Le chantier de l’année

« Quatre mois, quatre lieux » : le nouveau chantier de la Cie

Cette année, le projet collectif de la Compagnie va prendre un format différent des chantiers annuels portés par Naje depuis de nombreuses années (le dernier en date étant « Le Monde à l’Envers »).
Nous allons diriger des ateliers dans des lieux partenaires, dans plusieurs villes de France. Chaque atelier aboutira à un spectacle joué localement.

Après cette première séquence, tous les groupes se retrouveront fin juin pendant trois journées à Montreuil pour mettre en travail ensemble ce qu’ils auront fait localement.

Initialement prévu pour 4 lieux, ce projet s’appelle « 4 mois 4 lieux ». Depuis, d’autres partenaires nous ont rejoints. Nous irons ainsi à la MJC La Fabrique à Tourcoing (59), la Maison de quartier Floréal à Saint-Denis (93), la Maison de Quartier Saint-Nicolas à Romans-sur-Isère (26), au centre social Le Pari’s des Faubourgs à Paris 10e et à Versailles avec le Secours Catholique. Un groupe de Tarbes participera également aux journées de regroupement final.

Réservez vos places pour « Le Monde à l’envers » !

Ce spectacle de théâtre-forum, issu du chantier national de la Cie NAJE, a été créé avec 44 comédien·ne·s amateur·e·s et professionnel·le·s. Il parle de la manière dont sont traités les humains, la terre et les animaux. Ou, pour le dire autrement, de l’agriculture, des migrants sans papiers, de l’hôpital, de la psychiatrie, de la précarité et de la souffrance animale.
Le vendredi 27 mai à 20h et le samedi 28 mai à 15h
À La Parole Errante Demain : 9, rue François Debergue à Montreuil (93)
(métro : Croix de Chavaux – ligne 9)
 
Tarifs : 10 €, 15 € (soutien), 5 € (réduit), 2 € (minima sociaux)
 

[Monde à l’envers] Fethi Brétel : « Ce sont les dominations qui nous rendent fous »

Le samedi 11 décembre 2021, le psychiatre Fethi Brétel est venu rencontrer le groupe du « Monde à l’envers ». Son intervention, la dernière des cinq week-ends de préparation du chantier national, a porté sur les institutions psychiatriques et notre rapport à la folie.

Je suis psychiatre, et j’ai 42 ans.

À la faculté de médecine, je me désintéresse de l’enseignement de la psychiatrie, axé sur une « médecine basée sur les preuves dites scientifiques » (« evidence-based medecine »), qui se désintéresse de tout ce qu’il y a de plus humain en nous. Par exemple, l’effet des antidépresseurs sur les troubles anxieux nous était présenté comme équivalent à celui d’une thérapie cognitive et comportementale (sur la réduction des symptômes).

J’ai fait mes études de médecine et me suis spécialisé en psychiatrie, à Rouen. Je connaissais bien la psychiatrie avant mes études puisqu’il y avait toutes sortes de folies dans ma famille.

À l’hôpital du Rouvray (Rouen), la grève de la faim (2018) de soignants qui disaient maltraiter les patients plutôt que les soigner, vu les protocoles se soin et les conditions de travail, a été le point de départ de la lutte hospitalière en psychiatrie.

À l’époque, je travaille dans des structures extérieures (extrahospitalières), mais faisant le constat que le soin en hôpital est impossible, je me mets (à contre cœur) en disponibilité. Par la suite, ils ne veulent pas me réintégrer. Je suis donc allé travailler dans le « privé lucratif », puis j’ai ouvert une consultation libérale.

Le DSM (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux)

Dans les années 1950, aux États-Unis, apparaît le DSM qui classifie les troubles mentaux et impose ses critères au monde. Àl’époque, il répertorie une cinquantaine de troubles. La version actuelle (6e édition) en compte plus de 600 ! Des troubles entrent, d’autres en sortent : par exemple, l’homosexualité n’y figure plus depuis la version de 1983 ; par exemple, y est entré l’état de stress post traumatique (à l’origine, les troubles observés auprès des vétérans du Vietnam n’étaient pas reconnus, et donc pas indemnisés. On a créé ce terme médical sur des critères sociaux, et non scientifiques et médicaux).

Le DSM a été pensé par des experts et des grands noms de l’association américaine de psychiatrie qui tous affichent des liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique. Les industriels en viennent même à nommer des maladies en fonction des substances qu’ils mettent au point : sur le marché, la Ritaline a été une solution préexistante à la nomination du « trouble de l’hyperactivité de l’enfant ».

Le DSM est un moyen de médicaliser l’existence des gens, en particulier des enfants puisque l’école est un excellent lieu pour faire passer des termes comme : trouble de spectre autistique, trouble de l’hyperactivité, troubles lié à un haut potentiel intellectuel, troubles « dys » (praxie, etc.), et un tout nouveau pondu : le trouble oppositionnel de l’enfant.

Le DSM n’a aucun intérêt pour les patients. L’important est que le patient mette des mots sur ce qui lui arrive. Parfois il a besoin de mettre un nom sur ce qu’il a, mais surtout de mettre des mots sur ses maux. Le DSM enferme de plus en plus les patients dans des catégories et ne tient pas compte des contextes sociaux-familiaux.

Dans les services hospitaliers, le DSM oblige, dès le premier rendez-vous avec un patient, à mettre un code sur sa pathologie. On a l’impression qu’avec le DSM, un simple symptôme devient une maladie.

Une démission (histoire jouée)

Je travaille dans une clinique privée (lucrative) et suis le seul médecin salarié, responsable de l’hôpital de jour qui accueille des personnes dont on ne veut plus dans le public parce qu’on n’arrive pas à les soigner (ils reviennent tout le temps à l’hôpital). Or, on n’a plus de place dans les locaux et le planning est surchargé. Ma demande de plus de moyens restant sans réponse, je demande à la secrétaire de mettre en suspens toute nouvelle demande d’admission. La direction réagit en envoyant le directeur médical pour reprendre les admissions à ma place. La messe est dite. Je démissionne car je ne peux plus garantir la qualité de notre travail.

Création des « pôles »

Dans le public, dans les suites de la loi HPST (Bachelot, 2009), je suis devenu responsable d’un service de l’hôpital. C’est l’époque où a été mise en place une véritable bureaucratie sanitaire : les Agences Régionales de Santé, qui deviennent essentiellement des courroies de transmission descendante servant à faire appliquer sur le terrain les mesures prises par les technocrates du ministère, au mépris des nécessités réelles. Les hôpitaux perdent en autonomie, les chefs de service perdent leur pouvoir décisionnaire et sont rebaptisés en « responsables » de service (comprendre « troufions » de service), les services dézingués par la création de « pôles d’activité » qui regroupent plusieurs services avec à leur tête des chefs de pôle, nommés par la direction pour faire appliquer le « projet d’établissement » au sein de leur périmètre et ne sont ainsi plus disponible pour leur cœur de métier. A l’hôpital général (dans les CHU notamment), cela donne des absurdités fonctionnelles comme, par exemple, la création d’un pôle « tête et cou » qui regroupe neurologie, neuropédiatrie, psychiatrie, ophtalmo, stomatologie, endocrinologie (eh oui : la thyroïde c’est dans le cou !). Si on manque de soignants en psy, on fait appel à un soignant du même pôle (mais qui n’a ni l’expérience ni le savoir-faire dans la discipline concernée).

Depuis les années 1990, le nombre de patients pris en charge, la « file active », n’a cessé d’augmenter (doublement de cette file active en psychiatrie publique en France entre les années 1990 et 2000). Le budget, lui, ne suit pas la même évolution, et l’écart entre les besoins et les moyens ne cesse de se creuser, avec pour conséquence la fermeture en série des structures de soins hors les murs (notamment les hôpitaux de jour) et le regroupement des survivantes (la fameuse « mutualisation des moyens »). Certains territoires, notamment ruraux, se voient tout bonnement privés de ces centres de proximité, et les inégalités territoriales d’accès aux soins se creusent.

Historique

La psychiatrie est maintenant appelée santé mentale. Le mot psyché a disparu. À quand la disparition des psychiatres ?

Le nouveau mode de financement de la médecine (tarification à l’acte) n’étant pas applicable en psychiatrie publique, on a donc créé un « parcours de soin » qui protocolise le chemin de chaque patient. Il n’y a plus de subjectivation, plus besoin de psychiatre, remplacé par des protocoles à mettre en place pour chaque patient. La psychanalyse a été bannie des structures de soin (comme des lieux d’enseignement d’ailleurs), au bénéfice d’une psychiatrie dite « biologique » qui n’a que médicaments à proposer.

Au 19e siècle, il y avait des grands asiles d’aliénés à l’écart de la cité. Les médecins décrivent donc des troubles qui ont lieu dans un contexte d’enfermement.

En 1967, on crée le premier diplôme de psychiatrie (le certificat d’études spécialisées), qui succède à celui de « neuropsychiatre ». D’autre part, un psy qui reçoit des patients se doit de suivre lui-même une analyse et de faire contrôler sa pratique. Or, en 1983 (date du virage néolibéral des politiques publiques), la psychiatrie est ramenée dans le giron des « spécialités médicales » (au même titre que celles de la « médecin organique »). En 1992, le diplôme d’infirmier spécialisé en psychiatrie suit le même sort et disparaît au profit d’un diplôme généraliste d’ « infirmier d’Etat ». Les pratiques ontologiques du psychanalyste tombent en désuétude, puis seront traquées.

Pendant la guerre 1939-45, les patients en hôpitaux psy ont été livrés à eux-mêmes (40 000 personnes) sauf à Saint Alban : sous l’impulsion de François Tosquelles, se pratique la « psychothérapie institutionnelle » qui postule qu’il faut soigner l’institution pour soigner les gens, notamment en la décloisonnant, c’est-à-dire créer du lien avec le territoire et les habitants autour.

Par la suite, la clinique de Laborde, fondée par Jean Oury, deviendra un haut lieu de la psychothérapie institutionnelle, une approche révolutionnaire fondée sur l’émancipation des patients. La psychanalyse a une fonction politique en s’inscrivant ainsi dans une communauté de territoire.

Aujourd’hui, l’ARS régit tout et donne les crédits. La haute autorité de santé impose des normes de durée d’hospitalisation, de protocole de soin, etc.

Dans les établissements de santé on ne peut plus résister. Moi je suis très isolé dans ma région. Très peu de psychiatres partagent ma pensée.

Quelques lieux ressources 

– À Reims : La Criée, Patrick Chemla

– Près de Blois : La Clinique de Laborde (mais qui se dégrade)

– À Échirolles, Le Village 2 Santé : structure de soins de premier recours qui se finance avec les actes libéraux qui vont à un pot commun qui paye tout le monde (y compris des travailleurs sociaux), avec égalité salariale à 2 000€. On y travaille la santé communautaire, tout le monde participe à toutes les tâches. On réfléchit aussi sur les causes sociales de la santé (cf. sur YouTube « Un autre soin est possible » : https://www.youtube.com/watch?v=TPn_edifie0).

– À Marseille aussi, Besançon et Vaulx-en-Velin…

Psychanalyse et capitalisme

Avant l’apparition de la psychanalyse, les aliénistes avaient produit des catégories : les délirants, les suicidaires, etc. Puis l’aliénation mentale a été comprise comme liée à notre inconscient. On a reconnu la singularité du sujet dans son histoire personnelle. Du coup, on cherche la cause du trouble, et le symptôme prend un nouveau statut : celui d’un compromis défensif trouvé par le sujet à son insu. On se pose la question, par exemple, pour l’anorexie ou la dépression : est-ce que c’est un organe défaillant ou le système défensif qui met en place ces symptômes pour ne pas péter les plombs ?

Moi je dis que la folie est constitutive de notre histoire et qu’on peut la réussir ou la rater.

La médecine d’aujourd’hui fait taire le symptôme.

Le capitalisme amène une forte industrialisation. Le citoyen est pensé comme une force productive

Dans le même temps, l’autorité morale et religieuse se fait tyrannisante.

Freud attrape ça du côté de la sexualité des gens mais, au moins, il pense l’individu dans sa singularité.

1920, c’est la révolution russe : Freud milite pour l’accession de la psychanalyse à tout le monde, mais en 1930, il revient dessus et critique le communisme soviétique. Communisme et psychanalyse sont alors dévoyés.

Avant, les psychiatres étaient formés à la psychanalyse, maintenant plus du tout.

C’est quoi qui rend fou ?

On est fou parce qu’on a un inconscient. On peut parler et symboliser avec le langage. On peut donc conceptualiser notre propre fin. On sait donc qu’on est des manquants, des êtres finis.

On ne connaît pas notre inconscient, on est sujet de notre inconscient, et ça, ça nous dépasse, on est aliéné fondamentalement. Mais la folie n’est pas malheureuse.

Si on souffre, qu’on ne compense plus, il y a écroulement, et on décompense.

Ce qui nous rend fou, on peut l’universaliser chacun, mais pas de la même manière. C’est la manière qui est singulière.

La domination patriarcale nous rend fous (notamment par l’ampleur et la banalisation des agressions sexuelles), les violences au travail (devenu le plus souvent un pléonasme), la condition salariale, et à plus forte raison, celle de chômeur ou sans emploi, bref tout ce qui nous domine.

Dans un bloc opératoire (histoire)

Un infirmier décide de se spécialiser en pratique de bloc opératoire, service orthopédie d’un centre hospitalier. Il suit une formation financée par son employeur.

Le centre hospitalier décide de réunir les blocs opératoires dans un même bâtiment, pour « améliorer les conditions », mais c’est en fait pour faire des économies. On supprime des postes, on intègre des logisticiens matériel (importés du monde de la logistique).

L’infirmier travaille sur une prothèse de hanche, il la scelle avec un ciment spécial mais il y a un accident (rare) pendant l’opération, et la patiente décède sur la table d’opération. Il réalise que le produit ciment a été mal conditionné, en raison du peu de place, à côté des poubelles. Cette femme n’aurait pas du mourir.

L’infirmier commence à avoir des idées de suicide et est incapable d’aller travailler. Il va voir son supérieur, veut consulter en CMP, mais il n’y a pas de place disponible. Il est orienté chez moi, en ville. Il va mieux, veut travailler ailleurs mais est engagédans son poste actuel à cause de sa formation, à moins de rembourser la modique somme de 53 000 €. Il pense faire reconnaître sa maladie en maladie professionnelle, mais la hiérarchie l’en dissuade.

 

HISTOIRES DE PATIENTS

Chez Amazon : un conflit éthique impossible

C’est son premier poste, il travaille en entrepôt et fait l’intermédiaire entre la direction locale et les employés. Pendant la période covid, on lui demande de fliquer les travailleurs sur la distanciation physique (2 mètres). Il doit utiliser les caméras de surveillance, convoquer les personnes et les virer.

La direction veut virer 80 personnes, et lui se casse la tête pour chercher à tout prix des fautes professionnelles qu’il ne trouve pas. Il ne peut plus se lever le matin, s’arrache les cheveux, littéralement. Quand il voit un couteau, lui apparaissent des images violentes d’harakiri. Son voisin se fait livrer un colis Amazon, ce qui lui provoque des crises d’angoisse. Il veut se mettre en arrêt longue maladie, mais il attend un justificatif que ne lui donne pas son employeur.

Il est en conflit éthique avec lui-même car étant issu d’un milieu modeste, son cœur penche du côté des salariés.

Sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle lui a été refusée. Il fait un recours.

Attouchements du père

Une femme institutrice chevronnée m’est adressée par son médecin traitant pour dépression. Elle vit chez elle avec son compagnon depuis huit ans et se sent bien, enfin, avec quelqu’un. Il parle de s’installer dans le sud, mais elle découvre qu’il a ce projet avec sa meilleure amie. Elle ne réalise cela qu’en me le disant. Ils se séparent. Il n’a jamais participé au loyer et, en plus, il part avec des affaires à elle. Elle se rend compte que c’est un connard. Elle fume, est alcoolique, perdue, en grand désillusion dans son métier. Elle me dit qu’à 8 ans, son père l’a violée. Encore en contact avec lui, elle lui en parle (40 ans plus tard), il dit qu’il se chargeait de son éducation sexuelle. Elle est sidérée. Elle décrit précisément une scène où ils dormaient dans le même lit et où il l’a pénétrée. Elle dit : « Il m’a détruit ma vie ». Mais elle ne peut toujours pas le détester bien que sa vie entière ait été un ratage avec les hommes.

Violée ado

Une femme de 60 ans issue d’une famille portugaise connaît à peine son père. Sa mère faisait des ménages, de nuit, à l’hôpital. Aînée de la fratrie, elle secondait sa mère qui, avec son compagnon, la battait si elle ne faisait pas bien. Entre 10 et 12 ans, son beau-père s’introduit dans sa chambre à plusieurs reprises, la tape et la viole, tandis que sa mère est absente car elle travaille la nuit. Depuis, elle ne dort plus la nuit. Sa mère la menace de mort si elle le dit. Ado, elle est hospitalisée de nombreuses fois, a fait plusieurs tentatives de suicide, puis, plus tard, a eu huit enfants de lits différents : c’est une catastrophe existentielle qui se répand aussi chez ses enfants (qui ne lui parlent plus pour certains).

La pauvreté, ça rend fou

De plus en plus de gens tombent dans la pauvreté, et notamment des hospitaliers suspendus. Une aide soignante qui, en temps de covid, a fait des heures supplémentaires et qui refuse la vaccination me dit : « On me crache à la gueule, après tout ce que j’ai donné ». Elle vit les intimidations de la direction des hôpitaux comme des agressions insupportables. En tant que médecin psy, je l’ai mise en arrêt de travail mais l’hôpital refuse de lui verser les indemnités auxquelles elle a droit. Pour survivre, elle fait des ménages chez des voisins. Sa problématique quotidienne est d’assurer sa subsistance.

Les jeunes

– Une lycéenne se vivant comme une proie dans la jungle ne va plus au lycée.

– Autres symptômes : boulimie, privation alimentaire, scarification…

– Des influenceuses (utilisées par des marques de produits) fabriquent des normes : comment une relation sexuelle doit se dérouler, les passages obligés, comment se maquiller, s’apprêter, se comporter… Tout ça génère de l’angoisse.

Ma conférence gesticulée : « Je ne suis pas là pour vous écouter »

J’ai entendu un jour mon tuteur dire à une patiente : « Je ne suis pas là pour vous écouter ! Si vous avez besoin de parler, adressez-vous à un psychologue ». Comment un psychiatre peut-il dire cela ? Si lui n’écoute pas, qui peut écouter ? En somme il dit : je n’ai pas besoin que vous me racontiez votre vie pour faire mon diagnostic et vous médicamenter. Il sous-entend que son temps est plus précieux que le vôtre et que vous n’allez pas l’encombrer.

Moi, je me suis formé en écoutant mes patients. Je n’avais par exemple aucune idée de la pauvreté :

Un jour, je vois une gamine de 4 ans et comprends qu’elle a un psycho traumatisme car elle va se cacher sous la table chez elle dès qu’elle perçoit un bruit. J’apprends qu’elle a assisté à une violente scène où son père poursuit sa mère avec une pioche pour la tuer. Une mesure d’éloignement a été prononcée mais il revient sans cesse. Je lui demande : « Pourquoi vous ne déménagez pas ? . Elle me répond : « Parce que, si je le fais, je suis à la rue ». 

Ma pensée 

  1. Il n’y a plus rien qui institue le soin, donc il faut faire sans les institutions. Mais ça isole beaucoup. Mes patients m’ont suivi en libéral, comme je ne peux pas prendre tout le monde, ils ont mon numéro de téléphone et savent qu’ils peuvent m’appeler ou m’écrire à tout moment. J’installe du lien, de la continuité. Comme on ne peut plus s’appuyer sur les services d’urgence, c’est important.
  2. Je ne sais pas mieux que les patients ce qui est bon pour eux.
  3. Je travaille la relation et je prescris aussi : il n’y a pas d’opposition. Je dis que le traitement ne soigne pas mais qu’il soulage de l’insupportable, qu’on peut aussi supporter, c’est à chacun d’estimer. Un traitement permet de soulager, soulager permet la parole.

Mais aucun médicament ne devrait être pensé comme un remède, et encore moins à vie.

Suite à des questions

– Les partenaires culturels, c’est ça le cœur du soin : sorties kayak, théâtre, cinéclub, etc. Ils créent aussi du lien social. Tout ça est abandonné par l’hôpital et est relégué au médicosocial.

– Je suis ouvert à toutes les formes de soin : croyances, médecine chinoise, incantations… C’est le patient qui sait et qui trouve ce qui est bon pour lui.

– Oui, on arrive à remettre les choses à l’endroit, mais il ne faut pas pour autant arrêter de se voir.

 

 

[Monde à l’envers] Amandine Vidal : «La force des Gilets jaunes, c’était d’être dans l’action ensemble»

Le 7 novembre, dans le cadre du chantier Le Monde à l’envers, le groupe a reçu Amandine Vidal, 37 ans, syndiquée à SUD et réalisatrice de « Ladie Burger », un documentaire-portrait de Mélanie N’Goye Gaham, une Gilet jaune amiénoise. Elle nous a expliqué ce quelle a compris et ce qui l’a séduite dans ce mouvement, dune portée révolutionnaire à ses yeux.

 

Je nai pas participé au début des Gilets jaunes, en novembre 2018, car j’étais alors en plein déménagement. Et puis, je voulais comprendre le mouvement avant de mengager. J’étais déjà politisée, et syndiquée à Sud. Donc, j’avais un peu cette réserve des gens engagés très à gauche. Dautant que le 20 novembre, à Flixecourt (en Picardie), un groupe de GJ avait dénoncé aux douaniers des migrants cachés dans un camion-citerne, un incident largement relayé sur les réseaux sociaux. Finalement, je ne suis entrée dans le mouvement quen janvier 2019, car je voulais comprendre par moi-même ce qu’il se passait. Et il se passait quelque chose d’assez incroyable !

La première fois où je suis allée sur un rond-point, à six heures du matin, je ne reconnaissais personne, car il ny avait pas les militants habituels. Mais jai été bien accueillie, mes craintes se sont dissipées et la conversation a été très fluide. Les Gilets jaunes présents étaient pour la plupart des primo militants qui navaient jamais manifesté. Mais d’entrée de jeu, on pouvait parler politique.

Il y a là Fabien qui mesure au moins deux mètres et qui a un drapeau sur le dos, il mexpliquera quil sagit du drapeau de la communauté des gitans car son père était gitan. « On se mobilise pour une vie plus juste », affirme-t-il.

Il y a aussi Valérie qui dit être là « pour ses enfants » : ceux-ci font leurs études, mais sont obligés de travailler en même temps. Elle et son mari ont du mal dès le 15 du mois et ne peuvent pas payer toutes leurs factures. Elle explique : « Je ne suis ni de droite, ni de gauche, mais je dois être de gauche parce que, quand je parle, les gens me disent que je suis plutôt de gauche ». Elle a une aversion très forte pour l’extrême-droite. Mais elle ne sest plus bien retrouvée dans le mouvement quand celui-ci est devenu très national, avec les grandes manifs à Paris, et que les revendications se sont élargies (par exemple, aux quartiers ou à l’islamophobie).

Les Gilets jaunes veulent plus de justice sociale, fiscale et climatique. Leur but a bientôt été de bloquer l’économie, combattre le capitalisme. Le premier matin où je suis venue, rendez-vous avait été donné dans la zone commerciale, sur le parking dAuchan, afin de bloquer les camions de livraison. Le blocage sur le parking a été bon enfant : les camionneurs étaient plutôt bienveillants et buvaient le café avec nousOn a tenu pendant quatre heures, puis le gérant est venu nous dire de nous disperser, sinon il allait appeler la police, alors on est partis

 

Mélanie , une GJ des quartiers

J’ai réalisé mon documentaire, « Ladie Burger », sur Mélanie N’Goye Gaham et son parcours au sein des Gilets jaunes. Dans le film, on la suit dans son itinéraire personnelet militant. Mélanie fait partie des « Réfractaires du 80 »,avec Isaac et moi-même. Au début, son mari, franco-ivoirien, a été très mal reçu sur un rond-point : personne ne lui a parlé, et il nest pas revenu. Sans doute parce qu’il est métis et qu’au début du mouvement, il y avait encore quelques personnes d’extrême-droite qui traînaient.

Dans le mouvement, il y avait autant de femmes que dhommes. Il y a eu chaque dimanche des manifs de femmes GJ à l’automne 2018. Et je nai pas noté de machisme à outrance, sinon quelques débordements de style quand certains, en parlant des flics, scandaient « Les putes à Macron », ou des critiques personnelles à l’encontre de Brigitte Macron (« la vieille », « la moche »…).

C’est suite à l’appel d’Assa Traoré que Mélanie, comme beaucoup de Gilets jaunes des quartiers populaires, a rejoint le mouvement. En avril 2019, lors dune manifestation à Paris (acte 25), elle a reçu par derrière un coup de matraque à la nuque qui l’a mise KO. Grâce au collectif « Désarmons-les », le CRS a pu être identifié, et son procès a eu lieu le 18 novembre 2021 (la décision a été mise en délibéré au 16 décembre 2021).

Mélanie a également porté plainte contre Didier Lallement, préfet de police de Paris, suite à une garde à vue abusive le 12 décembre 2020, lors d’une manifestation contre le projet de loi “Sécurité globale”. Ce jour-là, Mélanie a été arrêtée et a subi 72 heures de garde à vue. On lui a reproché davoir tenu un parapluie multicolore (soi disant symbole de ralliement des black blocs) quune copine lui avait passé pendant quelques minutes. Les policiers nont rien trouvé sur elle, mais elle en est sortie détruite et na pas repris son travail. Elle continue de militer dans lassociation « Des mutilés pour lexemple », car elle se considère comme telle.

 

Violences policières

Au début du mouvement, les Gilets jaunes avaient plutôt une bonne opinion de la police, ils pensaient même que les policiers allaient les rejoindre. Le basculement sest fait le 1erdécembre 2019, quand les GJ ont envahi les Champs-Élysées et lArc-de-Triomphe. Pour eux, manifester sur les Champs, c’était par sentiment républicain : la rue est à tout le monde, donc à eux aussi, et les beaux quartiers aussi.

Lorsque les policiers ont foncé sur eux et les ont gazés avec des lacrymogènes et des grenades de désencerclement, les Gilets jaunes ont commencé à avoir une tout autre opinion. Ils ont découvert que les violences policières n’étaient pas réservées aux « délinquants », et ça a permis que le mouvement ne soit pas récupéré par l’extrême-droite (qui défend plutôt la police). Certains ont compris que les flics s’entraînaient depuis longtemps dans les quartiers populaires. À partir de là, ils nont plus pu crier en manif : « La police avec nous ! »

Le point culminant du mouvement a bien été le 1erdécembre, et cest à ce moment-là quon a raté le coche. En fin de journée, du fait quils n’étaient pas assez nombreux, quil y avait beaucoup de provinciaux, quil faisait froid et quil y avait des blessés, les Gilets jaunes sont partis. Il faut dire aussi quil y avait beaucoup de lacrymos, donc les GJ essayaient juste de survivre : dès quils ont trouvé une issue, ils sont sortis.

Ce jour-là, la police a été dépassée par le mouvement, car ils ne pensaient pas quil y aurait autant de débordements. Macron étant en Argentine, un conseiller lui a demandé de rentrer. Par la suite, les policiers ont revu leur stratégie, et cela a été le début de la fin : les violences policières sont devenues systématiques, et les GJ se sont trouvés piégé: contrôles en amont de la manifestation, retrait de tout ce qui pouvait être utilisé comme une arme mais aussi de tout ce qui pouvait protéger des attaques de la police (casquette, lunettes de piscine, sérum physiologique, etc.), utilisation de la technique de la nasse pour empêcher les gens de quitter la manifestation, flics infiltrés qui lançaient le premier jet de pierres (car le gouvernement a cherché à décrédibiliser le mouvement en faisant monter le niveau de violences)

Il y a quand même eu de sacrés personnages dans les manifs : ainsi, on a pu voir un « Jésus-Christ » avec sur sa croix des images de blessés par la police ; d’autres étaient habillés en Gaulois réfractaires.  Sans oublier leur cri de guerre : « Aou ! Aou ! Aou ! » Et les slogans : « Travaille, consomme et ferme ta gueule ! », ou bien : « Rejoignez-nous, ne nous regardez pas ! »

Quel que soit le degré de violences policières, tous les Gilets jaunes ont été traumatisés par elles, parce quils les ont subies, directement ou indirectement.

À la manifestation du 1ermai 2019, les affrontements ont commencé avant la manif car les policiers ont chargé dès le début les blacks blocs. Jai demandé à sortir car je vomissais à cause des gaz lacrymos, mais les policiers mont répondu : « Vous avez voulu venir ? Alors maintenant vous restez ! »

Ce jour-là, j’ai vraiment cru que jallais mourir. Je me suis provisoirement abritée derrière un camion de la CGT, mais c’était tellement violent que j’ai dû partir et me plaquer dans un coin de mur, accrochée à un gentil gars qui a bien voulu me protéger avec ses bras. Autour de moi, tout le monde hurlait : « On va mourir, on va mourir ! ».

On sest vraiment fait démonter. Après cette manif, on mettait 20 minutes à se calmer à chaque début de défilé.

Les manifs étaient hyper traumatisantes. C’était surtout les agents de la BAC qui faisaient les pires conneries et qui utilisaient les LDB. Lors des arrestations et des contrôles, les policiers insultaient les Gilets jaunes : « Kssos, chômeurs, vous puez ! »

Beaucoup de Gilets jaunes ont continué de manifester malgré les violences policières parce que, pour beaucoup, ils navaient plus rien à perdre : ils ont un travail mal payé, des problèmes de santé dès 40 ans dus à leurs conditions de vie et de travail, et cela alimente leur colère.

À Rouen, le préfet a même interdit de porter du jaune ! Les manifestants avaient caché leur gilet, mais certains ont été arrêtés parce quils avaient des boucles doreille jaune fluo ou un nœud-papillon jaune… En même temps, il y a eu larrivée d’une régate de bateaux, et beaucoup de spectateurs étaient en cirés jaunes !

Moi-même, j’avais mis mon gilet dans mon pantalon. Comme j’étais poursuivie par les policier et que jai vu que jallais être prise, je l’ai jeté dans leau, et des personnes qui étaient sur un bateau en face ont applaudi en voyant le gilet voler au gré du vent et tomber dans l’eau.

Sur une manif, on a aussi connu la technique de l’« encagement » : alors que des Gilets jaunes étaient en train de pique-niquer sur un banc en centre-ville avant daller défiler, les flics les ont entourés, leur ont demandé de se lever et les ont amenés jusquau lieu de la manif comme sils étaient en cage !

Il y a eu également des interdictions de manifester au dernier moment, du style : manif prévue à 14 h, et interdiction qui tombe à 13h30 ! Les flics ont alors utilisé la nasse et les lacrymos pour les disperser et, bien évidemment, les médias ont relayé linfo en disant que les GJ manifestaient sans autorisation.

 

Arrestation, garde à vue, procès

J’ai été arrêtée le 9 janvier 2020 lors dune manifestation contre la réforme des retraites. Je m’étais approchée de la colonne des CRS et javais mis son cache-nez :à ce moment-là, j’ai été prise en photo.

Deux à trois heures après la manif, je suis allée au Zénith aux vœux du maire. Sur le parking, je vois arriver des policiers en civil. Je leur dis quils nont pas le brassard, ils me répondent : « Ben,ça tombe bien, cest toi quon cherche ». Et je suis arrêtée.

Dans la voiture, jessaie de prendre mon portable pour envoyer un message, un policier menvoie une bourrade dans le ventre et me dit : « Quest-ce que tu fais ? Tu sais pas que cest interdit, les portables ? »

Au commissariat, on me demande : « Vous savez pourquoi vous êtes là ? » Comme je réponds « non », on m’explique : « Dissimulation du visage et non-dispersion après sommations ».

Je vais rester 30 heures en garde à vue, et cest très difficile psychologiquement. La cellule est très sale (vomi, pisse, merde), pas de matelas mais juste une dalle en béton, sans chaussures ni blouson. Les policiers, dès quils passent dans le couloir dans la nuit, tapent sur la porte pour te faire peur.

J’ai froid, je suis désespérée, je tape sur la porte métallique

Ensuite jai rendez-vous avec un avocat commis doffice, complètement incompétent, qui me dit : « Bon, vous avez fait quoi comme connerie ? »

Moi : « Vous êtes là pour maider, non ?

L’avocat : « Les Gilets jaunes, je les connais ! »

Voyant que je nai pas le soutien espéré, je me mets à hurler et à pleurer. Lavocat me répond : « Vous êtes GJ, vous êtes courageuse : allez, ravalez vos larmes ! »

Comme je sais quil y a des Gilets jaunes dehors pour me soutenir, je dis à l’avocat :

« Dites à mes copains que je vais bien et quils peuvent aller se coucher ». En fait, il a juste transmis : « Elle a dit que vous alliez vous coucher ».

Le lendemain, cest la mère de lavocat qui est venue pour linterrogatoire : elle m’a écrit des trucs en gros pour que je dise les réponses qui étaient écrites.

Normalement, dans un interrogatoire de ce type, il ne faut pas répondre. Mais comme je me sentais dans mon bon droit et que je navais rien fait, jai répondu aux questions. Par exemple, les flics mont demandé : « Est-ce que vous avez lintention de recommencer à manifester comme vous le faites ? »  Donc il faut faire très attention aux questions.

Jen’ai pas été interrogée sur la manif, mais sur mon passé militant et syndical, car ils pensaient que j’étais était leader dans le mouvement. Je me suis rendue compte quils avaient un gros dossier sur moi, car ils mont interrogée sur des déplacements que javais effectués trois ans auparavant.
Je suis sortie de garde à vue avec une convocation pour mon procès, qui a eu lieu plusieurs mois plus tard, en juin. J’ai été jugée coupable et jai écopé de 1000 € d’amende pour dissimulation de visage et non-dispersion. Sur le coup, jai été soulagée mais, après avoir réfléchi, jai fait appel, et je passerai le 19 janvier prochain.

Je me suis rendue compte combien les forces de lordre font jouer la peur, et je nen suis pas sortie indemne. En face, les flics portent plainte et sont soutenus par la justice. Lors du procès de trois camarades GJ au Tribunal de grande instance de Paris, les gendarmes sont venus en grande tenue et le juge leur a dit : « Je vous remercie pour lacte de déférence que vous montrez vis-à-vis du tribunal pour soutenir vos collègues ».

 

Syndicats et partis de gauche

J’estime quil y a eu une trahison des classes moyennes supérieures, des syndicats et des partis « de gauche » dans les premiers mois. À ce moment-là, on avait une révolution à portée de main. On voulait que les gens nous rejoignent. On leur criait : « Rejoignez-vous, ne nous regardez pas ! ». Il aurait fallu 10 % de la population pour générer une révolution.

Bien sûr, il y a eu des syndiqués (Sud, CGT, FO) pour nous soutenir localement. François Ruffin nous a pas mal aidé.es pour essayer de sortir les gens placés en garde à vue (en appelant la préfete). Mais les dirigeants syndicaux nont pas soutenu le mouvement. Ainsi, Philippe Martinez, de la CGT, a parlé avec beaucoup de mépris des Gilets jaunes : il a dit quil y avait beaucoup de confusionnisme, que les GJ n’étaient pas là lors des manifestations précédentes (retraite, chômage, etc.), alors pourquoi aller les soutenir ?

Les syndicats leur reprochaient de ne pas être organisés, de ne pas avoir de service dordre, de ne pas déclarer leur manifestationsalors que le leitmotivdes GJ était justement de ne pas être organisé: ils ne voulaient pas que tout se passe bien, ils voulaient quon parle deux, donc ils ont fait des actions qui étaient visibles et pouvaient être médiatisées.

Je défends ceux qui ont fait des déts, car ça n’a toujours été que du matériel. Je ne suis pas dans les black blocs, car je nai pas leur courage. Mais jai aidé à les planquer. Défoncer des banques face à la violence quon subit, ça n’est rien ! Faire des manifs, ça ne sert à rien… si ce nest pas pour créer un rapport de forces. Et cela peut passer par lattaque de symboles du capitalisme : banques, institutions, restos de type McDonald’s ou Burger King… Mais il ny a jamais eu destruction de petits commerces.

La force du mouvement, c’était d’être dans laction ensemble sur les ronds-points.

On était tou.tes Gilets jaunes, quels que soient notre classe sociale et notre passé militant. Seule la pratique comptait.

 

La fin du mouvement

Beaucoup de Gilets jaunes nont plus despoir et ont besoin de prendre du recul. Ils sont dans un état psychologique abimé. Bon nombre dentre eux auraient besoin dun suivi psychologique, mais ce nest pas dans leur cadre et dans leurs habitudes daller voir un psy.

Certains ont des procès en cours, ont eu des amendesLeur vie est déballée dans les procès pour bien montrer à quel point ce sont des cas sociaux. On nen sort pas indemne, ça casse les gens en profondeur.

Et puis, les policiers continuent à faire des recherches pour les arrêter : par exemple, Jérémy, 20 ans, a été arrêté chez lui à 5 heures du matin et mis en garde à vue pendant 48 heures pour un croche-pied à un gendarme

Certains GJ vont dans les manifs anti-pass, mais ce mouvement est récupéré par l’extrême-droite. Si on agrège tout ce qui a été expérimenté pour la police (contre les Gilets jaunes, à l’occasion du Covid),  on se rend compte que la répression devient de plus en plus forte.

Moi, je ne me mobilise plus vraiment. Beaucoup ont arrêté de manifester suite aux violences policières. Un truc pareil ne ressortira que dans 20 ou 50 ans. Il y en a qui y croient encore. Pour moi, le mouvement est fini.

 

[Monde à l’envers] C et Nathalie : « Rendre la vie invivable aux migrants »

Le 6 novembre 2021, le travail du chantier national « Le monde à l’envers » a porté sur le traitement infligé aux migrants, à Calais notamment. C, chercheur engagé, et Nathalie, institutrice et militante à « Terre d’errance », sont venu.es témoigner auprès de notre groupe. Retour sur leurs interventions.

 

C

J’ai fait des études de sciences politiques et de sociologie, puis une thèse en géographie.

En 2008-2009, je milite et suis présent dans des squats de migrants (quand il y a des personnes non racisées, les flics sont moins brutaux). Dans le même temps, constatant qu’il y a  beaucoup de recherches sur les migrants, je décide, pour mon master en sociologie, de changer de focale et d’interviewer l’autre camp : les policiers, les commerçants, les riverains, les chauffeurs de camion, et de travailler sur ceux qui produisent cette situation : la Ville, le gouvernement, les transporteurs, la police.

Le projet de ma thèse est aussi de montrer comment sont produits les stéréotypes du genre  « Nous et eux », « Je ne suis pas raciste mais… », et comment ils se mettent en place.

Je l’ai commencée en 2011 et soutenue en 2017.

 

Calais, lieu de frontière

Calais est le point le plus proche de l’Angleterre. La situation actuelle découle d’un ensemble de mesures prises successivement :

– en 1970, restriction de la circulation des populations ;

– en 1980, création des visas ;

– en 1990, obligation faite aux transporteurs (bateaux, avions…) de demander les papiers aux voyageurs.

S’il n’y avait pas toutes ces restrictions, on pourrait aller où on veut, et Calais ne serait pas un lieu de frontière. Il se trouve que Calais est l’endroit où il y a le plus de liaisons possibles avec l’Angleterre. En 1990, c’était Boulogne.

La situation à Calais n’existe que parce qu’il y a eu des choix politiques qui ont rendu visible cette frontière-là, notamment les accords de Schengen (de libre circulation) que l’Angleterre n’a pas signés. Dans le traité du Touquet, Français et Anglais se sont mis d’accord sur les règles : les Anglais contrôlent les voyageurs à Douvres ; et ce sont les Français à Calais, les Britanniques fournissant le matériel pour contrôler.

Côté français, la politique mise en place empêche les migrants d’aller cers la Grande-Bretagne… et les empêche aussi de rester en France !

 

Nathalie 

Institutrice, je suis à Terre d’errance depuis neuf ans.

Il y avait un campement pas loin de chez moi, j’y ai apporté des matelas et j’ai commencé à discuter avec les gens, à connaître leur parcours. Et puis la colère est montée, contre beaucoup de choses :

– par exemple, le fait de prendre les empreintes de force, ou de renvoyer les gens vers l’Italie au prétexte que leurs empreintes ont été prises en Italie ;

– le fait que les entreprises qui construisent les barbelés et les baraquements gagnent de l’argent : Vinci ou Thalès sont souvent sur les grands chantiers ; EADS a le marché des contrôles à la frontière.

Depuis le démantèlement du grand camp, mon quotidien a beaucoup changé. Je suis beaucoup sur le PRAHDA (programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile).

Le gouvernement a six mois pour renvoyer les “dublinés” dans le premier pays où on a pris leurs empreintes. Passé ce délai de six mois, si la préfecture n’a pas réussi à les renvoyer dans ce pays, ils peuvent demander l’asile normalement (en expliquant les raisons de leur demande) et passer devant la CNDA (Cour nationale du droit d’asile). Maisla plupart ne le savent pas, alors je leur explique leurs droits, les rassure, les aide à lire et remplir les papiers. Je fais aussi du relogement quand des personnes sont expulsées du PRAHDA.

 

“Dublin”

Il s’agit d’un accord européen selon lequel le pays qui enregistre en premier les empreintes d’un migrant est responsable de lui pendant toute la durée de son séjour en Europe : cette personne ne peut demander l’asile que dans ce pays.

Quand on m’a expliqué Dublin, à Béthune, on a décidé de manifester contre ce dispositif.

Exemple : un Afghan dont on a pris les empreintes en Roumanie, où il a été très mal traité. Et la préfecture veut le renvoyer là-bas.

Un autre Afghan, dont toute la famille a obtenu l’asile en Suède, mais pas lui. Il a été arrêté en préfecture, placé en centre de rétention. La préfecture veut le renvoyer en Suède (or, la Suède renvoie systématiquement vers l’Afghanistan), il a fait une tentative de suicide, il est placé à l’hôtel, puis se retrouve à la rue. Considéré comme “en fuite” (c’est automatique dès que tu rates un rendez-vous en préfecture), il ne touche plus aucune allocation et ne peut redemander l’asile qu’après 18 mois : c’est ce qu’il a fait finalement.

Addi, un Éthiopien qui est arrivé par Malte, est passé en Angleterre, puis a dû revenir en France et que j’ai hébergé pendant une semaine. Il faisait le ménage tout le temps chez moi. Un jour, il s’est brûlé les empreintes sur les plaques.

J’héberge parfois certains quand il y a trop de violences au campement.
Ils passent en Angleterre par les camions. Ils nous tiennent très informés de leurs tentatives.

À nos rencontres, il y avait des “passeurs”, mais ce sont juste des gars qui ouvrent les camions.

On a fait une manifestation contre des passeurs qui se comportaient mal contre les migrants.

 

Le maire de Norrent-Fontes

Le maire de Norrent-Fontes, qui fait partie des “maires hospitaliers”, avait laissé un terrain à disposition. Il venait même à nos meetings, mais il ne voulait pas que le nombre explose. À ce moment-là, on a une bonne relation de confiance avec les passeurs : avant 2015, ceux-ci refusent les gens s’il y a trop de monde.

Le nouveau maire a été élu sur l’engagement de démanteler le camp. Il y a eu un incendie à l’arrivée de la nouvelle équipe municipale. On a demandé un permis pour reconstruire. Mais le tribunal a refusé que l’association reconstruise un baraquement. En 2017, les bulldozers sont venus détruire le campement.Une expulsion, ça va très vite : en une journée, tout est détruit !

On a fait une campagne de photos, puis organisé un concert de HK qui a rassemblé plusieurs centaines de personnes. Chacun était invité à venir avec un marteau : c’est comme ça qu’on a pu reconstruire, car on était trop nombreux pour être arrêtés.

On a écrit un numéro du « Journal des jungles » à Norrent-Fontes, avec des gens du campement.

 

C et Nathalie 

À Calais, il y a de grandes démonstrations de force et des moyens mis en œuvre, comme de grandes mises en scène alors que, par exemple, dans la réalité de terrain, par temps de pluie ou de vent (et là-bas, il pleut souvent et il y a du vent), le scanner pour contrôler les gens ne fonctionne pas. Et quand il y a beaucoup de suicides ou de morts, mais aussi quand des personnes exilées se mobilisent ou entament une grève de la faim, dans les jours qui suiventAnglais et Français se mettent d’accord pour laisser passer des gens, et préserver ainsi une certaine paix sociale.

Par exemple aussi, lors du démantèlement de la jungle à Calais, un bus est venu chercher les demandeurs d’asile pour les évacuer en Grande-Bretagne, d’autres dans toute la France.

Les entreprises de contrôle anglaises et françaises sont en rivalité : par exemple, les maîtres chiens à Calais sont anglais.

 

Les transporteurs 

Le gouvernement anglais a mis au point un système d’amende pour les bateaux, les routiers et la SNCF (2 000 livres, somme qui a varié au fil du temps) pour chaque migrant trouvé à leur bord. Les transporteurs contrôlent donc eux-mêmes pour ne pas avoir d’amende. Le contrôle et la violence sont ainsi délégués.

Sur les bateaux, les amendes sont moins individualisées, alors les agents de sécurité en font moins. Pas par humanité, mais ils disent : « Ce n’est pas notre boulot », ou « J’habite Calais et j’en ai marre de les voir, je les laisse partir ». S’ils sont blancs ou de classe moyenne (comme nous), quand ce sont des familles, ils laissent passer.

 

Les moyens de dissuasion 

On coupe l’eau (en 2003), on expulse le plus possible (sauf vers les pays en guerre), et aussi vers d’autres régions de France. Le but est de désengorger Calais. On crée aussi des campements ailleurs. Mais les personnes reviennent toutes.

Le but est de leur rendre la vie invivable pour qu’elles partent d’elles-mêmes. Couper l’eau ou détruire les tentes, les ustensiles de cuisine, empêcher les gens de dormir… tout cela est illégal, mais « ce sont les ordres ».

Quand on reloge les demandeurs d’asile, ils sont d’abord placés dans des hôtels au bord de routes où il n’y a rien et pas toujours à manger. Ils ont une allocation ou pas, sont assignés à résidence dans la ville et doivent attendre huit mois à un an dans une petite chambre.

Ils ont des rendez-vous régulièrement à la Préfecture. S’ils y viennent (la peur au ventre), ils risquent d’avoir une notification pour retourner dans le premier pays où ils ont fait leurs empreintes. Mais s’ils ratent un rendez-vous en préfecture, ils sont placés en fuite : du coup plus d’ADA (Allocation pour Demandeur d’Asile), et plus d’hébergement.

Beaucoup sont minés et ont des soucis de santé (mal au dos, au ventre…).

Lorsque les hôtels sont près des villes, les personnes peuvent avoir des activités, voir des gens qui les aident. Quand les hôtels sont loin, ils doivent aller en ville à pied et il n’y a pas de bénévoles à proximité. De plus, ils doivent fournir leurs couverts. Je suis étonnée qu’avec des conditions de vie pareilles, les gens ne deviennent pas fous.

Ils ne sont jamais « arrivés ». Une fois quelque part, il y a la question administrative qui ne se règle jamais. La menace de l’expulsion est une politique de dissuasion.

 

Intimidation à Calais

En 2010, il y a un campement près d’un rond-point. Les CRS arrivent : « Est-ce que quelqu’un parle anglais ? », personne ne répond. Ils braquent la lampe sur les visages, puis prennent quelqu’un au hasard, qu’ils relâchent quelques heures plus tard. Le but est d’épuiser les gens.

 

La police

En 2015, il y avait à Calais quinze Compagnies de CRS (sur un total de 60 en France), plus deux ou trois à Dunkerque. Mais en dehors de cette période précise, ce sont plutôt deux ou trois compagnies qui se trouvent à Calais.

Le parcours professionnel logique, c’est, après les études, dix ans en banlieue parisienne. Pour échapper à ça, il y a la possibilité de s’engager dans la PAF (Police aux frontières), qui est considérée par certains policiers comme une “plante verte” (parce qu’il se passe moins de choses), mais c’est une façon, pour ceux du Pas-de-Calais, de revenir plus rapidement dans leur région d’origine, et la PAF propose un rythme de travail correct.

Les CRS sont envoyés pour des missions de trois semaines. Au début, tout le monde voulait aller à Calais car il y avait des primes (calculées en fonction du nombre d’interpellations). Mais pendant la période du bidonville de la Lande, au vu des conditions de travail plus difficile (barrages nocturnes sur la rocade notamment), les compagnies ont demandé à moins venir.

En 2003, la politique du chiffre de Sarkozy a provoqué un abattage : on arrête des migrants, on les relâche, on les ré-arrête, etc. Ça fait du chiffre… et des primes.

Certains policiers sont contre ce système, disent que ça n’est pas efficace, que ça n’est pas le but du métier, mais ils sont dedans et ils le reproduisent.

Un CRS qui se dit de gauche et opposé aux politiques migratoires me parle du plaisir de la “chasse” : « Toute la journée on s’ennuie, alors quand enfin il se passe quelque chose, on fonce ». Quand les migrants ne veulent pas courir, il les fait courir. Quand il s’approche des marécages, il s’arrête pour que, quand même, il n’y ait pas de mort. Il animalise la personne qui court.

 

Les commerçants

C a interviewé 20-25 commerçants dans Calais-nord et Calais-ville en 2014.

À ce moment-là, il y a trois catégories :

– celui (le seul) qui accueille les migrants : il a des tables “réservées” pour les non-exilés, des toilettes payantes pour les exilés, mais, malgré son vote RN, a un jour amené un migrant à l’hôpital.

– ceux qui ne les accueillent pas (50 %) ;

– ceux qui accueillent sous certaines contraintes (50 %).

Les moyens mis en œuvre pour décourager l’entrée des migrants dans les bars :

– le système de surveillance des entrées se fait par un vigile à l’entrée qui contrôle au faciès ;

– les patrons de bars recouvrent les prises de courant pour empêcher les migrants de recharger leur téléphone ;

– ils servent au faciès, car c’est une clientèle malgré tout, mais on la sert quand il n’y a personne ;

– on les sert sur des tables communes ;

– les hôtels n’ouvrent pour eux que l’hiver.

Toutes ces pratiques sont illégales, il y a une forme d’impunité, et si un commerçant a des problèmes, les flics lui disent qu’il n’avait qu’à pas accueillir de migrants dans son établissement.

Les boulangeries et centres commerciaux ont l’obligation de participer à la récupération de nourriture.

En 2009, il y a eu une expulsion d’un camp en périphérie de la ville ; du coup, les personnes exilées se sont rapprochées du centre en vivant dans des squats et en fréquentant davantage les commerces du centre-ville.

En 2015, la jungle est rasée. Il y a moins de consommateurs dans la ville car moins de flics et de migrants-clients. Les commerçants souhaitent faire revenir la clientèle touristique (belge).

Quelques années plus tard, il y a plus de cafés qui les accueillent.

 

Les demandeurs d’asile

Il y a moins de femmes, elles sont souvent seules (très peu en couple) et sans enfants. J’ai vu des femmes enceintes. Phénomène nouveau, il y a maintenant des femmes soudanaises.

En 2013, il y a eu un squat de femmes. Elles ont médiatisé leur histoire et l’État les a relogées.

Il y a des enfants seuls aussi (14-15 ou 16 ans), qui, après ce qu’ils ont traversé, se considèrent comme des adultes. Ils n’acceptent pas toujours d’être logés différemment que les adultes. Et puis, l’État, par l’intermédiaire de France Terre d’Asile, les prend en charge, certes, mais leur donne beaucoup de contraintes – horaires de sortie et autres – qu’ils ont du mal à accepter.

Certaines structures locales n’acceptent que les Français. Pour les migrants, c’est du sous-social.

 

Des histoires à Calais

Des migrants squattent des bâtiments. Un adjoint au maire recherche les propriétaires qui disent : « Ça ne me dérange pas, je ne fais rien de ce bâtiment ». L’adjoint les menace de les assigner au tribunal pour “traite d’êtres humains”, leur fait peur pour les contraindre à porter plainte contre les migrants afin que la police puisse les expulser. La loi dit que l’hébergement d’une personne en situation irrégulière est légal, sauf si on demande une contrepartie.

Les propriétaires et classes moyennes se mobilisent pour faire fermer les squats qui dévalorisent leurs biens en centre-ville. Alors que Calais est plutôt une ville populaire.

 

Gendarmes et policiers

Les gendarmes à Norrent-Fontes sont plus cools. Leur direction est différente de celle de la police nationale et également leur implantation (en campagne).Dans chaque gendarmerie, il y a un responsable qui veille à ce qu’il n’y ait pas de débordements violents. Il y en a même qui jugent absurdes les directives du gouvernement

Parfois des maires et les gendarmes ont empêché la PAF de traiter une affaire de migrants.

Les maires agissent comme ils peuvent pour résister aux mesures gouvernementales. Mais la maire de Calais, Nathalie Bouchard, va dans le sens du gouvernement.

Dans les petites communes, quand les gendarmes constatent la solidarité de la population, ils n’insistent pas et lâchent l’affaire. Exemple à Saint-Hilaire-Cottes (où le maire n’est pas accueillant) : un jour on amène des crêpes à des migrants, des flics arrivent, arrachent les cinq tentes, prennent nos noms. Plein de gens du village et des militants se massent devant la gendarmerie, du coup les flics lâchent l’affaire.

 

[Monde à l’envers] Brigitte Gothière : « Les animaux sont des co-habitants de notre planète »

Le samedi 16 octobre, NAJE a accueilli pour le chantier 2021-2022 « Le monde à l’envers » Brigitte Gothière, co-fondatrice de l’association L214. L’occasion d’évoquer avec elle les questions liées à la souffrance animale.

Dans mon enfance, dans ma jeunesse, rien ne me prédestinait à créer et à diriger une association comme L214. À 18 ans, je suis dans un lycée technique, puis je fais des études en électricité, ce qui m’amène en fin de compte à devenir professeur dans cette discipline. Je suis une « fille de la ville », et mes relations avec les animaux sont inexistantes (à part un chien, quand j’ai 12-13 ans, et il n’est pas câlin du tout !). Dans ma famille, on mange de la viande sans se poser de questions.

Quand j’arrive à Clermont-Ferrand avec mes parents, je rencontre Sébastien (petit-fils d’éleveur laitier), et on est ensemble depuis 30 ans maintenant.  En 1993, quand on commence à vivre ensemble. Sébastien lit « Le lama blanc » d’Alejandro Jodorowsky. Et on décide de ne plus manger d’animaux.

En 1998, on arrive à Lyon, et on découvre qu’il y a un mouvement naissant en faveur des animaux : on commence à les considérer comme co-habitants de notre planète. C’est un choix politique : veut-on une société moins violente à l’égard des animaux ?

Il y a beaucoup de discussions, mais on est un peu frustré.es au niveau de l’action. Et on se heurte à un mur d’incrédulité.

 

De Stop gavage à L214

On monte alors le collectif « Stop gavage » en choisissant de s’attaquer au foie gras : les canards sont dans des cages avec juste le cou qui dépasse ; et on gaze ou on broie les femelles dès la naissance car on n’utilise que les mâles.

On filme de la naissance à la mort, on se dit : « Le foie gras, avec ce film, c’est fini ! ».

On ne connaît rien sur les images (le film dure 15 minutes), ni sur les communiqués de presse (le premier fait quatre pages), ni sur la démarche associative.

Le premier débat auquel je participe, c’est avec Isabelle Giordano, sur France Inter. En face de moi, un producteur de foie gras et un chercheur de l’Inra : je n’ai pas pu en placer une !

On sort ensuite un livre de 260 pages pour contredire les arguments de l’Inra. Et on regarde comment les chercheurs sont financés : on s‘aperçoit que certains scientifiques sont payés par les producteurs pour faire des recherches sur « comment rendre les animaux plus productifs ».

En 2008, on crée L214 pour étendre le champ de notre action. En partant de chiffres forts : 97 % de la biomasse animale est au service de l’homme. Et on tue 3 millions d’animaux par jour en France.

Pour le titre de l’association, on s’inspire du film de Bertrand Tavernier sur la drogue : L627.

L’article L214 du Code rural et de la pêche maritime (article qui date de 1976) stipule que « tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». Tout un tas de conditions d’élevage et d’abattage devraient être interdites si on voulait vraiment respecter cet article.

Dès la fin 2008, on a 243 membres et on collecte 60 000 € de dons : on trouve ça époustouflant. L’année suivante, c’est le double, et ainsi de suite.

L214 compte aujourd’hui plus de 50 000 membres (soit plus que le PS !), plus le soutien de fondations (dont une fondation américaine, Open Philanthropy qui nous donne 1 million d’euros par an). Notre budget annuel est de 6 M €.

On est aujourd’hui 80 salariés (tou.tes au même salaire). Et un réseau de bénévoles hyperactif.

 

Notre stratégie

On ne cache pas qu’on est vegan (symboliquement, c’est un pas important de renoncer à manger la chair d’animaux tués), mais on veut d’abord essayer de réduire le nombre de souffrances animales. Et aussi changer les mentalités, modifier notre modèle agricole, démocratiser l’alimentation végétale…

On s’adresse au grand public (pour agir individuellement ou collectivement), aux entreprises (avec quelques résultats : ainsi, la proportion de poules pondeuses élevées en cage est passé de 80 % en 2008 à 36 % aujourd’hui) et aussi aux politiques, qu’on note en fonction de leur action (par exemple, Laurence Abeille et Jacques Boutault sont des alliés).

On demande un changement de société qui ne peut pas se faire du jour au lendemain. Dans nos reportages, on montre juste les pires souffrances.

L214 agit contre un système, pas contre des personnes. On discute avec mal d’éleveurs qui nous parlent des banques, des coopératives agricoles, des syndicats paysans…

Je pense à un éleveur de poulets qui est dans la merde avec 150 000 poulets par an et à qui on propose de multiplier sa production par cinq !

Un jour, je discutais avec un éleveur, et il s’est mis à pleurer : comme bien d’autres, ça lui fait pas plaisir de tuer les animaux…

On ne reçoit pas beaucoup de menaces de mort. La pression la plus forte se situe sur le plan de la justice : quand on filme, on peut être attaqués à titre individuel, ou en tant que diffuseurs des images, ou pour dénigrement, diffamation, intrusion…

Un jour, pour un reportage sur un abattoir de Houdan (Yvelines), nous avions planquer des caméras et il fallait aller les rechercher. Quand Sébastien et Tony sont entrés dans l’abattoir, ils ont été arrêtés. Finalement, ils ont été condamnés à 6 000 €, dont 5 000 € avec sursis.

 

Quelques enquêtes et actions

Je ne suis pas une grande sensible et je suis assez résiliente. À partir de 2006, c’est donc moi qui vais filmer dans les abattoirs.

Un jour, on arrête une bétaillère, on voit une truie avec le regard plein de souffrance. Le chauffeur va chercher une chaîne qu’il met autour de sa jambe cassée. Et le vétérinaire nous dit : « Vous voyez, elle marche ! »

On travaille avec l’association Welfarm, qui essaie d’intervenir auprès des gendarmes pour les forcer à contrôler les bétaillères. On signale aux gendarmes quand un convoi ne nous semble pas conforme. Mais les transporteurs ont parfois des billets avec eux pour payer directement leur amende s’ils sont chopés. Il y a des gendarmes qui sont très intéressés par notre démarche. D’autres, pas du tout.

En 2008, on est à Metz et on voit une offre d’emploi « On recrute chez Charal ». Sébastien est embauché dans un abattoir et peut filmer les scènes de mise à mort. Il tient trois semaines, mais il est vidé physiquement (90 % des employés d’abattoirs souffrent de troubles musculo-squelettiques) et moralement. Comme il n’a pas déclenché sa caméra, il doit à nouveau y retourner une semaine pour arriver à filmer. Il voit des animaux encore vivants sur la chaîne de saignée, des égorgements sans  étourdissement… Quand il dérushe, il se reprend tout en pleine figure. Nos enfants se souviennent encore de l’odeur qu’il avait quand il rentrait à la maison.

On a fait une campagne de pub parodique contre Intermarché et contre Lidl (qui s’est engagé à ne plus passer commande d’ici 2026 de poulets élevés dans les pires conditions).

900 000 citoyens ont signé le texte du collectif « Référendum pour les animaux », qui revendique la fin de l’élevage intensif.

Mais en face, le lobbying est puissant. Ainsi, la FNSEA a obtenu la convention Demeter pour mettre sous contrôle des associations comme la nôtre.

Dès le lendemain de sa nomination comme ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie a reçu dans son bureau Christiane Lambert, présidente de la FNSEA.

De même, lors du vote de la loi Egalim (2018), nous avons fait campagne (avec notamment Sophie Marceau) pour mettre fin à l’élevage en cage des poules pondeuses. Au moment du vote, un amendement permet que soit juste interdite la construction de nouveaux élevages en cage. Et le ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Travert, se félicite alors sur Twitter d‘avoir voté en accord avec le CNPO, l’organisation des producteurs d’œufs !

Avec la Confédération paysanne, nous n’avons pas toujours le même avis, mais on peut faire du boulot en commun : ainsi, c’est avec leur soutien que nous avons obtenu la fin de la ferme des Mille Vaches

Exemple d’une autre enquête en immersion : celle faite par Mauricio, venu d’Espagne et qui travaille à l’abattoir de Limoges où il est affecté au tri des viscères. Il voit dans le ventre des vaches des veaux sur le point de naître. On lui file le matériel pour filmer. Il prend des risques, mais c’est libérateur pour lui : avant, il buvait beaucoup pour supporter psychologiquement !

On s’est fait un nom à partir de 2014-2015. Grâce notamment à un reportage à Alès qui montrait des ratés dans l’étourdissement.

Il faut savoir qu’en bio, les abattoirs sont les mêmes, et les techniques aussi  (sauf l’obligation de l’étourdissement). Mais pour les cochons, le processus d’étourdissement par gazage est très long et pénible.

[Monde à l’envers] Benoît Labbouz : « La PAC continue à aider l’agriculture qui va à l’envers »

Dans le cadre du chantier national « Le monde à l’envers », nous avons accueilli le dimanche 17 octobre Benoît Labbouz, enseignant-chercheur, qui est venu nous parler agriculture, environnement et alimentation.

 

Jusqu’en septembre 2021, j’étais enseignant et chercheur dans une école d’agronomie et je travaillais sur la protection de l’environnement.

J’essaye, à travers mon enseignement, d’expliquer comment et pourquoi l’agriculture fait beaucoup de dégâts sur l’environnement.

  • Pour quelles raisons peut-on dire que l’agriculture va à l’envers ?
  • Comment on en est arrivé là (les causes) ?
  • Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour fonctionner autrement ?

 

1/ Pour quelles raisons peut-on dire que l’agriculture va à l’envers ?

 

Ça ne va pas pour les agriculteurs

En France, il y a 400 000 exploitations agricoles (en 1960, c’était huit fois plus) pour environ 1 million de travailleurs. Plus de la moitié de ces travailleurs ne gagne pas d’argent (voire en perd) et a un salaire grâce aux aides de la société.

C’est une des professions dans laquelle il y a le plus de suicides.

Les plus grosses exploitations ont le plus d’aides. C’est ainsi que se sont créées les grandes cultures céréalières autour de Paris et plus au nord.

C’est une des professions les plus exposées au niveau de la santé à cause des produits phytosanitaires : en 1960, on ne parlait pas de la santé des agriculteurs. Quelques-uns seulement ont osé porter plainte contre les fabricants.

L’émission « Envoyé spécial » a révélé au grand public les cancers, les enfants qui naissent handicapés. Elle a notamment fait effectuer des prélèvements de cheveux d’enfants dans 4 écoles autour de Bordeaux pour les analyser. On a trouvé des traces de pesticides.

Les entreprises fabriquant les pesticides travaillaient à l’origine dans le secteur de la chimie. La fabrication des pesticides est pour elles une véritable manne financière.

 

Ça ne va pas pour les consommateurs

Cette agriculture coûte très cher à la collectivité, produit des aliments de moins bonne qualité (valeur nutritionnelle pauvre), qui ont moins de goût, et qui sont responsables, avec les aliments transformés et « ultra-transformés », de maladies comme le diabète, l’obésité…

La grande distribution (Charal, Carrefour, Lactalis, Danone, etc.) profite indirectement des aides puisque, grâce à elles, ces enseignes achètent à faibles prix aux agriculteurs, et peuvent donc faire une marge importante en vendant des aliments.

 

– Ҫa ne va pas pour l’environnement

Un tiers des oiseaux des champs a disparu. Les insectes mourant à cause des pesticides, certaines espèces d’oiseaux n’ont plus de nourriture. L’agriculture intensive a détruit les haies, les arbres et les mares qui sont leurs lieux de vie. Il faut dire qu’en 1970, afin de faciliter et de mieux rentabiliser l’exploitation de la terre, on a eu l’idée du remembrement. L’État a financé les travaux pour enlever les haies et rendre les terrains plus plats, les parcelles plus grandes…

Avant, la Beauce et la Picardie étaient constituées de petites parcelles entourées de haies, de talus, où les animaux pouvaient vivre, trouver leur nourriture. Aujourd’hui, pour faciliter l’exploitation à grande échelle par les tracteurs, on a tout coupé. En 1960, il y avait 1 million de kms de haies, aujourd’hui seulement 500 000 kms. Seules certaines espèces peuvent survivre.

Depuis une dizaine d’années, des associations se battent et obtiennent des aides pour replanter des haies.

Autre exemple : pour rendre exploitables des terres, on a asséché des bocages (en bord de mer, dans les estuaires) aux dépens de la survie des espèces qui y vivaient, aux dépens aussi des oiseaux migrateurs qui font halte dans ces zones humides. En 40 ans, on a tout asséché, le ministère ayant aidé les agriculteurs à drainer l’eau (avec notamment la mise en place de tuyaux sous la terre) pour l’amener ailleurs.

En France, il y a une dizaine de parcs nationaux où la faune et la flore sont protégées (pas le droit de camper, de cueillir des champignons, des fleurs, de chasser…) mais, pour les terres voisines, tout est permis. Exemple : la Beauce où il y a un silence incroyable, très peu d’animaux pouvant y vivre.

Les insectes également ont quasiment disparu. Exemple de la voiture où désormais très peu d’entre eux viennent s’écraser sur le pare-brise ou la plaque d’immatriculation après un long voyage de nuit.

La nature qui disparaît, c’est plus dramatique encore que le réchauffement climatique.

 

2/ Comment en est-on arrivé∙e∙s là ? Les causes de l’apparition de cette agriculture intensive

 

Au sortir de la guerre, en 1950, il faut nourrir la population française, des accords sont passés entre le ministère de l’Agriculture et les paysans. À l’époque, ils sont 3 millions d’hommes et de femmes, chaque famille possède quelques vaches, 1 cochon, 1 potager, quelques céréales et quelques poules. À l’époque, alors qu’en ville la qualité de vie s’améliore, dans les campagnes il n’y a pas encore l’électricité, l’eau courante et pas les appareils ménagers désormais courants à la ville.

Le dealc’est : produisez plus, en contrepartie on vous donne de la modernité et on co-gère. Résultat, le niveau de vie des paysans et la production s’améliorent.

Exemple d’aides :

– prêts à taux zéro pour l’achat d’un tracteur ;

– l’État débarrasse les champs des haies pour faciliter l’exploitation ;

– l’État propose des formations et accompagne les agriculteurs.

En quelques années, le nombre de fermes (3 millions) chute de moitié, et grâce aux tracteurs, on a moins besoin de bras. Résultat : de la main d’œuvre est libérée pour travailler dans les entreprises et usines des villes, l’exode rural commence. Certains se battent pour préserver une agriculture paysanne mais beaucoup sont attirés par la modernité.

Ce dealentre l’État et une grande partie de la profession s’effectue avec le soutien de syndicats agricoles, notamment la JAC (jeunesse agricole chrétienne) qui incite les jeunes à aller vers cette modernité. Ce n’est donc pas sur les « vieux » agriculteurs que l’État s’appuie, mais bien sur les « jeunes ».

Pour avoir une idée de l’amélioration incroyable de la production, prenons l’exemple d’un producteur de blé.

En 1960, un producteur de blé est capable de cultiver 1 hectare, et il y produit 1 tonne de blé.

Aujourd’hui, un producteur de blé est 2000 fois plus productif : il est capable de cultiver 200 hectares et produit 10 tonnes de blé sur chaque hectare.

 

L’objectif visé à travers ce dealentre l’État et la profession est de nourrir la population, mais le prix payé par l’environnement et la santé est très fort.

La cogestion de cette politique s’effectue avec la FNSEA (qui promeut ce modèle de l’agriculture intensive). Jusqu’à présent le ministre de l’Agriculture est nommé avec l’accord du président de la FNSEA (ce dernier fait d’ailleurs partie des invités de la fameuse « Garden party » annuelle dans les jardins de l’Elysée). C’est le seul corps de métier qui officiellement participe au choix de son ministre.

Cette politique a aussi très bien fonctionné parce le ministère de l’Agriculture gère la sécurité sociale des agriculteurs, l’enseignement (lycées agricoles), les écoles supérieures et les labos de recherche. Les agriculteurs ont également leur banque, le Crédit Agricole.

À l’époque, cela pouvait se concevoir tant les agriculteurs étaient nombreux en France, mais il est étonnant et très significatif, vu leur nombre aujourd’hui, que toutes ces fonctions dépendent encore du même ministère.

 

Depuis 1962, les aides sont décidées par la PAC (Politique agricole commune). À l’époque, la France, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique et l’Italie décident de créer un marché commun pour l’acier, le charbon, puis pour l’agriculture. L’idée est de produire à eux six suffisamment pour nourrir leur population.

– Les aides sont données en fonction de la production (grosse production = plus d’aides).

– Les aides garantissent un prix d’achat du blé, du lait, etc. Ainsi, les agriculteurs, quelle que soit leur production, savent qu’elle va être achetée à tel prix.

– Les aides garantissent des droits de douane (taxes très élevées) pour les produits (blé, maïs, lait…) provenant d’ailleurs. Résultat : la production explose en Europe.

À partir de 1980, on commence à se rendre compte que cette politique coûte très cher et qu’elle entraîne des excédents (le lait est jeté, par exemple) car les paysans, sachant que leur production sera de toutes façons payée, surproduisent.

 

En 1992, on décide de calculer les aides, non plus en fonction de la production mais en fonction de la taille de la ferme. Aujourd’hui, les plus grandes exploitations ont donc les plus gros revenus.

Mais il y a débat : certains pensent que cette gestion des aides nous mène dans le mur, qu’il faudrait diviser à part égale entre tous les agriculteurs ; d’autres qu’il faut rester dans la continuité des aides d’avant (grosses productions).

On décide aussi de supprimer le prix garanti pour l’achat du blé, du lait, etc.

Aux dernières élections professionnelles (2019), la FNSEA arrive en tête dans 91 départements (sur 96) tandis que la Confédération paysanne n’est élue dans aucun département. Il faut dire que c’est la FNSEA qui gère les Chambres d’agriculture où les agriculteurs viennent demander des conseils pour les aides. Elle crée donc une relation de proximité, et les agriculteurs sont tentés de voter pour elle.

Les agriculteurs sont pieds et mains liés dès qu’ils s’engagent dans ce système d’investissement qui les enchaîne pour trente ans.

 

Aujourd’hui, l’Europe donne 10 milliards d’euros à la France, dont 9 vont aux plus gros et seulement 1 milliard vers ceux qui replantent des haies, se reconvertissent en bio ou gardent des prairies pour les papillons, oiseaux, etc.

La nouvelle Commission européenne a proposé une stratégie alimentaire (et agricole) pour l’Union européenne qui s’appelle « De la ferme à la fourchette ». Ce document (plan d’action) propose de mettre en œuvre une politique alimentaire qui favoriserait une alimentation de qualité pour l’ensemble des Européen∙ne∙s. Mais cette stratégie est très discutée, car elle nécessiterait de modifier la politique agricole pour la co-construire avec la santé et le social, et la FNSEA (notamment) n’est pas d’accord. La proposition est en cours, les choses avancent à petits pas.

 

3/ Comment on pourrait fonctionner autrement ?

 

Lors d’une visite au Parlement de Bruxelles avec les étudiants, comme chaque année, nous rencontrons des lobbyistes, notamment de la FNSEA. Dans des locaux modernes, elle emploie une soixantaine de personnes, des traducteurs, et on est reçus avec petits gâteaux.

Côté Confédération paysanne, n’ayant qu’un petit bureau, sa seule représentante (qui est agricultrice et fait les allers-retours entre sa ferme et Strasbourg) nous rencontre à l’extérieur.

On se rend compte que sa capacité à changer les choses est très réduite comparée à celle la FNSEA.

– À leur échelle, les mairies et les collectivités territoriales tentent de bouger le système : elles créent des projets alimentaires territoriaux (manger sainement), informent, créent des ateliers de transformation (faire du fromage avec le lait) et aident les producteurs. Les cantines scolaires bénéficient de cette production aidée et transformée.

– Les AMAP sont des associations qui rapprochent les consommateurs du producteur. Le consommateur paye d’avance mais ne sait pas toujours ce qu’il va avoir dans son panier. Ce principe aide les agriculteurs qui sont hors du modèle. Les AMAP ne sont peut-être pas LA solution, car il faut avoir les moyens, le temps et savoir cuisiner avec ce qui est proposé.

– De plus en plus d’agriculteurs se fédèrent et construisent leur magasin pour vendre leurs produits en circuit court. Ainsi, les gros intermédiaires ne s’engraissent pas à leurs dépens.

 

Quelques points mentionnés suite à des questions du public

 

– En France, 70 % de la surface cultivée en céréales est consacrée à de l’alimentation pour les cochons, les poulets et les vaches, un peu pour les biocarburants.

Alors qu’environ 1 milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde, des études montrent qu’on pourrait nourrir la planète avec une agriculture différente, mais pour cela il faudrait manger moins de viande et de meilleure qualité.

Pour 1 kg de viande, il faut 10 kgs de céréales. Si on mangeait  moins de viande, on cultiverait moins pour les animaux et, à la place, on planterait des légumes, des fèves, du pois-chiche qui nourriraient tout le monde.

 

– À une époque, on mangeait de la viande une fois par semaine. Depuis 60 ans, on en mange beaucoup plus. Mais élever 200 vaches ou 20, ce n’est pas le même métier. Il faut être accompagné… et vouloir changer. Et puis le poids des industries alimentaires (intermédiaires) et des lobbyistes est énorme. Par exemple, Lactalis peut estimer que votre ferme est trop loin pour passer récupérer le lait. C’est Lactalis qui dit à quel prix il achète votre lait. La solution (et le problème) est d’arriver à vendre en direct.

 

– Les traités Tafta/Ceta riment avec libéralisation du marché. Ils ont un impact dévastateur car ils favorisent les très grandes exploitations. De plus, les contraintes sont bien moins importantes dans certains pays (pas d’obligation de préserver les haies, par exemple) et désavantagent les pays qui essayent de préserver l’environnement. Attac milite pour refermer notre marché afin de ne pas importer des produits moins chers parce que de mauvaise qualité.

 

– L’Autriche et la Suisse sont de bons exemples pour la protection de l’environnement et pour le bio. En Autriche, 20 % des exploitations sont en bio (en France, 9 %).

 

– L’alimentation devrait être un droit, comme l’accès à l’eau. Les pouvoirs publics ont un levier : prôner la sécurité sociale de l’alimentation. Des associations y travaillent. Au Brésil, Lula a été dans ce sens avec des bons alimentairespour que les plus pauvres mangent des produits de qualité (programme « Fome Zéro », c’est-à-dire  « Faim Zéro »).

 

– L’agriculture pollue beaucoup les rivières et tue les poissons. Les fertilisants (azote) finissent dans les rivières et engraissent les algues vertes en aval, dans la mer.

 

– Au sud de la Loire, on est obligé maintenant d’arroser avec l’eau des rivières. On crée aussi des sortes de bassines, un joli mot pour ne pas dire « barrage », pour la stocker. Du coup la rivière n’a plus d’eau pour ses poissons et les autres organismes qui y vivent (plantes, petites bêtes, crustacés…). La manifestation à Sivens était pour empêcher la création d’un barrage, pour permettre aux agriculteurs d’arroser leur maïs qui est une plante qui a particulièrement besoin d’eau entre mai et août, exactement la période pendant laquelle il y a déjà le moins d’eau dans les rivières et le moins de pluie sur ce territoire.

 

– La PAC est revotée tous les six ans. Dernièrement un collectif qui s’appelle « Pour une autre PAC » a lancé une pétition pour proposer d’équilibrer la proportion 9/1 milliards, en 5/5 entre l’agriculture intensive et les autres formes d’agriculture (l’agriculture bio, par exemple) qui préservent l’environnement. Ce collectif n’a pas réussi à faire évoluer suffisamment la politique agricole, qui va continuer, au moins pour les six années à venir, à plus aider l’agriculture qui « va à l’envers » plutôt que celle qui va dans le bon sens !

 

[Monde à l’envers] Les trois premiers week-ends

Après de nombreux reports dus aux confinements successifs, le grand chantier national « Le monde à l’envers » a enfin pu démarrer. Trois week-ends ont déjà eu lieu, en juin, septembre et octobre à l’École des métiers de l’information (Paris 20e), qui met à disposition ses locaux.

En juin 2021 (vendredi 18 soir et samedi 19 toute la journée), nous avons fait connaissance (le groupe se compose d’une quarantaine de personnes, dont un tiers de nouvelles, plus les comédien.nes de la Cie) et nous nous sommes approprié le thème.

Les 25 et 26 septembre, nous avons approfondi la thématique générale (le samedi), puis creusé plus spécifiquement la question du travail (le dimanche). De nombreuses improvisations ont ponctué ces deux jours, pendant lesquels nous nous sommes initié.es à un travail musical à base de percussions corporelles.

Le week-end des 16 et 17 octobre a permis d’accueillir nos premier.es intervenant.es. Le samedi, Brigitte Gothière, co-fondatrice de l’association L214, est venue nous parler de la souffrance animale. Le dimanche, Benoît Labbouz, enseignant-chercheur, est intervenu sur l’agriculture et les systèmes alimentaires. Après chaque intervention, cinq sous-groupes d’improvisations ont été mis en place.

Les trois prochains week-ends (6-7 novembre, 27-28 novembre et 11-12 décembre), nous accueillerons d’autres intervenant.es sur de nouvelles thématiques (les migrants et les frontières, les gilets jaunes et les violences policières, l’économie symbiotique, les modes de production agricoles et la sécurité sociale de l’alimentation, la psychiatrie…). Et nous pourrons ainsi finaliser l’écriture du spectacle.

 

2021-2022 : grand chantier « Le monde à l’envers » et atelier sur le racisme structurel

En 2021-2022, nous menons en parallèle deux grands chantiers. 

1/ Grand chantier « Le monde à l’envers »

D’un côté, notre habituel « grand chantier national ». Il travaillera sur : comment « nous » traitons notre planète, les êtres humains, l’idée de justice et de démocratie… Nous serons 50 amateur.trices et 10 comédien.nes pour mener à bout ce colossal chantier.

Entre juin et décembre 2021, nous récoltons la matière du spectacle à créer.

Nous recevons des intervenant.es, chercheur.ses et militant.es qui viennent nous donner leur expertise : Benoit Labbouz (chercheur), Isabelle Delanoy (économiste), Ni les Mujeres ni la tierra (les luttes des femmes populaires en Amérique du sud pour la terre), Brigitte Gothière (L214), Cyrielle Den Arthig (réseau action Climat) et Jean Claude Balbot (militant pour une alimentation saine pour tous.tes), Nan Suel (Terre d’Errance) et Camille Guenebaud (chercheur), Fethi Bretel (psychiatre), Mélanie NGoye et Sandra Douailler (Gilets jaunes).

Et nous relatons les situations dans lesquelles nous sommes impliquées.

En décembre, les dramaturges de NAJE écrivent le spectacle.

De janvier à mai 2022 : mise en scène, répétitions, préparation au travail de forum.

En mai : deux représentations (à la Parole Errante de Montreuil).

Ce chantier est financé par l’ANCT et la Fondation Abbé Pierre.

L’Ecole des Métiers de l’Information met à disposition ses locaux pour toute la préparation.

2/ Atelier « Racisme structurel et privilège blanc »

De l’autre, l’atelier de travail sur « le racisme structurel et le privilège blanc » qui a commencé en octobre 2019, s’est prolongé entre les confinements de 2020 et reprend en 2021.

Le spectacle est écrit. Nous le mettrons en scène et le répéterons pour le jouer en mars 2022 pour la Ligue des Droits de l’Homme.

La conduite du spectacle sera assurée par une comédienne de NAJE racisée et une comédienne de NAJE blanche : Farida Aouissi et Fabienne Brugel.

Ce chantier est mené en partenariat avec la LDH des 10e et 11e arrondissements de Paris. Le groupe qui le porte est composé pour moitié de personnes racisées et pour moitié de personnes blanches. Il est dirigé par 9 professionnel.les de NAJE.

 

Soutenez les grands chantiers, faites un don à Naje

Chaque année depuis 1997, en parallèle de ses autres activités, la Cie NAJE mène son « grand chantier national », une aventure hors-normes où des citoyen.nes d’horizons différents se mêlent pour créer ensemble un spectacle de théâtre-forum. Différentes thématiques y sont abordées chaque année : pauvreté, sans-papiers, luttes sociales, normes, travail, famille… et patrie pour cette année.

Pour que le projet reste accessible à toutes et tous, il est souvent difficile de joindre les deux bouts. Billets de trains, tickets de métro, location de salles pour les répétitions (pouvant accueillir 50 personnes et assez d’espace de travail !), matériel technique pour le spectacle… Pour pérenniser cette aventure, nous avons besoin de vous !

Nous voulons que ces grands chantiers d’éducation populaire et de création collective, qui sont l’âme de la compagnie, perdurent !

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