finance que dans la pharmacie.
  Par contre, en 1968, on a augmenté le SMIC de 30%. Les gens ont eu plus d’argent, ils ont donc acheté plus et pour satisfaire la demande on a produit plus, ce qui a créé de l’emploi. L’économie réelle a été entraînée.
 
La crise économique se transforme en crise financière à cause de l’écart entre la masse d’argent et la production.
  La France pouvait se faire financer par la Banque de France par création monétaire à des taux de 0 à 1%. Ce n’est plus possible depuis la loi du 4 janvier 1973. Pour  l’Union européenne, l’interdiction  des Etats à se financer à bas taux par la Banque centrale européenne date du traité de Maastricht de 1992. Aujourd’hui seules les banques privées à but lucratif pour les actionnaires peuvent se financer à ce bas taux . L’article 123 du traité de Lisbonne oblige les Etats à se financer auprès des banques privées à but lucratif pour les actionnaires qui empochent alors le différentiel des taux.
 
Les banques prêtent de l’argent qu’elles n’ont pas (chaque banque doit avoir des réserves d’environ  4% par rapport à ce qu’elle prête). L’activité financière provient en partie de cette création monétaire.
  En 2007, éclatement de la bulle financière aux USA : Les compressions de salaires ont entraîné des emprunts de plus en plus nombreux. Les gens n’ont pas pu rembourser et la banque Lehmann Brothers s’est écroulée le 15 septembre 2008.
  Pour éviter l’écroulement du système bancaire et financier mondial, l’oligarchie a réagi en de utilisant de l’argent public soit en renflouant les banques soit en garantissant les emprunts. Cela a accru la dette publique. Pour  financer l’endettement public , les dirigeants mènent une politique d’austérité pour faire financer cet endettement par les peuples. Mais est-il viable pour l’économie d’être dans l’austérité ad vitam aeternam car rien n’a changé sur les causes de la crise de profitabilité du capitalisme, de la crise financière, de la crise de la dette publique?
 
  Le Crédit Agricole, la Société Générale et La BNP ont acheté de la dette grecque, portugaise et espagnole, mais si les pays ne peuvent rembourser leurs emprunts, cette valeur d’achat n’existera plus et ces banques comme d’autres banques européennes seront en difficulté et feront sans doute appel aux Etats !
En Islande, il y a 3 banques pour 300 000 habitants. L’Etat a décidé de garantir les dépôts des islandais mais le peuple a refusé deux fois par référendum de rembourser  ceux des anglais et des néerlandais qui étaient venus spéculer chez eux.
 
  La BCE (banque centrale européenne) prête à un taux d’environ 0,5%. Les banques entre elles se prêtent au taux du marché interbancaire.
Quand l’Etat a besoin d’argent, il doit se financer auprès d’une banque privée à but lucratif pour les actionnaires (voir plus haut). Une banque privée prête plus facilement à un Etat qu’à nous.
Tous les 6 mois, on fait un traité pour mettre du scotch et des rustines, serrer les choses, ce qui crée un enchaînement sans fin des conséquences néfastes.
La BCE, en fonction des élections (cette année en France, l’année prochaine en Allemagne) donne des milliards aux banques privées à but lucratif pour les actionnaires pour calmer le marché(500 milliards d’euros le 31/12/2011 et de nouveau 500 milliards d’euros le 1er mars 2012).
 
Il y a de la bonne dette et de la mauvaise dette :
La bonne dette, c’est emprunter pour financer un hôpital par exemple car on répond aux besoins sociaux des gens.
La mauvaise dette, c’est quand on baisse la fiscalité pour les plus riches – qui représente 83 milliards d’€(chiffres donnés par le rapporteur UMP de la précédente mandature) -, car ça augmente la dette du pays. Mais aussi quand la dette publique provient du renflouement des dettes privées (banques).
La mauvaise dette, l’Argentine, l’Equateur, l’Islande ont décidé de ne pas la payer, ils s’en sortent bien tandis que les pays du sud de l’Europe s’enfoncent.
Le tour de vis donné par le dernier traité va empêcher la France de créer de la bonne dette.
 
Le système néo-libéral est né il y a 20 ou 30 ans avec Thatcher et Reagan. En 1989 l’économiste Williamson en a établi les règles (consensus de Washington).
 
Déformation de la répartition de la valeur ajoutée :
Entre 2002 et 2010 la part de profit a augmenté par rapport à la part affectée aux salaires et cotisations sociales. L’écart est de 9,3 points de PIB (somme des valeurs ajoutées par le travail de chacun), ce qui correspond à 186milliards d’€/an. Le trou de la sécu représentant 25 milliards d’€ par an, c’est du bidon à côté !
Le profit, c’est : les impôts, les investissements des entreprises ponctionnés sur les profits, les dividendes des actionnaires, le financement des économies parallèles via les paradis fiscaux.
 
Les dirigeants ont une obsession : baisser la masse des salaires. Par exemple, un jeune qui sort de l’université doit faire un an de stage non rémunéré avant de prétendre à être payé.
 
La répartition entre profits et salaires, c’est la mesure de la lutte des classes car l’ensemble de la valeur ajoutée est crée par les salariés.
 
Questions du groupe
– La récession c’est lorsque la richesse d’un pays sur un an est inférieure à la richesse de l’année précédente
– L’oligarchie, ce sont les patrons des firmes multinationales, les dirigeants des Etats les plus développés, les dirigeants d’associations multilatérales (OMC, Banque mondiale, FMI, G8, G20), l’Alena (accord de libre-échange nord-Amérique) et l’Union Européenne qui participent aux politiques néolibérales (et ordo-libérales en Europe).
Goldman Sachs forme des conseillers pour les Etats et les prête aux Etats (voir le film Inside Jobs). Tous les conseillers d’Obama et de Bush en sont issus. Ils ont un fil à la patte avec le système bancaire et financier.
– Planche à billets : la banque de France créait des billets pour un projet d’Etat. Il faut une licence bancaire pour créer de la monnaie. La BCE a le droit de prêter aux banques privées. Les Etats doivent emprunter aux banques privées, pas à la BCE (traité de Lisbonne).
En 1973 il y a eu beaucoup d’inflation, ce qui gênait les rentiers (la valeur des biens baisse). Le traité de Maastricht les a protégés en interdisant aux Etats de faire marcher la planche à billets (1kg de patates à 10 Francs passe à 20 Francs, ce qui fait baisser la valeur du Franc)
 
 Un modèle alternatif
 
  Tous les néo-libéraux pensent qu’il n’y a pas d’alternative à ce système, mais l’histoire montre qu’il y a toujours une alternative ! Les 3 crises perdurent, et tant qu’on n’agit pas sur les causes, on continue d’aller dans le mur.
 
  La réponse est de créer une République sociale – concept né en 1848, repris ensuite, au moment de la Commune, puis en1936, etc. Il s’agit d’un modèle, non d’un programme. C’est un ensemble évolutif auquel peuvent s’adapter des programmes différents.
Il comprend 10 principes constitutifs, 4 ruptures, 4 exigences indispensables et 1 stratégie (théorisée par Jean Jaurès).
Pour construire le modèle, au lieu de partir des profits, on part des besoins sociaux et on s’appuie sur des choses déjà existantes. On change la façon d’élire les dirigeants et on gagne la bataille culturelle qui consiste à transformer les esprits.
 
  A l’époque de la Révolution Française, les aristocrates et le roi bloquaient l’évolution du système. A son tour, la Bourgeoisie, définitivement au pouvoir dès la 3ème République, bloque l’avancement des nouvelles idées.
 
Les 10 principes fondamentaux :
1-    Liberté : être auteur et acteur de notre vie, augmenter l’autonomie de chaque citoyen et non la liberté du renard dans le poulailler !
2-    Egalité : une égalité en droit de l’ensemble des êtres humains (égalité dans le réel – exemple de l’IVG remboursée à 100% mais sans qu’il y ait de structures suffisantes pour que la loi soit effective). Le néo-libéralisme vise l’équité, c.a.d. donner des droits en fonction des besoins.
3-    Fraternité : Lien d’amitié et de solidarité entre des citoyens partageant le même combat et non une convivialité de comptoir
4-    Démocratie : aussi en cours de mandat (exemple d’autre pays où le président est révocable en milieu de mandat).
5-    Solidarité : « A chacun selon ses besoins, chacun doit y contribuer selon ses moyens » : devise des socialistes du 19ème. Le néolibéralisme s’emploie à privatiser les profits et à socialiser les pertes. Il en appelle à la charité pour répondre au social, ce qui fait le lit des intégrismes qui œuvrent dans ces secteurs. Baisser les cotisations sociales induit une baisse du principe de solidarité, c’est pourquoi il ne faut pas baisser les charges patronales. Par ailleurs, baisser les cotisations sociales, c’est diminuer l’impact des institutions salariales qui sont une  base d’appui importante pour la transformation sociale et politique.
6-    Laïcité
7-    Droit à la sûreté : il s’agit de la sécurité physique, être bien soigné, etc.
8-    Universalité des droits : Accès aux soins partout et pour tous, financés à 100% par la Sécu. Le néolibéralisme au contraire crée des droits par catégories – exemple de la CMU : ceux qui y ont droit,  les juste au-dessus qui n’y ont pas droit et ne peuvent se soigner, ceux qui n’y ont pas droit.
9-    Souveraineté populaire : exemple du traité européen refusé par certains peuples européens et dont il n’a pas été tenu compte du résultat du référendum. Le néolibéralisme c’est le choix par des « experts » qui choisissent à notre place.
10-  Développement écologique et social.
 
Les 4 ruptures nécessaires pour que les 10 principes puissent s’appliquer
Démocratique, laïque, sociale, écologique
 
1-    Démocratique : Au 17ème siècle, en Angleterre, le processus démocratique a débuté, et s’est amplifié, jusque dans les années1950. Ensuite, chaque traité européen a  fait baisser la démocratie au profit des structures et commissions où les gens sont nommés, pas élus.
Pour qu’il y ait rupture, Condorcet a émis des conditions : Information de tous les citoyens de toutes les propositions sur tous les médias. débat raisonné entre toutes les propositions, suffrage universel (si les pouvoirs des électeurs sont diminués par le pouvoir des nommés, il y a baisse du pouvoir populaire), possibilité d’action citoyenne en cours de mandat (référendum d’initiative populaire, processus révocatoire à mi-mandat comme au Venezuela).
  A l’intérieur des entreprises, la démocratie s’arrête. Il faut donc soutenir les Coop et faire en sorte que l’utilisation de l’ensemble de la valeur ajoutée soit débattue et décidée dans l’entreprise par les salariés qui sont les seuls créateurs de la valeur ajoutée.
2-    Rupture laïque : la laïcité est un principe d’organisation sociale qui respecte 3 conditions :
La liberté de conscience et d’expression, l’universalité du principe, le principe de séparation de la société civile d’une part, et de l’autorité politique et de la sphère de constitution des libertés (écoles, santé et protection sociale et service publique) d’autre part. La laïcité n’est en aucune façon un principe antireligieux.
3-   Rupture sociale : Développer de nouveaux droits sociaux (y compris dans les entreprises). Il n’y a aucune raison que quelqu’un qui est licencié ne touche plus un salaire. Eradication des inégalités sociales de toutes natures (y compris face aux soins, face aux logements, etc.). La plus-value appartient aux travailleurs car elle est produite par eux, ce qui implique l’ouverture du processus de reconquête de la plus-value. Politique de temps court : les allocations jeune et retraite seraient liées à la qualification personnelle du salarié et non au poste occupé.
4-   Rupture écologique : Développement de l’industrialisation en transition écologique, développement de la recherche énergétique fondamentale, développement de la recherche autour des énergies renouvelables, processus global d’économie d’énergie : permis de construire HQE (haute qualité environnementale), plan de réhabilitation massive du bâti, développement des services publics de transport pour tous, voitures hybrides, etc. développer des financements écologiques. Faire la transition énergétique du nucléaire 2ème et 3ème génération ainsi que pour les énergies fossiles.
 
Exigences de la République Sociale :  Dégager du marché l’école, la protection sociale, les services publics (c’est la sphère de constitution des libertés), refondation européenne des institutions, des traités, élargir l’Europe vers le sud (l’Afrique). Décréter une politique de la globalisation des combats et de la fin des prééminences surplombantes (penser qu’une seule idée peut résoudre tous les problèmes). Il faut penser global et clarifier le complexe et non simplifier à l’excès.
Créer une pensée industrielle dans la transition écologique
 
La stratégie de l’évolution révolutionnaire

La politique de temps court et la politique de temps long doivent être liées et surtout démarrées en même temps. L’histoire n’a jamais fait table rase du passé. Le nouveau modèle s’est toujours appuyé sur des institutions préexistantes au nouveau modèle.