Philippe Merlant

Dans le cadre de notrre chantier sur la démocratie en 2006, nous avons rencontré Philippe Merlant, journaliste et membre de la compagnie NAJE.

Vers quelle démocratie allons-nous ?

 Alors que les mutations actuelles rendent la démocratie de plus en plus nécessaire et possible, celle-ci apparaît de plus en plus en difficulté. Cette contradiction permet de mettre en lumière quatre leviers principaux pour revivifier la démocratie.

 

La démocratie est de plus en plus nécessaire

 

Les grands changements que nous vivons (révolution informatique et révolution biologique notamment) imposent de placer la démocratie au centre de nos sociétés. Elles en rendent en même temps possible le développement.

– Parce qu’elles font de la mobilisation de l’intelligence et du partage de l’information la première de nos ressources. Y compris dans le champ de l’activité économique : la révolution informatique se traduit par le rôle grandissant de la « matière grise ».

– Parce qu’elles génèrent de lourdes menaces pour l’humanité (manipulations génétiques, manipulations de l’information, etc.). Les trois questions cruciales qui sont aujourd’hui posées à l’espèce humaine sont : « Que voulons-nous faire de notre planète ? » ; « Que voulons-nous faire de notre biosphère ? » ; « Que voulons-nous faire de notre espèce ? ». Comment imaginer que ces questions puissent être débattues sans la participation active de tous ?

– Parce qu’elles rendent possible une mondialisation sans précédent. Ce sont les systèmes d’information et d’échanges qui créent la possibilité d’un « village mondial » où l’on sait instantanément ce qui se passe à l’autre bout de la planète.

– Parce que la complexité grandissante du monde ne peut trouver de réponse satisfaisante que dans la multiplicité des sources d’expertise, donc dans la participation du plus grand nombre aux prises de décision. Logiquement, face à cette complexité croissante, le rôle des experts devrait se transformer : il s’agit moins pour eux de « dire le vrai, le bon, le juste » que d’éclairer la formation du jugement des citoyens.

 

En même temps, elle est de plus en plus en difficulté

 

– Malgré tous les discours sur l’importance des « ressources humaines », le capitalisme actuel vise à asservir totalement l’homme à la finance. Il s’efforce même de pénétrer les intelligences et les émotions pour former les « collaborateurs » dont il a besoin à tous les niveaux (formatage des esprits).

– La question des nouvelles menaces pour l’humanité n’est traitée qu’à la marge (sous forme, notamment, de « comités d’éthique ») au lieu de faire l’objet de débats publics. Les instances éthiques servent souvent à justifier des reculs successifs. Et les droits liés aux mutations technologiques ont du mal à être mentionnés dans les textes de référence.

– La globalisation, dictée par le mouvement de libre circulation des capitaux, aboutit à un monde unifié mais sans règle. Un monde dans lequel l’aggravation des inégalités exclut de plus en plus d’humains. Un monde dans lequel le primat de l’économie aboutit à mettre en péril les conditions de survie de la planète (cf. les conséquences désastreuses de l’effet de serre).

– Le pouvoir politique semble de plus en plus confisqué par des « professionnels » et experts. Sur la plupart des grandes questions, on dit aux citoyens : « C’est trop compliqué pour vous ». En même temps, ces experts et professionnels s’avouent impuissants face aux grands problèmes mondiaux.

 

Quelle démocratie voulons-nous ?

 

Quatre leviers sont indispensables pour relever les défis posés à la démocratie.

– Soumettre l’économie au politique.

La domination de l’économique est fort récente dans l’histoire humaine, mais elle a pris un essor considérable en l’espace de deux décennies. Aujourd’hui, après des années de libéralisme intégral, la nécessité de réguler l’économie (c’est-à-dire de l’encadrer par des règles) commence à être admise par beaucoup. Toute la question est de savoir si ces régulations seront démocratiques ou autoritaires.

– Mettre en place des outils de gouvernance mondiale.

D’après le philosophe allemand Hans Jonas, la règle de toute société consiste à faire correspondre les effets et les responsabilités. Aujourd’hui, les effets sont de plus en plus mondiaux sans que l’on puisse trouver en face de responsabilité mondialisée. Face à cela, deux voies sont possibles : restaurer des zones de souveraineté locales, régionales, nationales, continentales… ; mettre en place une « gouvernance mondiale ». Pour cela, il faut à la fois réformer les Nations unies et développer le mouvement civique mondial façon Porto Alegre (et, sans doute, essayer de jeter des ponts entre les deux).

– Pratiquer une démocratie « plurielle », ajoutant à sa forme représentative les formes participative et délibérative.

Le système représentatif représente la forme la plus « compétitive » de la démocratie. Et l’élection n’est pas le nec plus ultra de la démocratie. Les figures de la souveraineté du peuple étant multiples, il faut accepter l’idée d’une démocratie « plurielle ».

– Transformer le rapport au pouvoir et ses représentations.

Selon Patrick Viveret, le thème du pouvoir est aujourd’hui l’objet d’un paradoxe : « D’un côté, les citoyens reprochent aux politiques d’avoir trop de pouvoir et de le confisquer ; de l’autre, ils les accusent d’être impuissants (face à l’économie mondialisée, notamment), donc de ne pas en avoir assez. Il s’agit, en fait, de deux formes différentes de pouvoir. Il faut nous désintoxiquer du pouvoir comme domination pour apprendre à le vivre comme création. »

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *