Compte rendu d’une création professionnelle pour la DIV en 2001

Cette création a été menée en étroit partenariat avec Joelle Bordet -psycho-sociologue.

Dans le cadre du thème « participation des habitants et comment mettre en place des espaces de débat public », la Délégation Interministérielle à la ville a confié à notre compagnie la création d’un spectacle de Théâtre-Forum avec deux objectifs :
- donner aux habitants mais également aux professionnels et aux élus un outil d’échange de leurs représentations du sujet, de confrontation de leurs divergences et convergences afin de rechercher ensemble sur quelles propositions concrètes ils peuvent s’associer.
- donner aux habitants un moyen de construire une parole entendable et forte, et pour cela, les préparer et les former à utiliser le Théâtre-Forum.

Ce qu’est un spectacle de Théâtre-Forum : L’équipe de comédiens ou d’acteurs de terrain joue un spectacle qui dit une réalité, en éclaire les questions et les enjeux. Un ou des personnages incarnent notre volonté de transformation et nos difficultés à la réaliser. 
Une fois le spectacle terminé, il recommence, exactement identique, jusqu’à ce que, dans la salle, un spectateur l’arrête. Ce spectateur vient prendre la place du personnage dont il partage la vision et la volonté. Il vient confronter sa propre représentation de ce qu’il voudrait faire, de ce qu’il propose comme action transformatrice.
Les interventions des spectateurs se succèdent, soit en écho et en prolongement les unes des autres, soit en explorant d’autres pistes pour tirer la situation de départ dans tous les sens possibles et explorer tous les enjeux qu’elle contient et sur lesquelles on veut agir.
Réflexion prospective politique, le forum constitue également un moment de création à part entière ; c’est une écriture collective directe où les omédiens sont une matière que le public va pouvoir modeler à son gré, non sans difficulté car cette matière théâtrale qui pose là la réalité va présenter des lignes de résistance nécessitant pour le public une vraie créativité d’intervention.

Notre travail

Notre travail a commencé par le suivi que Joêlle Bordet -psychosociologue- a mené avec les habitants, les professionnels et les élus de Montreuil. Ce que nous y avons trouvé comme matériau a ensuité été complété par les expériences que nous ont transmis les groupes d’ habitants-acteurs avec lesquels nous travaillons depuis plusieurs années à Vaulx en Velin, Strasbourg, Paris et Marseille

A partir de ces matériaux et d’un travail d’analyse mené par la psychosociologue Joëlle Bordet, nous avons élaboré le contenu de ce que nous allions mettre en débat et construit une première ébauche du spectacle afin de la passer au crible des habitants participants de l’ensemble de la démarche venus de Montreuil et de Perpignan, réunis à Montreuil pour préparer le colloque de Montpellier. La première ébauche a alors été mise en débat avec les habitants et les chercheurs présents en ce qui concerne l’opportunité de nos choix de contenu, la cohérence de l’ensemble et les erreurs a rectifier. Il s’est agi là d’une véritable reconstruction : il s’agissait que les habitants se saisissent de cet outil et contrôlent son contenu puisqu’il s’agissait pour nous de porter leur parole et pour eux d’assumer cette parole commune et négociée.
Ce jour là, trois jeunes de Montreuil sont beaucoup intervenus en scène, nous leur avons proposé de s’intégrer à l’équipe de professionnels pour terminer le spectacle et de le jouer avec nous ; il nous semblait que les critiques et les propositions qu’ils avaient faites nous amènerait à de nouvelles mises en questions constructives. Ils ont su effectivement prendre leur place dans la création comme dans le spectacle comme partie intégrante de l’équipe.

La premiere fois que j’ai porté des lunettes de soleil à 5 000 F, c’est quand un lycéen m’a prété les siennes pour jouer un jeune… Je les ai gardé 5 minutes, le temps d’être confronté à un policier qui me les a piquées en même temps que le portable dernier cri sous prétexte que je n’avais qu’a venir les chercher au commissariat si j’étais en mesure de présenter les factures Tout est dit dans l’histoire de ces lunettes ; les trois jeunes de l’équipe qui n’imaginent pas que d’autres lunettes que celles là soient en scène parce qu’ils savent, eux, que ceux qui sont dans la salle savent lire ces signes là si nous qui n’habitons pas un quartier ne voient pas la différence. Voila comment un objet de représentation sociale devient un objet de la représenation théâtrale des rapports sociaux en question.

Théâtre-Forum et participation des habitants :
Jouer avec des habitants leurs histoires mais aussi les jouer avec eux, permet de donner une audience à cette connaissance que seuls les habitants ont du terrain et de la confronter avec celle que les autres peuvent avoir. Quand Joëlle Bordet nous explique les relations équivoques que le pouvoir politique entetient parfois avec les caïds du quartier pour obtenir la paix sociale, elle nous donne une analyse. Les trois jeunes qui travaillent avec nous la reconnaissent imédiatement mais ils l’investissent et la colorent de tous les signes qui dans la réalité traduisent cela et que nous – même présents fortement dans les quartiers, maitrisont mal. Ils construisent avec nous, à partir d’un accord commun qui se construit au fil du travail sur une réalité reconnue par eux et nous comme nécessaire à porter au débat, la séquence qui dit leur parole et celle des comédiens : une parole portée ensemble dorénavant.

`Le théâtre leur donne l’espace et le cadre où leur connaissance du terrain qui ne peut être remplacée par aucun autre regard peut servir : il s’agit de représenter physiquement ce qui autrement resterait abstrait. IIls s’inscrivent alors comme de véritables partenaires, spécialistes du terrain.
Ainsi, leur apport dans la création donc dans les choix concernant la manière de poser le débat est irremplaçable. Sans eux, nous aurions commis des erreurs de représentation de la réalité égarant une partie du public dns des erreurs d’appréciation, ce qui est grave pour les habitants comme pour les autres partenaires du débat : Il s’agissait de proposer une image de la réalité qui fasse image commune pour tous et point de départ d’un travail commun entre habitants, professionnels et institutionnels.

La présence des habitants sur scène et dans la salle pour faire forum permet de se dégager de la relation impossible avec les médias qui semblent toujours trahir le point de vue des habitants. Ici, ceux qui parlent et qui jouent entendent garder leur légitimité de dire. Difficile dans ces conditions d’être trop complaisant : le public aussi est expert ; on ne peut se payer de mots, il faut affronter les situations avec ce qu’elles contiennent.

Enfin, le théâtre-forum tel que nous essayos de le meer instaure le débat là où il y a rupture du contrat social du point de vue du perdant : à cet endroit, il s’agit du politique. Là le théâtre forum permet l’affrontement non violent des représentations de chacune des parties et la tentative de construire ensemble une analyse à plusieurs entrées et une volonté d’action. Donner la parole aux habitants et la leur donner sous cette forme, c’est peut-être reconnaitre que leur connaissance et leur représentation pèsent (doivent peser et peuvent peser) en réalité dans notre société autant les paroles d’expert.
Le théâtre-forum permet ainsi la confrontation entre les solutions techniquement possibles, celles officiellement prévues, celles réellement réalisées et celles réellement envisageables : pour la mère de famille dont le fils est condamné d’une amende de transport qui se montera à 1200F, il y a la solution inscrite dans la loi et la pratique judiciaire : il faut demander à repasser en jugement au tribunal de police et obtenir que la condamnation cesse d’être assortie de l’amende. La mère bien sùr et toutes celles présentes dans la salle le jour du spectacle se refuse à cette solution : elle ne veut pas risquer de voir cela apparaitre sur le casier judiciaire. Elle ne sait pas, et c’est un commissaire qui intervient pour le clarifier à tous, que la première condamnation à l’amende est déjà portée sur la casier judiciaire qui comporte plusieurs cadres de délits d’ordre différents.
Le jour du spectacle, les habitants ne sont pas seuls à monter en scène, une commissaire, deux gendarmes, un maire, des travailleurs sociaux portent tour à tour confrontent les pistes qu’ils proposent ou qu’ils ont déjà testées dans la réalité. une représentation collective de la problématique se construit au fil de leurs interventions, des pistes émergent…
Il devient alors clair que les représentations sociale de la justice doivent se reconstruire collectivement en confrontant réalité des représentations et représentations des réalités.

REALISATION :

L’enquête :

Elle s’est réalisée essentiellement avec Joëlle BORDET, psycho-sociologue du CSTB mandatée par la DIV comme consultante sur cette opération. Nous avons suivi les réunions d’habitants, de profesionnels et d’élus qu’elle a mené sur Montreuil.

A partir de là, notre collaboration s’est enracinée très fortement : nous avons élaboré ensemble le contenu même du spectacle (choix des thématiques concrètes, choix des séquences théâtrales susceptibles de porter les thématiques). Par ailleurs, Joëlle BORDET est venue deux fois travailler avec nous au cours de nos répétitions, ce qui a permis un travail de réajustement.

A partir de ce que nous avions entendu dans ces réunions, nous avons commencé l’élaboration de parties du spectacle avec l’équipe des comédiens de N.A.J.E. L’entrecroisement de ces paroles et des récits que nous avons récolté sur d’autres sites sur lesquels nous menons un travail de long terme a produit une première ébauche conduisant à un spectacle de 3 heures.
Le temps imparti pour notre intervention à Montpellier nous a amené d’une part à faire des choix pour ne retenir que les préoccupations les plus fortes des habitants comme des commanditaires, d’autre part à un montage du spectacle sous forme de séquences très rapides, les nuances se trouvant dans l’entrecroisement de séquences contradictoires.

Au cours de l’enquête, nous avons rencontré trois jeunes habitants de Montreuil très concernés par la question de la prévention et de la sécurité. Nous les avons intégré dans notre équipe et ils ont joué avec nous le théâtre-forum de Montpellier. Leur apport nous a été précieux et d’après ce qu’ils en disent et ce qu’ont repéré nos partenaires directs, cette expérience a été forte pour eux. Notre histoire avec eux va continuer puisque nous leur avons proposé de s’intégrer à un groupe d’habitants-acteurs que nous dirigeons dans le 19ème arrondissement de Paris.

La séance du 6 mars :

Cette rencontre devait réunir les groupes d’habitants de Grenoble, Perpignan et Montreuil qui avaient suivi la démarche avec les trois consultants mandatés par la DIV. Les habitants de Grenoble n’ayant pu être mobilisés pour cette journée, nous avons travaillé avec le groupe de Perpignan et celui de Montreuil. Etaient présents également un représentant du CNV, un de la DIV, deux d’Accadie Joëlle Bordet et Jean Marc Ditchari.

Nous avons commencé par repréciser la démarche afin de clarifier les incompréhensions, puis nous avons mis en forum trois séquences théâtrales avec les participants (une première ébauche). A l’issue du forum, nous avons consulté les habitants et les professionnels présents sur ce qui devait être et ce qui ne devait pas être dans le spectacle final.

Il en est résulté qu’une séquence, mettant en scène la BAC, ne serait pas conservée car elle risquait d’amener un débat technique qui la rendrait inéficace. Elle a été remplacée par trois courtes séquences de contrôle de papiers.
Une autre séquence a fait l’objet d’un débat, une scène de jeunes dans un hall d’immeuble. Le débat a porté sur le fait de savoir si cette scène stigmatisait ou non les jeunes habitants des quartiers. Après grand débat le 6 mars, repris dans les jours qui ont suivi avec les trois jeunes qui ont joué avec nous, nous avons gardé cette scène en lui accolant une autre séquence afin de présenter de manière plus multiple et nuancée la réalité des jeunes dans les halls d’immeubles.

Cette journée du 6 mars a bien rempli ses objectifs : mobilisation des habitants, préparation de leur place lors du colloque de Montpellier, participation effective de leur part dans le travail de création du spectacle.

LES THEMATIQUES DU SPECTACLE CREE

Le spectacle comporte 14 séquences théâtrales qui s’enchainent les unes aux autres en trois grandes parties de manière à traiter du sujet selon un point de vue d’habitants et à mettre en scène quelques personnages centraux du débat sur la sécurité et la prévention : l’éducateur, le sociologue, l’élu municipal, le responsable de HLM, les policiers, les jeunes, les parents, les voisins…

1ère partie :

Quelques séquences de halls d’immeuble investis par les jeunes, avec un adulte auxquel ils font peur, un adulte qui a développé avec eux une relation humaine, un adulte qui les insulte, un adulte qui les harcèle, un adulte qui, exédé, les menace de son fusil… Et puis une séquence sur la recherche de travail comme un parcours qui tue l’espoir.

Ces premières séquences ne donneront pas lieu au forum, elles sont là pour placer l’ambiance, le décor et un autre point de vue sur les jeunes que celui véhiculé par les médias, tout aussi réel pourtant. Elles seront complétées par deux tableaux disant les rapports parfois pervertis de la police is à vis des jeunes.

Ensuite des séquences sur lesquelles il est possible de « faire forum » :

Deuxième partie :

Elle raconte comment un jeune va se tourner vers le dealer du quartier et contracter une dette envers lui pour payer une amende prise par un agent de la RATP pour non présentation du titre de transport, amende montée après plusieurs rappels à la somme de 1 200 F. La séquence met en scène la maman de ce jeune, dans une famille en grosse difficulté financière (chômage de longue durée).

Troisième partie :

Cette scène est racontée du point de vue de l’éducateur de quartier, elle traite du caïdat dans les quartiers et des alliances dangereuses qui sont parfois passées avec les leaders du caïdat pour obtenir la paix sociale. La scène commence par des jeunes qui cassent le local jeunes après qu’ils aient été ramenés en urgence par leur éducateur du camp de ski où ils avaient pillé un magazin et agressé des personnes. Elle se termine par une alliance entre la structure nouvellement créée par le maire et le leader -caïd.

Le spectacle de Théâtre-Forum du 17 mars :

Les comédiens de la compagnie et les trois jeunes de Montreuil ont joué le spectacle de théâtre-forum au cours de l’atelier 15.

Le débat théâtral s’est effectué sur deux séquences (le spectacle comportait 14 séquences) :

l’une raconte comment un jeune va se tourner vers le dealer du quartier et contracter une dette envers lui pour payer une amende prise par un agent de la RATP pour non présentation du titre de transport, amende montée après plusieurs rappels à la somme de 1 200 F. La séquence mettait en scène la maman de ce jeune, dans une famille en grosse difficulté financière (chômage de longue durée).

Plusieurs interventions sont faites sur cette séquence : 
* une habitante est venue pour soutenir la mère, faire intervenir le comité de quartier, contacter la RATP pour tenter de négocier la dette.
* Un Maire est venu pour proposer au jeune de racheter sa dette au lieu qu’elle soit rachetée par le dealer : la Mairie paie les 1200 F et le jeune fera des travaux pour la mairie, ainsi, l’engrenage est stoppé.
* Un habitant africain est venu faire un père et a parlé avec son fils de sa culture d’origine, de sa situation en France vis à vis de la législation française, des valeurs… * une Commissaire de Police est venue pour proposer que le jeune repase au Tribunal pour que sa condamnation ne soit pas assortie du paiement de l’amende. Cela a déjà été réalisé dans la réalité.

L’autre scène est racontée du point de vue de l’éducateur de quartier, elle traite du caïdat dans les quartiers et des alliances dangereuses qui sont parfois passées avec les leaders du caïdat pour obtenir la paix sociale. La scène commence par des jeunes qui cassent le local jeunes après qu’ils aient été ramenés en urgence par leur éducateur du camp de ski où ils avaient pillé un magazin et agressé des personnes. Elle se termine par une alliance entre la structure nouvellement créée par le maire et le leader -caïd.

Le forum s’est limité à la situation de crise consécutive à la destruction du local-jeunes. Aucun spectateur ne s’est aventuré plus loin dans les séquences mettant en scène le dealer et les alliances avec lui.
* Une habitante prenant la place du Maire, est venue rencontrer les jeunes, leur disant que le local serait réparé vite et que ce serait l’occasion de l’améliorer.
* Un maire est venu rencontrer les jeunes pour leur expliquer que ce serait à eux de réparer leur local, que ce soit eux qui l’ait cassé ou non.
* Une professionnelle est venue demander au Maire de porter plainte ce qu’il a finalement fait après beaucoup de résistances. Cela a amené deux gendarmes de la salle à accepter de venir sur scène : ils ont demandé des noms à l’éducateur qui, poussé par le maire a fini par les donner. Cela a fait réagir très fortement un éducateur dans la salle :  » aucun éducateur ne peut travailler dans ce type de collaboration avec la police », et les jeunes jouant dans le spectacle ont imrovisé la suite, traitant l’éducateur de balance. Puis les deux gendarmes ont convoqué le groupe de jeunes et l’éducateur mais leur enquête n’a pas abouti. 
Pendant ce temps là, les comédiens ont improvisé en parrallèle un contrôle d’identité avec palpation. Les deux gendarmes n’ont pas souhaité s’impliquer dans cette nouvelle situation qui leur était présentée.
* Une professionnelle est venue organiser une réunion avec les jeunes, le maire, la police, les associations et le collège. Chaque personage a parlé de son point de vue et dans la défense de sa propre structure. Le maire et l’éducatrice se sont mis à discuter sur leur projets divergents… La réunion, non préparée n’a rien donné en terme d’organisation ou de projet mais elle a mis à jour les rituels et une certaine incapacité à agir ensemble.

A la suite du Forum, Joëlle BORDET a fait un exposé dans lequel elle a donné une interprétation des modes d’intervention proposés par le public.

La restitution du 18 mars :

Le soir du 17 mars, avec les habitants de Montreuil et Joëlle Bordet, nous avons pris trois heures pour construire un spectacle de 20 minutes constituant une version résumée des deux scènes qui avaient fait l’objet du forum et des interventions des spectateurs..
Joëlle BORDET a repris l’essentiel de son analyse de la veille afin de donner des pistes de débat au forum

 

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