Joel de Rosnay

Dans le cadre de notrre chantier sur la démocratie en 2006, nous avons rencontré Joël de Rosnay

Notre compte rendu n’a pas été relu par notre intervenant, il peut donc comporter des erreurs.

 Les nouvelles technologies menacent-elles les droits de l’homme

Selon Joël de Rosnay, directeur de la prospective à la Cité des Sciences et de l’Industrie (Paris-La Villette), cinq risques majeurs sont liés au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Principaux extraits d’un entretien avec lui.

Premier risque, celui de la « traçabilité ».

Internet permet d’accumuler énormément de données sur la vie des gens. Tout ceci s’est accentué depuis les attentats du 11 septembre : aujourd’hui, des logiciels permettent d’identifier un individu à partir de la reconnaissance de dix points de son visage ; d’autres permettent de repérer les mouvements inhabituels, donc suspects, d’une personne dans une foule.

« Carnivore » est le nom d’un logiciel, utilisé par la CIA et le FBI, qui a la capacité de pénétrer le disque dur de n’importe quel ordinateur pour le rendre, ensuite, totalement « transparent » aux yeux d’un informateur. Un autre logiciel permet de remonter à la source pour identifier précisément l’auteur d’un piratage ou d’une contamination par virus : on voit ce que ça peut donner appliqué à des opposants politiques… Le système de surveillance américain Echelon n’est rien d’autre que le rassemblement au niveau global de tous les « Carnivore »…

Second risque, celui inhérent à la constitution de « bases de données ».

Les grandes entreprises sont en quête de « profils », regroupés dans de grandes bases de données, permettent de connaître les goûts des consommateurs. Ceci commence dès l’école : il paraît que les services secrets des grandes puissances peuvent, à partir des résultats scolaires, identifier les personnes susceptibles de devenir de bons agents, et les recruter à partir de là.

Le problème, c’est que ces profils peuvent ensuite être manipulés. Le numérique, de plus en plus, permet de manipuler ce qui fait l’identité d’un individu : son image, sa voix, ses dossiers, les enregistrements de ce qu’il a dit, ce que l’on a accumulé sur lui quand il a acheté ou vendu… On peut modifier les dates dans la vie d’une personne, lui faire rencontrer quelqu’un qu’elle n’a jamais connu, intervertir des données entre plusieurs individus… sans que personne ne s’en rende compte. Ceux qui ont accès à de grandes bases de données acquièrent ainsi la possibilité de manipuler l’information de façon à réécrire l’histoire sans que l’on puisse même vérifier qui que ce soit.

Troisième risque, celui de la surveillance généralisée, notamment par les entreprises.

De plus en plus, les employeurs surveillent les e-mails reçus et envoyés par leurs salariés : aux Etats-Unis, on estime que près des deux tiers des courriers électroniques sont surveillés par les entreprises.

Quatrième risque, celui du « clonage virtuel ».

A partir de trois informations sur quelqu’un (l’image, la voix, l’endroit où la personne évolue), on peut reconstituer un personnage. Donc « cloner » virtuellement un être vivant, puis le replacer dans des endroits où il ne souhaiterait pas être (une manifestation politique, par exemple) et lui faire dire, avec sa propre voix, des paroles qu’il n’a jamais prononcées… Certains films illustrent déjà ce principe (cf. Tom Hawks dans Forrest Gump), qui ouvre la voie à toutes les manipulations possibles. A partir du moment où des gens pourront témoigner qu’ils ont vu telle personne dire telle chose à tel endroit, comment vérifierons-nous que ce n’est pas une personne réelle, mais une personne virtuelle ? C’est un danger colossal ! C’est du super-révisionnisme…

 Cinquième risque, celui de l' »info-pollution ».

L’un des principaux dangers qui guette le cerveau humain réside dans la pollution par excès d’informations. La pollution par l’information est très insidieuse parce que, s’il n’a pas appris très tôt à trier, à valoriser l’information, à la rendre pertinente dans le cadre de son travail ou de sa vie personnelle, l’individu est submergé et perd l’organisation de sa vie.

Que faire face à ces risques ?

Une question épineuse, à ce sujet, est celle de la frontière entre espace public et espace privé. Par exemple, il est clair que si TF1, sur son site Internet, émet des informations que la loi condamne, ses responsables sont passibles de sanctions. A l’autre extrémité, si moi, avec mon e-mail, j’envoie à une personne avec qui je suis en correspondance des photos ou des textes que la morale réprouve, cela ne regarde que moi. Mais que se passe-t-il si cet e-mail est envoyé à une liste de diffusion, qui touche alors plusieurs centaines de personnes ? Est-ce que cet espace privé de l’e-mail devient alors un espace public, passible de sanctions juridiques ? On ne sait plus où est la frontière…

Pour traiter ces questions d’info-éthique, la meilleure voie réside sans doute dans une articulation entre la régulation par le bas (les citoyens eux-mêmes et les producteurs d’informations) et les règlements par le haut (les pouvoirs publics). On arrivera ainsi à une « co-régulation démocratique et citoyenne », qui respectera la liberté de chacun tout en mettant un peu d’ordre dans un système très anarchique. Mais cela ne peut se faire qu’au niveau international (les lois nationales n’ont aucun effet sur l’Internet, par exemple).

Enfin, je suis favorable à la mise en place de « conférences de citoyens » sur ces questions d’info-éthique. Et pourquoi pas en les couplant avec du théâtre-forum ?

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