Pédro Meca

en 2006, dans le cadre de notre chantier « les invisibles » nous avons rencontré Pedro Meca, initiateurs de « La moquette »

Attention, notre compte rendu n’a pas été relu par Pédro Meca et peut donc comporter des erreurs;

Le compte rendu

 Pedro Meca est d’origine Basque espagnole. Abandonné, il  connaît la rue très jeune. Parce-qu’il est actif dans les milieux anti -franquistes, le régime demande son extradition.

En 1969, il arrive donc à Paris où il retrouve sa mère (qu’il n’a pas vue depuis 17 ans) et s’installe dans un squat à Pantin avec d’autres immigrés espagnols.

En 1975 Il travaille dans le quartier latin. Franco meurt, il rentre en Espagne mais décide de retourner en France.

Là, il retrouve un copain qui a monté un bar-discothèque  Le Cloître – devenu un lieu de trafics de drogue et d’héroïne. L’abbé Pierre décide de racheter le bar et d’en faire un lieu ouvert pour que se rencontrent SDF et ADF avec Domicile Fixe). Un bienfaiteur tombé du ciel  apporte la somme nécessaire à l’acquisition du lieu.

Avec un inspecteur de la Dass, ils projettent de mettre des éducateurs sociaux pour être en contact avec les drogués et alcooliques. A la direction est placé un aumônier des artistes qui imagine une salle cabaret qui donnerait l’opportunité à des jeunes artiste de se produire. Mais cela n’a pas marché – ce n’était pas son métier et il n’était pas vraiment de ce monde. Pedro Meca travaille là comme éducateur, serveur, videur pour être à côté des gens, établir des liens, accompagner les jeunes paumés.

Et puis l’abbé Pierre décide de vendre le lieu, à cause de problèmes de voisinage, de descentes de flics (les stup) tous les soirs… tout le monde se retrouve au chômage ! Pedro reste car il s’aperçoit qu’il n’y a pas de travailleurs sociaux dans le quartier la nuit.

L’Abbé Pierre dit un jour à Pedro: « La moitié de ton temps passe la avec les gens, l’autre moitié à dire ce que tu as vu ».

L’association est conservée (pour assumer l’héritage de ce bar-discothèque) mais elle change de nom: « Les compagnons de la nuit » . Le projet est déposé à la DACS (??) pour embaucher deux travailleurs sociaux qui travailleraient la nuit en plus de Pedro.

Ils fréquentent le monde de St Michel, les Halles… Pedro est connu de tous les patrons de boites et bistrots de nuit. Il rentre gratuitement et peut ainsi approcher les personne en difficulté.

Après l’expérience d’une permanence de 21H à 5H du matin dans un bar, ils ont l’idée d’ouvrir un lieu ouvert à tous – SDF et ADF: la moquette, pour que des deux côtés on se rencontre, pour que les gens du quartier n’aient plus peur. On entend souvent le discours: « on veut bien leur donner mais qu’ils ne viennent pas près de chez nous ! ».

A La moquette, les SDF viennent pour discuter mais pas pour dormir. Chacun peut rentrer, dans n’importe quel état. Sont proposés des ateliers d’écriture, des conférences, des rencontres… Si quelqu’un émet un désir, on organise la chose, on la rend possible. On travail sur la demande, sur le désir.

Activités culturelles:

Exemples de conférences et de ce qu’il s’y passe: Lors de « Graffitis de l’âge de pierre à aujourd’hui« , avec comme invitée l’artiste qui a réalisé les peinture de la grotte de Lascaux II, un SDF a posé des questions très pointues au niveau chimique… on s’est aperçu qu’il avait fait de hautes études… Albert Jacquard est venu parler de l’intelligence, Emmanuel Mounier, du personnalisme, Michel Hidalgo, en parlant de foot, a apporté du rêve, etc. L’idée de la  conférence est de faire venir quelqu’un de passionné – de n’importe quoi mais passionné. L’important est de déclencher des passions – « s’intéresser tellement à ce quelque chose que je vais oublier l’alcool… » Un champion de boxe est venu raconter son travail, son hygiène de vie, a expliqué qu’il ne voyait pas ses copains pour s’entraîner… Un sculpteur est également venu.

Tous les mois un journaliste de la presse écrite ou TV vient leur parler des nouvelles, pas celles qui font la une, mais celles dont on parle peu ou pas. On commente, on apprend à être critique, on comprend comment est fabriqué un journal…

Le 1er vendredi de chaque mois: Atelier TV pour apprendre à regarder la TV (un ancien employé de TF1 a expérimenté une méthode grâce à laquelle, par la TV, on donne le goût de la lecture aux enfants).

Tous les jeudis: atelier d’écriture et de parole (tout le monde écoute chacun): un gars qui venait depuis 1 ou 2 ans et dictait à un autre qui écrivait, un jour dit à Pedro : « J’aimerais apprendre à lire ». Pedro: « Pourquoi, à ton âge… » (55 ans). « J’aimerais pourvoir lire ce que j’écris ! « . Un an plus tard il savait lire couramment !

Le 2ème mercredi du mois, c’est la fête anniversaire. Ceux qui veulent fêter leur anniversaire s’inscrivent et indiquent quel gâteau et quelle musique ils souhaitent. Dans toute enfance il y a des morceaux de bonté, de joie, d’où l’idée du gâteau d’anniversaire. Lors d’une de ces soirées, un gars s’est mis à pleurer… ça faisait 10 ans qu’on ne lui avait pas souhaité son anniversaire !

Et toutes ces activités sont gratuites bien entendu.

Quelques réflexions sur la nuit:

On tend vers la nuit. Quand les enfants vont se coucher les parents – les grands – restent. Pouvoir rester symbolise le passage de l’enfance à l’âge adulte. Pedro a redécouvert ce monde de la nuit, de 1975 à 1984.

La nuit on se mélange davantage. le cadre nocturne aide beaucoup à construire une société plus humaine. Le langage du corps est différent, d’autres codes de conduite s’instaurent naturellement. La nuit on peut s’adresser à tout le monde, c’est convenu, et le bistrot est un des rares lieux de convivialité de notre société, un lieu de rendez-vous. La nuit tout le monde s’intéresse à tout le monde.

Pedro se remémore la place de son village basque où chacun se retrouvait pour causer, où n’importe quel adulte pouvait donner une baffe à n’importe quel enfant, où chacun se sentait concerné par ce qui se passait… Au Bistrot, la nuit, tout le mondes est concerné par tout le monde.

Dans nos sociétés on ne se parle plus, on ne se rencontre plus, on crève ! On est dans le même bateau – galère -, certains dans les soutes, d’autres dans les belles cabines mais on crèvera tous si ion ne se rencontre pas…

Quelques réflexions sur les personnes vivant dans la rue:

Il faudrait penser les SDF en tant que ça nous concerne tous et non pas qu’eux.

Appeler quelqu’un un SDF (sans domicile fixe) c’est lui dire: « tu es pour moi ce que tu n’as pas » !

L’exclusion n’existe pas, les exclusions oui ! (sociale, culturelle, matérielle, affective…)

Dicton: « Il faut savoir ce que parler veut dire » – ce qui est dit renseigne sur l’état de la personne – Pedro: « si un gars, en entrant ne m’insulte pas, c’est que ça ne va pas » ! Il faut apprendre le langage des uns et des autres.

Les travailleurs sociaux vouvoient tout le monde maintenant. Pedro les tutoie et les appelle par leur surnom. Ca crée de la complicité, de la connivence, une intimité avec chacun.

Au lieu de : comment tu t’appelles », Pedro demande: « comment veux-tu que je t’appelle ? » Il continue avec l’histoire d’un gars qui des années plus tard lui dit: « jusqu’à maintenant tu m’appelais comme ci, en fait je m’appelle comme ça » !

La chose la plus importante est l’utopie. Par exemple, demander aux gens de la rue de donner quelque chose pour d’autres – parrainer des enfants de Kaboul… Ils récupèrent ainsi un peu d’estime d’eux-mêmes et réparent parfois à travers ce geste une histoire non assumée vis à vis d’enfants qu’ils n’ont pas su ou pu élever.

Il faut être contre le don mais pour l’échange, pour le respect et ensuite pour le contrat. « A force de se pencher sur les pauvres, on leur tombe dessus »! Etre mendiant du mendiant.

Rencontrer ce qu’il y a de beau en chacun, au delà du paraître, des odeurs. Etre, plutôt qu’avoir, trouver l’humanité dont on est tous porteur.

L’insertion en soi est le plus important, avant l’insertion sociale,. Découvrir qui tu es, te rencontrer, te construire.

On ne parle plus de logement mais d’hébergement pour ces gens dans la rue… on pense provisoire.

On nomme les choses différemment selon les classes sociales. En 1850, lors du développement industriel et de la concentration ouvrière on disait: « l’alcool est un vice de la condition ouvrière ». A la fin du même siècle, concernant l’absinthe qui faisait des ravages dans les milieux  de la bourgeoisie, on disait : « l’alcoolisme est une maladie ».

Débat

 

Yves : la nuit c’est aussi très destructeur, très superficiel. Il y a  beaucoup d’illusion, une certaine irréalité…

Réponse: D’accord. Ca dépend pourquoi et comment on vit la nuit. mais c’est le jour qu’on joue la comédie…

Pedro demande à chacun quand commence la nuit pour lui… On se rend compte que pour chacun c’est différend ! En fait le concept de nuit est très personnel.  La nuit il ne se passe pas rien, il y a beaucoup d’activités nocturnes. C’est dans ces moments là qu’on se construit, quand tous les devoirs de la journée sont terminés.

Pedro cite l’histoire de la tortue qui sort la nuit et tombe dans un trou, renversée. « Idiote, je t’avais dit de ne pas sortir la nuit ! » – Hé couillon », lui répond-elle, « tais-toi, enfin je vois les étoiles ! »

Pedro a connu un ouvrier qui la journée était toujours en bleu de travail et la nuit en costard-cravate.

On est plus proche de quelqu’un qui boit, la nuit, que de quelqu’un qu’on voit boire le jour.

La nuit, on dit qu’on sort… mais on sort de quoi ? D’un quotidien ? On a besoin d’une cassure ?

Anna: ça va bouger des choses en moi tout ce que tu dis. J’ai peur des SDF, je mets une distance. Je leur donne, je leur parle mais je mets une distance. Je leur fais pas confiance, je suis trop attachée au paraître. ça me parle beaucoup la phrase « s’insérer en soi pour s’insérer dans le mondes des autres ». Il me faut voir ma propre humanité pour passer tranquille à côté d’un SDF.

Réponse: Qu’est-ce qui nous fait peur ? C’est l’inconnu. A La moquette, l’important c’est que quand on écoute une conférence ensemble on ne sait rien de son voisin si ce n’est à travers les questions qu’il peut poser ou les réactions qu’il peut avoir… On se voit dans une autre fonction que dans la rue. Un jour une femme confie à Pedro un tableau à donner à un gars avec qui elle a discuté peinture. Le tableau est encadré, prêt  à être accroché à un mur. Pedro lui dit: « c’est très bien… il ne manque que le mur. » Le gars était dans la rue et elle ne le savait pas !

Pedro ne donne jamais d’argent, il se fait inviter et paye la 2ème tournée.

Un jour, déguisé en clochard,il se poste devant une banque et distribue des billets de banques (faux bien-sûr). « il les a volés, c’est pas possible ! » disent les gens. Il fait la même chose une semaine plus tard déguisé en costard-cravatte.  » Il est fou » disent-ils cette fois !

– Au niveau national et international, comment ôter cette image du paraître ?

Réponse: Quel est mon regard sur moi ? Qui suis-je ? Commencer par soi, se regarder dans la glace.

Un jour on demande à Pedro: « Si tu étais 1er ministre qu’est-ce que tu ferais pour résoudre le problème des personnes à la rue ? » –  » tant que c’est un problème des personnes à la rue, c’est pas possible. ce problème est le problème de tout le monde ». Il faudrait un lieu de rencontre dans tous les quartiers. Le théâtre, en tant qu’il est miroir, est une arme extraordinaire.

L’espérance de vie d’un SDF est de 50 ans, 70 ans pour un ADF.

Fab: est-ce que des ADF demandent à fêter leur anniversaire à la Moquette ?

Réponse: pas facile. Ils le fêtent ailleurs. Il est plus facile d’écouter une conférence que de se rencontrer dans un autre rôle…

Certaines personnes proposent leurs services en tant que bénévoles, ils déguisent leur besoin (besoin de se rendre utile, de remplir son temps) en générosité. On leur répond: « viens, sois client, rencontre les autres clients ».

Claudine: « Si tu n’as pas de fiche de paye, tu n’es rien ».

Réponse: On confond prix et valeur.

Souvent, on n’entend pas l’autre, on entend que l’écho de ses paroles en nous.

Parfois, il vaut mieux jouer que parler vrai, car vis à vis des gens en souffrance, la blessure, qu’on la

caresse ou qu’on la tape, ça fait mal.

Le mot de la fin de Pedro: « Je suis un homme heureux mais pas content » (heureux de par ce que je vis, pas content à cause de ce que je vois)

 

 

 

 

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