Jeunes femmes et violences avec les Missions Locales du 91

Depuis 2010, un programme expérimental a été mis en place dans les Missions Locales du 91 avec l’appui du Conseil général du 91. L’action est portée par la Mission Locale des Ulis. Dix sessions sont organisées dans les Missions Locales du département pour des jeunes filles et femmes concernées par les violences familiales et conjugales. Notre compagnie participe à cette action : elle prend en charge la direction de trois journées par sessions.

Voici le Bilan global du dispositif Missions Locales 91 fait en 2012 par les Missions Locales,

Voici le Bilan d’une session à la Mission Locale des Ulis en 2012 fait par la Mission Locale. 

Voici le compte rendu de NAJE de la première session faite en 2010

Atelier dans le cadre du stage

Jeunes et femmes: des outils pour construire sa vie

organisé par la Mission Locale (2010) 

en ont fait partie: Mylena, Souadou, Aïssata, Grémé, Sakyna, Sarah, Bernadette, Eugénie, Sothie, Fanny, Mélanie, Alyssia, Sonia, Marie-France, Farida, Perrine

Le cadre

Nous intervenions dans le cadre d’un stage de trois semaines organisé par la Mission locale des Ulis pour douze jeunes filles de différents quartiers de la ville âgées de 16 à 24 ans. Ce stage était coordonné par Sonia Lebreuilly, sexologue, employée par la mairie des Ulis pour ce projet spécifique: accompagner des jeunes femmes dans leur prise en main de leur projet professionnel, mais aussi leur projet de vie. Dans ce cadre, diverses rencontres ont été organisées (assemblée nationale, féministes…), ainsi que divers ateliers d’expression, de nutrition, de réflexion…, autour de leur place de jeune femme dans la société.

Notre atelier de théâtre forum avait pour but spécifique de travailler sur la problématique de la grossesse précoce (quatre jeunes femmes sur douze étaient mères), mais aussi sur les différentes problématiques de la relation hommes/femmes par le moyen du théâtre forum -le travail de leurs histoires de vie, et l’exploration des pistes possibles pour sortir des oppressions, choisir et décider. Nous avions six séances d’une journée entière, avec l’objectif de monter des scènes de théâtre forum à présenter le 9 décembre devant les classes d’un lycée des Ulis.

Nous avons mesuré l’importance du projet global dans lequel était ancré notre atelier à différents niveaux. D’abord parce qu’il s’est tissée une solidarité particulièrement forte entre les participantes. Mais aussi parce que nous savions que ce groupe ne serait pas « abandonné » après le projet, Sonia et la maire des Ulis ayant une vraie volonté que ce stage soit la première pierre d’un accompagnement régulier et rigoureux de chacune des jeunes femmes. « Maintenant, vous êtes des ambassadrices » (la Maire au pot de bilan du projet).

Les séances

 

Les jeux

             « Ah, Je suis fatiguée, je suis fatiguée ».  Ainsi débutaient souvent les séances de théâtre forum. Collées au radiateur, l’hiver et la neige n’aidant pas, chacune partageait la mauvaise nuit qu’elle avait passée, ou la dispute qu’elle avait eue, ou bien l’heure tardive à laquelle elle s’était couchée. La fatigue, c’était le rituel du matin. C’est presque devenu un jeu au fil des séances.

C’était donc très agréable et drôle de découvrir plus tard dans la séance l’énergie qui était déployée pour jouer tel ou tel personnage, ou pour s’investir dans un jeu; la pêche qu’elles avaient en fait toutes.

Les moments de jeux étaient très agréables parce qu’ils étaient appréciés par le groupe, et entraînaient la plupart du temps beaucoup de dynamisme, d’énergie, et de bonne humeur.

Un des jeux qui permettaient de se mobiliser et qui était très apprécié, c’était le jeu cabanes/habitants, qui consiste à former des trios mur/mur/habitant pour que les habitants trouvent des cabanes et vice et versa. Il a effectivement été re-proposé souvent par les participantes elles-mêmes. C’était à chaque fois beaucoup d’agitation, de luttes entre les joueuses, et de rires surtout.

Les exercices plus axés sur la disponibilité et la concentration étaient souvent accueillis avec moins d’enthousiasme. Les exercices d’aveugles ont fait surgir beaucoup d’angoisse qui se traduisaient par des rires nerveux, et qu’il fallait calmer peu à peu. Les exercices ou improvisations qui demandaient un lâcher prise du corps et de la voix, mais surtout en fait un lâcher prise de la peur de l’image qu’on donne, étaient aussi un réel effort pour les jeunes femmes, qui pourtant se connaissaient bien entre elles. À ces occasions, nous avons pu échanger autour de la liberté d’être, de la part de folie en nous, de la détente à chercher. Nous avons une fois pris exemple sur la petite fille d’une des jeunes femmes qui était là et s’étonnait de l’alentour, jouait avec n’importe quoi, se trémoussait très librement.

Les histoires:

             Lors de la première séance, nous avons mis en place un co-pilotage, pour récolter des histoires par groupes de deux. L’une et l’autre raconte une histoire à l’autre qui se l’approprie et la retransmet au grand groupe. Les histoires qui sont sorties étaient pour la plupart très profondes et importantes, et ont beaucoup remuées celles qui les ont racontées. Nous avons été impressionnées de cette grande confiance faite au groupe dès la première séance. Nous avons ainsi pu mesurer la bienveillance et l’unité de ce groupe de jeunes femmes. Ce climat a perduré sur les six séances et a permis vraiment que nous fassions ensemble un travail de qualité. 

-la « grossesse précoce »

            Lors de la première « récolte d’histoire », deux histoires ont été racontées, qui avaient lien avec la problématique de la grossesse précoce. Les deux jeunes femmes qui les racontaient exprimaient le sentiment d’abandon qu’elles ressentaient, à cause de l’absence du père de leur enfant, ou bien de son peu d’attention, et la solitude dans laquelle elles étaient aujourd’hui dans cette parentalité toute neuve. Nous avons monté une de ces deux histoires et fait forum entre nous. La jeune femme dont c’était l’histoire a joué son oppresseur. Ça lui a été difficile, parce son histoire était encore complètement d’actualité. Malgré tout, nous avons pu échanger autour de cette histoire, sur le moment, puis aussi à d’autres moments, la questionner et lui donner des pistes dans la discussion. Par la suite, elle n’a pas souhaité que nous la montrions en spectacle, et n’est pas revenue très souvent à l’atelier. L’autre histoire était également encore « en cours », très sensible donc. Nous aurions aimé travaillé avec le groupe sur le désir partagé dans un couple d’avoir un enfant, et l’importance de ce choix-là. Nous ne l’avons pas fait sous forme de forum, mais l’avons abordé à plusieurs reprises dans les discussions.

A plusieurs reprises, des jeunes femmes ont amené leur enfant aux séances de théâtre forum, n’ayant pu trouvé une solution de garde. Ça a été parfois compliqué pour que le bébé n’accapare pas l’attention de tout le groupe, et particulièrement ne réclame pas sa maman continuellement. Nous nous relayions auprès de l’enfant, et c’était plutôt convivial.  Ces moments ont surtout été l’occasion de discuter avec les jeunes mamans, mais aussi avec le reste du groupe de l’éducation des enfants, de la relation fusionnelle mère/enfant, des limites et des règles à poser… etc. Ces moments informels ont été très importants et riches.

-les relations de couple

            Sur proposition d’une des participantes, nous avons travaillé sur des « situations de drague » très courantes dans la rue. Ce moment d’improvisation a été très drôle et important à la fois. Ce rapport de drague d’un homme à une femme qu’il n’a jamais vu, cristallise beaucoup de choses des relations d’oppression homme/femme (séduction, uni-latéralité, attirance du corps exclusivement…). A travers une situation anodine donc, et sans gravité au départ, on peut explorer les pistes de sortie de l’oppression. Les jeunes femmes prenaient un vrai plaisir à jouer les hommes qui les draguaient quotidiennement, mais aussi à faire forum en tant que femme pour essayer de s’en libérer. Durant le forum que nous faisions entre nous sur ces toutes petites scènes, beaucoup de pistes différentes ont été expérimentées. Certaines étonnaient beaucoup parce qu’elles n’avaient jamais été envisagées par beaucoup d’entre les participantes (faire celle qui perd la tête, celle qui ne comprend pas, faire exactement ce que fait l’homme en face, rester très calme…). Nous pouvions essayer ces pistes immédiatement au sortir de chaque atelier dans le quartier où nous étions!

Une des histoires racontées lors de la première séance et reprises pour le spectacle était celle d’une femme battue par « son mec ». Nous avons donc pu travailler sur cette relation-là. La jeune femme qui l’avait racontée et qui jouait son oppresseur, bloquait d’abord toute possibilité de transformation de la scène, disant que c’était impossible et qu’elle n’aurait jamais pu faire ça. Puis quelques pistes ont réussi à transformer un peu les rapports de force, mais le face à face avec le mec est resté difficile. Nous avons donc également fait forum avec les parents de la jeune femme qui étaient tous les deux très indisponibles dès qu’elle rentrait chez elle, pianotant sur l’ordinateur sans s’inquiéter de rien. Cette histoire a donc ouvert plusieurs pistes de réflexion.

Un des sujets qui revenaient très souvent dans les histoires racontées était celui de l’infidélité dans le couple, tant par les hommes que par les femmes, et les rumeurs qui courraient dans le quartier dès lors qu’un doute avait été émis par qui que ce soit. Une des jeunes femmes nous a par exemple raconter qu’elle avait de sérieux doutes sur la fidélité de son mari. Elle a donc improvisé la scène où elle fait part de ses doutes à ses amies, avec des jeunes filles du groupe, et notamment certaines qui faisaient partie réellement de l’histoire. Elles rebondissaient sur les doutes de la jeune femme, les attisait en certifiant l’infidélité de tous les hommes, qui n’étaient que des « chiens » etc. Au fur et à mesure que la scène avançait, la jeune femme était de plus en plus certaine de l’infidélité de son mari. Il a été intéressant de noter cela, et d’en discuter avec le groupe.

Une autre histoire qui a été apportée et jouée dans le spectacle final était du point de vue d’une jeune femme dont la copine avait trompé son mec avec le frère de celui-ci. L’ayant appris, son mec avait été crier, sincèrement désespéré, devant sa fenêtre, et lui avait donc mis la honte dans tout le quartier. Cette histoire était intéressante à monter car elle mettait un scène un homme en situation d’oppression, et parlait bien de la rumeur, et du peu de liberté qu’il existe dans de tels quartiers si l’on ne veut pas voir sa réputation salie.

Cela a été intéressant donc de se rendre compte ensemble que ce qui nous faisaient agir ou réagir à pleins de moments était en partie notre intérêt pour l’image qu’on donnait et alors aussi notre avenir dans le cadre social où l’on évoluait. Mais aussi cela a été très riche de discuter avec le groupe de la relation de couple, de la liberté ou non de l’un et l’autre d’ « aller voir ailleurs », et surtout des raisons qu’elle avaient, elles, de l’importance de l’exclusivité. Cela nous a amené à discuter des conventions, des religions, mais aussi de la jalousie, de la peur d’être « jetée ».

-le mariage

             Une des jeunes femmes nous a raconté les menaces que lui faisaient son père de l’envoyer au pays pour la marier de force, et la complexité de sa relation à lui, qui était extrêmement strict et violent, particulièrement concernant les relations qu’elles pouvait avoir avec des garçons. Cette scène a été jouée en spectacle et plusieurs interventions de spect’acteurs ont apporté des pistes intéressantes pour cette jeune femme dont la situation n’était pas du tout réglée. Cela a également permis d’enclencher des discussions dans le groupe sur les jugements des différents parents, et le dialogue ou non à instaurer avec eux sur ses sujets là.

Faire face aux employeurs, aux administrations

Le matin, en attendant que toutes les participantes arrivent, nous avons souvent questionné celles qui étaient là sur leurs projets professionnels ou de formation. C’était l’occasion pour Sonia qui était présente à chaque séance, de prendre des informations mais aussi surtout de donner des contacts intéressants pour chaque situation.

Nous avons fait durant toute une matinée des simulations d’entretiens d’embauche afin que les participantes s’entraînent à affirmer leur motivation, leurs compétences, leurs volontés face  aux employeurs ou aux chefs d’établissements de formation qu’elles allaient rencontrer  très prochainement. Une des participantes nous a alors fait part d’un rendez vous qu’elle avait le lendemain avec la CAF, qui avait perdu son dossier et ne lui versait pas depuis un bout de temps les allocations dont elle avait besoin. Nous avons donc joué ce rendez-vous pour qu’elle s’entraîne  à être claire avec son interlocuteur. D’autres participantes se sont entraînée et ont ainsi donné des pistes d’attitude ou d’argumentation à Sakyna.

Le spectacle

 Préparation du spectacle

               Lors de la première séance, nous nous sommes rendues compte que les jeunes femmes n’étaient pas au courant que nous allions jouer un spectacle au bout des six séances. La plupart d’entre elle étaient donc vraiment rétives à cette idée, et ont continué à l’être pendant encore quelques séances. Jouer devant des classes d’un lycée des Ulis était particulièrement effrayant pour certaines d’entre elles, qui y connaissaient les élèves et craignaient les rumeurs qui allaient circuler ensuite etc.

Nous avons donc travaillé lors des trois premières séances sur leurs histoires, sans trop mentionner le « spectacle final », pour jouer et s’entraîner entre nous, se donner des billes. Le groupe s’est finalement dit prêt et motivé pour jouer le 9 décembre.

Nous avons donc choisi des scènes et commencé à les retranscrire sur ordinateur lors des moments d’attente ou de pauses durant les séances. Ces moments étaient plutôt chouette: il y avait une grappe de jeunes femmes autour de l’ordinateur, se remémorant les scènes, corrigeant l’orthographe, précisant les paroles…

Le groupe s’est aussi bien impliqué dans le choix des éléments de costume, prenant un réel plaisir à enfiler bonnets et larges joggings de mecs, et à imiter démarches et attitudes dans des fous rires.

Une des jeunes femme qui refusait d’abord tout rôle, et freinait des quatre fers pour beaucoup d’exercices, a finalement joué un personnage une fois dans une des histoires, et n’a pas cessé par la suite de se proposer pour d’autres rôles. La solidarité avec les histoires jouées a été très importante pour elle, puisqu’elle la voyait comme son moteur de jeu.

Par ailleurs, une des jeunes femmes n’a pas souhaité jouer dans le spectacle final de peur que les spect’acteurs malveillants lancent des rumeurs sur elle. « Les Ulis, c’est un village. Y a trop de gens qui parlent sur tout le monde ».Elle était néanmoins présente et a pu monter avec le groupe sur scène lors des applaudissements ».

 

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