Rencontres avec nos intervenants

Pédro Meca

en 2006, dans le cadre de notre chantier « les invisibles » nous avons rencontré Pedro Meca, initiateurs de « La moquette »

Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Pédro Meca et peut donc comporter des erreurs;

Le compte rendu

 Pedro Meca est d’origine Basque espagnole. Abandonné, il  connaît la rue très jeune. Parce-qu’il est actif dans les milieux anti -franquistes, le régime demande son extradition.

En 1969, il arrive donc à Paris où il retrouve sa mère (qu’il n’a pas vue depuis 17 ans) et s’installe dans un squat à Pantin avec d’autres immigrés espagnols.

En 1975 Il travaille dans le quartier latin. Franco meurt, il rentre en Espagne mais décide de retourner en France.

Là, il retrouve un copain qui a monté un bar-discothèque  Le Cloître – devenu un lieu de trafics de drogue et d’héroïne. L’abbé Pierre décide de racheter le bar et d’en faire un lieu ouvert pour que se rencontrent SDF et ADF avec Domicile Fixe). Un bienfaiteur tombé du ciel  apporte la somme nécessaire à l’acquisition du lieu.

Avec un inspecteur de la Dass, ils projettent de mettre des éducateurs sociaux pour être en contact avec les drogués et alcooliques. A la direction est placé un aumônier des artistes qui imagine une salle cabaret qui donnerait l’opportunité à des jeunes artiste de se produire. Mais cela n’a pas marché – ce n’était pas son métier et il n’était pas vraiment de ce monde. Pedro Meca travaille là comme éducateur, serveur, videur pour être à côté des gens, établir des liens, accompagner les jeunes paumés.

Et puis l’abbé Pierre décide de vendre le lieu, à cause de problèmes de voisinage, de descentes de flics (les stup) tous les soirs… tout le monde se retrouve au chômage ! Pedro reste car il s’aperçoit qu’il n’y a pas de travailleurs sociaux dans le quartier la nuit.

L’Abbé Pierre dit un jour à Pedro: « La moitié de ton temps passe la avec les gens, l’autre moitié à dire ce que tu as vu ».

L’association est conservée (pour assumer l’héritage de ce bar-discothèque) mais elle change de nom: « Les compagnons de la nuit » . Le projet est déposé à la DACS (??) pour embaucher deux travailleurs sociaux qui travailleraient la nuit en plus de Pedro.

Ils fréquentent le monde de St Michel, les Halles… Pedro est connu de tous les patrons de boites et bistrots de nuit. Il rentre gratuitement et peut ainsi approcher les personne en difficulté.

Après l’expérience d’une permanence de 21H à 5H du matin dans un bar, ils ont l’idée d’ouvrir un lieu ouvert à tous – SDF et ADF: la moquette, pour que des deux côtés on se rencontre, pour que les gens du quartier n’aient plus peur. On entend souvent le discours: « on veut bien leur donner mais qu’ils ne viennent pas près de chez nous ! ».

A La moquette, les SDF viennent pour discuter mais pas pour dormir. Chacun peut rentrer, dans n’importe quel état. Sont proposés des ateliers d’écriture, des conférences, des rencontres… Si quelqu’un émet un désir, on organise la chose, on la rend possible. On travail sur la demande, sur le désir.

Activités culturelles:

Exemples de conférences et de ce qu’il s’y passe: Lors de « Graffitis de l’âge de pierre à aujourd’hui« , avec comme invitée l’artiste qui a réalisé les peinture de la grotte de Lascaux II, un SDF a posé des questions très pointues au niveau chimique… on s’est aperçu qu’il avait fait de hautes études… Albert Jacquard est venu parler de l’intelligence, Emmanuel Mounier, du personnalisme, Michel Hidalgo, en parlant de foot, a apporté du rêve, etc. L’idée de la  conférence est de faire venir quelqu’un de passionné – de n’importe quoi mais passionné. L’important est de déclencher des passions – « s’intéresser tellement à ce quelque chose que je vais oublier l’alcool… » Un champion de boxe est venu raconter son travail, son hygiène de vie, a expliqué qu’il ne voyait pas ses copains pour s’entraîner… Un sculpteur est également venu.

Tous les mois un journaliste de la presse écrite ou TV vient leur parler des nouvelles, pas celles qui font la une, mais celles dont on parle peu ou pas. On commente, on apprend à être critique, on comprend comment est fabriqué un journal…

Le 1er vendredi de chaque mois: Atelier TV pour apprendre à regarder la TV (un ancien employé de TF1 a expérimenté une méthode grâce à laquelle, par la TV, on donne le goût de la lecture aux enfants).

Tous les jeudis: atelier d’écriture et de parole (tout le monde écoute chacun): un gars qui venait depuis 1 ou 2 ans et dictait à un autre qui écrivait, un jour dit à Pedro : « J’aimerais apprendre à lire ». Pedro: « Pourquoi, à ton âge… » (55 ans). « J’aimerais pourvoir lire ce que j’écris ! « . Un an plus tard il savait lire couramment !

Le 2ème mercredi du mois, c’est la fête anniversaire. Ceux qui veulent fêter leur anniversaire s’inscrivent et indiquent quel gâteau et quelle musique ils souhaitent. Dans toute enfance il y a des morceaux de bonté, de joie, d’où l’idée du gâteau d’anniversaire. Lors d’une de ces soirées, un gars s’est mis à pleurer… ça faisait 10 ans qu’on ne lui avait pas souhaité son anniversaire !

Et toutes ces activités sont gratuites bien entendu.

Quelques réflexions sur la nuit:

On tend vers la nuit. Quand les enfants vont se coucher les parents – les grands – restent. Pouvoir rester symbolise le passage de l’enfance à l’âge adulte. Pedro a redécouvert ce monde de la nuit, de 1975 à 1984.

La nuit on se mélange davantage. le cadre nocturne aide beaucoup à construire une société plus humaine. Le langage du corps est différent, d’autres codes de conduite s’instaurent naturellement. La nuit on peut s’adresser à tout le monde, c’est convenu, et le bistrot est un des rares lieux de convivialité de notre société, un lieu de rendez-vous. La nuit tout le monde s’intéresse à tout le monde.

Pedro se remémore la place de son village basque où chacun se retrouvait pour causer, où n’importe quel adulte pouvait donner une baffe à n’importe quel enfant, où chacun se sentait concerné par ce qui se passait… Au Bistrot, la nuit, tout le mondes est concerné par tout le monde.

Dans nos sociétés on ne se parle plus, on ne se rencontre plus, on crève ! On est dans le même bateau – galère -, certains dans les soutes, d’autres dans les belles cabines mais on crèvera tous si ion ne se rencontre pas…

Quelques réflexions sur les personnes vivant dans la rue:

Il faudrait penser les SDF en tant que ça nous concerne tous et non pas qu’eux.

Appeler quelqu’un un SDF (sans domicile fixe) c’est lui dire: « tu es pour moi ce que tu n’as pas » !

L’exclusion n’existe pas, les exclusions oui ! (sociale, culturelle, matérielle, affective…)

Dicton: « Il faut savoir ce que parler veut dire » – ce qui est dit renseigne sur l’état de la personne – Pedro: « si un gars, en entrant ne m’insulte pas, c’est que ça ne va pas » ! Il faut apprendre le langage des uns et des autres.

Les travailleurs sociaux vouvoient tout le monde maintenant. Pedro les tutoie et les appelle par leur surnom. Ca crée de la complicité, de la connivence, une intimité avec chacun.

Au lieu de : comment tu t’appelles », Pedro demande: « comment veux-tu que je t’appelle ? » Il continue avec l’histoire d’un gars qui des années plus tard lui dit: « jusqu’à maintenant tu m’appelais comme ci, en fait je m’appelle comme ça » !

La chose la plus importante est l’utopie. Par exemple, demander aux gens de la rue de donner quelque chose pour d’autres – parrainer des enfants de Kaboul… Ils récupèrent ainsi un peu d’estime d’eux-mêmes et réparent parfois à travers ce geste une histoire non assumée vis à vis d’enfants qu’ils n’ont pas su ou pu élever.

Il faut être contre le don mais pour l’échange, pour le respect et ensuite pour le contrat. « A force de se pencher sur les pauvres, on leur tombe dessus »! Etre mendiant du mendiant.

Rencontrer ce qu’il y a de beau en chacun, au delà du paraître, des odeurs. Etre, plutôt qu’avoir, trouver l’humanité dont on est tous porteur.

L’insertion en soi est le plus important, avant l’insertion sociale,. Découvrir qui tu es, te rencontrer, te construire.

On ne parle plus de logement mais d’hébergement pour ces gens dans la rue… on pense provisoire.

On nomme les choses différemment selon les classes sociales. En 1850, lors du développement industriel et de la concentration ouvrière on disait: « l’alcool est un vice de la condition ouvrière ». A la fin du même siècle, concernant l’absinthe qui faisait des ravages dans les milieux  de la bourgeoisie, on disait : « l’alcoolisme est une maladie ».

Débat

 

Yves : la nuit c’est aussi très destructeur, très superficiel. Il y a  beaucoup d’illusion, une certaine irréalité…

Réponse: D’accord. Ca dépend pourquoi et comment on vit la nuit. mais c’est le jour qu’on joue la comédie…

Pedro demande à chacun quand commence la nuit pour lui… On se rend compte que pour chacun c’est différend ! En fait le concept de nuit est très personnel.  La nuit il ne se passe pas rien, il y a beaucoup d’activités nocturnes. C’est dans ces moments là qu’on se construit, quand tous les devoirs de la journée sont terminés.

Pedro cite l’histoire de la tortue qui sort la nuit et tombe dans un trou, renversée. « Idiote, je t’avais dit de ne pas sortir la nuit ! » – Hé couillon », lui répond-elle, « tais-toi, enfin je vois les étoiles ! »

Pedro a connu un ouvrier qui la journée était toujours en bleu de travail et la nuit en costard-cravate.

On est plus proche de quelqu’un qui boit, la nuit, que de quelqu’un qu’on voit boire le jour.

La nuit, on dit qu’on sort… mais on sort de quoi ? D’un quotidien ? On a besoin d’une cassure ?

Anna: ça va bouger des choses en moi tout ce que tu dis. J’ai peur des SDF, je mets une distance. Je leur donne, je leur parle mais je mets une distance. Je leur fais pas confiance, je suis trop attachée au paraître. ça me parle beaucoup la phrase « s’insérer en soi pour s’insérer dans le mondes des autres ». Il me faut voir ma propre humanité pour passer tranquille à côté d’un SDF.

Réponse: Qu’est-ce qui nous fait peur ? C’est l’inconnu. A La moquette, l’important c’est que quand on écoute une conférence ensemble on ne sait rien de son voisin si ce n’est à travers les questions qu’il peut poser ou les réactions qu’il peut avoir… On se voit dans une autre fonction que dans la rue. Un jour une femme confie à Pedro un tableau à donner à un gars avec qui elle a discuté peinture. Le tableau est encadré, prêt  à être accroché à un mur. Pedro lui dit: « c’est très bien… il ne manque que le mur. » Le gars était dans la rue et elle ne le savait pas !

Pedro ne donne jamais d’argent, il se fait inviter et paye la 2ème tournée.

Un jour, déguisé en clochard,il se poste devant une banque et distribue des billets de banques (faux bien-sûr). « il les a volés, c’est pas possible ! » disent les gens. Il fait la même chose une semaine plus tard déguisé en costard-cravatte.  » Il est fou » disent-ils cette fois !

– Au niveau national et international, comment ôter cette image du paraître ?

Réponse: Quel est mon regard sur moi ? Qui suis-je ? Commencer par soi, se regarder dans la glace.

Un jour on demande à Pedro: « Si tu étais 1er ministre qu’est-ce que tu ferais pour résoudre le problème des personnes à la rue ? » –  » tant que c’est un problème des personnes à la rue, c’est pas possible. ce problème est le problème de tout le monde ». Il faudrait un lieu de rencontre dans tous les quartiers. Le théâtre, en tant qu’il est miroir, est une arme extraordinaire.

L’espérance de vie d’un SDF est de 50 ans, 70 ans pour un ADF.

Fab: est-ce que des ADF demandent à fêter leur anniversaire à la Moquette ?

Réponse: pas facile. Ils le fêtent ailleurs. Il est plus facile d’écouter une conférence que de se rencontrer dans un autre rôle…

Certaines personnes proposent leurs services en tant que bénévoles, ils déguisent leur besoin (besoin de se rendre utile, de remplir son temps) en générosité. On leur répond: « viens, sois client, rencontre les autres clients ».

Claudine: « Si tu n’as pas de fiche de paye, tu n’es rien ».

Réponse: On confond prix et valeur.

Souvent, on n’entend pas l’autre, on entend que l’écho de ses paroles en nous.

Parfois, il vaut mieux jouer que parler vrai, car vis à vis des gens en souffrance, la blessure, qu’on la

caresse ou qu’on la tape, ça fait mal.

Le mot de la fin de Pedro: « Je suis un homme heureux mais pas content » (heureux de par ce que je vis, pas content à cause de ce que je vois)

 

 

 

 

Hélène Constanti

En 2008, dans le cadre de notre chantier intitulé Politique, nous avons rencontré Hélène Constanti, journaliste et auteure de « Députés sous influence ».

Attention, notre compte rendu n’a pas élé relu par Hélène Constanti et peut donc comporter des erreurs.

Le compte rendu

Avant les élections législatives, pour comprendre comment le travail des députés peut être influencé par des lobby aux intérêts divers – industriels, profession d’origine de chacun, personnes de leur circonscription -, elle décide d’enquêter en vue d’écrire un livre – « Députés sous influence ». Les députés y sont entre autre évalués suivant leurs absences, leurs activités, et classés du plus actif jusqu’au cancre.

Elle a travaillé dernièrement sur un autre livre qui sortira en février 2007 – « Le clan du Président », pour lequel elle a enquêté dans les Hauts de Seine, à Paris et en grande banlieue. les Maires de ces villes sont presque tous UMP et proches de Sarkozy:

Puteaux: 30% de logements sociaux, ville la plus riche du département par la taxe d’habitation et la taxe professionnelle (quartier d’affaire des grandes tours de la Défense). La famille Cecaldi-Réno forme un véritable clan qui gère la ville. Charles, le père, a passé les clés de la ville, du conseil général et de l’assemblée nationale à sa fille Joëlle. Pour les fêtes de Noël, Puteaux fait la plus grosse dépense de France en illuminations et festivités, on y voit  la maire embrasser tout le monde etc. Les logements sociaux sont très bien tenus, les centres de vacances très bien.

Revers de la médaille: pour se maintenir au pouvoir, la famille Cecaldi-Reno achète (sans s’en cacher) les voix des électeurs – aux nouveaux habitants faisant une demande de logement social ou de colonie de vacances, on recommande vivement de voter UMP et pour la famille. Les opposants ont beau mettre en place des débats participatifs, ils ont beaucoup de mal à faire entendre d’autres voix.

Reportage de Canal + (« Capital ») sur les crèches:

– A une jeune femme venue faire une demande de place dans une crèche pour son enfant, la secrétaire de mairie répond: « êtes-vous inscrite sur les listes électorales ? Allez-y d’abord, vous reviendrez ensuite inscrire votre enfant ».

– Un papa ayant écopé d’un PV car il a stationné 3 minutes devant la crèche pour récupérer son enfant, écrit à la mairie pour se plaindre de ce PV abusif et propose de créer un dépose-minute devant la crèche. « Très bonne idée répond la mairie. On ne peut néanmoins pas faire sauter le PV mais peut-être le faire prendre en charge par le CCAS » (centre communal d’action sociale). Le père est indigné.

– Lors du Noël des enfants de la crèche, les cadeaux sont énormes. Discours du maire : « vous n’êtes pas là par hasard, il y a beaucoup de demandes, soyez reconnaissants ».

– A Lille, c’est le clan Maurois (socialiste) 

– A Asnières, Manuel Echliman, très ami avec Sarkozy, fait du marketing électoral . « Chacun doit avoir l’impression que je lui parle à lui ». Il utilise des fichiers électoraux contenant l’adresse, l’âge, le pays d’origine et la ville de naissance pour faire une communication électorale spécifique. En fait il y a deux fichiers: « Maghreb », « pas Maghreb ». Ce sont des rapatriés d’Algérie qui ont vendu la mèche… La femme d’Echliman, étant d’origine antillaise, est chargée de choyer cette population. Elle envoie des courriers contenant des mots créoles. C’est un maire très manipulateur qui utilise l’argent public pour attirer les électeurs, fait circuler des tracts anonymes sur des gens de son propre camp. C’est une véritable dérive démocratique et les gens de l’opposition sont obligés pour se faire entendre en conseil municipal d’utiliser un porte-voix !

L’utilisation de logement social:

– Le logement social est un vrai outil de la droite. A Levallois (Pascal Balkani), on choisit des gens qui vont voter pour vous. Les pauvres, les étrangers, on les envoie dans les villes PC – Antony, Nanterre, devenues ainsi des villes d’indésirables.

– Au Plessis-Robinson, il y avait 50% de logement social. Un maire UMP, dans les années 60, joue sur les attributions puis rénove tout. Fait casser des barres. Après les travaux, ne reste que 30% de logement social. Le reste est résidentiel. C’est d’ailleurs au Plessis que les élections ont été annulées par le conseil constitutionnel en 2007.

– Les HLM ont servi pendant longtemps à financer les partis politiques, à travers les attributions, la politique de rénovation et les gros contrats de travaux dans le bâtiment. Des sommes énormes sont en jeu, les appels d’offres se font avec des dessous de table. Les entrepreneurs aident à cette corruption en proposant eux-mêmes des arrangements.

Il faut être vigilant, se renseigner sur nos élus, ce qu’ils ont fait, ce qu’ils font, se renseigner sur les systèmes d’attribution en crèche, en logement social etc.

« Députés sous influence »:

Qui influence les députés ?  les lobby, les industriels, les professionnels de la santé (il y a beaucoup d’élus médecins), les entreprises d’armement, producteurs de tabac, d’alcool etc.

Pour écrire sur ces pratiques, il faut avoir des preuves, être de bonne foi (sincère dans ce qu’on a écrit), ne pas avoir d’animosité (donc pas de contentieux dans le passé avec la personne qu’on dénonce) sinon même si ce qu’on dit est vrai on sera accusé de volonté de vengeance. On peut être attaqué en diffamation, c’est le principal danger car les frais de justice sont  importants et perdre plusieurs fois implique perte d’argent et perte d’éditeur pour l’avenir.

Issy les Moulineaux: Didier Santini, homme très séduisant mais des plus pourris. Il est président du syndicat des eaux d’Ile de France – c’est un marché énorme et il en profite. Le prix de l’eau est exorbitant, 3 fois plus que la Lyonnaise des eaux. Hélène Constanti est allée l’interviewer, il lui dit: « qui êtes-vous, vous travaillez pour qui, enculés de Que choisir » – et  la raccompagne à l’ascenseur avec les pires injures. Le co-auteur du livre y est ensuite allé, moins direct, l’a interrogé sur ses opposants. Santini, qui était enregistré, avec son accord, a injurié copieusement chacun d’entre eux.

Antony: attribution de logement social à condition de faire « prête adresse » pour faux électeurs.

Les OGM: Les lobby (semenciers, lobby scientifiques) essayent de faire accepter le texte en France  alors que Bruxelles l’a refusé. L’office des choix scientifiques et technologiques, constitué de députés et sénateurs, uniquement des hommes, est très choyé par les grands industriels et lobby. L’argument des scientifiques est  » vous nous empêchez d’avancer, vous empêchez le progrès ».  Michèle Rivasi (qui a été la 1ère à dénoncer le nuage de Tchernobyl en France) a fait partie de cet office, elle s’est bagarrée pour y entrer. A enquêté sur la nucléaire au Japon, USA etc – était toujours accompagnée par le conseiller militaire de l’ambassade ! Elle devait inventer des rendez-vous bidons pour lui échapper et rencontrer les opposants au nucléaire de ces pays.

Des lobby (Club du nucléaire, Total), invitent les sénateurs et députés et font venir des gens connus pour faire des conférences – Hubert Reeves par exemple -, lancent des invitations sur des plates-formes pétrolières en Angola, Ecosse etc.

– Dîners, voyages, coupes du mondes de foot, rugby, Roland-Garros sont monnaie courante.

– Le salaire d’un député est de 8000€ par mois, plus 1200€ pour les assistants. Souvent les députés empochent ces 1200€. Le salaire de l’assistante parlementaire d’un député du Morbihan est assuré par l’ASSOR, n°3 de la distribution  des eaux. De plus, la distribution de l’eau dans la commune de ce député a été confiée à… l’ASSOR !

– Il existe un système de badges pour avoir accès à l’Assemblée Nationale. Les représentants des lobby n’ont pas le droit d’y accéder. Or dans la salle des 7 colonnes, dans le périmètre réservé aux députés, il y a un représentant de Philip Morris, de Carrefour, là, en permanence. C’est que les députés peuvent donner des badges à leurs collaborateurs et à des « collaborateurs bénévoles ».

En échange des badges, les lobby offrent des cadeaux.

– Les lobby influencent également les lois en train d’être discutées. Pour le tabac – les cafetiers,  buralistes, producteurs étaient alliés contre un député du Bas-Rhin – Yves Bur -, qui lui, était soutenu par les fabricants de patch (lobby santé qui a d’ailleurs financé un voyage en Italie et Irlande – pays où le tabac est déjà interdit) !

Histoires de résistance:

Le magazine Que choisir, dont les ventes ont fortement augmenté, a créé une équipe pour défendre les droits des députés et sénateurs contre les lobbyistes. Elle est très active sur l’eau et le téléchargement gratuit des musiques. Ses membres ne font pas pression. Ils vont voir les élus, leur expliquent les enjeux, font des études très poussées, des campagnes sur Internet, par exemple « pour proposer de taxer les profits de Total ».

– Parallèlement, des députés résistent, s’informent, organisent des réunions dans leur circonscription (concernant par exemple le poisson, avec des pêcheurs, des distributeurs et des consommateurs).

– A Puteaux, Christophe Gréber, un des 1ers résistants au système Cecaldi-Reno, a été surveillé par une personne à qui la ville avait loué l’appartement voisin à cette fin.

– Un président de syndicat de co-propriétaires râle parce-que la facture chauffage est très élevée. La mairie convoque sa femme UMP pour lui dire de calmer son mari. Elle répond qu’il est libre. Le maire passe par une autre voie – celle du curé dont il menace de supprimer les subventions du patronage. C’est que le président co-propriétaire est également président du patronage !

Il faut donc être très libre pour résister car on tente de vous réduire au silence par influence sur toutes vos activités, famille, profession etc.

Questions/réponses:

– Hélène Constanti: j’écris des livres car la presse a de moins en moins de moyens pour financer de longues enquêtes sur des sujets nécessitant de « gratter ».

– En France, la presse est moins indépendante que dans certains pays dits moins indépendants !

– beaucoup de résistance par le biais d’Internet, blogs expliquant les pratiques.

– on incite les gens à devenir propriétaire de leur logement HLM, ce qui fait moins de frais d’entretiens, par la suite, pour les mairies, favorise le surendettement. De plus, certaines mairies proposent une décote à l’achat en échange d’un vote en faveur de leur parti politique.

– Actuellement l’assemblée nationale comprend une majorité de droite et beaucoup de professions libérales – médecins, chirurgiens, dentistes se sont attribués des privilèges et notamment les professeurs en médecine qui ont fait voter une disposition leur permettant de garder leur traitement. Ils cumulent donc leur traitement de député et leur salaire.

– les députés se sont votés un système de retraite extrêmement favorable.

– La cour des comptes surveille. Les députés ont voté une loi interdisant de rendre public un rapport de la cour des comptes 3 mois avant des élections.

– En France, 82% des élus cumulent des mandats. Dans les autres pays, 20% seulement.

– Journalisme: il y a perte d’indépendance  quand le média est la propriété du politique, de l’économique ou du publicitaire – exemple: une enquête sur la toxicité de certains cosmétiques a été bloquée par la direction d’une chaîne de TV car Loréal est un grand annonceur sur cette chaîne.

– Le lobby de la chasse est très puissant et très organisé. En 2002, un mot d’ordre a circulé dans les fédérations et associations de chasse pour voter à droite car ils avaient eu des promesses du parti qui « détricoterait » en catimini la loi Voynet de 2000 (durant le vote de cette loi, rappelons que l’hémicycle de l’assemblée était plein !)

 

Deux faucheurs d’OGM

Dans le cadre de notre chantier intitulé Politique, nous avons rencontre le 30 mars 2003, deux faucheurs volontaires.

Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par nos deux intervenants, il peut donc comporter des erreurs.

Le compte rendu

Le mouvement des faucheurs est né sur le plateau du Larzac lors d’un grand rassemblement en 2003. Jean-Baptiste, militant, fait le constat que  1- il n’y a pas de débat public concernant les OGM 2- les militants de la confédération paysanne sont les seuls mis en difficulté quand est réalisé un acte de fauchage. Une charte est alors élaborée pour que des citoyens adhèrent car nous sommes tous concernés par les OGM. Le mouvement est un collectif, pas une association ni un syndicat. C’est en 1996 que Greenpeace et la confédération paysanne organisent les 1ères actions.

Le mouvement n’existe pas juridiquement. Il n’est pas saisissable. On ne peut pas envoyer au tribunal les responsables. Chaque individu intervenant ne représente que lui-même. Même les plus connus d’entre nous – Beauvais, Mamère – ne sont jugés qu’en tant qu’eux-mêmes.

Les faucheurs veulent être jugés. Nous agissons à visage découvert et avant une action, nous donnons même la liste des gens qui vont faucher.

Devant les tribunaux de Toulouse et Rioms, toutes les personnes qui ont participé au fauchage revendiquaient d’être jugées. Le tribunal de Toulouse a considéré que tous étaient les complices de Mamère ou Beauvais ! Du coup, les 200 à 300 faucheurs présents ont envoyé une lettre au préfet disant: « j’y étais ». Mais en appel, les juges ont refusé de les juger.

Le pouvoir peut décider de ne pas vous mettre en examen. Même si on a commis un délit devant huissier !

J’ai déjà été jugé avec 49 faucheurs (sur les 200 présents) à Orléans. On a jamais su pourquoi ces 49 là. Sans doute les « têtes » et ceux qui conduisaient les véhicules… Nous avons été relaxés en 1ère instance au motif que nous avion agi par état de nécessité devant un danger imminent. En Appel, le jugement a été cassé. L’Appel a été confirmé en Cassation.

Au tribunal, il y a 3 présences 1-  les 3 juges et 2 assesseurs 2-le Parquet qui représente l’Etat 3- la ou les parties civiles qui représentent les jugés.

Au jugement pénal, nous avons écopé de 2 mois de prison avec sursis (2 mois fermes pour les récidivistes), plus 1000€ d’amende pour chacun (1270 au final avec tous les frais).

Au jugement Civil, nous saurons (en mai), après que des experts aient décidé, combien nous aurons à payer de dommages et intérêts.

Monsanto, la victime, demande 640 000€. Nous, nous estimons à 150 000€ les dégâts causés.

Chaque faucheur est prévenu des risque qu’il encourt – prison, amende – pour que chacun assume. Bien-sûr il y a une solidarité.

Monsanto repère les plus solvables d’entre nous – exemple de Gilles : un huissier est passé dans son appartement de Paris et l’a estimé à 220000€. Il a été saisi.

Les OGM

Les espèces évoluent de façon naturelle. La modification des gènes existe de façon naturelle. Quand on laisse faire la nature, l’écosystème s’équilibre. Dans le cas des OGM, les scientifiques cherchent à croiser, non dans la même famille, mais tous azimuts. Ils croisent des gènes de plantes, d’arbres etc.

Les faucheurs ne sont pas forcément contre les OGM car il y a un intérêt à croiser les gènes. le problème c’est qu’une fois fait on ne peut plus contrôler ni revenir en arrière. Lorsqu’on agit sur un organisme, ça agit aussi sur celui d’à côté. il ne faut donc pas laisser ses organismes en liberté.

Aux paysans qui cultivent des OGM, nous posons la question : « garantissez-vous que vos cultures génétiquement modifiées n’iront pas contaminer le champ d’à côté »? Aucune assurance n’accepte de couvrir les cultures OGM. les risques de propagation sont trop grands.

Le seul OGM autorisé est le maïs Monsanto 810. Il produit son propre insecticide.

Le problème des cultures OGM c’est qu’elles relèvent plus du bricolage que d’une méthode rigoureuse et techniquement au point.

Il y a 2 sortes d’OGM: 1- ceux qui produisent leur propre insecticide, 2- ceux qui peuvent absorber de l’herbicide sans mourir (le problème c’est que nous les mangeons, ces OGM…)

Le pesticide est localisé et ponctuel dans le temps. Si on arrête 10-15 ans, la terre se régénère. Les OGM, eux, on ne les tient pas. Ca ne peut pas s’arrêter. Toutes les cellules de la plante vont se mettre à produire ce pesticide, ce qui le multiplie par 100, 1000 etc.

On lutte contre une loi qui autoriserait la co-existence de champs OGM à côté d’autres sans OGM.

On veut pouvoir consommer ce qu’on veut, or s’il y a co-existence, il y a forcément contamination.

Il existe un protocole pour mettre une plante sur le marché. Les firmes font les essais elles-mêmes sans forcément communiquer les informations. Corinne Lepage, ministre de l’environnement, avait d’ailleurs saisi la CADA pour obtenir de Monsanto qu’il livre le dossier concernant les études réalisées. Peine perdue. C’est finalement Greenpeace Allemagne qui l’a récupéré. On a pu ainsi travailler sur des chiffres et mettre en évidence quelques problèmes, entre autres : les rats mâles ayant consommé des OGM  ont un foie plus gros, les femelles plus petit.

Le brevetage du vivant

Depuis des millénaires, on plante, on fait pousser, on garde des graines pour l’année suivante. Depuis la fin du XIXème siècle, on peut inventer une semence pour laquelle on dépose un brevet. Quand d’autres veulent utiliser la semence déposée, ils payent. Mais c’est un scandale car la semence est un bien qui appartient à tous.

L’argument avancé pour légitimer la culture des OGM est la faim dans le monde. Or, les pays dans lesquels les agriculteurs cultivent des OGM deviennent dépendants des producteurs d’OGM. Ils sont obligés de leur acheter les semences tous les ans.

En France, on n’a pas le droit d’échanger ses graines avec le voisin. Il existe un brevet d’obtention générale: si on achète une semence qui est dans ce catalogue, on a pas le droit de la revendre ou de l’échanger.

A la longue, si on ressème, les  graines deviennent hybrides. Les paysans sont obligés de racheter petit à petit des semences.

En 1850, en Grande-Bretagne, les 1ers semenciers ont réfléchi sur la manière de faire de l’argent sur les semences. A l’époque la justice avait dit non. Ils ont donc fabriqué des hybrides pour pouvoir les répertorier comme semences nouvelles.

Dans la production d’un agriculteur canadien étaient présents des gènes non « voulus ». Il a été condamné car la loi dit qu’on est responsable de sa culture.

On peut voler des semences, les faire breveter et toucher des droits !

En Afrique, des femmes cachent des semences non encore au catalogue pour prouver éventuellement leur antériorité.

Inscrire une graine au catalogue coûte 15000€

 L’organisation du collectif des faucheurs

En son sein, il n’y a pas de pouvoir décisionnaire, que des individus. C’est la charte qui nous relie avec pour principes fondamentaux la non-violence et l’action à visage découvert. Notre but est, non pas de faucher tous les champs d’OGM, mais de se faire entendre – passer en justice permet d’avoir une tribune. Pour des raisons médiatiques, une ou deux personnes se proposent comme « coordinateurs » pour diffuser de l’information. Ils se retrouvent également pour faire des bilans d’actions et des projets. Les coordinateurs ne sont pas toujours les mêmes, ça tourne.

On sait qu’on est sur écoute et certainement aussi noyautés. Pour s’échanger des informations, on a donc recours au courrier postal. Quand on va à un rendez-vous, on ôte les batteries de nos téléphone portables pour ne pas être repérés. Greenpeace nous conseille, nous entraîne aux actions non violentes par exemple (car il n’est pas forcément évident de se contenir devant les provocations des policiers…)

On a plus peur des paysans que des forces de l’ordre.

En garde-à-vue, on dit: « j’ai rien à dire ». Une fois l’audition terminée, on discute d’autres choses avec les policiers. La relation est plutôt sympathique. On ne parle que devant le juge. On a jamais eu d’embrouille avec les gendarmes. Avec les CRS, oui.

Parmi les faucheurs, on compte 50% de femmes et d’hommes. Nous avons constaté que lors des confrontations avec les forces de l’ordre, les policiers étaient assez violents avec les hommes qui étaient en première ligne. Nous avons donc décidé un jour de placer femmes et enfants devant. Les forces de l’ordre étaient bien embêtées. Les médias, sur ces faits, ont accusé les faucheurs d’exposer les femmes et les enfants !

83% des français ne veulent pas d’OGM.

S’il y a confrontation aujourd’hui c’est que l’Etat français, depuis 2001, aurait dû produire une loi réglementant la culture des OGM. L’absence de loi a fait que le maïs Monsanto a été autorisé, que le paysan peut dire: » ce que je cultive est légal ». C’est l’Etat qui est responsable.

Le Grenelle: moratoire en stand by

les ministères de l’environnement et de l’agriculture sont en confrontation.

La loi vient de passer, en avril 2008, à l’assemblée – déjà acceptée au Sénat – donnant désormais (normalement) un cadre aux modalités de cette culture.

OGM très présents en Espagne et Roumanie (il y a eu un moratoire depuis). Pas en Italie, ni en Allemagne.

Une directive européenne pose un cadre – que les Etats interprètent différemment – quant à la co-existence des champs et le dédommagement (qui ne porte que sur la production sans tenir compte qu’ensuite, la terre est « morte »). Le cadre concernant la coexistence est assez dissuasif.

Des maires de communes ayant décidé d’interdire les OGM ont vu leur décision cassée par le préfet.

La France est assez coincée entre les lobby OGM et la population.

les labels (bio par exemple) ne peuvent plus être garantis.

 

Philippe Merlant (sur la RGPP)

Le 19 novembre 2011, dans le cadre de notre chantier sur la mise à mal des services publics, nous écoutons Philippe Merlant, journaliste qui nous a préparé une intervention sur la RGPP (révision générale des politiques publiques).
 
Philippe Merlant commence par demander qui, dans le groupe, se sent apte a expliquer ce que c’est, qui en a déjà entendu parler et qui ne sait pas du tout de quoi il s’agit. Le résultat est confondant : 2 personnes pourraient expliquer ce dont il s’agit et un tiers de notre groupe n’a jamais entendu parler de RGPP ;  alors que la RGPP a été présentée comme une opération gigantesque, la majorité des citoyens n’en entendent pas parler.
 
1. Les origines de la RGPP
Dès les années 1980, avec les débuts de l’idéologie néo-libérale, l’idée se développe d’appliquer au public les principes du privé pour le rendre plus efficace (par les gouvernements de gauche comme droite). Pourtant cette politique n’arrive pas à enrayer l’augmentation du nombre de fonctionnaires : entre 1980 et 2007, ce nombre augmente de 36 %, essentiellement dans la fonction publique territoriale.
En 2001 sera voté la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances) qui met en place un mode de calcul et d’évaluation du budget de l’état avec indicateurs dans une logique de performance. On commence à parler de « culture du résultat ». La LOLF réorganise tout et découpe le budget de l’Etat en 34 missions, dont dépendent 132 programmes, qui organisent eux-mêmes 580 actions. La mise en place de ces indicateurs d’évaluation va amener à changer les manières de travailler des services publics : par exemple, un des indicateurs de la police est le nombre de garde à vues, ce qui amène les policiers à chercher plus du côté des petits délinquants, faciles à cerner, que vers des trafics plus importants, pour lesquels les enquêtes sont beaucoup plus difficiles et longues. De même, en matière de santé publique, l’obligation qui est faite de remplir des indicateurs pousse à redécouper les phénomènes d’addiction (alcool, drogues, cigarettes, jeux, médicaments…) au lieu de tenter une approche globale de l’addiction. Vouloir tout mesurer est une stupidité.
Cette obsession du chiffre modifie le travail des fonctionnaires : « Dans les services vétérinaires, on a atteint plus de 200 indicateurs à contrôler ; Comment voulez-vous piloter quelque chose avec 120 compteurs ? », explique un ancien directeur départemental de ces services.
L’idée forte de Sarkozy-Fillon avec la RGPP, c’est de « tout mener en même temps » (les statuts, l’organisation, les budgets, le management…) et à toute vitesse. C’est la première fois depuis la Révolution que la France engage un tel chantier.
 
  1. Le discours : vérités et mensonges
Jean-Michel Drevon, de la FSU (qui viendra le prochain week-end nous parler du New Public Management), explique à propos de la RGPP : « Il faut  reconnaître à Sarkozy et Fillon le mérite de la cohérence et de l’affichage des objectifs. Le mensonge, c’est de dire qu’on aura de meilleurs services publics et que les fonctionnaires travailleront dans de meilleures conditions. »
En 2007, le thème est peu présent dans la campagne de Sarkozy. Là-dessus, le candidat de l’UMP fait preuve d’une grande discrétion. Mais ce grand chantier est ouvert dès juillet 2007 sous le slogan « Faire mieux avec moins ».
C’est le Premier ministre, François Fillon, qui lance officiellement la RGPP le 10 juillet 2007. Voici quelques extraits de son discours :
« Auparavant, il était d’usage de procéder étape par étape, ce qui n’était que faussement rassurant puisque cela obligeait en fait à perturber régulièrement l’équilibre du système pour progresser. Tout traiter en même temps est au contraire un gage de succès, même si cela exige une concentration d’efforts et une mobilisation exceptionnelles. »
« Pour moi, il n’y a pas une France du public face à une France du privé, mais une seule France qui marche du même pas, avec les mêmes valeurs, les mêmes ambitions, les mêmes objectifs. »
« Cette exemplarité va de pair avec une demande d’autorité de l’État qui s’est exprimée fortement lors des élections. »
« Ces démarches [précédentes] ont eu le mérite d’acclimater l’administration à la nécessité de se réformer. »
« Pour la première fois, nous allons dépasser la logique des moyens et nous interroger sur les fins de toute action publique. Pour la première fois, nous mettrons un terme à l’idée selon laquelle la puissance d’un ministère se mesure à la croissance de ses crédits. Pour la première fois, nous allons nous poser la question de la légitimité de toutes nos dépenses publiques. »
« Si nous nous bornons à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux comme nous l’avons promis, si nous nous bornons à une réforme comptable et arithmétique sans voir au-delà, nous risquons de désorganiser nos services publics et d’accroître le mal-être de nos fonctionnaires. »
Et c’est pourtant exactement ce qu’ils vont faire.
• D’abord en faisant déraper progressivement les objectifs de la RGPP.
Dans le document officiel de lancement, six objectifs sont fixés à la RGPP : « Responsabiliser par la culture du résultat » ne vient qu’en cinquième ; et « Rétablir l’équilibre des comptes publics et garantir le bon usage de chaque euro » en sixième et dernier.
Pourtant, dès le 10 octobre 2007, François Fillon annonce : « La réforme de l’État supposera que chacun d’entre nous accepte qu’il y ait moins de services, moins de personnel, moins d’État sur son territoire ».
En septembre 2008, on annonce déjà qu’« il s’ait d’ancrer une véritable culture du résultat ». En 2009, Fillon affirme qu’« il n ‘y aura pas de retour en arrière ». Le troisième rapport d’état de la RGPP, présenté par Éric Woerth, ministre du Budget, en décembre 2009 se félicite de la suppression de 100 000 postes de fonctionnaires de 2007 à 2010 (en revanche, les déficits publics ont bondi avec la crise !). Et souligne : « L’objectif global de non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la Fonction publique d’Etat sera conservé pour le prochain budget triennal ». Progressivement, cette règle du non-remplacement qui n’était présentée que comme un des outils de la RGPP en est devenu l’objectif central.
• Ensuite, en oubliant complètement les questions posées au départ : tout remettre à plat, qu’est-ce qu’on fait, qui le fait, comment, à quel prix ?. En fait la RGPP n’a rien d’une révision globale. « On n’a jamais eu une réunion sur la qualité de service pour l’usager », affirme un ancien cadre d’une DDA (Direction départementale de l’agriculture). D’ailleurs, quand celles-ci ont été fusionné avec les DDE (Directions départementales de l’équipement), aucune évaluation n’a été faite des sept départements où la fusion avait fait l’objet d’un test : on a tout de suite généralisé à tous les départements.
• Enfin, en rendant la RGPP complètement illisible, incompréhensible pour le citoyen de base. 374 mesures sont adoptées entre décembre 2007 et juin 2008 par le CMPP (conseil de modernisation des politiques publiques). On y trouve aussi bien la réorganisation de la semaine scolaire, les bracelets électroniques pour les détenus en fin de peine, les nouvelles plaques d’immatriculation (mais aussi les impôts en ligne, la nouvelle organisation des centres de rétention ou le rattachement des gendarmes au ministère de l’Interieur)… C’est un véritable catalogue à la Prévert. A l’inverse, certaines réorganisations font l’objet de lois et décrets autonomes, qui ne sont pas mis dans le pot commun de la RGPP : les réformes dans l’Éducation nationale, par exemple.
La réforme des collectivités territoriales (qui fusionne les conseillers généraux et conseillers régionaux et rend obligatoire l’adhésion d’une commune à un syndicat intercommunal) est également à part de la RGPP. Mais le discours qui légitime cette réforme est exactement le même. Comme l’explique Sarkozy le 20 octobre 2009 en annonçant cette réforme à Saint-Dizier : « C’est un déni de démocratie que de ne pas permettre aux électeurs de savoir qui fait quoi, qui dépense quoi, qui est responsable de quoi, ni aux élus d’être jugés sur des politiques dont ils ont réellement la maîtrise. Et quand tout le monde s’occupe de tout, soit personne ne s’occupe de rien, soit on gaspille par une logique de concurrence, de saupoudrage et de guichet. »
 
  1. La RGPP dans les faits
• La RGPP, c’est d’abord la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, règle appliquée de manière mécanique dans toute la Fonction publique (5 millions de fonctionnaires), puis étendue à plus de 640 organismes « opérateurs de l’État » (Météo France, musées…) qui regroupent 370 000 agents. A Beaubourg, où plus de la moitié des agents ont plus de 50 ans, 26 emplois devaient être supprimés en 2010, et le personnel s’est mis en grève pendant près d’un mois… sans obtenir grand chose ! Même la Cour des comptes a dénoncé dans un rapport cette règle appliquée de manière systématique, « dictée par des considérations budgétaires de court terme » et sans « réflexion prospective d’ensemble sur l’évolution des missions et des besoins ».
• Conséquence pernicieuse de cette démarche stupide : pour faire coller cette règle automatique avec la réalité des besoins, il va falloir inciter les fonctionnaires à la mobilité. Ce qui donne une justification supplémentaire à la loi sur la mobilité dans la fonction publique, votée en août 2009 et « indispensable pour permettre de passer d’un ministère à l’autre », explique-t-on à Matignon. Si l’on reconnaît que, suite à la fusion des structures, « des directeurs qui n’ont pas démérité ne vont pas garder un tel poste », donc que « les possibilités globales sont réduites », c’est pour ajouter que « les possibilités individuelles vont s’élargir ». Cette loi stipule tout de même qu’un fonctionnaire peut être mis en disponibilité d’office s’il a refusé trois offres d’emploi correspondant à son grade.
• Par ailleurs, les services décentralisés de l’Etat dans les départements et les régions sont fusionnés les uns avec les autres et passent tous sous l’autorité du Préfet de département et du préfet de Région. L’ensemble des secteurs de l’état passe ainsi sous l’autorité directe du Ministère de l’intérieur. C’est une sorte d’« État policier » qui se met en place. Ce n’est pas un affaiblissement de l’Etat, mais une augmentation de son pouvoir de contrôle.
• Tout cela se fait généralement dans l’improvisation la plus totale, notamment pour la réforme de l’organisation territoriale de l’Etat fixée au 1er janvier 2010 (concernant 250 000 fonctionnaires). A 15 jours de l’échéance, les agents des futures directions fusionnées ne savaient pas quel serait l’organigramme, ni leur fonction exacte. Qu’importe, on continue. L’essentiel, c’est de respecter le calendrier. Ne pas caler.  Tout irait-il trop vite ?  En septembre 2009, une directrice départementale de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) s’est jetée du troisième étage des locaux parisiens de cette administration en pleine restructuration, prononçant juste avant de perdre conscience : « La RGPP m’a tuée ».  Dans un témoignage à son syndicat, un mois et demi après sa tentative de suicide, cette directrice, connue comme une « fonctionnaire zélée » et s’affirmant « partisane de la RGPP » : « J’ai failli mourir de la surdité d’une institution qui n’entendait pas que tout allait trop vite » ; et encore : « L’accélération des transformations en un temps trop court mettait à mal la mission éducative de l’institution ».
• Enfin, on ne cesse de mettre en avant les « sureffectifs » en expliquant aux chefs qu’il faut se débrouiller avec ça.  Tout semble se réduire « à l’aune des impératifs financiers et des suppressions de postes », selon Michel, ex-secrétaire général de la DDEA, intégrée au 1er janvier dans la Direction départementale du territoire (DDT) : dès sa création, le sureffectif a été chiffré à 40 postes.  « On nous dit qu’on peut avoir un sureffectif provisoire tout en nous demandant de nous débrouiller pour redéployer le personnel : c’est le double langage », explique Michel.  Les contractuels vont d’abord servir de variable d’ajustement. Comme ça ne suffira pas, il faudra « pousser les fonctionnaires à la mobilité ou à chercher dans le privé ». Ainsi se met en place la même logique qu’à France Télécom.
 
 
QUELQUES HISTOIRES CONCRÈTES SUR LA RGPP

 1.     L’ex-secrétaire général d’une Direction départementale de l’Agriculture (DDA)

 

La fusion des DDA avec les DDE s’est effectuée en plusieurs étapes : d’abord, dans le Lot, une expérience étendue assez vite à sept autres départements ; puis deux vagues successives pour généraliser à tous les départements de France. « Mais le bilan de chaque étape n’a jamais été fait ». Et au 1er janvier 2010, toutes les Directions départementales de l’Équipement et de l’Agriculture devaient devenir des Directions départementales des Territoires (DDT) en intégrant aussi des services des préfectures.

« L’organigramme n’est pas finalisé », affirme-t-il deux mois avant la création de la DDT. Mais on a déjà annoncé qu’il y avait 40 postes en sureffectifs. Sur ce chiffre, deux seulement sont susceptibles de partir en retraite (et il est difficile de faire des prévisions sur les futurs départs vu que la loi change tout le temps). « On nous dit qu’on peut avoir un sureffectif provisoire tout en nous demandant de nous débrouiller pour “redéployer” le personnel : c’est le double langage permanent. » Pour trouver 40 emplois à supprimer, on va commencer par ne pas renouveler les postes de contractuels. Mais ça ne suffira pas et il va falloir jouer avec la loi sur la mobilité dans la fonction publique : si un fonctionnaire refuse trois propositions conformes à son grade, il peut être « mis en disponibilité » (on arrête de le payer, mais, en tant que fonctionnaire, il n’a pas droit au chômage).

Lors de la fusion, lui-même a perdu son poste de secrétaire général au profit de son homologue à la DDT. Il a senti que le nouveau Directeur lui en veut de s’être présenté aux municipales sur une liste de gauche, et que sa nomination comme secrétaire général de la DDT risquait de ne pas plaire à l’actuel maire. Ce qui va dans la ligne de l’actuelle « politisation » de la Fonction publique : « Dans les réunions avec le préfet, on sent qu’il faut être dans la ligne du pouvoir. Ce n’est plus le service de l’État, on est là pour porter la politique du gouvernement. » Il a été nommé responsable du personnel, une fonction où il « prend la place d’une collègue qui faisait parfaitement son boulot ! » En fait, il a été « placardé », mais on le laisse tranquille.

Il y aura sans doute aussi quelques ouvertures de postes, mais leur chiffre précis n’est pas connu. Dès que les postes seront connus, ceux de la DDEA qui veulent bouger auront juste huit jours pour le faire savoir. De toute façon, « dès qu’un poste est annoncé, on reçoit des coups de fil d’agents de France Télécom ! » Il reconnaît qu’il y a beaucoup de souffrance à la base dans la nouvelle DDT. « Des eczémas, des dépressions, des divorces… Et même récemment, une menace de suicide sur le lieu de travail. On passe notre temps à régler des problèmes de fonctionnement ou à rédiger les rapports pour les ministères. Et on n’a plus de temps pour le dialogue social, tout passe en force. Même les organisations syndicales ne savent pas par quel bout prendre ce chantier. »

2. Le responsable de l’« ingénierie d’appui territorial » à la DDA

(45 ans, depuis sept ans à la DDA)

L’ingénierie d’appui territorial consiste à apporter un concours aux communes dans les domaines de l’eau et de l’assainissement : des petites collectivités locales qui, souvent, n’ont pas de services techniques et ne savent pas comment rédiger les cahiers des charges et appels d’offres pour trouver des prestataires. Ce type de services a vu le jour après la Seconde guerre mondiale, pendant la reconstruction. A partir des années 2000, l’Europe (et le gouvernement Jospin) ont obligé à les mettre en concurrence avec des bureaux d’études privés susceptibles de proposer les mêmes services (mais qui, souvent, n’étaient pas intéressés par les toutes petites communes).

Depuis quelques années, les agents ont compris que ce service, hier « phare » de la DDA, n’était plus une priorité : en vingt ans, les effectifs ont fondu de 35 agents à une quinzaine d’agents. Au début, ils ne se sont pas sentis menacé par la fusion avec les DDE (Directions départementales de l’Équipement : « C’était la seule mission commune aux deux (60 agents à la DDE sur cette mission). On ne pensait pas que c’était celle-là qu’ils allaient supprimer ! » Et puis, ils se sentaient portés par l’importance prise par les questions relatives à l’eau : « Le Grenelle de l’Environnement nous a fait rêver. On nous a expliqué qu’il y aurait plein de nouveaux métiers pour nous ! »

La généralisation de la fusion des DDA avec les DDE est annoncée en 2007. « On a eu un an pour s’y préparer. Et on a vite compris que l’ingénierie était mal partie. » En mai 2008, à peine le service commun entre DDE et DDA créé, on leur annonce sa fin prochaine. Motif invoqué : ils font concurrence au privé. A partir de là, tout va très vite : « On nous demande de ne plus prendre de nouvelles commandes ». Sur le site Internet de la nouvelle Direction départementale des Territoires, il n’y a plus un mot sur cette mission d’ingénierie. « Ca n’existe déjà plus ! » Fin 2011, toutes les opérations en cours devaient être soldées. Par exemple, des agents s’étaient investis dans un schéma de sécurisation de l’alimentation en eau potable, et ils ont dû arrêter la démarche avant qu’elle ne soit finie. D’autres étaient prêts à se former pour aider les mairies qui le souhaitaient à reprendre la distribution en régie municipale. « Les agents croyaient en leur métier et ne comptaient pas leurs heures. Il y a des communes avec lesquelles on travaillait depuis vingt ou trente ans. On avait la mémoire des différentes missions faites pour eux. Les maires ne comprennent pas cette décision, ils se sentent abandonnés. »

Les bureaux d’études privés ne seront pas forcément plus intéressés que par le passé à proposer leurs services aux petites collectivités. « Mais la volonté du gouvernement, c’est de les pousser à se regrouper en communautés de communes pour embaucher des techniciens ou s’adresser à ces bureaux d’études privés. » Certains agents vont sans doute aller frapper à la porte du privé, mais les autres ? « Ils sont démotivés et ne savent pas vers quoi se tourner. » Au total, il y avait une cinquantaine d’agents à recaser.

3. Le chef-adjoint de la brigade financière de la Police nationale

(47 ans, dans la police depuis 16 ans)

Depuis deux ans, les moyens matériels et humains de la brigade financière ne cessent de baisser (- 15 % chaque année). Ils ne sont plus que cinq policiers au lieu de dix il y a quatre ans. « Alors que je dois enquêter sur des dossiers mettant en jeu des sommes considérables, on ne me demande jamais quels moyens sont nécessaires ! ». Les déplacements se font plus rares, même s’ils ont le droit d’aller enquêter dans une région voisine (où s’étend leur compétence). « Les freins sont d’abord budgétaires : notre direction fait pression pour qu’on parte le moins souvent possible. » Il y a aussi un problème de recrutement, car les jeunes policiers ne sont pas formés sur le plan économique et financier. « Même si des postes sont ouverts, ce qui est rare, on ne trouve pas les personnes qualifiées. Un gardien de la paix qui a passé toute sa carrière à un carrefour avec un sifflet, je vois pas bien quelles enquêtes je peux lui confier ! » La formation interne ? Il suffit de trois stages de deux semaines pour avoir son brevet d’enquêteur financier.

C’est généralement le dépôt de bilan d’une entreprise qui entraîne la nomination d’un liquidateur judiciaire, lequel, en cas d’irrégularité, saisit le procureur… qui demande alors à la brigade financière d’enquêter. Seule exception : quand ce sont des particuliers qui dénoncent un employeur. « Si on avait plus de temps, on ferait des enquêtes de notre propre initiative. Par exemple, surveiller le bâtiment, où on sait qu’ils ne respectent pas grand chose. » Il y a deux ans, ils ont démantelé une filière de travail clandestin, mais l’information judiciaire n’est toujours pas terminée. « Et la sanction sera sûrement dérisoire par rapport aux faits reprochés. »

On leur demande de plus en plus de satisfaire à des indicateurs de résultats : le nombre de faits constatés, de faits élucidés et, pour la police judiciaire, le nombre de gardes à vue, de personnes placées en mandat de dépôt, de personnes présentées à un magistrat… « La garde à vue, ça doit rester une exception, à notre liberté d’appréciation. Si la personne reconnaît les faits, elle n’est pas justifiée. » Certains policiers essaient d’aller au-delà de ce qui est demandé. Et pour avoir la paix de la part de sa hiérarchie, chacun tend à aller au plus facile, donc à travailler sur de petits dossiers où on va atteindre plus vite des résultats que sur des affaires lourdes et complexes. « J’ai des dossiers de détournements avec plusieurs milliers d’euros en jeu. Mais si le PDG est à l’autre bout de la France, j’aurais du mal à aller le chercher. Et il y a peu de chances qu’un Juge de la détention et des libertés le place en préventive. » La plus lourde condamnation dans une affaire de détournement de fonds, c’est trois ans de prison dont deux fermes. « Si je travaille sur un dossier depuis deux ans, mon directeur ne va pas en faire une priorité. Surtout que ce genre d’affaire, même s’il y a 150 personnes au tapis, ne fait jamais de vague dans les médias. » Moralité : « On a des chefs de plus en plus préoccupés par le court terme : on a même eu comme directeur un vrai “killer”, qui a fait exploser les chiffres en deux ans, puis est parti ailleurs à la faveur d’une promotion. »

4. Le directeur départemental des services vétérinaires (DDSV)

(48 ans, directeur départemental des services vétérinaires depuis trois ans)

Dans les dernières années, la DDSV a été indépendante, puis rattachée à la Direction départementale de l’Agriculture, puis intégrée complètement dans cette DDA, puis à nouveau autonome, et la RGPP l’a intégrée dans une « Direction départementale de protection des populations ». « À chaque fois, l’organisation change sans qu’il n’y ait eu aucune évaluation. » Depuis plusieurs années, il a connu la montée en force de la politique des indicateurs. « Dans les services vétérinaires, il y en a 120 à remplir. Chaque préfecture ajoute parfois ses propres chiffres. Et la collecte n’est pas informatisée. Qu’est-ce que vous voulez piloter en ayant 120 compteurs à surveiller chaque mois ?  Il y a tellement d’indicateurs qu’il n’y a plus aucun arbitrage. »

A l’été 2008, il y a eu une réunion à la préfecture pour lancer la RGPP. On leur a expliqué que les fonctionnaires, et notamment les chefs, étaient les mieux placés pour dire ce qui devait être fait, et des groupes de travail ont été mis en place. Enthousiaste, il a envoyé une note au préfet pour lui faire des propositions. Après, le préfet du département s’est adressé au préfet de région, qui a transmis au niveau national. En février 2009, c’est redescendu à la base. C’est là qu’il a appris que la DDSV allait être fusionnée avec d’autres structures, notamment la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCCRF), pour former la Direction départementale de protection des populations. Un terme dont le gouvernement est très fier, mais qu’il juge « incompréhensible du public ». D’autant qu’on ne trouve dans cette DDPP ni la sécurité civile, ni la sécurité routière, ni la sécurité environnementale, pourtant essentielles à la « protection des populations » ! « C’est un compromis au plus haut niveau, il y a eu des luttes féroces entre les ministères, mais le travail de réflexion fait à la base pendant plusieurs mois a été très peu utilisé ! »

On a alors lancé un appel à candidatures pour trouver le futur « préfigurateur ». C’est le préfet qui propose ce « préfigurateur », en général l’un des directeurs des anciennes structures, pour préparer la fusion. S’il travaille bien, c’est lui qui sera nommé directeur de la nouvelle structure par le Conseil des ministres. Quant aux autres ex-directeurs, ils ne se voient pas proposer grand chose : « Il y a beaucoup de rancœur, de frustrations, mais ils se taisent : on leur a tellement mis dans le crâne qu’ils étaient des privilégiés ! » Un mois après avoir posé sa candidature, il apprend qu’il ne sera pas préfigurateur et qu’on lui préfère son concurrent, juste arrivé à la tête de la Direction départementale de la concurrence et des fraudes. Il le vit comme « une grande déception » mais s’efforce de rassurer ses services : « Je leur ai dit qu’il y aurait des économies d’échelle au niveau des chefs, mais que les agents continueraient grosso modo à faire le même travail ».

Les services doivent fusionner au 1er janvier 2010, mais rien n’est prêt deux mois avant. « La seule chose qu’on a le temps de faire, c’est de travailler à la va-vite sur un organigramme. » Il ne semble y avoir aucun crédit prévu pour que les différentes équipes déménagent dans un bâtiment commun, et même pour acheter un standard téléphonique commun. « On ne va quand même pas travailler dans des bâtiments séparés pendant deux ou trois ans ! » On lui annonce aussi qu’il va devoir fonctionner avec 10 % d’effectifs en moins. « Le postulat, c’est continuer à faire la même chose avec moins de monde. Mais on peut pas : la surveillance de l’expérimentation animale, par exemple, je peux plus le faire : j’ai plus personne pour ça ! »

 

 

 

Jean-Jacques Zimermann

Le 27 janvier 2013, dans le cadre de notre chantier sur la propagande, Jean-Jacques est intervenu sur le marketing. Jean jacques Zimermann est psycho-sociologue, il a travaillé dans une agence de marketing, donne des cours à HEC et est participant du chantier.  
 
Jean-Jacques a démarré par une citation de Nietzsche, le philosophe allemand : « L’ennemi de la vérité n’est pas le mensonge mais la crédulité. » Il nous a fait faire un exercice qui montre qu’on a du mal à donner le nom exact des fleurs (présentées à l’écran en photos), mais que l’on trouve sans problème le nom des marques !
 
Le marketing
Mais qu’est-ce que le marketing ? L’Américain Philip Kotler en a donné la définition suivante : « L’ensemble des techniques et études d’applications qui ont pour but de prévoir, constater, susciter, renouveler et stimuler les besoins des consommateurs et adapter de manière continue l’appareil productif et commercial aux besoins ainsi déterminés. » Et ce qu’on appelle le « mix » repose sur six éléments, les « 6 P » :
    le produit ;
    son prix :
    le positionnement ;
    le packaging ;
    la promotion ;
    la publicité.
 
Jean-Jacques a alors décrit l’ensemble des acteurs du marketing :
les départements internes aux entreprises elles-mêmes : au sommet un directeur général ; en-dessous de lui, généralement, un responsable marketing et un responsable communication ; en-dessous encore, des chefs de groupes ; plus bas, des chefs de produits…
les partenaires extérieurs : sociétés de veille (dans le renseignement commercial, on trouve beaucoup d’anciens militaires) et de conseil stratégique ; agences de publicité ; cabinets de design et de packaging ; conseils en relations publiques, relations presse et lobbying ; instituts d’études de marché et de sondages d’opinion…
 
C’est dans cette dernière activité que Jean-Jacques a exercé son métier. On y distingue les spécialistes des panels (Nielsen, Secodip…), les instituts spécialisés dans les sondages (Ipsos, Ifop, TNS/Sofres, BVA, CSA…), les spécialistes des études qualitatives dites « qualis » (qui organisent des réunions de groupes et/ou des entretiens individuels, en face-à-face, avec des consommateurs). Dans ces réunions, la manipulation n’est pas rare : « Par exemple, pour Danone, qui souhaitait lancer de nouveaux yaourts au thym et au romarin, on pose la question 15 fois de suite aux consommateurs… et ils finissent pas dire oui ! On les mène au consentement… Comme si, sous la pression, on se moquait de la fiabilité du résultat, ce qui importe, c’est que le client soit content ! »
 
Le monde des apparences
Jean-Jacques nous a expliqué que, dans la sphère du marketing, on ne parle pas de « propagande », mais d’« influence ». Il est entré dans ce métier en 1985 après avoir fait des études de psychologie. Il ne voulait pas travailler dans le recrutement des cadres et un conseiller emploi lui a dit de chercher dans le marketing. « Quand je suis entré dans ce métier, alors que j’étais militant, je n’avais aucun esprit critique. Et je n’ai rien vu de ce qui se passait pendant longtemps. On enferme les gens qui y travaillent dans de petites bulles où ils n’ont conscience de rien. » Il a été recruté par un petit cabinet d’études, filiale d’un grand groupe de pub.
 
La pub, c’est le monde des apparences. « Les gens sont plutôt sympas, les patrons ont un look à la fois professionnel et cool, il est de bon ton de ne pas se raser quand on travaille sur un budget : ça veut dire qu’on a travaillé toute la nuit ! Tout de suite, on se tutoie, on s’embrasse, on a des ordinateurs à la pointe du progrès ! Je me suis engouffré dans une passion car je pensais que la propagande, c’était le fait des Etats, et pas des entreprises. Pourtant, à partir des années 1990, les entreprises ont pris un poids énorme ; bien au-dessus des Etats. » Cet univers professionnel peut aussi être très violent. Un jour, Jean-Jacques a entendu dire à un directeur de création qui devait remettre un projet : « Si dans deux heures, t’es pas là, c’est pas la peine de revenir lundi ! ». Les publicitaires et gens d’études et conseil sont très défiants les uns des autres, car les premiers craignent que les seconds invalident leurs plus belles idées.
 
En marketing, la tendance est à vendre tout… sauf le produit lui-même. Exemple : pour les eaux minérales, on ne vend pas l’eau elle-même, mais « la vitalité, la santé, la jeunesse… ». Il faut apporter, explique Jean-Jacques, de « la valeur imaginaire ajoutée ». Le design, le packaging, le conditionnement deviennent de plus en plus sophistiqués. Ainsi, le goût « fraise » correspond à 40 saveurs différentes selon les pays du monde où l’on vend.
 
Ensuite Jean-Jacques nous a raconté plus précisément en quoi consistait son métier. En général, il s’agit de faire une étude pour évaluer les réactions des consommateurs potentiels à un nouveau produit. « On a un rôle de conseil, pas de décision. Et on s’entoure de plein de précautions pour expliquer que ce n’est pas notre avis personnel, mais bien ce qui se reflète chez les consommateurs. » Les méthodes utilisées s’inspirent en général des théories de la psychologie sociale. Et les étapes du processus d’une étude sont :
         le brief par le client ;
         la rédaction d’un projet (avec parfois plusieurs cabinets mis en concurrence dans le cadre d’un appel d’offres) ;
         après le choix du prestataire, le lancement de l’étude (recrutement des personnes à interviewer, organisation de la réunion de groupe ou des face-à-face…) ;
         réalisation du terrain (le plus souvent à l’aide d’entretiens ou de réunions de groupe) ;
         rédaction des conclusions et présentation des résultats au client.
 
Jean-Jacques nous a parlé d’une campagne qui lui semblait « absolument scandaleuse » : celle de Nestlé pour affirmer son leadership sur la mousse au chocolat industrielle. On y voyait une petite fille qui désobéissait à ses parents en savourant une mousse avant le repas. L’enjeu, telle qu’il était apparu dans une étude, était en effet que les enfants puissent court-circuiter les règles familiales, si l’on voulait que leur consommation de mousse au chocolat augmente. Cette publicité a été très efficace, car les parents ont pu s’identifier à la petite fille : la pub s’intéresse aux adultes, mais elle s’adresse à l’« enfant intérieur » qui est en eux. Dans les instituts, on apprend à déstructurer le discours, à jouer plus sur la connotation des mots que sur leur dénotation.
 
A partir de cette campagne, on a pu comprendre les différents éléments qui font – ou non – la force d’une publicité :
la promesse de compréhension (il faut que le message soit simple et clair) ;
la promesse d’impact (celui-ci dépend largement de la stimulation émotionnelle provoquée par la pub) :
la promesse d’agrément (il faut que le film soit agréable à voir… encore que certaines pubs causant du désagrément puissent quand même être efficaces !) ;
la promesse d’attribution (il faut que le produit auquel la pub fait référence soit parfaitement identifiable) ;
la promesse d’implication (le but est d’intensifier la consommation, donc de stimuler l’acte d’achat).
Il faut avoir en tête que chacun de nous est exposé peu ou prou à un millier de messages publicitaires par jour, et l’on en retient que deux ou trois : la concurrence est donc rude pour marquer les esprits !
 
De la pratique à la critique
Un ouvrage (« De la misère humaine en milieu publicitaire », du groupe Marcuse, La Découverte) constitue une très bonne critique du marketing publicitaire. On y dénonce notamment l’aspect guerrier du marketing, qui se révèle par les mots utilisés dans cet univers : « cible », « opérations », « percée », « arsenal », « arme absolue », « occuper le terrain », « faire tomber les défenses »… L’analogie militaire est devenue l’outil numéro un du marketing. Jusqu’à aboutir à ce paradoxe : le client, c’est l’ennemi… qu’il faut « ligoter, bâillonner », selon les propos de Georges Chetochine, conseil notoire en marketing !
 
Dans les années 1990, Jean-Jacques a eu plus de responsabilités : on lui confiait la gestion globale de problématiques d’études. Il a compris que les choses commençaient à changer. « Il y avait de plus en plus de dysfonctionnements. Je me rendais compte qu’on était là pour faire plaisir au client, pas pour apporter une expertise rigoureuse ». C’est aussi l’apparition des bureaux en « open space » avec des relations de travail de moins en moins conviviales, les agences insultent de plus en plus les consommateurs (« Tous des cons ! », entendait-il souvent en réunion). Jean-Jacques a fini par quitter son emploi, il est passé à la formation et est revenu à une culture plus politique. Il n’est pas le seul à avoir suivi ce chemin. « Parmi les Casseurs de pub, il y a beaucoup d’anciens publicitaires. Ils ont expérimenté la douleur terrible, mais très sourde, qui existe dans de telles activités. »
 
Pour Jean-Jacques, certaines techniques du marketing et de la publicité peuvent être utilisés par des résistants et les acteurs de l’Économie sociale et solidaire. Ainsi, Greenpeace a détourné une campagne de Nestlé qui s’appropriait le commerce équitable et l’a diffusée sur les réseaux sociaux. Résultat : l’action Nestlé a perdu trois points en Bourse dès le lendemain ! Au bout de trois jours, Nestlé a annoncé qu’il cessait toute collaboration avec les producteurs d’huile de palme qui ne s’engageraient pas dans une démarche de développement durable. La vidéo de Greenpeace a été vue plus de 1,5 million de fois en deux mois. Jean-Jacques nous a montré d’autres exemples de pubs détournées : sur les foies gras (détournement contre le gavage des canards) ; sur le nucléaire (pub d’Areva détournée par le réseau Sortir du nucléaire) ; contre l’exploitation en Afrique du Coltan, minerai qui sert à fabriquer les téléphones portables ; pub Fair Fruit pour soutenir le commerce équitable… Ces pubs alternatives sont en général diffusées sur internet (réseaux sociaux, sites, blogs…). Une règle d’or si l’on veut que ces détournements soient efficaces : être sur des modes d’expression aussi simples, aussi courts, que les pubs que l’on veut contrer ! Mais aussi proposer un mode d’action à la fin pour que le spectateur se sente concerné, en capacité d’agir sur le problème…

 

 

Sylvie Thébault et Darlène

Le 26 janvier 2013, dans le cadre de notre chantier sur la propagande, nous avons rencontré Sylvie Thébault (agricultrice sur la zone de l’aéroport de Notre Dame des Landes et membre de l’ACIPA) et Darlène qui s’est installée sur la ZAD.
 
Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Sylvie Thébault et Darlène ; il peut donc comporter des erreurs. 
 
LE COMPTE RENDU DE NOS ECHANGES
 
Sylvie : Mon mari et moi, on est agriculteurs. On est arrivés en 1999 à ND des Landes. Nous occupons un terrain – 60 hectares – menacé d’expropriation pour construire l’aéroport. En 2008, le projet a été déclaré d’utilité publique et les procédures d’expropriation ont débuté. A la fin du mois, nous serons considérés comme occupants illégitimes et illégaux, comme tous les jeunes qui sont là.
 
Darlène : Nous on est occupants squatteurs, pas légitimes dès le départ. On occupe des maisons d’expulsés. Je suis à ND des Landes depuis un an et demi.
 
Sylvie : Le projet de ZAD (zone d’aménagement différé) date des années 1960. Le Conseil général a créé un droit de préemption sur cette zone et s’est donc constitué une réserve foncière au fil des années – 900 hectares jusqu’en 2008 (sur 1850 prévus). Sont concernés par ces préemptions des agriculteurs, des biens qui ont été transmis par héritage et le bois de Roanne (50 hectares environ). A l’automne ont eu lieu des expulsions avec destruction des maisons.
 
À la création du projet ZAD, l’ADECA (association de défense des exploitants contre le projet d’aéroport) s’est mobilisée. Il était question d’un énorme aéroport avec 4 millions de passagers (celui de Nantes n’a même pas ce débit !), où le Concorde pourrait atterrir, et qui assurerait une liaison avec New-York.
 
Lors de notre installation, en 1999, toutes nos terres n’étaient pas dans la zone concernée, mais pour éviter le village de Lépine, la zone a été élargie vers chez nous. Le projet, en dormance jusqu’en 2000, a été réactivé sous Jospin. S’est alors créée l’ACIPA (association intercommunale contre le projet d’aéroport), qui a fait pression pour que le droit de préemption cesse.
 
En 2003 un débat public est organisé par les autorités qui était une mascarade. L’argumentaire des promoteurs du projet reposait sur deux points : 1- saturation de l’aéroport de Nantes, 2- sécurité de la ville de Nantes (survol des avions). Les associations ont contre-argumenté en donnant d’autres pistes, mais tout a été balayé et le projet a été déclaré d’utilité publique. Un collectif de pilotes s’est également mobilisé. En fait, la saturation de l’aéroport de Nantes ne justifie pas le projet. Derrière tout cela, il y a des projets d’urbanisation et d’aménagement sur Nantes et c’est pour cela qu’ils veulent déplacer l’aéroport 20 kms plus loin, à ND des Landes.
Le processus de débat public nous a fait prendre conscience que les arguments avancés sont un vaste mensonge. Nantes a été classé meilleur aéroport en 2011. Nous pensons qu’il vaut mieux l’aménager plutôt que le démolir. De plus on investit dans le transport aérien alors qu’il consomme énormément d’un pétrole dont les ressources s’amenuisent. Enfin, il y a 147 aéroports en France, alors un de plus…
 
Il s’est aussi créé une coordination des associations comprenant l’ACIPA et une quarantaine d’autres, dont Greenpeace, la Confédération paysanne, Europe Écologie-Les Verts, le Front de Gauche, etc. Leur travail a été de porter le projet d’aéroport à la connaissance nationale.
À l’été 2009 est organisé le « Camp Action Climat ». Beaucoup de personnes nouvelles affluent, des jeunes surtout, et s’établissent là, occupent les maisons vides, construisent des cabanes et se joignent à la lutte.
 
Darlène : Je ne suis pas militante mais les amis autour de moi, oui. Je les suis aux contre-sommets des G8 et G20 en 2011 (en France). A ces occasions on invente des villages autogérés, mais l’idée est de décentraliser les actions par rapport aux G8-G20 et de les organiser à d’autres dates. Il faut donc trouver un lieu où l’on puisse s’installer longtemps pour expérimenter des choses et réfléchir ensemble à ce que c’est que vivre dans un monde non capitaliste.
On choisit de s’installer à la ZAD car c’est une lutte locale qui s’inscrit dans le national. On s’installe trois semaines. C’est plutôt un échec car la répression est forte. 300 personnes sont venues mais nous n’avons pas eu l’effet escompté, surtout au niveau international.
Toujours en 2011, une association européenne pour se réapproprier les terres et les cultiver est venue créer un potager collectif, le Sabot, et des installations maraîchères sont réalisées.
 
Les rapports avec la population locale ne sont pas simples, les objectifs n’étant pas tout à fait les mêmes. Notre lutte est internationale et à ND, c’est celle de l’aéroport qui prime. Pour moi, c’est le monde qui va avec cet aéroport qui ne va pas : ça veut dire quoi détruire 2 000 hectares avec du béton ? Est-ce que c’est justifié ? Et c’est comme ça dans plein d’endroits du monde – est-ce que c’est justifié ? Vinci {qui a obtenu la concession du projet d’aéroport à ND des Landes] a acheté plein de terres dans le monde et possède beaucoup de concessions pour des projets qui ne seront même pas réalisés.
Dans cette expérience, j’apprends la vie en collectif et les discussions, les tensions et les dissensions. Je me plais bien, c’est l’été, je n’ai pas de travail en vue, je décide donc, avec d’autres, de rester. Aidés de la population, nous nous installons dans une autre friche.
 
Le 2 juillet 2011, l’ACIPA organise une manifestation citoyenne non violente à l’aéroport de Nantes. La police charge ceux qui montent dans les étages. Des clowns sont là, quelques murs sont tagués. Une femme, isolée par les CRS, est gravement blessée. Ils n’appellent pas les pompiers (côtes cassées, poumon perforé…). C’est elle qui parvient à les appeler de son propre téléphone !
 
Notre mode de vie, c’est de récupérer au maximum ce qui peut être récupéré, de dépenser le moins possible d’argent (éviter de réinjecter de l’argent dans le système), de recycler tout ce qui peut être recyclé, de donner une 2e vie aux objets… On récupère dans les poubelles des supermarchés des denrées alimentaires mais aussi des objets jetés (cagettes entières de légumes, yaourts, etc.).
Un jour les anciens habitants du lieu qu’on avait investi sont revenus, on était 15 ! Moi, je faisais des allers retours entre Paris et ND, puis j’ai habité une caravane. Là, j’ai connu plus de monde, je faisais des films, des photos… Ce qui m’intéressait, c’était les procédures, les juges qui déclaraient : « Votre terre, elle vaut tant. Si vous acceptez tant mieux, sinon c’est la procédure ! » Des gens sont contents de cette rentrée d’argent, d’autres ne veulent pas partir. Nous on est là pour ces gens-là (qui sont souvent âgés et habitent là pour certains depuis cinquante ans).
 
A ND des Landes, sur 2 000 hectares, il y  a une trentaine de lieux comme le nôtre, dont Le Far-West qui est un lieu-cabane dans un arbre qui est devenu en dur (ce groupe est fort) ou une chèvrerie où ils font du fromage,. Nous n’avons pas tous la même approche ni la même idée politique de ce que nous faisons là. Il n’y a pas vraiment de collectif, ce sont plutôt des groupes affinitaires.
Au début, j’habitais là sans être vraiment engagée. J’étais en mode observation, je filmais et prenais des photos. Les jeunes étaient tous cagoulés devant les médias, je m’y suis mise moi aussi pour ne pas me différencier. C’était par peur des représailles et aussi pour que notre image ne soit pas exploitée. Je dérangeais parfois, car caméra et appareil photo sont l’apanage des « médias-bourgeois » qui, à l’époque, nous traitaient comme des « méchants squatteurs ».
 
Certains ont engagé des actions que je trouve contreproductives : par exemple, rentrer cagoulés au Super U, remplir des caddies et sortir sans payer. Médiatiquement parlant et de l’avis de la population, ce n’est pas possible ! La ZAD n’a pas adhéré globalement à cette action. Pour certains, voler ce n’est pas une évidence, pour d’autres ça se défend…
Pour être certains de ne pas être infiltrés par des policiers, on agit souvent à quatre, ou en binôme. Il faut se faire confiance, se connaître. Si 30 ou 50 personnes arrivent sur la ZAD, il faut les assimiler, faire des réunions pour les connaître. C’est difficile de vivre avec ce truc-là tout le temps. Et puis on ne doit pas parler trop de soi, ça peut se retourner contre nous.
 
Sylvie : Les opposants institutionnels (ceux du début) ont essayé d’élargir la lutte pour mobiliser davantage, et c’est réussi. La difficulté est que le public se rajeunit considérablement et qu’il y a une grande diversité de motivations. On a parfois l’impression d’un cocktail explosif. Certaines actions sont quand même portées par tous, comme l’installation maraîchère et le Sabot, en 2011.
Certains anciens qui étaient contre l’arrivée des jeunes bougent, se remettent en question sur leur façon d’appréhender le monde, la société et son fonctionnement. On est interpellés par la venue de ces jeunes, leur courage dans les conditions difficiles (surtout l’hiver), leur système de débrouille, de partage et de récupération…
 
Les zadistes sont nombreux et éparpillés, je ne les connais pas tous mais j’ai de bons contacts en général. Mais notre association fonctionne de façon verticale avec une hiérarchie. Tandis que les jeunes fonctionnent de manière horizontale.
En mars 2012, on a fait ensemble la manifestation à l’aéroport de Nantes. La presse a titré : « Attention, les radicaux arrivent ! » Cette manifestation a été lourde à mettre en place, avec des AG successives, mais, mis à part quelques débordements, ça a été une réussite. Tout cela dans une ambiance « peur sur la ville », et les commençants avaient été appelés à fermer boutique !
 
Pour nous, paysans, le processus juridique nous dépossède de nos biens. On subit sans cesse des pressions – appels téléphoniques, démarchages : « Faudra payer un avocat, ça vous coûtera cher ! », etc. L’ACIPA a pris un avocat pour défendre collectivement les gens concernés.
Quand le juge d’expropriation vient estimer chaque bien que le propriétaire ne veut pas vendre à l’amiable, il est escorté de gardes mobiles en habits anti-émeute. Idem pour les forages. En fait toute action sur le terrain est encadrée par des flics ou des militaires – ce sont souvent les mêmes qu’on revoit à chaque fois.
 
Darlène : On leur parle, on leur dit qu’ils seront peut-être obligés de nous taper dessus un jour… Ils nous conseillent de ne pas nous mettre sur leur chemin pour ne pas y être obligés… Ben si, justement !
 
Les rapports avec les médias sont compliqués. Les journalistes qui viennent ne savent pas à qui parler : « C’est qui votre chef ? », nous demandent-ils en arrivant. On a montré à France 3 notre façon de vivre, le potager, la cuisine collective, etc. Mais eux, ils ont mis l’accent sur le groupe qui vit dans la forêt et qui ne veut pas parler aux journalistes. Ils sont devenus « les méchants, les casseurs » alors qu’en fait ils sont plutôt bisounours et font des câlins aux arbres ! On est là pour vivre, notre but n’est pas de casser.
 
Sylvie : ND les Landes, c’est 1 600 habitants qui sont très partagés à cause du « bazar », des jeunes « pas bien habillés » et « qui se nourrissent de n’importe quoi ». Au moindre vol, on accuse les squatteurs.
La population nantaise, indifférente auparavant, s’est émue au printemps 2012 de la grève de la faim de deux agriculteurs. C’était en plein campagne présidentielle. On a obtenu que tous les occupants réguliers à la date de 2008 ne soient pas expulsables tant que tous les recours n’auront pas été épuisés. Ça nous a donné l’assurance qu’on ne serait pas mis à la porte du jour au lendemain. Sur une quarantaine de paysans concernés, dix n’ont pas signé à l’amiable. Financièrement ils proposent un prix moyen, un prix agricole (16 centimes/m²) alors qu’ils vont libérer des surfaces à Nantes au prix de 4 000€/m² et donc faire des profits phénoménaux ! Aujourd’hui, il ne reste reste plus que deux agriculteurs à ne pas avoir épuisé les recours.
 
En 2012, suite à l’opération César (vaste offensive policière – qui s’est soldée par un échec – pour déloger les jeunes et montrer que le projet d’aéroport « va se faire »), nous avons obtenu la reconnaissance de certains journalistes qui ont adhéré à notre contre-argumentation. Lors de cette opération, jeunes et habitants se sont alliés pour résister. En face, c’était les gaz lacrymogènes, les bombes assourdissantes et les flash-balls.
Mon mari était sur les barricades et me disait : « On devient pas forcément fin à côtoyer les CRS ! » L’opération a solidarisé les opposants et amené les journalistes à discuter sur le fond du projet.
Un jour, j’allais désembourber un voisin avec mon tracteur et me suis trouvée face à un  camion de garde mobiles : « Vous avez vos papiers ?  Vous êtes qui ? On passe pas ! » J’entendais les échanges radios avec leurs chefs : ils parlaient de moi comme une activistes, ils disaient que des gens arrivaient par les champs, se demandaient si c’était des paysans ou des anarchos… En manœuvrant, j’ai percuté la voiture des flics (j’avais oublié que j’avais un outil qui dépassait à l’avant !) :  constat, les flics m’ont emmenée chercher mes papiers à la maison, puis retour !
 
Comment une population peut-elle résister à un opération programmée comme César ?
 
Darlène : On est à notre avantage sur ce terrain-là – la terre : en octobre, c’est très humide et les flics ont un harnachement lourd et encombrant. Ils sont habitués à la ville (sauf les brigades particulières) mais pas à intervenir dans les champs ! La boue et les fossés, nous on s’en fout.
De plus, on a été prévenus de leur arrivée, et on a pu se préparer. On savait qu’ils interviendraient trois jours par semaine et qu’ils commenceraient par tel lieu. On a déplacé nos caravanes, certains se sont défendus, d’autres, non violents, se sont enfermés dans leur maison avec des journalistes.
Depuis un moment, une action squatteurs-habitants était prévue dans une maison vendue à l’amiable. On l’a intégrée à la résistance. A l’arrivée de la police, on était en cellule de crise en temps réel, et on faisait des flash-infos (sur le net) en direct sur ce qui se passait dans la maison, sur nos besoins. Les flics étaient assez cordiaux, pas trop tendus. Nous on leur disait qu’on les détestait, on les interrogeait sur ce qu’ils allaient donner à manger à leurs enfants, etc.
Finalement, notre lieu de vie a brûlé. Je suis allée vivre à La Gaîté, une autre maison. Le potager, qui nourrissait 60 personnes, a été détruit par les gaz lacrymogènes. On a tenté de protéger le Sabot en faisant des barrages sur les routes pendant que certains ramassaient les légumes… Deux jours plus tard, ils étaient encore là : on avait très peur car on craignait qu’ils frappent hyper fort, et on a eu droit à des tirs tendus de gaz lacrymo pendant 4 à 5 heures. On avait froid, il pleuvait, mais « on ne lâchera pas ». Il y avait la zone de guerre et le Sabot. On allait s’y réchauffer, on mangeait un peu et on retournait dans la zone de guerre.
Et là, d’un coup, des gens s’intéressent à nous et sont avec nous ! Ils viennent de l’extérieur, nous amènent des vêtements et de la nourriture, les routes sont bloquées, mais on passe par des chemins agricoles…
Quand les flics viennent, ils ratissent tout à la pelleteuse – la boue, les gravats –, et il n’y a plus rien après ! C’est très violent. Pour les autochtones, voir des maisons en pierre et puis plus rien, c’est terrible. Trois semaines plus tard, le Sabot est terminé, la zone est expulsée, 13 maisons et cabanes détruites.
 
Le 17 novembre 2012, une action de réoccupation (pensée un an avant au cas où) commence. Des élèves de l’école d’architecture de Nantes viennent avec des préfabriqués qu’ils montent, des cabanes en kit, dans le bois de La Châtaigne. Comme une ville montée en quelques heures grâce à des chaînes humaines sur 250 mètres. On entendait les marteaux chanter dans les bois. Et un village s’est reconstruit en une semaine avec une cabane de réunion collective, une cuisine, un atelier manufacture, des {sleepings} avec une infirmerie…
Une manif réunit 40 000 personnes et 400 tracteurs dans un village de 1600 habitants ! Des personnes sont venues de toute la France (200 comités de soutien existent), certains n’ont jamais atteint le bois… Après, les flics reviennent à 6h du matin, avec des bombes lacrymo, expulser les jeunes du squat des Rosiers, devenu « expulsable » grâce à l’accélération de la procédure. A La Châtaigne, en présence du sous-préfet, les flics ont confisqué tous les outils de construction et les matériaux, ont posé des scellés sur les cabanes. A 22 heures ils sont partis, on est revenus.
 
Pendant un mois, il n’y a pas eu de blessés, on sentait une volonté que tout se passe bien. C’était pour les flics comme un exercice grandeur nature, et puis les journalistes étaient là… Ensuite, la presse n’étant pas partout, il y a eu des tirs tendus, des tirs au flash-ball dans les parties génitales ou les seins, des grenades assourdissantes (dangereuses car ils ne savent pas bien s’en servir !), des bombes de désencerclement (avec des éclats de plastique qui restent dans les chairs), et là il y a eu des blessés.
Dans la forêt de Rohanne, les gens avaient construit des cabanes dans les arbres (des Anglais surtout). Le 24 novembre, une brigade de grimpeurs de Briançon est venue, c’était un vendredi et plein de gens sont arriver pour nous aider. Ils chantaient autour des CRS, il y avait des clowns et la Presse. Ils ont encore utilisé les gaz lacrymo et les bombes assourdissantes. Ailleurs, certains se sont avancés tout nus devant les gendarmes dans une attitude pacifiste et non violente. Ils ont été gazés au poivre (ça brûle et ça pique la peau) et arrêtés pour attentat à la pudeur.
 
Sylvie : Il y a d’un côté le discours politique (on éradique les radicaux et les terroristes) et, de l’autre, les médias qui montrent les images de personnes nues contre les gaz lacrymo… D’un côté, l’épisode des deux fugueuses réfugiées – et comment une certaine presse a rapporté l’affaire – et, de l’autre, les marches de soutien qui sont parties de Lille et de Nice…
 
Et aujourd’hui ?
 
Sylvie : Les politiques ont gelé les choses pour calmer l’emballement médiatique. Ils font pourrir la situation. Une commission de dialogue a été créée, on ne sait pas si on doit y aller ou non. Le collectif des élus est sceptique. Il y a de petits incidents – les fugueuses, la façon dont c’est relayé par les médias. Dans ce vide médiatique, les marcheurs de Nice (qui sont un comité de soutien parmi des centaines) organisent des festiZAD, le 9 février notamment, qui sont des concerts à ND des Landes.
 
Darlène : Sur la zone, on est 300 zadistes environ. Le nombre fluctue. Il y a de tout : des gens qui viennent parce qu’il se passe quelque chose là, d’autres pour en découdre avec les flics, des inconnus qui passent, qui ne savent pas trop où ils en sont et qui viennent dormir et manger gratuitement. C’est pas facile à gérer. Nous, les vieux zadistes, on est une quarantaine et on se retrouve envahis comme les premiers habitants qu’on a envahis. On s’est fait dépasser par un truc. Et on a du mal à remonter la pente, avec la fatigue, la dureté des conditions de vie, le froid humide, la boue… On est crevés.
Pendant un mois, on a vécu uniquement de la nourriture qui venait de l’extérieur, on pouvait pas sortir faire les courses. La nourriture arrive encore, mais on considère que ce n’est pas ça l’autonomie. On veut retrouver notre autonomie.
Les flics sont toujours au même carrefour, ils contrôlent, observent, ils ne laissent pas passer l’essence ni de matériel inflammable, pas de bois. La nuit, ils surveillent avec des jumelles infra-rouges. On vit une sorte d’état de siège qui mine. On passe par les champs, on les insulte. Même en vélo, on se fait contrôler. Certains refusent de donner leur identité.
José Bové est venu ouvrir un squat, mais dès le lendemain, il n’y avait plus personne ! On considère que c’est de l’usurpation mais au niveau médiatique, ça aide.
 
Sylvie : Même si au niveau national il y a des compromissions avec le PS, ma position est moins radicale que celle d’un zadiste car, sur le terrain, des élus Verts se battent à nos côtés. Et le principal, pour nous, c’est de gagner.
Aujourd’hui on est protégés par la Déclaration d’utilité publique de 2008 – ce n’est pas juridique, mais c’est porté sur la place publique. Sur huit recours, six ont été jugés (qui ont tous été perdus), et deux sont en cours. Le dernier jugement a été rendu le 18 décembre 2012. Dès la visite de l’huissier, on aura un mois avant l’expulsion, même si on n’a pas encore touché l’argent ! Pour l’instant, on n’a pas de plan B, on a rien cherché d’autre. Mais on peut sans doute demander un délai, un sursis : 30 vaches, ça ne se déménage pas comme ça !
 

Frédéric Bosqué

Le 6 janvier 2013, dans le cadre de notre chantier sur la propagande, nous avons rencontré Frédéric Bosqué (coordinateur du Sol Violette : www.sol-violette.info).
 
Attention, notre compte rendu n’ pas été relu par frédéric Bosqué et peut donc comporter des erreurs.
 
Economie, étymologiquement, signifie les règles du foyer. Les règles, ce sont  quatre engagements :
Remettre l’entreprise au service de l’abondance (aller de la rareté à l’abondance et non l’inverse. Entreprendre = entre ce qui est pris, prendre là)
Favoriser les circuits courts en créant des groupements d’achats, hors des circuits de la grande distribution (actuellement, 80 % des achats se font en grandes surfaces).
Créer des monnaies citoyennes (il en existe une soixantaine en France, dont le Sol Violette à Toulouse auquel participent la Mairie, des banques, des réseaux citoyens. Existent aussi d’autres Sols: alpin, ch’ti, etc.)
Créer un Revenu minimum d’existence : c’est un revenu sans contrepartie, à vie, inaliénable (personne ne peut le prendre), individuel, cumulable avec n’importe quelle autre forme de revenu.
 Ces outils sont des bâtons de marche, pas des outils magiques, on sait qu’il y aura certainement des défauts…
 
 Les monnaies citoyennes
 Avant la monnaie, on s’échangeait les biens. Mais, par exemple, pour échanger une pelle contre des tomates il fallait attendre que les tomates poussent. Pour échanger une maison, il fallait des brouettes d’œufs… La comparaison des valeurs était parfois difficile. Et puis, certaines marchandises permettaient de se procurer toutes les autres – le sel par exemple, car indispensable pour la conservation, et puis les coquillages (qui servaient pour les rituels religieux), les pierres et métaux précieux. On achetait donc ces dernières pour leur valeur d’échange et non pour la consommation – les notions de valeur d’échange et de valeur d’usage apparaissent (ici, la valeur d’échange est supérieure à la valeur d’usage). Le sel facilitait l’échange de marchandises difficilement comparables. Mais peu à peu, c’est l’or qui a gagné.
La monnaie, selon Aristote, est un bien qui permet l’échange, c’est une unité de compte très malléable, c’est une unité de réserve (inaltérable, c’est un matériau qui traverse le temps).
 
En l’an 600, en Lydie (Grèce), sur les marchés, on a commencé à mélanger l’or avec d’autres métaux précieux. Dans la foulée, le roi Crésus a eu l’idée de découper des petits morceaux d’or et de les estampiller avec son sceau. À partir de ce moment, c’est désormais le sceau royal qui a indiqué la valeur, et non la quantité d’or. Crésus s’est donc enrichi puisqu’il récupérait la différence de quantité d’or entre la valeur indiquée par le sceau et la quantité contenue dans la pièce.
 
Au Moyen-âge, les voyages étaient longs et dangereux. Les orfèvres ont eu l’idée de donner des certificats de dépôt en échange de l’or des voyageurs qui, une fois arrivés à leur destination, récupéraient leurs biens en échange du certificat. Peu à peu, 30 % de l’or n’est plus sorti, car les certificats s’échangeaient entre eux. Le papier n’avait aucune valeur en lui-même. Seulement par le chiffre inscrit dessus.
 
À la Renaissance, il y a eu de plus en plus de demandes de prêts auprès des orfèvres (qui deviennent peu à peu banquiers). C’est la naissance du crédit (étymologiquement, credere : croire). Avant on devenait riche en faisant croître ce qui existait, maintenant on le devient en croyant en l’avenir.
 
De nos jours, la monnaie est supérieure à l’or (c’est Nixon qui a aboli la convertibilité du dollar en or en 1971) et les certificats sont devenus des billets standardisés.
Le dollar (comme l’euro, le wan ou le yen aujourd’hui) est une monnaie fiduciaire, elle n’a de valeur que par rapport à ce qu’elle peut acheter.
 
La monnaie citoyenne ramène de la valeur au système monétaire, c’est une force de vie, elle ne fait pas que compter (c’est le principe du label : il compte ce qui a de la valeur pour nous). Et c’est une monnaie de confiance : elle ne mélange pas ce qui détruit et ce qui est force de vie.
 
Aujourd’hui, la monnaie est potentiellement multipliable à l’infini (85 % est virtuelle, c’est-à-dire reposant sur le crédit). Elle est fabriquée par des entreprises privées (banques) qui font de l’argent sur la rareté de la monnaie. Elle est surabondante sur les marchés financiers, et rare pour les entreprises réelles.
 
Ceux qui fabriquent la monnaie n’ont aucun intérêt à faire que la monnaie soit abondante. En la maintenant rare, tout le monde s’endette (États, citoyens, entreprises…). Si elle était abondante, on pourrait augmenter les revenus, créer des entreprises, de la production, etc.
 
Dans les années 1980, la dette française était de 200 milliards d’euros ; en 2010, elle est passée à 1 200 milliards d’euros, avec grosso modo les mêmes dépenses. La différence – 1 000 milliards d’euros – correspond aux intérêts. Quel est le service rendu par les institutions bancaires pour qu’on leur donne autant d’argent ?
 
Petit jeu autour du PIB (Produit intérieur brut – qui est, en fait, la somme des richesses échangées en monnaie).
 – Exemple 1 : trois citoyens-producteurs : le 1 achète 1€ le stylo de 2, et le met dans le PIB. Avec l’€, 2 achète le stylo de 3, le met dans le PIB. Avec l’€, 3 achète le stylo de 1, le met dans le PIB. Au final, le PIB vaut 3 stylos (3€) et le 1€ est toujours en circulation. Ca coûté 0€ car l’€ est revenu à la personne de départ. La richesse s’est donc créée grâce à l’échange.
– Exemple 2 : 1 achète le stylo de 2, 2 s’en va avec l’€ (sur le marché de la spéculation, où les échanges se font à la nanoseconde). Les 2 personnes restantes vont emprunter (avec intérêts) à celle qui est partie, et à la fin, elles lui donnent leur production (les stylos). Au bout d’un an, la capacité de production est de 0€ et ça a coûté 1€.
Moralité : la richesse se crée quand la monnaie circule !
 
Les transactions monétaires
On peut distinguer quatre grandes catégories de transactions :
– les transactions de l’économie réelle (monnaie contre biens de service) ;
– les transactions financières (monnaie pour financer des entreprises, contre des titres ou des actions dans l’entreprise) ;
– les transactions de change (j’achète aux USA un bien en dollars que je change à la banque) ;
– les transaction de couverture de risques (on se garantit de la hausse ou de la baisse de produits achetés : par exemple, du béton pour la construction d’un barrage sur 20 ans).
 
Sur le marché mondial, en 24 heures :
                        – de minuit à 0h45, toutes les transactions de l’économie réelle sont terminées ;
                        – de 0h45 à 1h30, on a financé toutes les transactions financières ;
                        – de 1h30 à 2h15, tous les échanges en devises réelles ;
                        – de 2h15 à 8h, échanges de devises spéculatives ;
                        – de 8h à minuit, ce ne sont que des transactions de couvertures de risques
De 2h15 à minuit, ce n’est donc que de la spéculation.
Le moteur des spéculations, c’est la dette.
 
Le Sol Violette
Le Sol circule dans un bassin de vie concret, au sein d’un réseau d’acteurs économiques qui sont des collectivités locales, des entreprises et des citoyens. On ne peut pas le dépenser à New York. C’est une monnaie enracinée.
 
Pour faire partie du réseau de circulation, il faut l’agrément du CLAS (comité local d’agrément du Sol), à renouveler tous les deux ans. Les critères pour être agréé portent sur l’humain, la nature, l’engagement, les conditions salariales, etc. Le CLAS fonctionne sur une base démocratique de consensus : tout le monde doit tomber d’accord. S’il y a une objection, la décision ne peut être prise que si la personne retire son objection (elle peut ne pas être d’accord mais consentir au point de vue des autres). Sinon on décide au 2/3 des voix.
 
On a bloqué une certaine somme d’argent en euros sur deux banques :
–  le Crédit Municipal, qui prête sous forme de microcrédit à taux zéro à des précaires ;
                  le Crédit Coopératif, qui fait des prêts pour des activités de développement durable ou d’économie sociale et solidaire.
                   
Le Sol est donc un coupon de dette. On a créé de la monnaie, mais au lieu de l’injecter « en haut », on le met « en bas », vers ceux qui en ont besoin.
 
Les ménages peuvent échanger auprès des deux banques. Pour 100 €, on leur donne 105 Sols (1 € d’intérêt tous les 20 €). Le billet Sol est, en quelque sorte, l’équivalent du certificat de dépôt d’antan.
C’est une monnaie qu’on ne peut pas thésauriser. Un billet Sol non mis en circulation se périme. Un Sol, en circulant deux fois plus qu’un euro, multiplie les échanges.
Les entreprises peuvent également échanger leurs Sol aux deux banques ou en offrir à leurs clients au lieu de faire des remises de prix.
Les collectivités territoriales : la mairie peut transformer 30 000 € en Sol pour un investissement destiné aux entreprises (c’est exactement comme un chèque restaurant).
 
Il y a 8 000 adhérents et 100 prestataires de produits de base (alimentation, vêtements, tapisserie, peinture, carrelage, sport, culture, MJC, transports doux – vélo, auto en partage, métro et bus, assurance Macif…). C’est peu, mais cela vaut mieux, car c’est une expérimentation anticipatrice qui fera des petits. C’est une autre façon de penser.
 
Pour conclure
Le poids du sel dans un corps est infime, mais si on enlève ce sel, on meurt. Ce n’est pas la quantité ou la grandeur qui importe. Si ce que je fais est juste, alors je dois continuer à le faire.

Cloé Lorendeau

Le dimanche 16 décembre 2012, dans le cadre de notre chantier sur la propagande, nous écoutons Cloé Lorendeau qui est l’animatrice de l’Accorderie de Chambéry et qui est par ailleurs participante du chantier.

 
L’Accorderie de Chambéry
 
1-    Histoire
 
Il y a 12 ans, un couple de chambériens travaillant dans l’économie sociale et solidaire vient s’installer au Québec. Il rencontre des gens du quartier St Rock, à Québec, qui sont dans l’échange de services non monétaire (proche du fonctionnement des SEL et RRES).
Au Québec, la problématique principale étant la nourriture chère, ils créent un groupement d’achat et font des commandes en gros directement auprès du fournisseur. Ceux qui s’occupent des commandes donnent des heures de service. Chaque membre du groupement donne 1 heure de service contre 1 heure de service.
Une autre problématique est le crédit. Là-bas il y a un prêteur sur gage à chaque coin de rue qui prête à des taux très élevés. Est donc mis en place un système de micro crédit, les gens remboursent quand ils le peuvent et sans intérêt.
Au Québec, il y a 5 Accorderie. Celle de Québec compte 900 membres.
 
Les deux chambériens sont revenus à Chambéry avec le désir d’y créer une Accorderie. Au sein de l’association « La monnaie autrement » ils réfléchissent depuis 3 ans aux questions d’économie et de monnaie.
Ils rencontrent des gens de la Fondation Macif (qui finance quelques projets d’innovation sociale et solidaire) mais qui a déjà lancé un appel à projet pour trouver une structure qui porterait ce projet innovant. C’est la Régie de quartier du 19ème arrondissement à Paris qui l’avait l’emporté. Ils argumentent et au final, en 2011, 2 Accorderies sont crées, l’une à Paris, l’autre à Chambéry.
 
Trois types d’échange :
 
1– 1h de service contre 1h de service (informatique, garder un animal, arroser les plantes, ménage, créer document Power Point, jonglage, déménagement, etc. Les soins, le psy et le social sont exclus).
Chacun a son espace membre sur Internet avec son compte bancaire de temps. Il commence avec un crédit de temps de 15h afin de rencontrer des gens, d’imaginer quel service il peut proposer. Ceux qui n’ont pas Internet viennent au local et sont tenus au courant par courrier.
 
2– Se dire ce qui ne va pas. On se rencontre et on bosse sur les points soulevés. On évite ainsi que les gens partent quand ils ne sont pas contents. Autant que possible, les gens s’approprient les sujets même si c’est Chloé qui centralise les infos. Tout ce temps passé en réflexion sur le fonctionnement est compté en heures de service.
 
3– Achats en commun : sont posées quelques lignes directrices mais il n’y a pas encore d’élaboration.
 
 
2-    Fonctionnement, à Chambéry
 
Les financeurs :
– La Macif : 20 000€ par an pendant 3 ans (ce qui représente le salaire de Chloé + location du local + charges + matériel, fournitures). La Macif s’engage à trouver un financeur au bout de ces 3 ans.
– La Région Rhône-Alpes : 10 000€ (15 000 ?). On travaille (en lien avec des régies de quartier, des centres sociaux et des foyers de jeunes travailleurs) à un partenariat dans la durée pour développer d’autres Accorderies,
– La ville : environ 5 000€, ponctuellement.
Trouver des financements est un gros travail. Il faut aussi être très vigilant quant aux contre-parties réclamées.
 
L’association  La monnaie autrement a 3 projets :
– Le Sol (monnaie locale. Le projet démarre l’année prochaine)
L’Ecosol (Projet qui débute dans 3 mois)
L’Accorderie
La monnaie autrement a un CA et Marion gère l’association. L’Accorderie a un conseil d’Accorderie (qui soulage le travail du CA) composé d’un membre de la Macif, 3 représentants du secours catholique, 3 de la Régie de quartier, 5 accordeurs (membres de l’Accorderie), 5 membres de La monnaie autrement, Marion et Chloé. Chloé gère l’Accorderie.
 
Pour créer une Accorderie, il faut passer par la Macif. 500 demandes actuellement. La charte stipule que ce soit un projet d’habitants (local), qu’il y ait des gens de toutes les expériences de vie, de tous niveaux sociaux et pas forcément sensibilisés à ce genre d’expérience.
 
– Notre banque est la Nef.
– Pas besoin d’avoir des papiers pour être membre
– De la création de l’Accorderie (2011) à janvier 2012 : 50 accordeurs. En juillet : 160, aujourd’hui : 237.
– Un auto-entrepreneur ou quelqu’un qui travaille en libéral ne peut pas proposer un service qui correspond à son métier. Il y a le risque que ce soit considéré comme du travail au noir et comme concurrence déloyale.
L’Accorderie présente une plus grande diversité de gens que les Sel. Cette diversité relève de la responsabilité du salarié de l’asso qui va chercher les gens là où ils sont : bars, cages d’escaliers d’immeubles, etc.
– On essaye de travailler avec les politiques en restant vigilants sur les contreparties – sinon, certains pourraient penser que grâce à eux, on achète la paix sociale.
– A propos du déficit consommation, l’idée est que chacun soit responsable de son compte. A chaque service rendu, un chèque-montant est donné à la personne qu’on paye. Le chèque revient à Chloé qui fait la transaction sur les comptes. Si un accordeur est en gros déficit d’heures, on en parle. Par exemple, en prévision d’un déménagement (qui coûte beaucoup d’heures), on apprend à prévoir, rendre des services, faire connaître ses services pour qu’il y ait de la demande.
Beaucoup de gens donnent beaucoup et n’ont besoin de rien. Chloé les titille, leur présente les propositions des autres, etc. Elle fait du lien.
– La confiance a des limites, bien-sûr, mais pour l’instant ça fonctionne.

Anthony Brault

Le 15 décembre 2012, dans le cadre de notre chantier sur la propagande, nous avons travaillé une journée avec Anthony Brault qui est de la structure « Le Pavé ». 
 
Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Anthony Brault et peut donc comporter des erreurs. 
 
D’abord une présentation générale puis des ateliers
 
  Le Pavé est une scop créée pour faire de l’éducation populaire, elle existe depuis 5-6 ans. Elle propose aussi des conférences gesticulées.
Une conférence est toujours suivie d’ateliers-désintoxication de la langue de bois. On y découvre la puissance des mots sur notre rapport au monde.
Si je n’ai pas les mots, je ne peux pas les penser donc je ne peux nommer ce qui se passe.
 
  Exemple des travailleurs sociaux qui il y a 30 ans appelaient leur public des exploités. Aujourd’hui ils sont devenus des défavorisés. L’emploi du mot exploités implique qu’il y a des exploiteurs, il nomme donc un processus. Défavorisé n’implique pas des défavoriseurs, le mot n’existe pas. Il indique un état, pas un processus. Les anciens savent se quoi ils parlent puisqu’ils ont connu l’ancien mot. Pour les jeunes, le changement de mot implique un changement de métier. Avec les défavorisés on fait de l’insertion, de l’intégration. La faute n’est plus de l’autre côté. On ne pense plus les choses de façon politique.
 
Nota : nous sommes soumis aux messages publicitaires à raison de 700 à 1000 par jour.
 
Recenser, décoder la langue de bois
 
Les figures de style  de la langue de bois 
Remplacement des mots par des sigles : medef, sdf, crs, caf, drh, toc, rgpp, cac 40, etc.
Avant sdf, on disait clochard. Sdf est un mot technique, neutre, froid.
Des travailleurs sociaux qui parlent entre eux dans leur jargon donnent l’impression d’un langage d’experts d’où on est exclu, un langage d’initiés.
Les sigles peuvent aussi changer de contenu, exemple la scop était une société coopérative ouvrière de production, aujourd’hui c’est une société coopérative participative !
 
Les euphémismes
Pour les vieux, on dit personne âgée, ou 3ème âge, jeune retraité, sénior, l’âge d’or…
Sourd est remplacé par malentendant, handicapé : personne à mobilité réduite…
1/3 monde impliquant l’existence d’autres mondes (le 1er et le 2nd) est remplacé par pays sous développé, en voie de développement, émergent…
La zone, les faubourgs, la banlieue deviennent des zep, zup, zus…
L’euphémisme cache une réalité. Tous les 5 à 10 ans on change de mot car le mot finit par dire à nouveau ce qu’il désigne.
Le plan de licenciement est devenu plan de sauvegarde de l’emploi. D’ailleurs on a inculqué aux  jeunes cadres que les ouvriers ne comprendront pas que ce plan est pour leur bien.
 
L’oxymore
Deux mots côte à côte qui s’opposent (mots antagonistes)
Exemples : égalité des chances (le lièvre et la tortue sur la même ligne de départ), croissance négative, national-socialisme, forte minorité, discrimination positive, dommages collatéraux, frappes chirurgicales, commerce équitable.
 
Le pléonasme
2 mots dont Le 2ème répète le 1er.
Exemple : Démocratie participative, lien social…
Le pléonasme adoucit, gomme les conflits, entretient la confusion.
 
Tous ces mots sont nouveaux, apparus en 20 ans, en une génération.
Ils nous sont répétés. Les formules sont dites en 3 secondes, il faudrait à chaque fois 3h pour les expliquer, démonter de mécanisme qu’elles induisent en nous.
 
Les mots interdits
camarade, lutte des classes
 
  La langue de bois, c’est la langue de l’idéologie dominante. Elle a ses experts – économistes, publicitaires, journalistes, lobby, technocrates, politiques, grandes écoles, consultants, Think tanks…
Les Thinks tanks sont des sociétés qui inventent des mots pour la propagande. Ils prennent de plus en plus d’importance auprès des politiques.
Nous aussi on invente du langage, des mots, mais dans les évolutions de la langue, il y a celles qui sont de l’ordre de l’intention cynique de détourner le peuple de la compréhension de ce qui se passe.
 
Les anglicismes
Exemples : manager, leader ship, business, open space, call center, team, dead line, burn out, timing, hotline, holding (multinationale), hotdesking (bureau chaud – pas assez de bureau pour tous, donc ceux qui arrivent en avance sont certains d’en avoir un).
C’est moderne, branché et empêche l’analyse. C’est le modèle américain.
Une des causes de la progression de tous ces termes est que toutes les grosses boîtes parlent anglais.
 
Trois causes à l’évolution de tous ces mots
– Nous
– Les experts qui nomment techniquement mais sans volonté de complot
– Les Think tank qui sont des groupes d’intellectuels organisés. Leurs clients sont les partis politiques, les multi nationales et les gouvernements. Ils ne sont pas cachés, ont des bureaux, des secrétaires etc. Chaque parti a son Think tank (pour le PS c’est Terra Nova).
L’ocde en est un qui réfléchit sur l’organisation pour la coopération et le développement économique.
Le pnac, projet pour un nouveau siècle américain. Ses conseillers (on les appelle les faucons de la maison blanche) réfléchissent pour que les USA restent la 1ère puissance mondiale au XXIème siècle, que le gouvernement soit de gauche ou de droite. Ils connaissent en effet mieux les rouages que les nouveaux gouvernants. Ils ont pignon sur gouvernement.
 
  Tous ces nouveaux mots servent à masquer les conflits sociaux. Marcuse a écrit un livre dans les années 70 expliquant qu’à terme, on ne pourra plus lutter car tous les mots utilisés par le néo-libéralisme sont positifs (alors que les anciens – lutte des classes, révolution etc. sont négatifs). Il faudrait démonter plein de choses pour analyser. Et puis on enlèverait le rêve, le besoin de positif des gens.
 
La propagande utilise des mots simples, répétés et qui s’adressent à l’émotion. C’est la publicité qui utilise le mieux ces techniques.
 
Les Ateliers que nous avons faits sur les propositions d’Anthony :
Nous ne reproduisons pas ici tout ce que chaque atelier à produit car ce serait trop long. Nous retenons notre envie de continuer à les mettre en pratique dans notre quotidien.
 
1      Le vrai message de la pub (écrire sur un papier posé sur l’affiche son vrai message) : un groupe est allé dans la rue coller ses papiers sur les pubs, deux groupes sont restés à l’intérieur et on pris des pubs dans des journaux. On retient  Véolia blablabla, plus de marée noire grâce à Total, Perfect-intérim précarise, Adéco : vendez vos copains pour 100 euros de plus, Lancome : mes boutons et ma verrue ont disparu. Si tu veux 100 euros de remise, donnes m’en 2000….
 
 
2      Voici le cr d’un des groupes sur la pub :
Ballantines : slogan : « Laissez votre empreinte »
– Entrez dans le monde de Ballantines, vous serez bourré chic
– Après 3 verres de Ballantines, on ne vous oubliera pas
Land Rover : en titre : Defender hard top edition limitée. Slogan: Un baroudeur qui a du style
– Si vous achetez cette voiture, vous serez protégé même en temps de guerre
– Si vous achetez cette voiture, même la guerre ne vous résistera pas
– Si vous achetez cette voiture, vous serez en sécurité, même en temps de guerre
Celelem : image : nounours vert. Slogan : avec cetelem, bénéficiez d’un crédit attractif et responsable
– Grâce à Cetelem, vous serez responsable de votre endettement
– Endettez-vous avec le sourire
– Le gentil bonhomme cetelem ne s’occupera de rien quand vous serez dans la merde 
 
2      Visite du supermarché (trouver chacun le produit le plus débile, le produit le plus foutage de gueule et le produit avec le packaging le plus balaise. Puis se réunir aux fruits et légumes pour élire ensemble les meilleurs produits dans chaque catégorie) ; On retient un papier toilette de luxe noir et cher, le fameux désodorisant pour poubelle, les simples épices à 250 euros le kg, les croquettes pour chat au menthol pour l’haleine…
 
3      Le conférencier (selon le modèle de la conférence gesticulée de Franck, s’entrainer à faire des conférences langue de bois). Trois groupes s’y collent et nous rions beaucoup.
 
4      Article de journal, l’implicite (réécrire tous les implicites d’un article en explicites). Le groupe a eu un article très explicite au contraire, de parti pris fort. Il a retenu que l’on parle des habitants de la Chataigneraie en disant les chats teigneux et qu’une commission du dialogue était créée ;
 
5      Lettre de rupture amoureuse en langue de bois (JiJi, Driss et Claudine nous lisent leurs incroyables lettres de rupture en langage managérial)
 
 Le SMS « néo-romantique » :
Nos deux fortes personnalités me submergent en partie comme un brouillard. J’ai compris qu’il
faut une conclusion à notre entreprise. Mes hommages.
 
Lettre « fleurie ».
Très cher ami,
Je te disais, t’en souviens tu, l’autre soir,voici venu  le temps du bilan pour chacun de nous…
Grâce à toi, notre amitié est devenue une source inépuisable d’investissements  rentables…
toute notre énergie nous a rapporté de belles ressources…
Continuons d’ améliorer , à notre façon notre solide relation dans le commerce  équitable …
Depuis notre association, j’ai engrangé de considérables bénéfices..
Le constat ainsi fait, j’en déduis qu’il est de mon devoir de marquer de manière conséquente notre précieuse collaboration…
Ca tombe sous le sens…, pour symboliser l’évènement, a bien y réfléchir, je crois que cela mérite une petite fête…
Contre vents et marées, je reconnais  volontiers avoir,  auprès de toi, tiré de sacrés profits…
Par le fait, j’ai décidé de marquer positivement le coup..
Pour faire durer une relation telle que la notre
Faut se renouveler, voire même… oser innover.
Entre nous , force est de constater qu’on s’essouffle à deux…
De ce fait, j’accepte donc, le bouquet de  roses rouges, promis avant hier…
Tu sais, je compte vraiment sur ta grande délicatesse pour honorer notre amour par ce geste galant….
Pour te remercier de ta grande fidélité, à mon tour, je te ferai livrer des roses…sans épine (s )..
consulte .. le langage des fleurs, elles seront d’un jaune éclatant…!
 
– Lettre « industrie amoureuse ».
Laurence Paris Sot,
MEDEF (Mouvance Ensemble pour la Défense des Enfants et de la Famille)
55 avenue Bosquet
75007 Paris
 
Cher partenaire,
 
Je me souviens avec grande émotion notre premier Speed Dating au Touring Club, place de la Concorde. Pendant une belle décennie notre rencontre s’est transformée en une magnifique aventure, fort innovante, au cours de laquelle nous avons défrichés de nouveaux territoires. Je me rappelle encore ce Hot Beding permanent, sans cesse tenu par les places boursières. Pour tout cela, cher partenaire, je tiens à te rendre hommage.
 
Infortunément, notre union a été fragilisée par une concurrence trop rude ; par manque de flexibilité, tu as fini par perdre ta compétitivité ; nos crises ont fini par devenir structurelles…
J’ai donc du me diversifier en accueillant d’autres partenaires plus perméables à mes projets.
 
Ainsi ai-je le regret de te communiquer mon intention de liquider notre affaire malgré les différents Plans de Sauvetage de notre Couple.
Je te souhaite de te redresser promptement afin de retrouver la digne place que tu mérites sur le libre marché.
 
Avec gratitude,
Laurence Paris-sot
 
 
6      Grille de loto (avec mots de la langue de bois), on coche en écoutant le 20h. Le groupe fait des propositions non encore abouties. Il nous faudra créer une grille en écoutant le 20h.
 
7 Plaquette de comm’ ou doc institutionnel (comme tout le monde…) : Danielle nous lit la plaquette de la bibliothèque présentant le prêt par internet écrite comme un doc des impots.
 
Autres ateliers proposés que nous n’avons pas fait :
– Lettre de licenciement sans langue de bois
– Profil de poste sans langue de bois
– Définir l’arnaque d’un mot (ex : auto-évaluation, optimisation)
– Lettre de refus de payer la redevance
– Faire une demande de non subvention
– Faire une lettre de subvention pour un non projet (ex : discuter avec des jeunes)
– Ecrire un ridiculum vitae (ce qu’on aime vraiment faire)
– On ne dit plus, on dit…
 
 

Philippe Merlant

Le 24 novembre 2012, dans le cadre de notre chantier sur la propagande, nous travaillons  avec Philippe Merlant, journaliste, auteur de « Médias, la faillite d’un contre pouvoir » et membre de la compagnie NAJE. Il utilise des textes de Norman Baillargeon pour son intervention.
Il ne s’agit pas d’une conférence mais d’un moment de travail du groupe. 
 
1/  Philippe Merlant nous fait faire en collectif le questionnaire d’un sondage : le « baromètre de confiance dans les médias », réalisé chaque année par l’institut TNS-Sofres et publié par le quotidien La Croix
Ce sondage comprend les questions suivantes :
1. En général, à propos des nouvelles que vous lisez dans un journal/entendez à la radio/voyez à la télévision/sur Internet, est-ce que vous dites :
« Les choses se sont passées vraiment ou à peu près comme le journal/la radio/la télévision/Internet les raconte. »
         Croyez-vous que les journalistes sont indépendants, c’est-à-dire qu’ils résistent :
         aux pressions de l’argent
         aux pressions des partis politiques et du pouvoir.
 
Nous y répondons ensemble et nous donnons le pourquoi nous avons répondu de manière différente les uns les autres et débattons sur cela et sur la manière même de formuler les questions.
 
Les résultats sont les suivants :
• Pour la confiance dans les journaux : 65 % de « oui » (les choses se sont passées vraiment ou à peu près comme le journal le raconte) dans notre groupe (contre 51 % de « oui » dans le sondage national).
Quelques commentaires : « Les journaux que je lis, je leur fais confiance » ; « On choisit ce qu’on veut bien nous dire, on nous dit pas tout » ; « Je crois ce que je lis, mais vais aussi voir ailleurs ! » ; « Ce qui est écrit ne se marque pas dans ma tête » ; « La presse quotidienne régionale est en train d’être bousillée par la mutualisation des contenus et la standardisation ».
• Pour la confiance dans la radio : 50 % de « oui » dans notre groupe (58 % dans le sondage national).
• Pour la confiance dans la télévision : 2 % de « oui » dans notre groupe (48 % dans le sondage national).
Quelques commentaires : « C’est vraiment un outil d’abrutissement » ; « Un outil à décerveler » ; « C’est toujours très court » ; « Le montage des images permet de dire ce qu’on veut » ; « La succession des images est vraiment insupportable » ; « Chaque info est présentée comme un show » ; « Les ficelles sont encore plus visibles à la télé » ; « Les faits peuvent être vrais, mais ça ne nous dit rien sur l’état du monde » ; « C’est le concours pour avoir le meilleur Audimat » ; « Il y a parfois des mensonges : j’ai été présentée comme une syndicaliste… alors que je ne le suis pas ! »
• Pour la confiance dans Internet : 50 % de « oui » dans notre groupe (37 % dans le sondage national).
• Pour l’indépendance des journalistes par rapport au pouvoir de l’argent : 80 % de « non » (ils ne sont pas indépendants) dans notre groupe (59 % dans le sondage national).
• Pour l’indépendance des journalistes par rapport au pouvoir politique : 90 % de « non » dans notre groupe (66 % dans le sondage national).
 
2/ Nous nous séparons en  8 groupes, chacun étant chargé de préparer une improvisation à partir d’une des  campagnes de propagande faite par E.  Bernays :
         remettre au gout du jour les chapeaux,
         remettre au gout du jour le velours,
         doper les ventes du savon Ivory,
         amener le public a aimer les ballets russes,
         faire en sorte que les femmes se mettent aussi à fumer,
         détruire le tramway afin de développer l’industrie automobile,
         faire passer l’intervention  de la CIA au Guatémala pour y mettre un président qui rende les terres prises à une entreprise par l’Etat ,
         faire accepter la guerre en 1917 avec la commission Creel)
Voir les situations dans le doc joint (copié collé tiré de la préface  de Propaganda faite par Baillargeon
 
3/ Nous voyons en grand groupe les différentes improvisations relatant ces campagnes de propagande puis échangeons quelques impressions sur ce travail. Parmi les commentaires des uns et des autres :
« Nous sommes sensibles à la propagande quand nous entendons ce que nous avons envie d’entendre »
« Ça joue beaucoup sur l’affectif »
« Il faut une tierce personne qui relaie le discours propagandiste : après, ça se propage comme une épidémie »
« La propagande par le témoignages personnel fonctionne très bien, c’est même un peu effrayant ! »
« Le contenu importe moins que la forme »
« On utilise des arguments pseudo-scientifiques »
« La propagande utilise le rapport au plaisir, mais aussi à la culpabilité »
« Il y a aussi le pouvoir de l’argent, la corruption »
« La bonne propagande ne dit jamais son objectif »
« Nous sommes tous victimes, malgré nous, de cette propagande : comment sortir de là ? »
« La propagande, c’est quand il n’y a aucune opposition possible face à un discours »
« La propagande vante toujours le mouvement, la bonne santé, le dynamisme, la jeunesse »
 
4/ Nous prenons connaissance d’un texte de Philippe à partir de Baillargeon décrivant quelques procédés de manipulation et nous mettons en sous groupes avec des journaux pour les y rechercher les procédés.
 
 5/ Nous rendons compte en grand groupe de ce que nous avons trouvé dans les journaux.
Voici quelques-unes de ces « trouvailles », et les commentaires qui vont avec.
• Dans Les Échos, un article sur le travail le dimanche, qui voit la question à travers le seul angle de la concurrence (et non pas comme un problème social).
• Dans le supplément week-end des Échos, un article sur « Le retour coloré de l’opale » : très « spécial riches », on y apprend notamment que les diamants, c’est devenu terriblement banal (« Il n’y a rien qui ressemble plus à un diamant qu’un autre diamant » !)
• Dans Le Monde, trois brèves évoquant des violences dans des pays musulmans (Mali, Pakistan, Syrie) : « Pourquoi les mettre ensemble ? Sinon pour faire monter l’islamophobie ».
• Dans le journal de la Maif, un article sur l’apnée du sommeil qui se termine en évoquant « des traitements très efficaces ».
• Un supplément au Parisien sur l’artisanat qui est en fait un publi-reportage (mais sans que ce soit clairement signalé)
• Dans Le Revenu :
         des actions en Bourse présentées comme des « stars »
         un jargon technique incompréhensible
         « Le gaz de schiste, une révolution ! »
• Dans un reportage sur Notre-Dame-des-Landes :
         un abus de langage : l’utilisation du mot « squatteur », alors qu’on est sur les terres de paysans
         l’expression « 11 agriculteurs qui parviennent à s’introduire dans le débat national » : plutôt dévalorisante pour le mouvement
• Dans un article de L’Humanité sur le deal à Saint-Ouen, quelques clichés :
         « L’un des greniers à cannabis de la capitale »
         Un dealer n’a pas de copine !
• Dans Marianne, un gros dossier à la « une » : « De quoi la France doit-elle s’excuser ? » avec de grosses ficelles :
–      une liste fourre-tout qui mêle plein de problèmes différents
–      une question qui contient implicitement la réponse
–      des expressions comme « inflation mémorielle »
–      un retour sur l’invasion de la Gaule par Jules César pour « excuser » la guerre d’Algérie
• Dans La Décroissance, une attaque « ad hominem » de Clémentine Autain.
• Dans Charlie Hebdo, une interview de Frédéric Joi qui tourne essentiellement autour de la question : « Mahomet est-il un menteur ou un fou ? »
• Dans 20 minutes, toujours à propos de Notre-Dame des Landes, un encadré mettant l’accent sur les policiers blessés
• Un article du Figaro sur « L’Afrique de Grands Lacs : un gâchis » : « C’est à la fois trop précis, trop abstrait, trop compliqué… Donc on en ressort avec encore plus de confusion qu’avant de lire ! » (plus des expressions à la va-vite, par exemple : « Comme souvent au Congo, la politique du chien crevé au fil de l’eau a prévalu » !)