Guillaume Dreyfus : retour sur l’eugénisme

Projection du film « Hygiène raciale » et rencontre avec son réalisateur Guillaume Dreyfus

 « Hygiène raciale » : ce fut le nom donné à l’eugénisme, en Allemagne, dans les années 1930. Le film réalisé par Guillaume Dreyfus raconte l’histoire de cette idéologie, dont le but premier était d’empêcher la propagation de certaines maladies, que la science de l’époque estimait alors héréditaires. L’eugénisme fut l’un des piliers idéologiques du nazisme. Toutefois, cette idéologie n’a pas seulement été appliquée dans l’Allemagne nazie, mais aussi dans d’autres pays occidentaux, et notamment aux Etats-Unis – avant 1933 et après 1945. L’un des objectifs du film est de faire apparaître certaines continuités : on oublie parfois combien la pensée eugéniste, qui triompha dans une partie du monde occidental avant la Seconde Guerre mondiale, a marqué un jalon capital dans le cheminement vers le crime de masse. Le film est donc un documentaire historique, évoquant les responsables de l’hygiène raciale et faisant témoigner certaines de ses victimes, tout en revisitant certains lieux emblématiques associés à cette idéologie.

Après avoir visionné le film, nous en avons discuté avec son réalisateur Guillaume Dreyfus, qui a tenté de répondre aux nombreuses questions des participants. Ainsi, certains ont noté que les victimes de l’eugénisme employaient souvent des expressions comme « J’étais même pas fou » ou « J’étais une bonne Allemande » : n’est-ce pas admettre la légitimité de l’eugénisme si celui-ci était plus rigoureux et scientifique ? Guillaume Dreyfus insiste sur le fait que ces personnes ne comprennent pas pourquoi elles ont été stérilisées : même au regard des normes eugénistes, elles étaient « hors-cadre ». Cela ne veut pas dire qu’elles légitiment l’idéologie eugéniste. Un autre participant a tout de même souligné la « perversion complète du raisonnement », qui amène les victimes elles-mêmes à « se défendre en intégrant les arguments du système » eugéniste.

D’autres participants l’ont interrogé sur les pratiques qui peuvent subsister dans d’autres pays que ceux évoqués dans le film. Guillaume a évoqué le Japon, qui a connu après 1948 un programme eugéniste de grande envergure ; la Chine, qui le pratique encore à grande échelle ; le Pérou et le Brésil. A aussi été évoqué le cas des « bâtards de Rhénanie », des enfants métis nés d’une mère allemande et d’un soldat français noir après la guerre de 1914-1918 : un millier d’entre eux auraient été stérilisés, et l’écrivain Didier Daeninckx évoque cette situation dans son roman Galadio.

Et en France ? Guillaume Dreyfus a rappelé qu’il y a de la résistance dans les pays catholiques, le Pape n’ayant pas hésité à intervenir contre un projet de loi eugéniste en France. Mais des pratiques de ce type peuvent quand même exister, hors tout cadre légal, notamment dans les hôpitaux psychiatriques : selon Charlie Hebdo, quelque 10 000 personnes en auraient été victimes dans les institutions psychiatriques. Une autre participante nous a apporté deux informations essentielles : on incite les femmes Roms à utiliser comme méthode contraceptive des implants dans le bras ; et les transsexuels qui veulent obtenir un changement d’état civil doivent obligatoirement se faire stériliser !

Y a-t-il eu filiation directe entre les lois eugénistes de l’Allemagne nazie et l’extermination des juifs ? Guillaume estime que le chaînon qui fait la transition, c’est le programme T4 d’élimination des handicapés physiques et mentaux. « Entre les lois eugénistes et T4, il y a continuité car ce sont les mêmes personnes qui étaient visés. Entre T4 et l’extermination, il y a continuité car c’est T4 qui a donné naissance à des outils d’extermination massive comme les chambres à gaz. »

Le réalisateur a également évoqué l’évolution historique dans les « cibles » successives de l’eugénisme : « Au début du XXe siècle, c’était surtout les fous, les criminels, les épileptiques, qui étaient visés. Après la Seconde guerre mondiale, l’eugénisme s’est davantage attaqué aux classes sociales pauvres, en utilisant de plus en plus des arguments économiques ». Pourquoi n’y a-t-il pas eu plus d’opposition à cette idéologie et à ces pratiques ? Guillaume Dreyfus a souligné l’aspect répressif : en Allemagne, si quelqu’un s’y opposait, on allait aussitôt chercher la police ; aux Etats-Unis, ceux qui protestaient trop étaient très vite embarqués. Et puis, a-t-il rappelé, « cela n’intéressait pas vraiment l’opinion publique ».

Alors, comment tout cela a-t-il fini par s’arrêter ? En Allemagne, la défaite des nazis a entraîné la fermeture de tous les centres de santé héréditaire. Aux Etats-Unis, après la première plainte déposée par une femme victime dans les années 1970, des gens se sont mobilisés, des associations se sont créées, des attentats ont même visé l’hôpital de San Francisco pour faire cesser les stérilisations. Tous ces combats ont fini par payer, même si la question de l’indemnisation des victimes reste encore entière.

2 Comments

  1. Sylvain FOULQUIER

    Le retour progressif de l’eugénisme auquel nous assistons en ce début de siècle laisse présager le pire, d’autant qu’elle n’engendre presque aucune opposition politique ou médiatique. En tant qu’autiste Asperger, j’ai l’impression d’assister au retour insidieux et inéluctable de l’idéologie nazie.

  2. Sylvain FOULQUIER

    « D’autant qu’IL n’engendre » (et non pas « qu’elle n’engendre »). Faute de frappe.

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