[Classes sociales] « Les dépossédés » : un retour de Patrick Viveret

Le philosophe Patrick Viveret a accompagné de ses réflexions plusieurs grands chantiers de la Cie. Ne pouvant être présent à aucune des deux représentations des Dépossédés, il est venu vendredi soir au Théâtre de l’Épée de Bois pour assister à l’un des tout derniers filages. Il nous livre ici ses premières impressions.

J’ai beaucoup repensé à cette belle pièce et à ce que j’aurais eu envie de dire et de proposer si j’avais pu être parmi vous samedi soir ou dimanche après-midi. Et s’il y a un enregistrement, je trouverais très intéressant que ce spectacle forum serve de support à des débats dans les mois qui viennent, à un moment où les mouvements sociaux et citoyens sont confrontés à des choix importants quant à leur stratégie. L’un de ces moments pourrait être l’Université des Mouvements sociaux et citoyens de fin août. Voici donc brièvement quelques idées et pistes.

1) Dans la lignée de « Rules for radicals », le livre d’Alinsky – que je sais vous avez plusieurs fois utilisé dans d’autres spectacles comme me l’a dit Fabienne vendredi soir – l’un des éléments essentiels du « jui tsi tsu de masse » c’est l’enquête sur les points faibles de l’adversaire. Ici les riches sont pour l’essentiel dans l’arrogance et la dominance, mais on peine à voir leurs zones de fragilité et de contradiction. Or comme (et c’est l’un des intérêts puissants du spectacle) plusieurs comédiens jouent aussi bien des rôles du côté des possédants que des dépossédés, je trouverais intéressant de faire de temps en temps des arrêts sur image sur le thème : au fait que pensent, que sentent, que vivent les possédants ? Vivent-ils vraiment dans la jouissance de leur possession, de leur domination, de leur exploitation d’autrui ou n’est-ce pas aussi pour eux (ou pour certains d’entre eux) une source de  contradiction, de mal-être qui pourrait être davantage cernée et utilisée ensuite dans une stratégie dynamique. Par exemple en exploitant le fait que les possédants sont eux mêmes « possédés » comme le dit Dostoiewski et que cette possession les aliène au sens marxiste du terme c’est-à-dire finit par les rendre étrangers à leur propre humanité. Il suffit de penser à l’histoire sordide de l’héritage de Johnny pour se dire que la possession d’une fortune peut conduire à détruire ce qui compte le plus, c’est-à-dire les rapports aux personnes que l’on aime.

Dans les stratégies de résistance non violente, l’un des enjeux c’est de transformer des ennemis en adversaires, c’est-à-dire de sortir de la logique d’éradication qui confond les rôles sociaux et les personnes pour construire du conflit non violent qui attaque les rôles sociaux destructeurs tout en laissant la possibilité aux personnes elles-mêmes de s’en détacher.

2) Parmi les moments forts du spectacle, il y a ceux où les contradictions au sein des « dépossédés » sont surmontées grâce à l’approche festive (par exemple, l’histoire du partage du petit déjeuner). C’est aussi l’un des points clefs de la stratégie de « Rules for radicals ». Si j’avais été présent, j’aurais proposé non seulement de donner plus de force à ces moments, mais de les placer vers la fin afin de montrer qu’une des clefs de la résistance créative, c’est de commencer à faire vivre le plus possible dans le présent les lendemains que l’on souhaite voir chanter. C’est l’approche que nous tentons au sein de l’archipel citoyen : « Osons les Jours heureux » qui reprend le beau titre du programme du Conseil national de la résistance. Le bien-vivre en acte est alors tout à la fois un moyen de résistance créative (R), d’expérimentation anticipatrice (E) et de Vision transformatrice (V) qui débloque l’imaginaire et montre la voie d’un autre monde possible. Si l’on y ajoute le E de l’évaluation démocratique et le R de la résistance refondatrice dans des situations d’effondrement provoquées par l’irresponsabilité écologique, sociale et financière du système dominant, cela nous permet de REVER, mais en acte, et de construire des alternatives aux logiques cauchemardesques que nous avons souvent à affronter. C’est aussi ce que nous recherchons avec ce que nous avons appelé la cellule de recherche-action NANOUB (pour « Nous Allons NOUs faire du Bien » !) qui est « une île flottante » au cœur de cet archipel, destinée à servir de lieu de ressource à la fois au sens de repos, de reconstitution de force de vie mais aussi de sources d’outils et d’imagination créatrice pour la cinquantaine de mouvements qui se retrouvent de près ou de loin au sein de cet archipel.

3) Du coup, cela permettrait de ne pas terminer sur la phrase terrible de Warren Buffet, qu’il est en effet essentiel de rappeler, mais de la remonter comme un défi à surmonter précisément par l’approche du bien-vivre en acte. Et si j’avais à monter sur la scène pour proposer une autre fin, je proposerais volontiers le slogan repris aussi par Alternatiba lors de leur premier tour de France : « Choisir d’être heureux est un acte de résistance politique ! »

 

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