En 2006, dans le cadre de notre chantier sur Les alternatives, nous avons rencontré Patrick Viveret, philosophe.
Attention, notre compte rendu n’ayant pas été relu par Patrick Viveret, il peut comporter des erreurs.
Le compte rendu
Il n’y a de vraie posture transformatrice que si on va soi même aussi loin que possible dans la capacité à changer sa vie. Sinon, on compense ses manques personnels et on les fait payer dans les luttes collectives (la toxicomanie, et cf. la révolution soviétique où ça a fini par une captation de pouvoir aussi dangereuse que la captation de richesses des capitalistes, cf. à l’intérieur des partis politiques actuels et des groupes).
Par exemple Gus Massiah a été entre autres à l’OCT (extrême gauche, qui rassemblait maoïstes et trotskistes). Il raconte qu’il a été vacciné : un jour en réunion de bureau politique, il y avait de nombreuses tensions et conflits sur différents sujets et stratégies et il dit : heureusement qu’on ne prendra pas le pouvoir car vu le climat de notre réunion…).
Plus on veut des transformations radicales, plus il faut travailler sur les personnes pour rêver approcher autrement la richesse, le pouvoir, le savoir.
Le conflit n’est pas quelque chose de gênant, c’est même une alternative à la violence. Au contraire, la violence, c’est quand les conflits n’ont pas émergé assez tôt. Il faut produire des conflits comme alternative à la violence.
Il faut que les gens s’autorisent à coopérer ensemble y compris pour leur bien-être personnel. (se faire du bien, s’autoriser à se faire du bien, c’est possible y compris dans des situations qui peuvent a priori sembler difficiles).
Notamment en ce moment face à la montée des sentiments de peur et d’impuissance.
Il faut par exemple savoir ce que l’on met derrière les mots (les mêmes mots avec des contenus et des émotions différents).
Au Forum Social Européen, à Saint-Denis, on avait travaillé sur les mots les gestes et les symboles du mouvement altermondialiste. On avait choisi des mots et on réagissait avec des cartons de couleur sur les mots proposés. Sur » société civile « , plein de cartons verts pour l’Amérique Latine et des cartons rouges provenant des français. Donc, avant de comprendre pourquoi des rouges ou pourquoi des verts, c’est bien de pouvoir s’en rendre compte.
Autre exemple, on a organisé une rencontre à Main d’œuvre sur le produit intérieur doux (PID). C’est né du Parlement de la rue de Viviane Lobry planté un mois en face du Parlement au Québec. Et du coup, certains ministres ont accepté de traverser la rue et les manifestants leur ont proposé un carrefour des savoirs. Le ministre des finances notamment est venu. Le carrefour des savoirs a commencé avec une réunion par semaine. Au début chacun a exposé à l’autre puis cela s’est croisé de plus en plus. Et un jour ils ont eu un exposé sur le PIB et là des gens du collectif ont dit qu’il y avait des richesses pas comptées et des destructions non plus. Ils en sont venus à proposer le produit intérieur doux et les dépenses intérieures dures (enregistrer les souffrances sociales et les destructions).
A Main d’œuvre il y avait un atelier musical qui faisait prendre conscience qu’on pouvait être une personne individuelle et en même temps faire partie d’un groupe et y apporter et le groupe apprenait à faire ensemble et que tous soient entendus (que personne ne fasse plus de sons que les autres).
La croissance des inégalités provoque de grandes régressions sur le plan émotionnel. Deux sortes de victimes : les pauvres et précaires, mais aussi les personnes qui ont été avant en ascension sociale (la classe ouvrière, les personnes immigrées) voient leur ascension sociale bloquée. Elles devraient se retourner contre les dominants mais en réaction émotionnelle elles se retournent vers les plus en difficultés ( » on en fait trop pour les immigrés, trop pur les rmistes « ) et là c’est dangereux car cela peut entraîner la guerre.
Si on veut agir sur cela il faut produire du conflit à la place de la violence et là s’organiser pour aller mieux ensemble est absolument nécessaire.
Se faire du bien ensemble, ça veut dire quoi ?
Exemple : Attac : crise relationnelle et émotionnelle car les enjeux émotionnels sont toujours rejetés, non dits. Mais le non dit est toujours plus destructeur. Mais quelles solutions trouver pour aborder cela car c’est un magasin de porcelaine (les gens sont très fragiles).
Mais quand on fait un travail de construction du désaccord, on valorise les désaccords (donc on les dédramatise) et seulement alors on peut traiter le désaccord.
Par exemple à l’école de Nanterre, il y a des problèmes de racisme (du blanc envers le noir et du noir envers le blanc). On se demande alors comment faire prendre conscience de la richesse que cela apporte et on a organisé un repas » saveurs du monde » (car cela jouera sur l’émotionnel : on ne combat pas des émotions régressives par la raison).
Un exemple : la respiration. Tout l’univers de la transformation personnelle travaille sur la respiration comme axe central. Or l’économique vit par la peur du manque. Et si on cherche à construire toute l’économie sur la respiration, alors que l’air est abondant est gratuit : on va pouvoir partir d’une économie du don et partir de la vraie question : comment on respire ? car on est dans des modes de vie qui ne respirent pas. Y en a qui courent contre le temps ennemi, y en a qui s’ennuient et tuent le temps : comment dans les deux cas respirer pour se repositionner ?
Car c’est en respirant qu’on s’ancre, qu’on se pose et qu’on va mieux ou qu’on va bien.
Jean-Paul : se faire du bien tant que le groupe n’a pas d’objet d’action vital ou de survie ; la guerre vient s’imposer.
Jean-Paul : tu ne peux construire du conflit avec l’ennemi.
Patrick : » l’art de la démocratie c’est de transformer des ennemis en adversaires « . Ce n’est pas par la violence qu’on va régler les problèmes. Evidemment les dominants préfèrent la violence au conflit.