Jean-Jacques Zimermann

Le 27 janvier 2013, dans le cadre de notre chantier sur la propagande, Jean-Jacques est intervenu sur le marketing. Jean jacques Zimermann est psycho-sociologue, il a travaillé dans une agence de marketing, donne des cours à HEC et est participant du chantier.  
 
Jean-Jacques a démarré par une citation de Nietzsche, le philosophe allemand : « L’ennemi de la vérité n’est pas le mensonge mais la crédulité. » Il nous a fait faire un exercice qui montre qu’on a du mal à donner le nom exact des fleurs (présentées à l’écran en photos), mais que l’on trouve sans problème le nom des marques !
 
Le marketing
Mais qu’est-ce que le marketing ? L’Américain Philip Kotler en a donné la définition suivante : « L’ensemble des techniques et études d’applications qui ont pour but de prévoir, constater, susciter, renouveler et stimuler les besoins des consommateurs et adapter de manière continue l’appareil productif et commercial aux besoins ainsi déterminés. » Et ce qu’on appelle le « mix » repose sur six éléments, les « 6 P » :
    le produit ;
    son prix :
    le positionnement ;
    le packaging ;
    la promotion ;
    la publicité.
 
Jean-Jacques a alors décrit l’ensemble des acteurs du marketing :
les départements internes aux entreprises elles-mêmes : au sommet un directeur général ; en-dessous de lui, généralement, un responsable marketing et un responsable communication ; en-dessous encore, des chefs de groupes ; plus bas, des chefs de produits…
les partenaires extérieurs : sociétés de veille (dans le renseignement commercial, on trouve beaucoup d’anciens militaires) et de conseil stratégique ; agences de publicité ; cabinets de design et de packaging ; conseils en relations publiques, relations presse et lobbying ; instituts d’études de marché et de sondages d’opinion…
 
C’est dans cette dernière activité que Jean-Jacques a exercé son métier. On y distingue les spécialistes des panels (Nielsen, Secodip…), les instituts spécialisés dans les sondages (Ipsos, Ifop, TNS/Sofres, BVA, CSA…), les spécialistes des études qualitatives dites « qualis » (qui organisent des réunions de groupes et/ou des entretiens individuels, en face-à-face, avec des consommateurs). Dans ces réunions, la manipulation n’est pas rare : « Par exemple, pour Danone, qui souhaitait lancer de nouveaux yaourts au thym et au romarin, on pose la question 15 fois de suite aux consommateurs… et ils finissent pas dire oui ! On les mène au consentement… Comme si, sous la pression, on se moquait de la fiabilité du résultat, ce qui importe, c’est que le client soit content ! »
 
Le monde des apparences
Jean-Jacques nous a expliqué que, dans la sphère du marketing, on ne parle pas de « propagande », mais d’« influence ». Il est entré dans ce métier en 1985 après avoir fait des études de psychologie. Il ne voulait pas travailler dans le recrutement des cadres et un conseiller emploi lui a dit de chercher dans le marketing. « Quand je suis entré dans ce métier, alors que j’étais militant, je n’avais aucun esprit critique. Et je n’ai rien vu de ce qui se passait pendant longtemps. On enferme les gens qui y travaillent dans de petites bulles où ils n’ont conscience de rien. » Il a été recruté par un petit cabinet d’études, filiale d’un grand groupe de pub.
 
La pub, c’est le monde des apparences. « Les gens sont plutôt sympas, les patrons ont un look à la fois professionnel et cool, il est de bon ton de ne pas se raser quand on travaille sur un budget : ça veut dire qu’on a travaillé toute la nuit ! Tout de suite, on se tutoie, on s’embrasse, on a des ordinateurs à la pointe du progrès ! Je me suis engouffré dans une passion car je pensais que la propagande, c’était le fait des Etats, et pas des entreprises. Pourtant, à partir des années 1990, les entreprises ont pris un poids énorme ; bien au-dessus des Etats. » Cet univers professionnel peut aussi être très violent. Un jour, Jean-Jacques a entendu dire à un directeur de création qui devait remettre un projet : « Si dans deux heures, t’es pas là, c’est pas la peine de revenir lundi ! ». Les publicitaires et gens d’études et conseil sont très défiants les uns des autres, car les premiers craignent que les seconds invalident leurs plus belles idées.
 
En marketing, la tendance est à vendre tout… sauf le produit lui-même. Exemple : pour les eaux minérales, on ne vend pas l’eau elle-même, mais « la vitalité, la santé, la jeunesse… ». Il faut apporter, explique Jean-Jacques, de « la valeur imaginaire ajoutée ». Le design, le packaging, le conditionnement deviennent de plus en plus sophistiqués. Ainsi, le goût « fraise » correspond à 40 saveurs différentes selon les pays du monde où l’on vend.
 
Ensuite Jean-Jacques nous a raconté plus précisément en quoi consistait son métier. En général, il s’agit de faire une étude pour évaluer les réactions des consommateurs potentiels à un nouveau produit. « On a un rôle de conseil, pas de décision. Et on s’entoure de plein de précautions pour expliquer que ce n’est pas notre avis personnel, mais bien ce qui se reflète chez les consommateurs. » Les méthodes utilisées s’inspirent en général des théories de la psychologie sociale. Et les étapes du processus d’une étude sont :
         le brief par le client ;
         la rédaction d’un projet (avec parfois plusieurs cabinets mis en concurrence dans le cadre d’un appel d’offres) ;
         après le choix du prestataire, le lancement de l’étude (recrutement des personnes à interviewer, organisation de la réunion de groupe ou des face-à-face…) ;
         réalisation du terrain (le plus souvent à l’aide d’entretiens ou de réunions de groupe) ;
         rédaction des conclusions et présentation des résultats au client.
 
Jean-Jacques nous a parlé d’une campagne qui lui semblait « absolument scandaleuse » : celle de Nestlé pour affirmer son leadership sur la mousse au chocolat industrielle. On y voyait une petite fille qui désobéissait à ses parents en savourant une mousse avant le repas. L’enjeu, telle qu’il était apparu dans une étude, était en effet que les enfants puissent court-circuiter les règles familiales, si l’on voulait que leur consommation de mousse au chocolat augmente. Cette publicité a été très efficace, car les parents ont pu s’identifier à la petite fille : la pub s’intéresse aux adultes, mais elle s’adresse à l’« enfant intérieur » qui est en eux. Dans les instituts, on apprend à déstructurer le discours, à jouer plus sur la connotation des mots que sur leur dénotation.
 
A partir de cette campagne, on a pu comprendre les différents éléments qui font – ou non – la force d’une publicité :
la promesse de compréhension (il faut que le message soit simple et clair) ;
la promesse d’impact (celui-ci dépend largement de la stimulation émotionnelle provoquée par la pub) :
la promesse d’agrément (il faut que le film soit agréable à voir… encore que certaines pubs causant du désagrément puissent quand même être efficaces !) ;
la promesse d’attribution (il faut que le produit auquel la pub fait référence soit parfaitement identifiable) ;
la promesse d’implication (le but est d’intensifier la consommation, donc de stimuler l’acte d’achat).
Il faut avoir en tête que chacun de nous est exposé peu ou prou à un millier de messages publicitaires par jour, et l’on en retient que deux ou trois : la concurrence est donc rude pour marquer les esprits !
 
De la pratique à la critique
Un ouvrage (« De la misère humaine en milieu publicitaire », du groupe Marcuse, La Découverte) constitue une très bonne critique du marketing publicitaire. On y dénonce notamment l’aspect guerrier du marketing, qui se révèle par les mots utilisés dans cet univers : « cible », « opérations », « percée », « arsenal », « arme absolue », « occuper le terrain », « faire tomber les défenses »… L’analogie militaire est devenue l’outil numéro un du marketing. Jusqu’à aboutir à ce paradoxe : le client, c’est l’ennemi… qu’il faut « ligoter, bâillonner », selon les propos de Georges Chetochine, conseil notoire en marketing !
 
Dans les années 1990, Jean-Jacques a eu plus de responsabilités : on lui confiait la gestion globale de problématiques d’études. Il a compris que les choses commençaient à changer. « Il y avait de plus en plus de dysfonctionnements. Je me rendais compte qu’on était là pour faire plaisir au client, pas pour apporter une expertise rigoureuse ». C’est aussi l’apparition des bureaux en « open space » avec des relations de travail de moins en moins conviviales, les agences insultent de plus en plus les consommateurs (« Tous des cons ! », entendait-il souvent en réunion). Jean-Jacques a fini par quitter son emploi, il est passé à la formation et est revenu à une culture plus politique. Il n’est pas le seul à avoir suivi ce chemin. « Parmi les Casseurs de pub, il y a beaucoup d’anciens publicitaires. Ils ont expérimenté la douleur terrible, mais très sourde, qui existe dans de telles activités. »
 
Pour Jean-Jacques, certaines techniques du marketing et de la publicité peuvent être utilisés par des résistants et les acteurs de l’Économie sociale et solidaire. Ainsi, Greenpeace a détourné une campagne de Nestlé qui s’appropriait le commerce équitable et l’a diffusée sur les réseaux sociaux. Résultat : l’action Nestlé a perdu trois points en Bourse dès le lendemain ! Au bout de trois jours, Nestlé a annoncé qu’il cessait toute collaboration avec les producteurs d’huile de palme qui ne s’engageraient pas dans une démarche de développement durable. La vidéo de Greenpeace a été vue plus de 1,5 million de fois en deux mois. Jean-Jacques nous a montré d’autres exemples de pubs détournées : sur les foies gras (détournement contre le gavage des canards) ; sur le nucléaire (pub d’Areva détournée par le réseau Sortir du nucléaire) ; contre l’exploitation en Afrique du Coltan, minerai qui sert à fabriquer les téléphones portables ; pub Fair Fruit pour soutenir le commerce équitable… Ces pubs alternatives sont en général diffusées sur internet (réseaux sociaux, sites, blogs…). Une règle d’or si l’on veut que ces détournements soient efficaces : être sur des modes d’expression aussi simples, aussi courts, que les pubs que l’on veut contrer ! Mais aussi proposer un mode d’action à la fin pour que le spectateur se sente concerné, en capacité d’agir sur le problème…

 

 

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