Frédéric Bosqué
Le 6 janvier 2013, dans le cadre de notre chantier sur la propagande, nous avons rencontré Frédéric Bosqué (coordinateur du Sol Violette : www.sol-violette.info).
Attention, notre compte rendu n’ pas été relu par frédéric Bosqué et peut donc comporter des erreurs.
Economie, étymologiquement, signifie les règles du foyer. Les règles, ce sont quatre engagements :
Remettre l’entreprise au service de l’abondance (aller de la rareté à l’abondance et non l’inverse. Entreprendre = entre ce qui est pris, prendre là)
Favoriser les circuits courts en créant des groupements d’achats, hors des circuits de la grande distribution (actuellement, 80 % des achats se font en grandes surfaces).
Créer des monnaies citoyennes (il en existe une soixantaine en France, dont le Sol Violette à Toulouse auquel participent la Mairie, des banques, des réseaux citoyens. Existent aussi d’autres Sols: alpin, ch’ti, etc.)
Créer un Revenu minimum d’existence : c’est un revenu sans contrepartie, à vie, inaliénable (personne ne peut le prendre), individuel, cumulable avec n’importe quelle autre forme de revenu.
Ces outils sont des bâtons de marche, pas des outils magiques, on sait qu’il y aura certainement des défauts…
Les monnaies citoyennes
Avant la monnaie, on s’échangeait les biens. Mais, par exemple, pour échanger une pelle contre des tomates il fallait attendre que les tomates poussent. Pour échanger une maison, il fallait des brouettes d’œufs… La comparaison des valeurs était parfois difficile. Et puis, certaines marchandises permettaient de se procurer toutes les autres – le sel par exemple, car indispensable pour la conservation, et puis les coquillages (qui servaient pour les rituels religieux), les pierres et métaux précieux. On achetait donc ces dernières pour leur valeur d’échange et non pour la consommation – les notions de valeur d’échange et de valeur d’usage apparaissent (ici, la valeur d’échange est supérieure à la valeur d’usage). Le sel facilitait l’échange de marchandises difficilement comparables. Mais peu à peu, c’est l’or qui a gagné.
La monnaie, selon Aristote, est un bien qui permet l’échange, c’est une unité de compte très malléable, c’est une unité de réserve (inaltérable, c’est un matériau qui traverse le temps).
En l’an 600, en Lydie (Grèce), sur les marchés, on a commencé à mélanger l’or avec d’autres métaux précieux. Dans la foulée, le roi Crésus a eu l’idée de découper des petits morceaux d’or et de les estampiller avec son sceau. À partir de ce moment, c’est désormais le sceau royal qui a indiqué la valeur, et non la quantité d’or. Crésus s’est donc enrichi puisqu’il récupérait la différence de quantité d’or entre la valeur indiquée par le sceau et la quantité contenue dans la pièce.
Au Moyen-âge, les voyages étaient longs et dangereux. Les orfèvres ont eu l’idée de donner des certificats de dépôt en échange de l’or des voyageurs qui, une fois arrivés à leur destination, récupéraient leurs biens en échange du certificat. Peu à peu, 30 % de l’or n’est plus sorti, car les certificats s’échangeaient entre eux. Le papier n’avait aucune valeur en lui-même. Seulement par le chiffre inscrit dessus.
À la Renaissance, il y a eu de plus en plus de demandes de prêts auprès des orfèvres (qui deviennent peu à peu banquiers). C’est la naissance du crédit (étymologiquement, credere : croire). Avant on devenait riche en faisant croître ce qui existait, maintenant on le devient en croyant en l’avenir.
De nos jours, la monnaie est supérieure à l’or (c’est Nixon qui a aboli la convertibilité du dollar en or en 1971) et les certificats sont devenus des billets standardisés.
Le dollar (comme l’euro, le wan ou le yen aujourd’hui) est une monnaie fiduciaire, elle n’a de valeur que par rapport à ce qu’elle peut acheter.
La monnaie citoyenne ramène de la valeur au système monétaire, c’est une force de vie, elle ne fait pas que compter (c’est le principe du label : il compte ce qui a de la valeur pour nous). Et c’est une monnaie de confiance : elle ne mélange pas ce qui détruit et ce qui est force de vie.
Aujourd’hui, la monnaie est potentiellement multipliable à l’infini (85 % est virtuelle, c’est-à-dire reposant sur le crédit). Elle est fabriquée par des entreprises privées (banques) qui font de l’argent sur la rareté de la monnaie. Elle est surabondante sur les marchés financiers, et rare pour les entreprises réelles.
Ceux qui fabriquent la monnaie n’ont aucun intérêt à faire que la monnaie soit abondante. En la maintenant rare, tout le monde s’endette (États, citoyens, entreprises…). Si elle était abondante, on pourrait augmenter les revenus, créer des entreprises, de la production, etc.
Dans les années 1980, la dette française était de 200 milliards d’euros ; en 2010, elle est passée à 1 200 milliards d’euros, avec grosso modo les mêmes dépenses. La différence – 1 000 milliards d’euros – correspond aux intérêts. Quel est le service rendu par les institutions bancaires pour qu’on leur donne autant d’argent ?
Petit jeu autour du PIB (Produit intérieur brut – qui est, en fait, la somme des richesses échangées en monnaie).
– Exemple 1 : trois citoyens-producteurs : le 1 achète 1€ le stylo de 2, et le met dans le PIB. Avec l’€, 2 achète le stylo de 3, le met dans le PIB. Avec l’€, 3 achète le stylo de 1, le met dans le PIB. Au final, le PIB vaut 3 stylos (3€) et le 1€ est toujours en circulation. Ca coûté 0€ car l’€ est revenu à la personne de départ. La richesse s’est donc créée grâce à l’échange.
– Exemple 2 : 1 achète le stylo de 2, 2 s’en va avec l’€ (sur le marché de la spéculation, où les échanges se font à la nanoseconde). Les 2 personnes restantes vont emprunter (avec intérêts) à celle qui est partie, et à la fin, elles lui donnent leur production (les stylos). Au bout d’un an, la capacité de production est de 0€ et ça a coûté 1€.
Moralité : la richesse se crée quand la monnaie circule !
Les transactions monétaires
On peut distinguer quatre grandes catégories de transactions :
– les transactions de l’économie réelle (monnaie contre biens de service) ;
– les transactions financières (monnaie pour financer des entreprises, contre des titres ou des actions dans l’entreprise) ;
– les transactions de change (j’achète aux USA un bien en dollars que je change à la banque) ;
– les transaction de couverture de risques (on se garantit de la hausse ou de la baisse de produits achetés : par exemple, du béton pour la construction d’un barrage sur 20 ans).
Sur le marché mondial, en 24 heures :
– de minuit à 0h45, toutes les transactions de l’économie réelle sont terminées ;
– de 0h45 à 1h30, on a financé toutes les transactions financières ;
– de 1h30 à 2h15, tous les échanges en devises réelles ;
– de 2h15 à 8h, échanges de devises spéculatives ;
– de 8h à minuit, ce ne sont que des transactions de couvertures de risques
De 2h15 à minuit, ce n’est donc que de la spéculation.
Le moteur des spéculations, c’est la dette.
Le Sol Violette
Le Sol circule dans un bassin de vie concret, au sein d’un réseau d’acteurs économiques qui sont des collectivités locales, des entreprises et des citoyens. On ne peut pas le dépenser à New York. C’est une monnaie enracinée.
Pour faire partie du réseau de circulation, il faut l’agrément du CLAS (comité local d’agrément du Sol), à renouveler tous les deux ans. Les critères pour être agréé portent sur l’humain, la nature, l’engagement, les conditions salariales, etc. Le CLAS fonctionne sur une base démocratique de consensus : tout le monde doit tomber d’accord. S’il y a une objection, la décision ne peut être prise que si la personne retire son objection (elle peut ne pas être d’accord mais consentir au point de vue des autres). Sinon on décide au 2/3 des voix.
On a bloqué une certaine somme d’argent en euros sur deux banques :
– le Crédit Municipal, qui prête sous forme de microcrédit à taux zéro à des précaires ;
le Crédit Coopératif, qui fait des prêts pour des activités de développement durable ou d’économie sociale et solidaire.
Le Sol est donc un coupon de dette. On a créé de la monnaie, mais au lieu de l’injecter « en haut », on le met « en bas », vers ceux qui en ont besoin.
Les ménages peuvent échanger auprès des deux banques. Pour 100 €, on leur donne 105 Sols (1 € d’intérêt tous les 20 €). Le billet Sol est, en quelque sorte, l’équivalent du certificat de dépôt d’antan.
C’est une monnaie qu’on ne peut pas thésauriser. Un billet Sol non mis en circulation se périme. Un Sol, en circulant deux fois plus qu’un euro, multiplie les échanges.
Les entreprises peuvent également échanger leurs Sol aux deux banques ou en offrir à leurs clients au lieu de faire des remises de prix.
Les collectivités territoriales : la mairie peut transformer 30 000 € en Sol pour un investissement destiné aux entreprises (c’est exactement comme un chèque restaurant).
Il y a 8 000 adhérents et 100 prestataires de produits de base (alimentation, vêtements, tapisserie, peinture, carrelage, sport, culture, MJC, transports doux – vélo, auto en partage, métro et bus, assurance Macif…). C’est peu, mais cela vaut mieux, car c’est une expérimentation anticipatrice qui fera des petits. C’est une autre façon de penser.
Pour conclure
Le poids du sel dans un corps est infime, mais si on enlève ce sel, on meurt. Ce n’est pas la quantité ou la grandeur qui importe. Si ce que je fais est juste, alors je dois continuer à le faire.