Rencontres avec nos intervenants

Yannick Kergoat

Dans le cadre de notre chantier sur la propagande, nous avons rencontré, le 21 octobre 2012, Yannick Kergoat, réalisateur, co-réalisateur du film documentaire : « Les nouveaux chiens de garde » 
Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Yannick Kergoat et peut donc comporter des erreurs.
 
D’abord, nous avons visionné le film. 
Puis nous avons discuté à batons rompus avec Yannick Kergoat qui en est l’un des deux co-réalisateurs. 
 
« Si un autre monde est possible, d’autre médias le sont aussi. Mais pour qu’un autre monde soit possible, d’autres médias sont nécessaires. »
 
Attention, cette transcription est une prise de note partielle d’un échange qui n’avait pas vocation à être écrit.
 
« Pour faire ce film, nous nous sommes inspirés de tout le courant critique sur la question des médias  qui a émergé en France il y a une quinzaine d’années. On peux citer notamment deux auteurs, Pierre Bourdieu avec son livre « Sur la télévision » et Serge Halimi, avec son ouvrage « Les nouveaux chiens de garde ». Il y aussi l’énorme travail de l’association Acrimed (http://www.acrimed.org/), dont je suis adhérant.
Nous voulions faire un film pour réveiller les consciences, pour dénoncer la marchandisation de l’information. Le film est un sorte d’état des lieux sur les trois piliers de l’information en démocratie : l’indépendance, le pluralité et l’objectivité. »
 
Questions des participants et réponses de Yannick Kergoat, après le visionnage du film :
 
– On voit bien dans le film l’intérêt que les  journalistes ont, mais ceux qui osent parler, comment le vivent-ils, notamment Michel Naudy ?
 
Yannick Kergoat : Ça lui coûte très cher « d’ouvrir sa gueule », aujourd’hui, il a été mis au placard et il vit dans une certaine précarité. Il a payé sa parole. Effectivement ça a un coût et même sur France 3.
 
– Comment a été reçu votre film ?
 
Yannick Kergoat : Quand on fait un film, il faut le montrer aux journalistes, mais surtout, il y a une règle dans le cinéma, il faut remplir les salles la première semaine pour espérer être programmé et prolongé ailleurs ensuite. On engage donc un attaché presse, chargé de promouvoir le film dans les médias. Nous finalement, on s’en fout de vendre notre film, on veut surtout défendre des idées et refuser les « faux débats ». Du coup, c’est très clivant, il y a ceux qui aiment et ceux qui n’aiment pas. Ceux qui ont adoré, sont les médias plutôt indépendants : La Croix, le Canard Enchainé, Télérama, l’Humanité. Et ceux qui non pas aimé, sont plutôt ceux qui appartiennent à de grands groupes  comme la presse magazine. Un exemple pour la presse cinéma : un journaliste de Première, m’a dit que malgré la qualité du film, il ne pourrait pas en dire du bien car son directeur de la rédaction ne voudra sans doute pas.
Bien sûr, au niveau du nombre d’entrées, on est loin d’Intouchables, mais un bouche à oreille s’est enclenché très vite. Nous avons fait 230 000 entrées, c’est le meilleur score pour un film documentaire « engagé » ces 5 dernières années. Pour donner un ordre d’idée, toutes catégories confondues, les films ne dépassent pas en moyenne les 100 000 entrées. Le film n’est pas sorti dans les grosses salles (UGC, Pathé, Gaumont…), mais dans un large réseau de cinémas indépendants, de salles associatives.
 
– Comment arrivez-vous à tenir votre carrière professionnel, vous travaillez pour des films très commerciaux (notamment Asterix et Obelix…), comment parvenez vous à ne pas utiliser les armes de la propagande que vous dénoncez vous même. Comment gérer le côté commercial de votre film ? Et le travail de Pierre Carles ?
 
Yannick Kergoat : Je gagne ma vie en tant que monteur de films de fiction, A coté de films plus commerciaux, je monte aussi beaucoup de films de cinéma d’auteur. En ce qui concerne mon travail sur « Les nouveaux chiens de garde » il est au croisement de mon savoir faire en matière de film et de mon engagement militant sur la question des médias comme co-animateur d’Acrimed depuis 8 ans. Pierre Carles, fait historiquement parti de ce courant critique sur les médias. A ce titre, il a été l’un des premier à mettre en scène cette contestation sur grand écran. On lui doit beaucoup.
Concernant l’histoire de notre film, Les nouveaux chiens de gardes, c’est un projet à l’initiative de Jacques Kirshner son producteur. Il est venu nous trouver, car il pensait que les médias en France sont devenus un danger pour la démocratie. Les co-producteur institutionnels habituel (télévison – CNC) n’ont pas voulu du film. Jacques Kirchner a donc décidé de le produire seul, avec l’argent de sa société. Difficulté : il aura fallu 3 ans pour faire le film. Avantage : on a travaillé dans une totale indépendance.
La sortie en salle s’est fait via les réseaux indépendants. Il y a eu environs 300 projections-débats partout en France depuis le 11 janvier. ,Ca a permis un vrai contact avec les gens. Aujourd’hui, le film est loin d’être amorti. Nous participons maintenant à beaucoup de projection « gratuite » comme celle-là.
 
– Je découvre… Ce qui me bouscule, c’est l’immensité de la tâche. La parole des ouvriers sur le terrain. Comment on peut traduire ce message là, on a l’impression d’être entouré d’évidences dans ce film. Comment peut-on rejoindre un peu plus ce vent de révolte ?
 
Yannick Kergoat : Il y a quelque chose d’écrasant aujourd’hui dans le système. Très vite on se sent isolé, seul. C’est pas toujours facile de garder la volonté de changer les choses. Les combats perdus sont ceux qu’on ne mène pas. Il faut essayer plein de choses différentes, un film par exemple. On aurait pu ne rassembler que 5000 spectateurs, tant pis, on l’aurait fait quand même.
La question des médias est lié à l’organisation sociale et politique de la société. l’organisation sociale et économique des médias d’aujourd’hui sont liées au modèle néolibéral. Nous on dit : « Si un autre monde est possible, d’autres médias le sont aussi. Mais pour qu’un autre monde soit possible, d’autres médias sont néssésaire ». Les choses sont liées.
 
– En termes d’outils, vous utilisez les mêmes que la propagande, à travers notamment le montage notamment, est-ce que vous vous êtes posé la question ?
 
Yannick Kergoat : Oui on se pose la question. Et c’est parce qu’il est bien monté qu’on fait un bon film. On créé une forme pamphlétaire, mais tout ce qu’on dit est vrai,  argumenté et fait référence à des analyses construites depuis des années. On a toujours voulu que ça soit un film drôle justement pour que le constat ne soit pas trop écrasant. Beaucoup de choses dites dans le film sont connu de beaucoup de gents. Le films en fait une synthèse, offre un paysage sur ces questions. Par exemple, la montée des faits-divers dans les médias, tout le monde l’a vu. La difficulté, finalement, c’est qu’est-ce qu’on propose ? Une transformation radicale et profonde des médias, via Acrimed notamment.
 
– Avez vous d’autres projets ?
 
Yannick Kergoat :  Oui, une autre film avec Jacques Kirshner, sur le thème de la construction européenne.
 
– Ce qui m’a interpellé, c’est le moment où on parlait des banlieues, est-ce que les médias ne sont pas dangereux ? Ils bourrent la tête des gens.
 
Yannick Kergoat : Les médias dominants quand ils parlent des quartiers populaires s’intéressent qu’à la sécurité des biens et des personnes et jamais des autres « insécurités » : sur le logement, l’emploi, la santé, l’éducations… Oui la montée des faits divers dans les médias a des conséquences. Ils stigmatisent les populations et contribuent à la montée du front national. Ce n’est pas la seule raison, mais c’est incontestable.
 
– Avez vous interviewé des personnes connues, et quelles étaient leurs réactions ?
 
Yannick Kergoat : Non, ce n’était pas notre but. On a pris la parole pour dire ce qu’on avait à dire. Il y a eu des réactions de journalistes qui ont dit : « c’est un film à charge, vous ne nous donnez pas la parole à ceux que vous attaqué », comme s’ils ne l’avaient pas assez ! Mais faire la critique des médias, ce n’est pas faire de la contrepropagande. Notre objectif était d’abord de rendre visibles les mécanismes.
 
– Comment ça se passe dans les écoles de journalismes ? Les étudiant ne sont-ils pas formatés ?
 
Yannick Kergoat : La question de la formation des journalistes n’est pas traitée dans le film mais elle est importante. Il y a aujourd’hui 29400 journalistes en France. Ils sont titulaires de la carte de presse sur des critères de ressources : 51% de leurs revenus doivent provenir d’un organe de presse. Mais les journalistes sont multiples et les réalités professionnelles sont extrêmement différentes. Il y a 30 % de journalistes précaires aujourd’hui. Depuis 3 ans, le nombre de journalistes n’augmente plus,  notamment à cause de plans sociaux. Un journaliste précaire est évidemment plus « corvéable » et « malléable » par celui qui l’emploi.
Il y a des formations qualifiantes au journalisme, mais ils ne forment pas du tout à la théorie. Ils forment à la pratique des grosses entreprises de presse. A lire, « Les petits soldats du journalisme » de François Ruffin. Pour les écoles les plus prestigieuses qui forme l’élite du journalisme, ce sont des écoles, privées ou publiques, qui recrutent à bac + 4 ou 5, donc à un niveau ou les enfants des classes populaires ne sont quasiment plus présents.
 
– Est-ce que vous avez participé à beaucoup de débats?
 
Yannick Kergoat : On a beaucoup accompagné le film. On a fait presque 300 projections débat comme aujourd’hui. C’est une manière de lutter contre l ‘hégémonie des médias dans l’espace public. Il faut réhabiliter un autre espace public. Si on prend l’exemple du référendum européen, en 2005, 90% du commentaire médiatique était favorable au traité. Mais les gens ont discuté entre eux, ont lu le traité, ont organisé des réunions et ça a suffit à discréditer le pouvoir médiatique. Les médias n’on que le pouvoir qu’on leur donne.
 
– Suite aux élections, il y a eu la création d’ateliers au front de gauche, qu’en pensez vous ?
 
Yannick Kergoat : Oui le front de gauche était l’un des rares parti à porter un programme conséquent de transformation de l’ordre médiatique actuel.
 
 
Bilan des passages « préférés » , marquants, révoltants du film pour les participants de notre groupe :
–       « La séquence des experts qui n’ont pas voulu voir arriver la crise de 2008 »
–       « L‘histoire des journalistes en ménages »
–       « La paresse intellectuelle de tous ces gens »
–       « Laurence Parisot : pour moi l’entreprise c’est une grande famille »
–       « J’ai aimé voir les visages de tous ces gens à l’origine et acteurs de cette situation. Des humains en face de nous, qu’on puisse mettre des noms dessus. »
–       « Les fausses histoires sur la vie des gens, l’exemple de l’émission de Drucker »
–       « La séquence avec l’épidémiologiste sur la réussite anglaise »
–       « Le regard d’amour entre Lagardère et son salarié dans l’émission de Drucker »
–       « Les masses dangereuses »
–       « J’ai trouvé Yves Calvi, t-un peu lourdaud »
–       « Ces gens de tous bord politique au pouvoir »
–       « Le fait divers qui dure avec des scoops pendant plus de 15 jours, exemple de Grégoire ou du notaire »
–       « Regard paternaliste des journalistes qui demandent d’appeler au calme »
–       « La théâtralisation des débats entre les personnes qui feignent d’avoir des avis différents »
–       « Dans les images de banlieues qui crament, on montre toujours les mêmes images, les mêmes villes, les mêmes cités »
–       « Le respect des 30 secondes de silence du monteur, suite à la séquence où il est dit : les écossais meurent plutôt que les indiens »
–       « Xavier Mathieu de CGT Continental qui répond à Pujadas : Vous plaisantez j’espère ? On regrette rien… »
–       « Aujourd’hui encore on parle de Vaux en Velin »
–       « J’adore ce paysage reconstitué en bloc, c’est une force incroyable »
–       « Ce n’est pas un film de propagande, ce n’est pas un film dénonciateur, c’est un film qui met en scène et qui rappelle les modèles du théâtre forum. »
–       « Même quand on essaye, on se rend compte qu’on est endoctriné si on en cherche pas vraiment à sortir des boîtes »
–       « Il faut lire le monde Diplomatique »
–       « J’ai deux enfants en formation cuisine, j’aimerai bien qu’ils soient embauchés dans ce restaurant le dernier mercredi de chaque mois et qu’ils aient quelques problèmes gastriques (journalistes, politiques et financiers) »
–       « Ok pour le monde diplo, il faut aussi lire médiacritique »
–       « Si on enlève les 15 mots souvent utilisés par les journalistes, ils ne sont plus capable de faire une phrase »
 

Patrick Viveret

En 2006, dans le cadre de notre chantier sur Les alternatives,  nous avons rencontré Patrick Viveret, philosophe.

Attention, notre compte rendu n’ayant pas été relu par Patrick Viveret, il peut comporter des erreurs.

Le compte rendu

Il n’y a de vraie posture transformatrice que si on va soi même aussi loin que possible dans la capacité à changer sa vie. Sinon, on compense ses manques personnels et on les fait payer dans les luttes collectives (la toxicomanie, et cf. la révolution soviétique où ça a fini par une captation de pouvoir aussi dangereuse que la captation de richesses des capitalistes, cf. à l’intérieur des partis politiques actuels et des groupes).

Par exemple Gus Massiah a été entre autres à l’OCT (extrême gauche, qui rassemblait maoïstes et trotskistes). Il raconte qu’il a été vacciné : un jour en réunion de bureau politique, il y avait de nombreuses tensions et conflits sur différents sujets et stratégies et il dit : heureusement qu’on ne prendra pas le pouvoir car vu le climat de notre réunion…).

Plus on veut des transformations radicales, plus il faut travailler sur les personnes pour rêver approcher autrement la richesse, le pouvoir, le savoir.
Le conflit n’est pas quelque chose de gênant, c’est même une alternative à la violence. Au contraire, la violence, c’est quand les conflits n’ont pas émergé assez tôt. Il faut produire des conflits comme alternative à la violence.
Il faut que les gens s’autorisent à coopérer ensemble y compris pour leur bien-être personnel. (se faire du bien, s’autoriser à se faire du bien, c’est possible y compris dans des situations qui peuvent a priori sembler difficiles).
Notamment en ce moment face à la montée des sentiments de peur et d’impuissance.

Il faut par exemple savoir ce que l’on met derrière les mots (les mêmes mots avec des contenus et des émotions différents).

Au Forum Social Européen, à Saint-Denis, on avait travaillé sur les mots les gestes et les symboles du mouvement altermondialiste. On avait choisi des mots et on réagissait avec des cartons de couleur sur les mots proposés. Sur  » société civile « , plein de cartons verts pour l’Amérique Latine et des cartons rouges provenant des français. Donc, avant de comprendre pourquoi des rouges ou pourquoi des verts, c’est bien de pouvoir s’en rendre compte.

Autre exemple, on a organisé une rencontre à Main d’œuvre sur le produit intérieur doux (PID). C’est né du Parlement de la rue de Viviane Lobry planté un mois en face du Parlement au Québec. Et du coup, certains ministres ont accepté de traverser la rue et les manifestants leur ont proposé un carrefour des savoirs. Le ministre des finances notamment est venu. Le carrefour des savoirs a commencé avec une réunion par semaine. Au début chacun a exposé à l’autre puis cela s’est croisé de plus en plus. Et un jour ils ont eu un exposé sur le PIB et là des gens du collectif ont dit qu’il y avait des richesses pas comptées et des destructions non plus. Ils en sont venus à proposer le produit intérieur doux et les dépenses intérieures dures (enregistrer les souffrances sociales et les destructions).

A Main d’œuvre il y avait un atelier musical qui faisait prendre conscience qu’on pouvait être une personne individuelle et en même temps faire partie d’un groupe et y apporter et le groupe apprenait à faire ensemble et que tous soient entendus (que personne ne fasse plus de sons que les autres).

La croissance des inégalités provoque de grandes régressions sur le plan émotionnel. Deux sortes de victimes : les pauvres et précaires, mais aussi les personnes qui ont été avant en ascension sociale (la classe ouvrière, les personnes immigrées) voient leur ascension sociale bloquée. Elles devraient se retourner contre les dominants mais en réaction émotionnelle elles se retournent vers les plus en difficultés ( » on en fait trop pour les immigrés, trop pur les rmistes « ) et là c’est dangereux car cela peut entraîner la guerre.
Si on veut agir sur cela il faut produire du conflit à la place de la violence et là s’organiser pour aller mieux ensemble est absolument nécessaire.
Se faire du bien ensemble, ça veut dire quoi ?
Exemple : Attac : crise relationnelle et émotionnelle car les enjeux émotionnels sont toujours rejetés, non dits. Mais le non dit est toujours plus destructeur. Mais quelles solutions trouver pour aborder cela car c’est un magasin de porcelaine (les gens sont très fragiles).
Mais quand on fait un travail de construction du désaccord, on valorise les désaccords (donc on les dédramatise) et seulement alors on peut traiter le désaccord.
Par exemple à l’école de Nanterre, il y a des problèmes de racisme (du blanc envers le noir et du noir envers le blanc). On se demande alors comment faire prendre conscience de la richesse que cela apporte et on a organisé un repas  » saveurs du monde  » (car cela jouera sur l’émotionnel : on ne combat pas des émotions régressives par la raison).

Un exemple : la respiration. Tout l’univers de la transformation personnelle travaille sur la respiration comme axe central. Or l’économique vit par la peur du manque. Et si on cherche à construire toute l’économie sur la respiration, alors que l’air est abondant est gratuit : on va pouvoir partir d’une économie du don et partir de la vraie question : comment on respire ? car on est dans des modes de vie qui ne respirent pas. Y en a qui courent contre le temps ennemi, y en a qui s’ennuient et tuent le temps : comment dans les deux cas respirer pour se repositionner ?
Car c’est en respirant qu’on s’ancre, qu’on se pose et qu’on va mieux ou qu’on va bien.
Jean-Paul : se faire du bien tant que le groupe n’a pas d’objet d’action vital ou de survie ; la guerre vient s’imposer.
Jean-Paul : tu ne peux construire du conflit avec l’ennemi.
Patrick :  » l’art de la démocratie c’est de transformer des ennemis en adversaires « . Ce n’est pas par la violence qu’on va régler les problèmes. Evidemment les dominants préfèrent la violence au conflit.

Philippe Merlant

Dans le cadre de notrre chantier sur les alternatives de vie en 2005, nous avons rencontré Philippe Merlant, journaliste et membre de NAJE.

 Le compte rendu

a) Face au capitalisme, deux voies antagoniques

Le développement du capitalisme industriel – dans les pays du Nord, au début du XIXe siècle – s’est accompagné de drames humains terribles : exode rural massif, travail des femmes et des enfants, surexploitation (jusqu’à la limite de la  » reproduction de la force de travail « ), pouvoir sans partage des patrons, aliénation due au travail  » en miettes « … Il suscite rapidement des révoltes ouvrières pour tenter d’arracher une amélioration des conditions de travail et de vie. Mais la radicalisation de l’oppression produit rapidement une radicalisation des réponses, c’est-à-dire un refus fondamental du système capitaliste. Celui-ci va emprunter deux voies :

o la première, la plus connue, est celle du  » mouvement ouvrier « , au sens politique du terme, qui va progressivement être dominé par Marx et les marxistes : le projet, c’est d’abattre le capitalisme pour le remplacer par le communisme, défini avant tout par la  » propriété collective (= publique) des moyens de production « .

o la seconde, c’est celle des alternatives concrètes, économiques notamment mais aussi politiques et  » de vie « , à l’entreprise privée et au système capitaliste.

A l’articulation des deux, mais ils sont très vite devenir minoritaires, les socialistes  » associationnistes « , dont de nombreux Français, que Marx appellera socialistes  » utopiques « .

Avant de développer en quoi consistent ces  » alternatives  » et de revenir sur les socialistes  » associationnistes « , il faut retenir une chose : ces deux voies se sont développées non seulement parallèlement, mais même en opposition (le premier Congrès ouvrier, qui se tient à Paris en 1876,  réaffirme le rôle de l’association coopérative dans l’affranchissement des travailleurs… Mais en 1878, à Lyon, lors du second Congrès ouvrier, Jules Guesde dénonce la vanité de la coopération, et la nécessité du système collectivisme. Cette tendance s’est renforcée au Congrès de Marseille, en 1880 en affirmant la subordination totale de la coopération et des syndicats à la révolution politique… La coopération n’est plus un moyen de transformation sociale… Ce sera  » le grand soir  » ou rien… ; de leur côté, les associations, coopératives et mutuelles ont rapidement déserté le champ politique et international). On peut faire l’hypothèse que l’hostilité réciproque de ces deux grandes forces de transformation du capitalisme est l’une des raisons qui expliquent la victoire historique de celui-ci.

b) Les premières expériences alternatives

o Certes, les premières  » associations  » ou  » coopératives  » apparaissent avant le capitalisme, sous l’Ancien régime (féodal) : fruitières, ghildes, compagnonnages, confréries, corporations, fondations… certaines existent depuis l’Antiquité. Mais elles restent basées sur des solidarités communautaires, professionnelles ou religieuses, donc pas du tout sur le principe de  » libre adhésion « . C’est même pour àa que la loi Le Chapelier, en 1791, va interdire toutes les associations, corporations, tout ce qu’on appelle  » corps intermédiaires « , qui apparaissent désormais contraires au principe révolutionnaire d’égalité (les corps intermédiaires ne peuvent que favoriser la reconstitution de privilèges).

o En Ecosse, en 1824, Robert Owen crée une filature expérimentale avec diminution du temps de travail et salaires corrects : on le considère comme le père du socialisme expérimental. En 1831, Philippe Buchez (un français) développe l’idée d’associations ouvrières : il propose  une entreprise inaliénable dont le capital n’appartiendrait à personne. Idée qui sera mise en œuvre en 1832 par des ouvriers menuisiers et en 1834, par des bijoutiers qui créeront la société des Bijoutiers : ce sont les premières coopératives en France. En 1835, Michel-Marie Derrion qui se convertit au  » Fouriérisme « , met en œuvre un projet d’épicerie coopérative à la Croix Rousse, aout de l’idée de  » commerce véridique et social  » : démocratie de fonctionnement, transparence de la gestion et partage équitable des bénéfices, tous les ingrédients d’une coopérative de consommation… Ces magasins mourront  après 3 ans pour cause de crise économique, mais le mouvement était lancé… En 1844, démarre en Angleterre l’expérience de Rochdale : un groupe d’ouvriers tisserands décident, pour sortir de la misère, de créer une coopérative de denrées alimentaires, ils lancent une souscription et ouvrent une première boutique. Ces coopérateurs envisageaient aussi d’acheter ou de construire des maisons, louer des terres pour les chômeurs, ouvrir des manufactures. Cette coopérative jouait aussi le rôle de Caisse d’Epargne. Cette expérience se développa de manière conséquente (jusqu’à 500 magasins, une banque, une société d’assurance, des investissement dans des écoles des bibliothèques, dans des flottes de navire,). L’épopée  » des Equitables Pionniers de Rochdale  » (les questions de la production, distribution, d’accès au crédit + la question sociale et culturelle… dans une même réponse le tout gérée démocratiquement en coopérative).

o Retour en France… Vers 1880, Jean-Baptiste Godin installe dans l’Aisne une usine de poêles et de cuisinières, couplée à un Palais social appellé Familistère (Cf. Phalanstères), avec un confort et une hygiène sans commune mesure pour l’époque pour y loger les ouvriers avec services collectifs d’éducation et de loisirs.

o 1848, année de la révolution de février et de la constitution de la 2de République, est aussi une année propice à la coopération, aux caisses de secours mutuel et aux coopératives de consommation. En 1851, Napoléon III (élu en décembre 1848 au premier suffrage universel !), instaure le Second Empire : associations, coopératives, fraternités… tout ce qui réunit les ouvriers et peut devenir un outil révolutionnaire est interdit. Mais en 1852, le décret du 26 mars reconnaît la pratique mutualiste avec une forte volonté de contrôle social… A partir de 1864 – qui est aussi l’année de création de la Première internationale – les coopératives de production et de consommation se développent à nouveau, et en 1867, une loi officialise l’existence des Sociétés ouvrières de coopération. Les premières coopératives agricoles ainsi que le Crédit agricole naîtront pendant cette période (fin XIXe)

o La loi de 1898 consacre la reconnaissance  du mutualisme français par la  » Charte de la Mutualité « . La loi de 1901 instaure la liberté d’association.

o En 1900, Charles Gide dernier parle, pour la première fois en France, d' » économie sociale  » pour désigner à la fois les associations, les services publics et le  » patronage  » (c’est-à-dire les institutions de bienfaisance du patronat).Il formalise aussi la théorie des groupes  » solidaristes  » :  » les coopératives de consommation, en se développant, aboutiront à la transformation totale de la société en République coopérative « .

o Au lendemain de la guerre 14-18, on assiste à une éclosion de coopératives de production, surtout dans le domaine du bâtiment. Des coopératives scolaires sont lancées en 1919, puis en 1926 par Célestin Freinet. Plusieurs mutuelles non agricoles comme la MAIF et la GMF sont créées entre les deux guerres.

o Avec la  » loi Morice  » de 1947, la Mutualité reconnaît la sécurité sociale créée deux ans plus tôt… En contrepartie elle obtient le droit de gérer certains de ses organismes. Cela montre que les Républicains, y compris de droite, en instaurant l’Etat providence, ont coupé l’herbe sous le pied de tout projet de  » République coopérative  »

o Résultat : ces expériences, à ‘origine  » alternatives  » au capitalisme, s’inscrivent de plus en plus dans des compromis entre le patronat, la classe ouvrière et l’Etat. Les associations, coopératives et mutuelles se développent dans leur secteur d’activité respectif… Et l’intervention croissante de l’Etat dans l’économie minimise également la portée transformatrice de cet  » entreprendre autrement « .

Pendant que de petites ou plus importantes transformations étaient à l’œuvre (du phalanstère jusqu’au au mutualisme, en passant par la coopération), la méfiance (justifiée ou non) de l’Etat, des patrons, des syndicalistes radicaux ou réformistes, et des partis politiques (qui auront tantôt nié, interdit, récupéré ou encadré cette économie coopérative), donc cette méfiance à l’encontre d’une économie expérimentale a aussi effacé la portée utopique de ces tentatives de démocratie économique et de prise en compte globale de l’économie…

c) Les socialistes utopiques

o Dans les années 1830 Fourier, né à Besançon (où il fera aussi ses études), propose le regroupement de producteurs au sein de  » Phalanstères « , qui sont à la fois des lieux de travail et des lieux de vie. Pierre-Joseph Proudhon, né lui aussi à Besançon, est reconnu comme le père du mutualisme et des caisses d’entraide… Il élabore une doctrine de justice et de liberté qui aura d’importantes répercussions dans le mouvement social. Marx après l’avoir admiré, se fâche avec lui. Constatant que les grands marchands et les intermédiaires s’en mettent plein les poches sur le dos des producteurs et des consommateurs… Proudhon va jusqu’à affirmer :  » La propriété, c’est le vol « …

o Socialistes utopiques : le terme a été forgé par Karl Marx qui prétendait, justement, s’en distinguer en inventant le socialisme « scientifique ». Eux-mêmes ne se reconnaissaient pas dans cette expression et préféraient parler de « socialisme associationniste ». On peut englober dans cette mouvance des gens comme Saint-Simon, Fourier, Proudhon ou Leroux en France, Godwin ou Owen en Angleterre, Hess et Weitling en Allemagne.

Leur pensée est loin d’être monolithique. Mais le constat qu’ils dressent est, en gros, le même : c’est celui de l’échec de la révolution française, ou de son dévoiement et, en tout cas, de son inachèvement. Prenant la mesure du développement sans précédent de la misère sociale, Pierre Leroux écrit : « Entre l’égalité considérée comme un fait et l’égalité considérée comme un principe, il y a autant de distance qu’entre la terre et le ciel. »

L’originalité de leur pensée, c’est que, tout en ayant sous leurs yeux le spectacle de l’échec de l’individualisme libéral, ils pressentent également les impasses, voire les catastrophes, auxquelles risque de mener le « collectivisme ». C’est encore Pierre Leroux qui écrit : « Le socialisme absolu n’est pas moins abominable que l’individualisme absolu ». Ils ne veulent pas revenir sur les acquis de l’individualisme, et ils refusent – à l’instar de Proudhon, notamment – tout pouvoir imposé d’en haut. Enfin, ils accordent une large place à l’expérimentation, on dirait aujourd’hui aux pratiques « alternatives ».

Il est clair qu’ils cherchent à ouvrir une authentique troisième voie, mais pas sur le mode « social-libéral » cher aujourd’hui à Tony Blair. Une voie non pas « entre » mais « au-delà » : au-delà de l’individualisme et du communautarisme, au-delà du libéralisme et du socialisme. C’est ce qui les fait se baptiser eux-mêmes « socialistes associationnistes », le second terme étant à leurs yeux au moins aussi important que le premier.

Je vois deux autres points qui montrent l’actualité de leur pensée. D’abord, ils estiment que ce principe d’association, fondateur du lien social, doit se vivre au quotidien, dans toutes les activités de l’individu et notamment dans la sphère du travail. Pour eux, le pouvoir doit procéder de l’ensemble des associations de base qui s’associent elles-mêmes : leur vision de la démocratie est d’emblée de nature fédéraliste. Ensuite, ils ont une vision universelle de ce principe. Dans l’un de ses ouvrages, Proudhon évoque ainsi la construction de l’Europe. Pour ces socialistes, il est clair que le principe association ne réussira que s’il s’impose au niveau mondial. Car c’en sera alors fini des communautés closes sur elles-mêmes. L’actuel mouvement altermondialiste ne fait-il pas étrangement écho à ces idées ?

– Ce qui lui donne aujourd’hui une nouvelle actualité :

– L’arrivée d’une nouvelle vague de radicalité et d’alternatives

Le début du XXe siècle a été celui de l’impasse du communisme et de l’institutionnalisation des  » alternatives  » de l’économie sociale. 1968 marque une rupture (dans tous les pays du Nord, en tout cas) : on voit réapparaître de la radicalité dans les deux voies historiques de la contestation du capitalisme :

o Apparition de courants néo-marxistes, plus radicaux mais aussi souvent plus innovateurs (maos, trotskistes, nouvelles générations anarchistes)

o Apparition d’une économie d’abord appelée  » alternative « , puis  » solidaire  » en réponse aux impasses de l’économie sociale instituée qui a perdu son pouvoir transformateur. D’autant qu’avec l’extension continue du chômage, la solidarité ne doit plus seulement s’appliquer en interne mais concerner la société toute entière. Plus attentive aux valeurs qu’aux statuts, l’économie solidaire se structure autour de principes communs : capacité à répondre à des besoins sociaux non satisfaits ; hybridation de ressources marchandes (prestations de services), non marchandes (subventions) et non monétaires (bénévolat) ; logique de projet se développant à partir des territoires.

Après une phase de concurrence, l’économie sociale  » historique  » et la nouvelle économie solidaire tentent aujourd’hui de se retrouver dans une  » économie sociale et solidaire  » : il s’agit de concilier statuts et valeurs, propriété et solidarité,  » comment ?  » et  » au nom de quoi ? « . Fertiles dans les pays du Sud comme dans ceux du Nord, ces formes d’organisation prouvent qu’économie ne rime pas fatalement avec exploitation, spéculation, licenciements… Elles montrent qu’une autre économie est possible, fondée sur les besoins humains et non sur le primat du profit.

– La naissance d’une nouvelle internationale

Deux exemples : le  » zapatisme  » et le Forum social mondial.

o Le zapatisme. Cf. Marcos :  » Nous sommes les premiers révolutionnaires qui ne voulons pas prendre le pouvoir « . Et  » Il ne s’agit pas de bâtir un autre monde mais un monde dans lequel tous les autres mondes soient possibles « . Autrement dit :

1) le contre-pouvoir est plus important que la prise du pouvoir (Miguel Benasayag :  » Résister, c’est créer « ) ;

2) la diversité politique est un atout et pas un handicap. Prend totalement le contrepied des internationales marxistes

o  » Un autre monde est possible « . A travers les Forums sociaux mondiaux, on voit réémerger une internationale d’un nouveau type, qui réunit les différentes formes de contestation du néo-libéralisme : cathos et néomarxistes, politiques et alternatifs… Le tout sans centralisme, ni programme, ni processus d’exclusions…

 

– L’évolution fondamentale de la société civile

Tout cela est rendu possible parce que la société a évolué avec la  » révolution individualiste « . Ce qui était utopie pour les socialistes associationnistes ne l’est plus.

Défait par le marxisme, l’associationnisme n’a jamais réussi à s’imposer sur la scène politique, si l’on excepte la très brève révolution de 1848, fortement influencée par ses idées. Son échec politique s’explique avant tout par les conditions sociologiques et culturelles de l’époque. En fait, les socialistes associationnistes butent sur le même écueil que les révolutionnaires de 1789 qu’ils prétendent dépasser. Le nœud du problème, c’est que la société française, tout juste sortie de l’Ancien régime, n’est pas prête à adopter le lien associatif. Car celui-ci suppose autant les sentiments d’égalité et de liberté qu’il ne contribue à les réaliser. Et les gens, dans leur grande majorité, ne se sentent ni libres, ni égaux ! De plus, le type de développement économique – alors marqué par l’intense accumulation du capital matériel et la nécessaire division entre travail manuel et intellectuel – est incompatible avec le lien associatif. C’est en tout cela que les socialistes associationnistes sont « utopistes »… pour leur époque !

On peut dire que les causes structurelles de leur échec hier sont devenues celles-là même qui, aujourd’hui, laissent augurer sinon de leur victoire, du moins d’une avancée décisive. D’abord, parce que nous sommes entrés dans une société où les gens se revendiquent comme des individus libres et égaux. Et qu’ils le manifestent de plus en plus dans le type de relations qu’ils nouent entre eux, à la base, au quotidien. Ensuite, parce que la base économique a changé : plus nous allons vers une production tirée par l’immatériel, et plus la nécessité s’impose de bâtir les rapports sociaux sur des bases de reconnaissance, de liberté, d’égalité… C’est ce qui explique le renouveau de l’économie sociale et solidaire.

Paul Blanquart

Dans le cadre de notrre chantier sur les alternatives de vie en 2005, nous avons rencontré Paul Blanquart, philosophe.

Notre compte rendu n’a pas été relu par Paul Blanquart, il peut donc comporter des erreurs.

 

 

Votre projet s’appelle : les alternatives de vie. Il y a donc deux mots : les alternatives et la vie. On retiendra que les alternatives doivent être des alternatives à la mort.

Une alternative, cela doit combiner trois éléments : la théorie, la pratique et l’imagination.

 

Quelle est la logique de mort à l’œuvre ? Ce sera l’objet de l’intervention.

 

Nous sommes à l’ère de la communication. Le maître mot c’est Communication. Là est le pouvoir aujourd’hui.

 

A l’époque antérieure les grandes écoles étaient les écoles d’ingénieurs, de technocrates. Aujourd’hui les grandes écoles sont celles de commerce et de management.

A l’époque ancienne, ceux qui avaient le pouvoir étaient ceux qui possédaient les moyens de production, en d’autres termes les usines qui produisaient des produits. Aujourd’hui, c’est l’argent qui produit l’argent en circulant. Ceux qui ont le pouvoir sont ceux qui maîtrisent les flux de l’argent c’est à dire du capital et ceux qui maîtrisent l’information pour servir les premiers (le patron de TF1 n’a t’il pas dit que son but était de rendre les cerveaux disponibles à la publicité).

 

Communication = flux. Celui qui contrôle les flux est le leader. Ce sont les  » Global-leaders « .

 

Nous sommes aujourd’hui dans un système globalisé. Nous nommons cela Mondialisation en France.

 

Nous sommes traversés par les flux. La question est donc : quand le flux nous traverse, est ce encore nous qui fonctionnons dans notre cerveau. (Quand on a regardé la télévision pendant 5h par jour, est ce nous qui pensons encore ou gobons nous ce qui est émis ? Qui décide de ce qui est émis ? ) Ce flux qui nous traverse en permanence et dont il n’y a pas moyen de s’extraire nous modélise, nous rend tous pareils. Comment faire pour être vivant et non modélisé à l’image de l’extérieur de soi ?

Les flux, c’est la logique du TRANS : nous sommes traversés, transpersés et vidés.

Paul Blanquart nous dit que nos sommes tous des entubés et qu’il y a plusieurs manières d’être entubés : les entubés soft (ceux qui se gavent de TF1, ont un minimum de confort et se satisfont de penser comme les autres c’est à dire de ne pas penser et vont ni bien ni mal dans une vie intérieure pauvre) et les entubés hard qui, soit se gavent d’hallucinogènes, de médicaments et ainsi se tuent au sens propre, soit brûlent des voitures mais sans savoir pourquoi et pour arriver à quoi.

 

Personne ne peut sortir du système globalisé. Il n’y a pas d’extérieur. Les exclus ne sont pas a l’extérieur non plus, ils sont même tout à fait dedans. Alors, y’a-t-il une alternative ?

 

Paul Blanquart pense que l’alternative est dans le PAR TOUS. C’est à dire de faire en sorte que nous ne soyons plus les destinataires des flux mais aussi les auteurs des flux (émetteurs au lieu de récepteurs). TOUS MAITRES DES FLUX, c’est une définition de la démocratie.  Une démocratie, cela veut dire  pour chacun : être autonome et en relation avec les autres.

Une démocratie c’est quand chacun est singulier. C’est parce qu’il est différent que l’autre est intéressant. S’il est même, il n’a aucun intérêt.

Cela donne la complexité : on n’est pas moins unis d’être divers et pas moins divers d’être unis.  Ainsi chaque être singulier est responsable de proposer aux autres une vraie singularité, pour être intéressant et pour que l’ensemble produise de l’intelligence.

 

Paul Blanquart nous propose de retenir  IPSEITE au lieu d’IDENTITE. Ipséïté c’est  » moi même « , identité, c’est  » les mêmes  pareils « . Il nous propose donc à chacun de travailler d’arrache pied à produire notre singularité (c’est à dire notre propre pensée) et notre autonomie. (se nettoyer le cerveau, faire exister l’intériorité contre la dépression car il faut avoir une vie intérieure pour être libre).

 

Il nous propose aussi de travailler à la révolution démocratique qui n’a jamais eu lieu. Nous disons le mot démocratie mais nous ne sommes pas une démocratie, nous ne sommes pas dans un système du PAR TOUS. Nous avons échoué sur la question de la démocratie. Nous ne produisons pas des êtres singuliers et autonomes en relation avec les autres pour produire de l’intelligence collective.

Il propose de sortir de la logique du TRANS et d’entrer dans celle de l’INTER (être en autonomie dialogante avec les autres).

 

Paul Blanquart nous relate enfin sont expérience avec le journal  » La Gueule Ouverte « .

Cette expérience a duré deux ans et a échoué. Elle était basée sur deux grandes notions : l’écologie politique dans la ligne de Fournier et la désobéïssance civile.

Par ailleurs elle a tenté de combiner vie sociale et vie personnelle (le groupe expérimentait sur les rapports entre les personnes, sur les rapports hommes-femmes, sur les rapports adultes enfants et sur la vie personnelle).

 

Le groupe était allé s’installer en Saône et Loire et s’y est trouvé à contre courant des agriculteurs. Dans ce milieu qui lui semble hostile, il se referme sur lui-même. Ce groupe est donc une communauté et à la fois un courant intellectuel et politique.

 

Tout a explosé au bout de deux ans.

 

Les raisons de l’échec :

– Le groupe est refermé sur lui-même et a mélé trop de champs à la fois : travailler à penser et produire, sortir un journal, vivre ensemble en communauté. Les histoires amoureuses des uns se mélangent avec les conflits intellectuels. Tout se mélange et s’interpénetre. La communauté de vie explose.

– L’échec du passage à la politique. Le groupe allait-il s’inscrire dans le champ électoral ? Le système de représentation par les élus ne peut prendre en compte la complexité : la complexité ne peut être représentée. Mais comment peut-on combiner tous les singuliers autonomes ? Comment articuler tout cela ? Nous n’avons pas réussi à penser ce point et personne n’a encore réussi à le penser. Nous avons échoué sur cette question primordiale.

 

 

Les questions, étonnements et réflexions que cette intervention soulève pour les participants :

– Comment faire pour cultiver notre singularité quand nous ne sommes pas autonomes en ce qui concerne nos moyens de survie physique ?  (Paul Blanquart parle alors des travailleurs sociaux qui doivent avoir pour rôle d’aider à la survie oui mais en donnant la capacité de devenir autonome et singulier au lieu d’homogénéiser, d’intégrer, d’assimiler).

– Comment faire pour faire marcher notre cerveau et nous atteler à des lectures de textes qui nous semblent trop ardus et que nous ne pouvons comprendre ? (Paul Blanquart affirme que en 2 ou trois ans, nous pouvons tous avoir lu et digéré les 200 ouvrages majeurs si nous nous en donnons la peine et que c’est de notre propre responsabilité de cultiver notre intelligence).

– Comment l’Etat peut il aider à cela ? (Paul Blanquart nous dit qu’il ne croit pas que l’on puisse demander cela à l’Etat qui n’en a pas la capacité, qui est lui même soumis aux maitres des flux).

 

Michel Besson

Dans le cadre de notrre chantier sur les alternatives de vie en 2005, nous avons rencontré Michel Besson de Andines

Notre compte rendu n’a pas été relu parMichel Besson, il peut donc comporter des erreurs.

 Les compte rendu

 Michel Besson commence par nous relater l’histoire personnelle qui l’a amené à créer Andines. Il a vécu 4 années dans une communauté indienne en Colombie pour y travailler sur la question de la santé et y former une équipe de 30 intervenants en santé communautaire. Sa démarche était clairement basée sur l’échange et non sur l’imposition aux indiens de manières de penser la santé et la médecine à l’eouvre en Europe.

A cette occasion, il a rencontré un système d’organisation sociale différent :

1/ pas de propriété privée des terres et des maisons qui sont réparties entre les membres de la communauté en fonction de leurs besoins.

2/ Une démocratie en œuvre car toutes les décisions sont prises de manière collective au cours d’une réunion par semaine du Conseil de la communauté qui change tous les ans.

Cette expérience a été rendue possible par l’aide du réseau ouvrier de Michel besson qui l’a soutenu en lui envoyant 500 francs par mois pour sa vie sur place pendant les 4 années. Elle s’est terminée parce que l’armée à expulsé Michel Besson de la zone.

Michel Besson arrive alors à Bogota où il va rester 6 mois et rencontrer une autre expérience communautaire dans un des quartiers les plus pauvres de la ville. Il s’intéresse alors au fait que les gens du quartier urbain ont conservé des liens avec les habitants des campagnes dont ils sont issus et échangent avec eux des produits agro-alimentaires et surtout qu’ils pratiquent ces échanges en se respectant les uns les autres et en considérant que chacun doit vivre de son travail.

Michel Besson rentre en France en 1987. Les indiens et les habitants de Bogota lui ont proposé d’essayer d’inventer un système d’échange respectueux avec eux afin qu’ils puissent exporter leur production. Il va alors voir ceux qui l’ont soutenu financièrement pendant son périple, leur propose cette idée et leur demande de cotiser. Il faut en effet trouver de l’argent pour commencer. Une SARL est créée, un magasin est loué dans Paris et une équipe de trois personnes se met au travail.

Pendant 4 années, cette équipe ne trouvera pas les moyens de se salarier et travaillerade manière bénévole. Michel besson mentionne qu’il n’y a rien là de très extraordinaire, que la plupart des petites entreprises qui se montent vivent un ou deux ou trois ans sans pouvoir fournir de rémunération.

En 1989, Andines a voulu qualifier son activité et a déposé le nom de  » commerce équitable « . ce nom est aujourd’hui passé dans le langage courrant.

Aujourd’hui Andines emploie 7 salariés et est devenue une SCOP (société coopérative de production) et a un chiffre d’affaires de 1 150 000 euros. Andines a commencé a distribuer des produits artisanaux et ne s’est lancé dans l’agro-alimentaire que plus tard.

Andines est résolument centrée sur la notion de commerce. Il ne s’agit absolument pas d’aider les pays du tiers monde mais de commercer avec des producteurs et artisans.

Michel Besson nous livre une histoire qui image cette position : Il y a 5 ans, Andines voulait commencer la vente de sucre. Le sucre s’achète par container d’un prix de 70 000 francs payable d’avance. Mais Andines n’a pas les liquidités permettant cette avance. Ce sont les producteurs de sucre de l’Equateur qui ont finalement décidé  d’aider Andines qui n’arrivait pas à obtenir de prêt bancaire. Ils se sont réunis et ont proposé de livrer le containeur de sucre et d’attendre 45 jours après livraison pour être payés. C’est ainsi qu’Andines a pu commencer à commercialiser le sucre.

Pour le café, c’est un particulier français qui a prêté ses économies : 550 000 francs. C’est son prêt qui a permis de commencer la filière café.

Le fond de roulement d’Andines est constitué par les prêts que leur ont octroyé 13 cigales prêtant chacune une somme de 5 000 à 10 000 francs et de structures plus importantes comme l’ANEF et la Garrigue qui sont elles aussi des structures de développement solidaire.

La démarche de commerce équitable nécessite de lier de vraies relations de respect et de confiance entre les partenaires. Cela prend deux ans en moyenne pour monter une filière (et personne ne finance ce travail important de deux années). Il faut se mettre d’accord ensemble sur quels sont les prix justes pour chacun (pour celui qui produit la matière première, pour celui qui la manufacture, pour celui qui la transporte, pour celui qui la vend ici) et il faut mettre en place entre tous les partenaires une transparence absolue.

Andines ne travaille pas seulement avec des structures implantées dans les pays du Sud. Elle essaie aussi de mettre en place des filières en France avec des agriculteurs.

Aujourd’hui les 7 coopérateurs d’Andines ne peuvent se rémunérer qu’au SMIC. Ils estiment tous que cela n’est pas suffisant mais que plus n’est pas actuellement possible compte tenu des réalités.

Andines a aussi créé un réseau des promoteurs de commerce équitable en France qui réunit plus de 80 structures.

Andines refuse d’entrer dans la grande distribution estimant que les règles qui y sévissent ne sont pas celles d’un véritable commerce équitable.

Quelles sont les difficultés d’Andines :

– La difficulté principale est celle des financements. Les banques n’ont jamais voulu prêter à Andines, estimant que la structure ne fait pas assez de bénéfices pour prendre en charge les taux de prêt. Une banque lui a proposé comme alternative de lui ouvrir une autorisation de découvert de 200 000 francs au taux de 12,5% tout en lui refusant un prêt de la même somme qui aurait eu un taux bien inférieur.

Par ailleurs, Andines, se situe  dans le commerce et par principe, ne demande pas de subventions publiques pour son activité de commerce.

– Avec les producteurs partenaires, il y a finalement peu de grosses difficultés : il y a 15 ans, des femmes qui produisaient des bijoux au brésil ont décidé d’un seul coup de doubler leurs prix, sortant ainsi de la démarche d’équité entre les partenaires.  Pour le café, Andines a du passer pendant trois ans par une structure mise en place par le gouvernement colombien qui prenait 14% de marge. Il a fallu lutter mais les paysans colombiens ont finalement obtenu le droit de monter leur propre structure d’exportation qui ne prend plus que 6%.

Avec les producteurs français, il y a des limites qui sont données par les habitus : Andines exige une transparence entre les partenaires à laquelle les agriculteurs français ne sont pas habitués. Par exemple, pour eux, donner à voir leurs comptes d’exploitation n’est pas chose aisée.

Il y a aussi la concurrence : certains produits commercialisés par Andines ont très bien marché. D’autres commerçants ont alors décidé d’importer le même type de produit en les vendant moins cher.

Il y a enfin les relations avec les collectivités territoriales : Andines essaie de les convaincre de devenir partenaires et d’acheter en commerce équitable. Les résultats des démarches d’Andines sont très loin d’être probants. Ils ont par ailleurs la contrainte des marchés publics.

En interne, le travail d’équipe des coopérateurs n’est pas simple. Certains, les fondateurs, acceptent de travailler plus de 12 heures par jour. D’autres, les plus nouveaux qui ne sont pas à l’initiative de la structure, s’en tiennent aux 35 heures. Il y a donc des disparités qu’il faut gérer. Il faut comprendre les points de vue de chacun, faire avec les différences… Ce n’est jamais simple. Pour autant ces questions d’équipe n’ont jamais mis en difficulté la vie de la structure.

Les questions, étonnements et réflexions que cette intervention soulève pour les participants :

– Le fait que seulement 3 personnes aient réussi à mettre en place une action d’une telle envergure et non une super structure ; de plus sans aucun fond financier à l’origine. Cela paraît extraordinaire et renvoie chacun à re-questionner sa propre capacité d’action ou les raisons de son impression d’impuissance.

– Le fait que cela ait été fait sans demander d’aide à l’Etat qui nous questionne sur notre propre rapport à l’Etat et à ses structures.

– Le fait de lier deux notions qui paraissaient antagonistes : le commerce et l’équité. Et que cela fonctionne.

– Le fait que l’équipe d’Andines travaille énormément et accepte de se rémunérer au salaire minimum. Cela pose aussi la question des bénéfices autres que financiers qu’ils en retirent.

– Le fait que Michel Besson semble comprendre que certains coopérateurs travaillent plus de 50 heures par semaine et d’autres 35h pour le même salaire. Michel besson répondra qu’il ne comprend pas que certains s’ennuient en percevant le RMI alors que d’autres doivent travailler plus de 12 heures par jour.

 

Nicolas Laurent

Dans le cadre de notrre chantier sur les alternatives de vie en 2005, nous avons rencontré Nicolas Laurent des AMAP

Notre compte rendu n’a pas été relu par Nicolas Laurent, il peut donc comporter des erreurs.

 

Le compte rendu

 

Historique des AMAP :

Nicolas Laurent nous explique pourquoi et comment les AMAP furent créées en France.  » Un couple d’agriculteurs français de la région de Toulon, en voyage aux Etats-Unis, découvre le système des AMAP là-bas. C’était en 2001 : à l’époque, les consommateurs français étaient apeurés par le problème de la vache folle, la prise de conscience qu’ils mangeaient des légumes cultivés hors sol, etc. De l’autre côté, les agriculteurs étaient  » pressés  » par la grande distribution qui les forçait à vendre toujours plus et le moins cher possible (à cause de la concurrence avec les fruits et légumes venant de l’étranger) : certains mettent la clef sous la porte, d’autres survivent difficilement avec des subventions. Face à ces problèmes, le couple d’agriculteurs discute du système AMAP avec le groupe Attac d’Aubagne. Ils décident de mettre en place un premier groupe de maintien d’une agriculture paysanne avec des citoyens consommateurs et un paysan.

Comme ça a marché, cette première AMAP a été suivie de beaucoup d’autres, en seulement quatre ans ! Aujourd’hui, il y a près de 150 AMAP en France, dont 17 en fonctionnement en et 12 en création en Ile-de-France.

Chaque AMAP  a son originalité car elle est construite par ses adhérents. Mais les trois principes fondamentaux sont toujours les mêmes :

1. Faire le lien entre les agriculteurs et les consommateurs.

2. Apporter une sécurité financière à des agriculteurs qui veulent respecter l’environnement et l’être humain.

3. Aller vers une alimentation de qualité.

Au fil du temps et des expériences, les fondateurs des AMAP et les responsables de la gestion de l’association ont construit des règles et un cadre de fonctionnement toujours plus précis afin de pouvoir transmettre leurs connaissances et permettre aux personnes désireuses de former un groupe d’avoir des valeurs et des fonctionnements communs.

Principes de fonctionnement :

Nicolas Laurent nous apprend ensuite comment fonctionnent les AMAP. Pour créer une AMAP dans sa ville ou dans son quartier, on commence par une réunion. Puis :

– On met en relation un agriculteur de la région et des consommateurs.

– On définit avec lui le prix de la récolte.

– On décide d’acheter 6 mois à l’avance.

– On choisit un lieu et un jour de distribution (par exemple, tous les samedis à 17h, l’agriculteur vient avec ses légumes du jour).

– Chaque semaine, deux personnes du groupe aident au déchargement et à l’installation des légumes.

– On apporte son panier et on se partage la récolte en fonction des quantités notées pour chacun. Il s’agit de légumes de saison. Mais si on n’aime pas le radis noir, par exemple, on a toujours la possibilité de l’échanger avec d’autres participants.

– Il y aussi un bulletin, avec des recettes et des informations, qui est distribué.

– La cotisation annuelle est d’environ 15 euros.

Au départ, il y a une seule taille de panier : c’est un panier prévu pour la consommation hebdomadaire de deux adultes. Il coûte 15 euros. Si on est une famille nombreuse, on peut prend deux paniers ; si on est célibataire, on est mis en relation avec un autre célibataire pour partager. Pour qu’un agriculteur puisse vivre il lui faut vendre 100 paniers à 15 euros par semaine. Comme un groupe compte généralement une cinquantaine de personnes, il faut deux AMAP pour faire vivre l’agriculteur.

Dans un groupe AMAP, c’est aussi la solidarité entre les gens et l’entraide qui comte. Voici quelques exemples :

Comme on s’engage à payer 6 mois à l’avance, on peut fractionner les paiements.  » Il y a par exemple des RMistes qui ne peuvent pas tout payer d’un coup. Mais comme on fonctionne en petit groupe, on apprend à se faire confiance : les uns peuvent avancer la somme aux autres.  »

Durant l’été, si on part en vacances, il faut trouver quelqu’un pour aller chercher son panier. Impossible d’imaginer interrompre le système en été : c’est la saison ou il y a le plus de produits !

On peut aussi échanger ses légumes contre des services s’il existe à côté un système d’échanges locaux (SEL) : par exemple, 1 heure de ménage contre 1 heure de jardinage ou d’informatique.

Le week-end, il y a des possibilités de  » voyage à la ferme  » :  » Ca nous permet de voir comment poussent les légumes, de créer un lien entre tous et l’agriculteur. On peut aussi mettre la main à la pâte en aidant un peu, et ça nous permet d’apprendre’  »

On peut toujours intégrer un groupe AMAP déjà créé (du moins s’il reste un peu de place). Les consommateurs qui intègrent les groupes AMAP le font par le bouche à oreille. C’est souvent initié par des groupes locaux du mouvement Attac, et c’est une démarche militante.

Enfin, on peut acheter ses produits via Internet sur le site où l’on trouve aussi le bulletin d’information : www.reseauamapidf.org

Les principes des AMAP :

Trois principes généraux

– Vente directe

– Proximité

– Convivialité

Les engagements de l’agriculteur

– Fournir qualité et diversité

– Pédagogie : l’agriculteur invite les consommateurs une fois tous les six mois (au moins)

Et donne toutes les informations sur ses cultures demandées par les adhérents.

– Transparence technique et économique.

Les engagements des consommateurs

– Le préfinancement (à l’avance sur 6 mois).

– La solidarité (notamment face aux aléas naturels).

– S’impliquer dans le fonctionnement de l’AMAP.

Récits d’expériences :

Nicolas Laurent nous raconte comment ils ont convaincu un agriculteur du plateau de Saclay de travailler pour eux. Il cultivait trois sortes de céréales en rotation dans un système intensif. A force de discuter avec lui, ils arrivent à lui faire cultiver quelques pommes de terre pour une AMAP. Et ça marche. Donc l’agriculteur décide petit à petit d’aller plus loin.  » Aujourd’hui il produit plusieurs cultures différentes pour l’AMAP, et ses pratiques agricoles ont évolué vers la diversité. Il a changé, il n’est plus dans le système industriel intensif.  »

Un autre agriculteur était d’accord de travailler avec une AMAP, mais il n’avait pas d’endroit pour entreposer ses réserves de pommes de terre. Un week-end, ses futurs consommateurs sont venus le voir, l’ont aidé à nettoyer sa cave et lui ont payé l’avance sur sa récolte. L’agriculteur était incroyablement surpris : il ne voyait pas pourquoi on le payait d’avance alors qu’il n’avait encore rien fait !

Les problèmes rencontrés par les AMAP :

En 2003, dans une AMAP, il y a eu une mauvaise répartition des rôles et l’organisation en a pâti.

Il peut y avoir deux types de défauts et de problèmes au sein d’une AMAP. D’un côté, les puristes, les  » plus blancs que blancs  » qui exigent que toute la production soit bio ou qu’on n’accepte pas au sein du groupe des consommateurs qui viennent uniquement pour des raisons économiques. De l’autre, les  » procéduriers  » : ils veulent que les règles soient respectées à la lettre, que tout soit écrit et calculé, ils veulent que tout soit parfaitement cadré, ils bloquent sur l’administratif.

Les réflexions et questions des participants autour de cette intervention :

– Comment ça se passe si une culture subit le gel ?

Réponse : on compense avec une autre récolte.

– Et s’il y a une catastrophe naturelle et que tout est foutu ?

Réponse : on fait une réunion et on en discute. L’agriculteur peut accepter d’être moins payé, et les consommateurs d’être un peu moins approvisionnés. Il faut penser à la solidarité et accepter les aléas climatiques.

– Est-ce que les produits sont moins chers que dans les biocoops par exemple ?

Réponse : Les produit sont c’est en général de 10 à 30% moins cher en AMAP que sur le marché. Parfois, c’est plus cher lorsque c’est un jeune qui s’installe et qu’il n’a pas toute l’expérience.

– Est-ce qu’il arrive que certaines personnes se précipitent pour se servir et mettent les plus beaux légumes dans leur panier ?

Réponse : ceux qui arrivent en premier se servent parfois mieux, mais ceux qui arrivent en dernier ont aussi l’avantage, parfois, d’avoir du  » rab  »

– Et si, par exemple, je prends 600 grammes d’aubergines au lieu des 400 grammes prévus, que se passe-t-il ?

Réponse : cela implique une éducation citoyenne.

– Que se passe-t-il si un agriculteur ne joue pas le jeu, s’il triche en mettant des produits venant d’un marché différent ?

Réponse : on en discute en réunion, parfois les agriculteurs décident d’eux-mêmes de se retirer du circuit AMAP.

– Et si je n’ai pas envie de manger toujours les légumes du pot au feu l’hiver et ceux de la ratatouille l’été ?

Réponse : l’AMAP, c’est aussi apprendre à manger les produits de saison. Ne vous attendez pas à trouver des fraises en hiver ! Mais n’oubliez pas qu’on vous offre aussi un bulletin avec des recettes pour vous permettre de varier vos plats.

 

Pierre Guiard Schmid

Dans le cadre de notrre chantier sur les alternatives de vie en 2005, nous avons rencontré Pierre Guiard-Schmid.

Notre compte rendu n’a pas été relu par Pierre Guiard-Schmid, il peut donc comporter des erreurs.

Le compte rendu

Présentation du fonctionnement des coopératives :

Je travaille dans une coopérative de production en Bourgogne. C’est un choix de vie. La coopération n’est pas seulement économique. On gagne, on perd, on fait la fête ensemble, avec les autres.

Le monde coopératif est un monde considérable et divers. Les coopératives se regroupent au sein de Alliance Coopérative qui les fédère, et compte 800 000 millions de membres. Il y a plusieurs familles de coopératives : les coopératives de production, de crédit, bancaires, d’agriculture, d’éducation.

L’objectif premier est de faire ensemble, travailler ensemble, co (avec) opérer (travailler). On tente de mieux vivre ensemble. On cherche à trouver le bonheur dans le monde tel qu’il est  car on sait qu’on ne peut pas le transformer. On part du principe qu’il est plus facile de trouver le bonheur ensemble que tout seul. Et le bonheur est un combat.

Un autre objectif est d’assurer la pérennité pour les générations futures. Ce qui implique que si je mets un capital dans la création d’une coopérative, je n’attends pas de profit. Quand je partirai, je reprendrai le même capital.

Si il y a des bénéfices, des plus values, elles sont mises en réserve, pour faire face aux coups durs. Les coopératives sont dans la logique de marché. Elles sont confrontées à ce système. Certaines ne se différencient pas beaucoup d’entreprises classiques. Aucune coopérative ne ressemble à aucune autre. Chacune a son histoire. Certaines ont des chefs, certaines ont des salaires égalitaires… Certaines encore  » se taillent des parts de marchés.  » Mon dragon  »  Fagor  » est une coopérative de 30 000 personnes.

Pour réaliser un objectif, on se fixe des règles qui régissent les personnes, le fonctionnement, la prise de décisions. Les règles, comme toutes les décisions  sont votées. C’est la démocratie : un homme, une voix. S’il y a des mandataires, ils sont élus et révocables par les coopérateurs. On a une réunion mensuelle, plus une assemblée générale, plus des Conseils d’administration, plus les réunions avec  les autres coopératives.  Ces réunions permettent de gérer aussi les faiblesses humaines.

 La coopérative met en coopération :

– les savoir-faire,

– les compétences,

– les capitaux et les biens des coopérateurs,

Tout cela à des degrés divers. Par exemple, les coopératives agricoles (GAEC), le plus souvent ne sont coopératives que pour vendre et acheter.

La coopération est une alternative porteuse de valeurs :

– la responsabilité,

– le goût de transmettre et d’apprendre,

– le partage et la solidarité,

– le goût de l’aventure et du risque,

– l’envie de changer le monde.

La réussite dans ce monde se mesure à la taille du portefeuille. Alors les coopératives qui non pas cette valeur là sont traversées par des gens qui sont coopératifs et d’autres qui desservent la coopération.

 Les expériences en coopératives de Pierre :

Dans ma coopérative. En 1979, le marché du bâtiment était bouché. L’entreprise où on travaillait a fermé. On avait rien, pas de tunes, pas de biens, mais on était 5 et on était de bons professionnels. On est allé voir  »ceux qui peuvent aider les entreprises ». Nous ne les avons pas séduits. Ils nous ont répondu qu’on était légers. On ne s’est pas dégonflé. On s’est inscrit au registre du commerce. Les coopératives y figurent, il faut être au moins deux. Un ancien client voulait construire une maison. On l’a contacté et on lui a construit sa maison. Notre réputation a commencé à naître. On s’est loué, on s’est agrandi. On a été jusqu’à 10.   »Ceux qui peuvent aider les entreprises » nous ont contactés, pour finalement trouver que notre projet tenait la route. Au début on ne faisait que la maçonnerie. Au cours d’un chantier, on a croisé un menuisier, qui voulait arrêter, car il faisait tout, tout seul : la comptabilité, les travaux, les recherches de chantier, le suivi… Il nous a rejoint.

Dans une coopérative, toutes les décisions sont prises collectivement. On a une base de salaire égalitaire, sur 38, 39 heures. On a de bons salaires. Mais on n’est pas à l’heure près. Si on doit finir un chantier, on le finit.

Maintenant je suis à la retraite mais la coopérative existe toujours.

Les problèmes rencontrés dans les coopératives :

Il y a beaucoup d’histoires à raconter. En voici une : Un jeune chef de chantier était alcoolique. L’alcoolisme est un gros problème dans le bâtiment.  C’était un problème pour lui-même et aussi pour les autres entre autre car il conduisait. On organisé beaucoup de discussions, sans lui, avec lui, des tractations, des pourparlers. Il était alcoolique mais il avait aussi ses qualités. On ne l’a pas viré. Il a détruit son camion dans un car de ramassage scolaire heureusement vide. Qu’est-ce qu’on aurait dû faire?

Expériences de coopératives en Afrique :

L’africascoop est un véritable espoir. Par exemple, cela débute comme cela : une personne commande à une femme couturière un vêtement. Elle le lui fait. Petit à petit, la couturière commence à avoir de plus en plus de commandes. Elle ne peux plus assumer seule alors elle  se regroupe avec une autre pour mieux répondre à la commande. Puis d’autre encore.

Cela permet qu’elles sortent de l’isolement, qu’elles acquièrent avec un micro-crédit ou une tontine une machine à coudre, et d’autres outils pour construire petit à petit leur coopérative. En ce mettant ensemble, cela donne de la force, de l’ouverture, de l’espoir et de nouvelles possibilités.

Les questions, étonnements et réflexions que cette intervention soulève pour les participants :

– peut-on créer des coopératives avec ses propres savoir faire, même sans papier, diplôme etc. ?

Réponse : oui.

– C’est comme une entreprise mais ou il y a plus de partage et pas de patron.

– Est-ce qu’il y a des temps organisé pendant le travail pour échanger des savoirs ? Réponse : oui, nous sommes tous formé par exemple à la gestion car c’est important que tout le monde comprenne de quoi l’on parle lors du bilan. Ceci pour pouvoir participer activement à la coopérative.

– Est-ce que les salaires sont les mêmes que ceux du marché du travail ?

Réponse : oui, les salaires sont les même, seulement, les disparités de salaire du à la hiérarchie sont moindre ou alors, tous ont un salaire égalitaire.

– S’il n’y a pas de hiérarchie, comment faites vous pour gérer les conflits ?

Réponse : nous faisons des réunion avec tous le monde.

– Est-ce que toutes ses coopératives qui retissent des liens entre les individus ne risque pas de devenir des organismes sociaux plutôt que des sortes d’entreprises ?

Réponse : Cela dépend de la collaboration entre les partenaires et des envies. Mais un travail dans une coopérative, c’est un choix de vie qui touche à la vie privée aussi.

– Les coopératives ça montre que l’union fait la force !

– Ca me pose la question de pourquoi ne pas vivre autrement que ce que l’on a appris.

– Comment je fais pour fonctionner dans une coopérative si j’ai des difficultés avec la prise de responsabilité mais que j’ai envie de faire partie de la coopérative ?

Réponse : cela s’apprend. Dans une coopérative, on tien comte des compétences et des difficultés de chacun. L’envie et le plaisir sont très importants.

– Mais comment s’acquiert la responsabilité ?

Réponse : on ne naît pas responsable, on le devient !

– Combien faut-il de personnes pour créer une coopérative ?

Réponse : 3 personnes.

Bertrand Bellet

Dans le cadre de notrre chantier sur les alternatives de vie en 2005, nous avons rencontré Bertrand Bellet de la scop Beriat bâtiment

Notre compte rendu n’a pas été relu par Bertrand Bellet, il peut donc comporter des erreurs.

 Le compte rendu

 Bertrand arrive dans la Scop deux ans après la création à Beria Bâtiment. Aujourd‚hui, cela fait 28 ans qu‚il y travail a Grenoble.

 Bertrand nous raconte son parcours de vie. A 16 ans il quitte l‚école ( » libéré des obligations scolaires et familiales « ) et choisi le métier de menuisier. Il entre dans le compagnonnage, il nous dit que c‚est une structure d‚hommes, avec un discours très fort. Par le compagnonnage, il travaille pendant 2 ans dans des monuments historiques (rénovation), très passionné par ce qu‚il fait, il acquiert de l‚expérience grâce à ce travail où il était apprécié.

Il est ensuite engagé dans une entreprise traditionnelle où il devient vite responsable d‚un atelier avec des ouvriers de 40-45 ans. Il a 20 ans et remplace le chef d‚atelier qui part à la retraite. Bertrand nous raconte que l‚entreprise classique ne lui permet pas de transmettre ce qu‚il veut aux autres. Cette inégalité de fonction ne permet pas de partager. Seul la compétence est utilisée en contrepartie d‚un salaire, il n‚y a pas de participation à un projet. Il a envie d‚autre chose et décide de partir.

Par hasard il trouve une coopérative, avec encore un menuisier de 60 ans qui lui transmet beaucoup de savoir. Ca lui plaît beaucoup, car il y trouve un projet politique, un projet collectif, qui lui convient : égalité entre tous et chacun apporte ses projets : ambiance nouvelle : assemblée générale, débat, affectivité dans le travail (la notion de hiérarchie remplaçait tout ça ailleurs).

Mais dans cette Scop, les travailleurs sont pour la plupart des architectes, ensemble, ils n‚arrivent tout d‚abord pas à fonder une entreprise rentable car les gens ont presque tous les mêmes qualifications. Malgré cela, le projet de tous est de construire et faire fonctionner cette Scop, ils montent l‚atelier bois. Mais l‚entreprise ne gagne pas assez d‚argent et petit à petit le bilan diminue.

Pour redresser l‚entreprise et lui donner plus de visibilité, le groupe de la Scop crée seulement deux unités: la menuiserie et la maçonnerie. Quand elle a été redressée, les architectes qui sont devenus maçon pour l‚occasion quittent la Scop, c‚était trop contraignant. Bertrand recrée avec d‚autres l‚entreprise en 1981. Pour la faire tourner il embauche 7 personnes. Ce n‚est tout d‚abord pas facile de retrouver un équilibre. C’est-à-dire de : fonder une activité où il peut s‚exprimer, avoir de l‚écoute collective et individuelle, trouver un chemin, collectivement et que l‚entreprise soit reconnue professionnellement.

A cette époque, tous les fondateurs de la Scop étaient très jeunes. Dans les 7 personnes qu‚il a embauchés, 3 étaient de plus de 50 ans. Bertrand nous dit que de faire rentrer des mecs de 50 ans dans une scop, c‚est très difficile car il faut leur faire comprendre la différence entre un système d‚entreprise traditionnel et une Scop. Pour cela il faut faire rentrer les personnes dans un cycle de formation technique et démocratique.

Ainsi le projet a beaucoup évolué. Au départ les personnes se ressemblaient beaucoup,  » c‚était pas trop difficile de s‚entendre et pas trop innovant  » car les gens de même niveau et de même classe sociale cela crée un enfermement social. Avec le temps et les changements, l‚entreprise est devenue plus visible grâce aussi aux travailleurs de milieux sociaux et d‚âge beaucoup plus variés. L‚entreprise continue d‚embaucher surtout des gens très jeunes et de toutes qualifications. Avec des travailleurs de milieux variés et des nouveaux engagements, cela empêche l‚action collective de se scléroser et de devenir trop  » cocooning « .  Là tout est débattu les gens votent à bulletin secret, la majorité de décision est à 53%, et il faut donc suivre la majorité même si l‚ont est pas d‚accord. Bertrand nous dit que pour que le travail soit fait dans un esprit collectif il faut tout débattre tout le temps.

Le fonctionnement de la Scop :

Cinq éléments à retenir :

–  la mixité, générationnelle.

– la plasticité (tout est possible, on change de règle sur salaire, par ex.)

– le risque : constant, culture du risque (on décide d‚embaucher des non compétents : le risque est provoqué)

– l‚affection : la question de la peur,  » d‚avoir de l‚estomac  »

– le temps :  » le refus de l‚autre est instantané, la découverte de l‚autre est progressive  »

Tous les embauchés sont associés. Ils sont embauchés la première année en CDI et au bout d‚un an ils doivent faire une demande pour devenir associé. (Ce n‚est pas facile pour tout le monde de prendre autant de responsabilité et des gens qui sont partis parce qu‚ils ne voulaient pas devenir associé.)

Au moment de l‚embauche, on ne sélectionne pas en fonction du projet de l‚entreprise, on embauche des personnes qualifiées et non qualifiées. Il y a maintenant d‚ailleurs une partie des associés qui font opposition car ils voudraient n‚embaucher que des personnes qualifiées, pour être plus rentable.

Pour le cycle professionnel on essaye de prendre des jeunes en CAP pendant 4 ans. Par exemple, deux personnes ont été embauchées sans formation de départ, elles étaient en grande difficulté. Une sur 6 ans dans l‚entreprise a fait 4 ans en prison mais l‚entreprise l‚a socialisé.

Beria Bâtiment ne répond qu‚à des appels d‚offre, mais dans le monde des entreprises traditionnelles, il y a deux fonctionnements :

– l‚appel d‚offre

– le marché d‚entreprise de travaux publics : si la collectivité locale qui veut construire un lycée par exemple, et qu‚elle n‚a pas d‚argent, elle crée une concession d‚entreprise générale (l‚entreprise devient concessionnaire). La collectivité achète seulement l‚usage d‚un lycée pour la collectivité (leasing à l‚Etat en fait). L‚entreprise se transforme en banquier. Au final, ça coûte 1,5 fois plus cher à la collectivité

Les salaires

1) Au départ, salaire égalitaire : risque : trouver beaucoup de non compétence et pas de compétence, mettre en valeur les inégalités sociales. (Par exemple, quand on n‚avait plus rien à bouffer le fils de bonne famille il a toujours de la ressource à l‚extérieur).

(Cette formule à été abandonnée puis reprise, puis ré abandonnée)

2) à l‚inverse on a fait aussi le salaire basé sur la qualification en fonction du barème des conventions collectives : j‚offre une compétence qui est reconnue d‚entrée, indépendamment de tout le reste (investissement réel dans l‚entreprise, comportement, capacité à prendre des responsabilités, etc.<sum>toute chose d‚égale importance que la compétence stricto sensu).

Les principaux sujets remis en cause et discutés par les associés de Beria Bâtiment :

– Pourquoi changer de métier 4 ou 5 fois dans la vie, car quelles compétences acquiert-on. Cela crée de la  flexibilité, peu de compétences et peu d‚emplois.

– L‚inégalité vient du rapport à l‚entreprise

– Le problème de la mixité sociale : ça fonctionne mais c‚est dur concrètement dans le quotidien (Par exemple, l‚apprenti qui est raccompagné par un gars qui conduit sans permis).

– Les affinités avec l‚entreprise pour former un groupe solidaire qui coûte en investissement.

Les difficultés rencontrées :

Réussite, mais aussi crise et dépression. A un moment on a perdu énormément d‚argent. Proche du dépôt de bilan. C‚était au moment des jeux olympiques d‚Albertville, 3 millions de francs ne nous on pas été payés pour la construction d‚un hôtel. On s‚est battu pour obtenir l‚hôtel (dation en paiement) et on est devenu gérant d‚hôtel ! Il a fallu exploiter l‚hôtel pendant 10 ans pour nous rembourser et puis on l‚a vendu.

Pour d‚autres cas ou l‚on n‚a pas été payé, on a enlevé tout ce qui est nécessaire au bon fonctionnement (toutes les portes dans un palace de Vichy !) et le soir même on a pu négocié.

 

Une coopérative, si elle veut être indépendante est confrontée à tout ça.

Marie-Thérèse Chaupin

Dans le cadre de notrre chantier sur les alternatives de vie en 2005, nous avons rencontré Marie-Thérèse Chaupin de la communauté Longo Maï

Notre compte rendu n’a pas été relu par Marie Thérèse Chaupin, il peut donc comporter des erreurs.

Le compte rendu

D’où vient ce mot  » Longo-Maï  » interrogent certains participants ?

 C‚est un vieux paysan provençal qui nous l‚a dit lors de notre arrivée dans les Alpilles, répond Marie-Thérèse Chaupin, cela veut dire  » qui dure longtemps « , çà nous a plu, on en a fait notre nom !

Longo Maï est une coopérative qui existe depuis 1973, constituée de 150 adultes et autant d‚enfants. Elle c‚est implantée dans onze lieus différents en France. Ce sont généralement des fermes situées dans des lieus désertifiés.

L’idée de base :

A la suite des évènements de mai 68, deux petits mouvements de jeunes en Allemagne et en Suisse, se battent pour leur statut d’apprentis et contre l‚enferment des enfants psychologiquement fragiles dans des centres mal adaptés à l’époque.

Début 70, il y a une réflexion dans ces groupes : Comment continuer la bagarre sans être sur la défensive ? Par ailleurs les problèmes sont dans tous les pays d‚Europe, l‚économie galopante ne nous enthousiasme guerre, le chômage des jeunes et la criminalisation dont on les taxe, la désertification des campagnes et la surpopulation des villes. Longo Maï commence un travail d‚analyse théorique et de recherche sur : Comment changer le monde sans armes ?

On s‚est dit, explique  Marie-Thérèse Chaupin, que la campagne se désertifiant il y avait des terrains pas trop cher que nous pourrions cultiver assurant notre nourriture, reconstruire les maisons en ruines et pouvoir partir en lutte si besoin.

Nous achetons notre première ferme, dans les Alpilles, vers Manosque à Fort Calquier, avec 300 hectares de garigue en friche depuis dix ans. Les maisons n‚avaient pas de toit sauf une, les sources n‚étaient pas entretenues. Nous étions  une quarantaine, Allemands, Autrichiens, Suisses et quelques Français. Les débuts furent difficiles car les conditions de vie étaient primitives mais nous étions jeunes (entre 16 et 25 ans) avec l‚idée de construire un idéal.  » On a toujours accueillie tous ceux qui voulaient venir,  le lieu doit rester ouvert.

La première Coop. ouvre en 1973 à Fort Calquier. Huit résidents étrangers demande un permis de séjour, refus du ministre de l‚intérieur et reconduction immédiate à la frontière.

Cette expulsion a fait beaucoup de bruit dans la presse et nous avons lancé un appel pour que des Français viennent remplacer les huit expulsés. Des gens ont afflués à raison de 6 à 8 par jour, cela  nous à donner la possibilité d‚essayer dans d‚autres lieux, d‚autres pays.

Le fonctionnement des coopératives Longo Maï :

-Le travail de la terre : culture de céréales pour nourrir le bétail (moutons, volailles, chevaux, vaches).

– Fabrication de conserves, de confiture, du pain, élaboration du vin.

– Travail de la laine et création de vêtements comme les pull-over.

Nous échangeons nos productions avec différentes coopératives pour être le plus autonome possible et nous vendons à l‚extérieur les surplus.

Les coopératives Longo-Maï en France et dans le monde :

5 coopératives en France dont la plus grande est composées de 6O adultes.

Une usine de laine avec 10 personnes.

Une ferme d‚élevage et de production de bois en Ardèche.

Une coopérative qui produit le vin.

Une coopérative de maraîchage biologique avec conserverie.

Une coopérative en Autriche : c‚est une ferme.

Une en Allemagne crée après la chute du mur avec des allemands de l‚Est.

Une en Suisse une ferme qui sert aussi de bureau.

Une en Ukraine dans les Carpates.

Une au Costa Rica.

Les règles :

Marie-Thérèse Chaupin nous explique que personne n‚est salarié. Il y a une caisse commune, il faut négocier son utilisation.

Chaque lieu est autonome dans sa gestion quotidienne.

Il y a aussi des coordinations entre les coopératives, ce qui n‚est pas sans conflits, mais tous les problèmes sont abordés en réunion de petit groupe ou plus grand groupe pour les décisions qui touchent tout le monde.

Il n‚y a pas de vote ni d‚écrit, tout est dans la négociation verbale.

Il n‚y à pas de sédentarité dans un lieu, quant un nouveau arrive on essaye de le faire tourner dans toutes les coop.

Quelqu‚un demande à Marie-Thérèse si l‚éducation des enfants est faites à l‚intérieur des coopératives ?

Les enfants vont à l‚école du village à l‚extérieur. Cependant une fois, se souvient Marie-Thérèse Chauvin, il n‚y avait pas d‚école à proximité de Longo-Maï. Ils décident donc d‚ouvrir une classe sauvage : Il trouve une vieille institutrice à la retraite et un jeune instit sans boulot, la mairie leur prête un local et cela fonctionne bien, pendant un an, avant que l‚inspecteur d‚académie décide d‚autoriser l‚ouverture d‚une école.

–  Comment faites-vous quant il y des gens qui prennent du shit ou de la drogue ?

Il n‚y en pas chez nous, nous expliquons que la drogue aliène les esprits et maintient les gens dans un état qui les empêche de lutter, et que cela permettrait à la police de venir chez nous donc c‚est NON, la personne qui n‚est pas d‚accord n‚a pas sa place chez nous.

– Comment gérez-vous les problèmes de sexualité, comme dans toutes les communautés il doit y avoir des  problèmes de jalousie, de séparation ?

Là aussi, on en discute. Nous n‚avons pas eu de vrais gros problèmes. Si parfois un couple se sépare si c‚est trop douloureux l‚un des deux peut aller travailler dans une autre coopérative et il ne se sent pas isolé, puisqu‚il les connaît toutes, il existe plusieurs liens d‚amitiés.

– Y‚a-t-il toujours des actions politiques vers l‚extérieur et en ce qui concerne l‚accueil ?

Quant il y a eu le putch au Chili nous avons demandé au gouvernement si nous pouvions accueillir 3000 chiliens ce qui a été refusé. Alors nous avons fait le tour des paroisses et des communes pour demander aux gens s‚ils pouvaient accueillir 2 ou 3 réfugiés. Quand les familles ont été trouvées, le gouvernement  a accepté de délivrer les permis de séjours.

Nous avons aussi notre radio :

En 1981, deux jours après l‚élection présidentielle, nous avons installée un petit émetteur sur une colline  avec un minimum de matériel et, nous avons commencé à émettre : musique puis infos de tous les pays, on évoquait les problèmes politiques par exemple les réfugiés kurdes, turcs, maliens.

En 1986 quand les maliens ont été renvoyés dans des charters on les a aidé à monter une radio à Bamako pour qu‚ils organisent leur résistance.

En 2000, Espagne, le pogrom, on y est allé et nous avons communiqué sur la façon dont était cultiver les tomates et comment étaient traité les travailleurs marocains exploités dans des conditions épouvantables. Nous avons réussie à mobiliser l‚opinion pour boycotter ces produits.

La gestion du quotidien :

– Comment faites-vous, concrètement, pour que toutes les tâches soient effectuées équitablement ?

Le dimanche soir on fait une liste et ce sont les personnes qui décident de ce qu‚elles feront dans la semaine : Il y a la cuisine, le ménage, les animaux, le jardinage, aller chercher les enfants à l‚école, la permanence de la radio etc.

Parfois il n‚y a personne dans une case, par exemple personne pour  faire le pain alors celui qui sait faire va apprendre à celui qui ne sait pas encore et çà marche comme çà, par cooptation.

– Et avec les enfants comment faites vous, quant ils se rebellent contre l‚éducation de leurs parents ?

C‚est les mêmes problèmes que dans les familles traditionnelles sauf que là le fait que ce soit une communauté il y a rarement d‚affrontements directes avec les parents, l‚enfant trouve facilement une autre personne avec qui il peut discuter.

Quant ils ont des vêtements personnels ou des jouets achetés parfois par des grands-parents qui vivent en dehors de la communauté il les garde puis au bout d‚un moment ils échangent d‚une façon  assez naturelle.

– Si quelqu‚un veut s‚acheter quelque chose de spécifique et qu‚il n‚y a pas assez d‚argent dans la caisse ?

Chaque personne gère la caisse à tour de rôle donc chacun à conscience des difficultés qui peuvent exister dans ce cas de figure. Parfois on peut mettre une semaine entière pour discuter des problèmes d‚argent, si l‚on doit faire appel aux donateurs, ou augmenter notre production.

De toute façon tout passe par la discussion, la négociation et cela fait quand même trente ans que l‚on dure !

 

Paul Blanquart

En 2006, dans le cadre de notre chantier sur la démocratie, nous avons rencontré Paul Blanquart, philosophe.

 « N’oublions pas le « par tous » ! »

L’an passé, Paul Blanquart, philosophe, était venu nous apporter ses lumières (historiques, notamment) sur la place de l’économie dans nos sociétés. Nous l’avons réinvité, le 6 janvier après-midi, pour qu’il vienne, cette fois, nous parler de démocratie. Toujours avec la même passion et le même sens des vraies priorités…

Pour nous, la démocratie se confond depuis longtemps avec le régime représentatif. Est-ce si évident que cela ? « Est-ce que vous trouvez que le Sénat représente la France ? Que le président de la République représente les Français, a lancé d’entrée Paul Blanquart. On sent bien que ça ne marche plus très bien. » Il nous invite donc à revenir au sens de la démocratie : « Par tous, à égalité, chacun dans sa liberté, à l’origine de la vie collective ». Aujourd’hui, le discours sur les droits de l’homme tend à se substituer à ces principes démocratiques. Mais de quelle vision des « droits » s’agit-il ? S’il s’agit de droits (à manger, à se loger…) que chacun va percevoir et réclamer au guichet, on a tout simplement remplacé les citoyens par des « clients des droits ». « Il ne s’agit plus d’être à l’origine du collectif, mais simplement d’être assisté et entretenu », martèle Paul Blanquart.

Six périodes historiques

Il nous a ensuite invités à le suivre dans un rapide parcours des grandes époques de l’humanité en montrant, pour chaque période :
-  ce qui fait société, c’est-à-dire lien entre les gens ;
-  quelle est la manière de penser ;
-  quelle est la valeur centrale ;
-  comment s’articule le local et le global ; ce qui fonde le politique.

-  Au cours de la préhistoire, le lien social est créé par le symbole et la religion : on fait cercle autour de totems, de pieux sacrés verticaux qui fondent l’unité du groupe au nom d’une certaine transcendance (les dieux, les ancêtres…). Les échanges servent surtout à exprimer le lien symbolique préexistant. La monnaie exprime la relation de parenté, ou le sacrifice. Tout se passe au niveau du village, mais celui-ci représente, en même temps, le monde tout entier, l’universel.

-  Dans l’Antiquité, le politique apparaît : au-dessus des agriculteurs, face aux pillards, certains se spécialisent dans une fonction défensive et deviennent une couche supérieure. On en arrive ainsi à une organisation cosmico-hiérarchique. C’est une société à étages, une société de castes, avec des chefs. La valeur centrale, c’est l’ordre. On ne parle pas d’égalité mais d’équité (un mot qui a tendance à revenir, ces dernières années, sous la plume d’Alain Minc, notamment, et qui est lourd de fondements idéologiques). Chacun « participe » mais selon son rang ; chacun est indispensable mais chacun à sa place.

-  Puis, le politique s’autonomise par rapport aux religions : c’est l’Etat qui fait la Nation. La notion de hiérarchie est rejetée puisqu’elle renvoie à Dieu. Avec Descartes, on passe d’un monde clos à un univers infini et homogène. Désormais, tout équivaut à tout : tous les Français sont les mêmes, semblables… La valeur centrale, c’est l’assimilation : devenir identique.

-  Ensuite, l’économie s’autonomise du politique avec l’avènement de la société industrielle. L’économie tend à prendre toute la place, le capital étant lui-même au service de la production. C’est la conquête de l’espace au détriment de l’humain. La manière de penser a quelque chose à voir avec la thermodynamique : le modèle de la machine à vapeur s’impose partout. Tout doit être « productif », rationnel et efficace.

-  Aujourd’hui, nous sommes entrés dans l’ère de la communication. Qu’on soit à Hong-Kong ou Paris, tout est homogénéisé. Il y a du global, mais plus du tout de local dans cette logique. Les flux traversent tout : c’est le monde du « trans ». Ceux qui sont aux commandes ne sont plus les Etats, mais les maîtres des flux, les « entubeurs » (par opposition aux « flués floués », aux « entubés »). C’est le règne de l’hégémonie des besoins : on définir les besoins humains à partir d’une moyenne statistique (le fameux « Français moyen ») et on donne des allocations à ceux qui sont en dessous de la moyenne. L’assistance de l’Etat-providence permet d’éviter qu’il n’y ait trop de « sauvagerie ». En même temps, elle transforme le citoyen en consommateur passif.

-  Et demain ? Il s’agit de tenter de créer le monde de l' »inter » (« par-tous » et « entre-autres ») contre la logique du « trans ». Dans ce monde nouveau, nous sommes conjoints par ce qui nous distingue. C’est le contraire de l’uniformisation : l’autre m’intéresse parce qu’il est différent. C’est la théorie de la complexité, avec deux principes : le décloisonnement des disciplines (au contraire de Descartes, qui coupe les disciplines entre elles) et l’imbrication des échelles (local, national, mondial…). A l’ère de la complexité, nous avons encore davantage besoin de démocratie : il faut disposer du maximum de points de vue pour prendre une décision « éclairée » et ne pas faire trop de conneries ! Et la démocratie locale repose sur la singularisation de chacun dans son lieu. « La seule chose qui peut provoquer de l’intelligence, c’est le débat collectif avec tous. »

Pour Paul Blanquart, il faut combiner le local et le global, mais pas en s’enfermant dans le village. Il s’agit d’affirmer l’universalité face à la clôture et la multi-dimensionnalité face à l’applatissement. Bref, de tenir ensemble l’égalité et la différence. Et d’imaginer un « pour tous » au service du « par tous » (et non l’inverse).