famille

[Bande annonce] « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants… »

« Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » : c’est la nouvelle création de la Cie NAJE, un spectacle de théâtre-forum issu du grand chantier annuel. Comme chaque année, une cinquantaine de participant-e-s, citoyen-ne-s, comédien-ne-s, amateur-e-s seront là pour vous accueillir, jouer le spectacle et faire forum avec vous !

Pour vous en dire un peu plus sur cette nouvelle création, la Cie NAJE vous présente le « teaser » du spectacle en attendant les 27 et 28 mai prochains ! (La représentation du vendredi 27 mai est complète, réservez-vite pour le samedi 28 !)

VENDREDI 27 MAI à 20H [COMPLET]

et SAMEDI 28 MAI à 15H

A La Parole Errante

9 rue François Debergue, 93100 Montreuil

(métro Croix de Chavaux)

Spectacle gratuit, réservations obligatoires !

Pour réserver vos places, envoyez un mail à resanaje@gmail.com

Précisez le nombre de places que vous souhaitez, la date (vendredi 27 mai à 20h ou samedi 28 mai à 15h), et à quel nom vous réservez vos places.

Nous vous enverrons ensuite un mail de confirmation en vous précisant la « procédure » à suivre (pour confirmer votre réservation, un chèque d’arrhes de 10 euros par place réservée vous sera demandé, non encaissé, il vous sera rendu le jour de la représentation ).

[La famille] Un week-end fructueux et des histoires à la pelle !

Samedi 16 et dimanche 17 janvier, les participant-e-s au grand chantier sur la famille se sont à nouveau retrouvé-e-s à Aubervilliers. Un week-end particulier : cette fois, pas d’intervenant, mais une grande place laissée aux histoires de chacun et chacune, avec du temps pour traiter les sujets en profondeur !

Samedi, après quelques jeux, plusieurs groupes de travail se sont formés :

  • La place de la mort dans la famille, s’occuper des parents vieillissants.
  • Les violences familiales, quand nous sommes victimes ou témoins de la violence au sein de la famille (viol par inceste, mauvais traitements…).
  • Les conséquences des violences passées (physiques, verbales) sur notre présent.
  • Les violences conjugales.
  • Des histoires d’oppression dans la famille.

Les retours de ces ateliers se sont faits sous la forme d’improvisations, de théâtre-images et de théâtre-forum notamment. Chacun-e a pu se familiariser avec la pratique du théâtre-forum, et s’essayer à trouver des solutions sur des scènes d’oppression dans la famille : en particulier sur une scène entre une mère et ses deux filles qui lui demandent sans cesse de l’argent, alors qu’elle en a peu.

Le dimanche, le groupe a continué à approfondir quelques thématiques de la veille et sur de nouvelles histoires :

  • Le rapport à l’argent dans la famille.
  • Le divorce et la garde des enfants.
  • Les révélations (secrets) dans la famille.

Lors des retours, certaines images ont été proposées en demandant aux participant-es de réagir sur les images créées : « Ça me rappelle le jour où… »

En fin de journée, en petits groupes, des mini-scènes ont été improvisées sur les moments « nourrissants », « truculents » dans l’histoire de nos familles, de notre enfance notamment.

Prochain rendez-vous du chantier : les 30-31 janvier où nous accueillerons Mathilde Thimotée (juge aux affaires familiales), Céline Bessière et Sybille Gollac (sociologues, sur l’argent et le patrimoine familial). Un dernier week-end de formation aura lieu les 13 et 14 février avant de démarrer le travail d’écriture du texte du spectacle et les répétitions.

[La famille] Flo Arnould : « Un enfant vient du désir de ses parents, pas du matériel biologique »

Psychopraticien, formé à la Gestalt (thérapie humaniste et holistique (qui prend la personne dans sa globalité) et où le praticien ne se désinvestit pas de la relation avec le patient), à la thérapie du lien et à la sexothérapie, Flo Arnould est venu le samedi 9 janvier nous parler de la famille vue du côté des questions de genre, d’identité sexuelle, de filiation. Voici les grandes lignes de son intervention.

FloEn arrivant parmi vous, je ne me sens pas encore vraiment faire partie de votre groupe. Je ressens un peu de stress, d’angoisse, et ça me renvoie clairement à la famille, à la place que j’ai eue dans ma famille.

La famille, c’est le premier groupe d’appartenance, avec des liens qui se font, des liens qui n’arrivent pas à se faire ou qui se rompent, des questions de patrimoine, de filiation… Ça me fait penser à des personnes que j’ai accompagnées en tant que psy.

Je pense, par exemple, à une personne confrontée à une grande solitude, qui avait été confiée très jeune à ses grands-parents, et sa mère avait ensuite eu des enfants avec d’autres compagnons. Cette personne ne connaissait pas son père. La mère lui disait que son père était arabe, il refusait d’y croire. Il était militant FN, et m’a mis en grande difficulté dans l’accompagnement. Pour lui, être au FN, c’était avoir un sentiment d’appartenance très fort, en excluant tous les boucs émissaires. Quand j’ai compris cela, je me suis senti en lien avec lui. Et ensemble, on a pu partager et traverser des expériences de peur.

Je pense à une autre personne, confiée à cinq ans à une tante. Dans le hameau, il y avait le papa, la maman, des oncles et tantes, dont une veuve de guerre. La famille a décidé de quitter le hameau, mais comme elle estimait qu’elle ne pouvait pas laisser toute seule cette veuve, on lui a laissé l’enfant… alors même qu’elle était non-traitante, voire maltraitante, vis-à-vis de l’enfant !

La famille, ça renvoie naturellement à la norme. Une fille est « fille de » (alors qu’un garçon est « fils de », ce n’est pas le même mot) ; puis, une femme est « femme de » (alors qu’un homme est « mari de », et c’est pas le même mot non plus !). Le passage à l’âge adulte, pour une femme, c’est passer de « fille de » à « femme de »… ou aujourd’hui à « mère de ».

Questions de genre

Le genre, c’est quelque chose de très complexe à définir !

On peut partir de l’identité biologique. Mâle, femelle et inter-sexuation. Plusieurs éléments sont à regarder, les chromosomes (encore qu’il y ait bien plus de cas de figure que les deux classiques « xx « ou « xy » dont on parle généralement).

Il y a aussi les organes génitaux. Ce n’est pas si simple que cela non plus car, à la naissance, c’est une question de millimètres : jusqu’à 9 mm, on affirme clairement que c’est une fille ; au-dessus de 1,4 mm, c’est clairement un garçon ; mais entre les deux, on ne sait pas ! Alors on regarde les organes sexuels internes.. Longtemps, et même encore aujourd’hui, certain-e-s considèrent l’inter-sexuation comme une anomalie, et réassignent de force en fille ou en garçon.

Le caractère d’anomalie a longtemps été lié à l’idée de procréation. On le retrouve chez les hommes ou femmes non fertiles, qui n’arrivent pas à se sentir une vraie femme, ou vraiment un homme sous le poids du regard médical et de la société. On a pourtant découvert que certaines personnes « inter-sexes » peuvent à la fois donner la vie dans le corps de l’autre et recevoir la vie dans leur propre corps.

On nous a beaucoup menti sur tout cela. Et on a commencé à s’en rendre compte avec les tests de féminité pour les sportifs, notamment avec la parution du livre d’Anaïs Bohuon « Le test de féminité dans les compétitions sportives ». Des sportives ont dû quitter les Jeux olympiques car elles n’étaient plus classables comme des femmes.

Certaines femmes ont des seins, un clitoris, un vagin, des ovaires… et en même temps beaucoup de testostérone ! Finalement, il y a beaucoup plus de cas d’inter-sexuation que ce qu’on pourrait imaginer.

On a trouvé et défini cinq « identités de sexe ». Mais après l’identité de sexe, il y a le genre : c’est la partie psychologique, c’est comment je me sens avec mon matériel biologique. L’identité se construisant dans la rencontre avec les autres.. Le psychothérapeute Jean-Marie Robine a écrit un livre dont le titre résume très bien cela : « S’apparaître à l’occasion d’un autre ». Là vient l’idée de transition, de passing, pour être reconnu enfin dans le genre d’où la personne parle.

« Trans », c’est passer d’une identité à une autre, donc faire un voyage, s’écarter du strict biologique. Ce voyage peut être plus ou moins long : ça peut se limiter aux vêtements, après il y a la possibilité de la prise d’hormone ou pas (je prends moi-même de la testostérone), après il y a éventuellement les opérations (mammectomie, mais la phalloplastie a des résultats moins intéressants que la vaginoplastie)…

Certains parlent de continuum de genre, voire d’un archipel de genres…

La décision de créer une famille

Créer une famille, ça commence déjà par un couple, un trouple ou une communauté de personnes adultes majeures (en tout cas, qui ont la majorité sexuelle : on ne peut être consentant qu’à partir de l’âge de 15 ans), ayant une sexualité ou pas.

Comment fait-on un enfant ? Là, tout se complique : on peut être fertiles ou non. Prenons un couple « classique » – un homme cis et une femme cis (cis, c’est-à-dire non-trans), hétéros tous les deux -, dans lequel l’un des deux est stérile. S’il manque du matériel biologique, on va avoir recours à un don : c’est la procréation médicalement assistée (PMA). La grande question, c’est : « D’où vient l’enfant ? ». Est-ce que je viens du matériel biologique ? Ou bien, est-ce que je viens du désir de mes deux parents ?

Derrière tout ça, il y a la loi, sur laquelle se crée la famille, en tous cas en cette époque-ci et dans beaucoup de pays du monde, l’interdit de l’inceste. Dans l’inceste, ce qui compte, c’est le lien. Et il y a une distinction claire entre « géniteur » et « parent » : un père qui couche avec sa fille sans savoir que c’est sa fille, ce n’est pas un inceste. En revanche, un beau-père qui couche avec la fille qu’il élève, c’est un inceste !

Ca me rappelle une famille où le fils n’était pas bon en maths. Quelqu’un s’en est étonné : « Pourtant, son père est prof de maths ! ». Et la mère a chuchoté : « Oui, mais on eu recours au don ! » Comme si ce n’était pas vraiment leur fils ! C’est là que les parents créent un « abandon »…

Je me retrouve en cabinet avec des couples de lesbiennes qui me disent : « On voudrait un donneur qui ne soit pas anonyme, qui n’interviendrait pas dans la vie de l’enfant, mais celui-ci, à sa majorité, pourrait demander qui c’est et vouloir le contacter ! » Elles sont face à la pression sociale, qui leur affirme sans cesse que l’enfant voudra savoir « d’où il vient ? ». On ne leur demande jamais, à l’inverse, ce que cela peut créer dans la vie de cet homme, s’il a d’autres enfants et/ou une partenaire, de voir débarquer cet enfant qui a été conçu par cet homme cis mais pas élevé par lui-même, sans « lien »… Ni ce que cela fera à l’enfant de sonner chez cet homme inconnu qui a donné du matériel, mais n’a pas choisi d’être père… Non, on ne pose pas ces questions non plus aux couples hétérosexuels, ou très rarement !

Pour moi, on abandonne davantage un enfant quand on se force à l’élever alors qu’on n’arrive pas à être en lien avec lui plutôt que quand, conscient de là où on en est, on décide de le « confier » à quelqu’un d’autre. En Polynésie, on estime que les moins bien placés pour élever un enfant, ce sont ses géniteurs ! Donc on les confie systématiquement à d’autres. Et on ne met pas le mot « abandon » sur cette pratique. Accoucher sous X peut être une démarche très responsable, mais cette démarche est fortement stigmatisée, et c’est cette stigmatisation qui fait souffrir.

J’ai aussi entendu parler d’une autre culture où les femmes sont fécondées de manière anonyme, et les enfants sont élevés par la communauté des femmes.

Il faut être conscient d’une chose : on ne nait pas mère (ou père), on le devient comme Simone de Beauvoir disait qu’on « devient femme » ou pas.

Il y a des hommes qui sont très maternant et des femmes qui le sont très peu. On pourrait laisser tout cela fonctionner spontanément au lieu de culpabiliser les un-e-s et les autres !

Prenons aussi le cas d’un couple d’hommes homosexuels qui décide de faire un enfant : aujourd’hui les deux papas peuvent être proches de la grossesse, de ce qui se passe dans le ventre de la mère porteuse, grâce à l’haptonomie. Et être ainsi présents dès la grossesse jusqu’à la naissance, puis dans l’éducation, sans rupture de lien.

Echanges avec le groupe

  • Jean-Paul : le consentement entre deux adultes est vrai sur le rapport sexuel, pas forcément dans le projet de faire un enfant.

Flo : cela devrait être aussi un consentement sur le fait d’être parents ensemble, mais c’est loin d’être toujours le cas !

  • Marisa : si on reconnaît qu’on ne se sent pas des parents suffisamment bons, c’est déjà énorme !

Flo : oui, c’est être très responsable de faire ça… alors qu’on vous traite en irresponsables !

  • Sandy : jusqu’à 14 ans, je ne me sentais pas fille du tout, je jouais au foot, aux billes…

Flo : on peut être une femme, et ne pas aimer le rôle social de femme, le rapport au corps des femmes… et ça n’a pas forcément un rapport avec le genre. Moi, je me sens plutôt… un homme efféminé ?

  • Dominique : je m’identifiais à tous les héros masculins quand j’étais petite, j’aimais jouer au foot… mais je me sentais très « fille ». De même, j’ai eu des attirances amoureuses pour des filles, alors que je ne me sens pas homosexuelle.
  • Muriel : je pense à un couple d’amis, dans lequel la femme ne se sent pas franchement mère et c’est le père qui s’occupe surtout des enfants. Un jour où ils faisaient les courses ensemble, un commerçant lui a dit, très surpris : « Je croyais que vous étiez veuf » !
  • Socheata : je suis frappée par les catégories très rigides et précises sur ce qu’est un bon et un mauvais parent. C’est très normatif, comme les questions de genre, du reste. De même, un « abandon » repose en grande partie sur le regard normatif que porte la société dessus.

Flo : en fait, il faudrait distinguer l’acceptation du rapport sexuel, l’acceptation d’être géniteur, l’acceptation d’être parent, le fait d’accepter ou non l’identité et/ou le rôle parental…

  • Maurice : les couples lesbiens, n’est-ce pas un réflexe d’égoïsme ?

Flo : ce qui compte, c’est le désir de faire un enfant. Des lesbiennes se posent forcément cette question (alors que ce n’est pas forcément le cas des couples hétéros, pour qui les choses peuvent venir par accident). Si elles y ont pas mal réfléchi, elles trouveront les réponses à apporter à l’enfant. De toute façon, il n’y a pas d’histoire familiale parfaite, sans manque, sans frustration.

Et les enfants sont souvent assez à l’aise avec tout ça. Parfois, dans le métro, des enfants me demandent : « T’es un garçon ou t’es une fille ? » Je peux répondre : « Je suis inter-sexe ». Ou bien : « Tu crois que c’est important cette question ? » En général, les enfants sont à l’aise avec mes réponses, ça ne leur pose pas problème, mais leurs parents si !

  • Jean-Paul : le désir d’enfant n’est pas, en soi, bienveillant. Ce qui peut l’être, c’est la construction d’une famille.

Flo : dans le désir d’enfant, beaucoup de choses se mêlent. Ce peut être, par exemple, l’envie de réparer l’enfant qu’on a été. Il y a aussi la filiation, le patrimoine… On peut aussi avoir envie d’être enceint-e, mais pas d’être parent.

  • Vianney : on est dans des sociétés sexuellement très normées. Comment est-ce compatible avec tout ce que tu évoques ? Quels sont les problèmes auxquels tu te heurtes régulièrement ?

Flo : par exemple, je pense à mes patient-e-s, avant un entretien d’embauche : qu’est-ce que je mets sur mon CV ? Je pense à un établissement scolaire où on a annoncé aux élèves que leur prof de maths était « madame X »… et ils ont vu arriver un barbu !

Le parcours personnel de Flo

Je me considère comme un trans « F to X » (« female » to X »). J’ai pris un peu de testostérone, mais pas beaucoup. Je ne me sens pas un homme, je me sens du sexe « neutre ». Mais je me sens bien en me genrant au masculin, c’est-à-dire en parlant de moi au masculin (« il ») : par exemple, quand on me dit que « je suis tout beau », ça me fait plaisir, mais quand on me dit que « je suis toute belle », j’ai l’impression que l’on parle de quelqu’un d’autre ! J’ai des seins, mais ça ne me gêne pas. Si je ne mets pas mon binder, on me perçoit plutôt comme femme. Si je fais la gueule, je suis plus facilement perçu comme un homme !

Je peux me sentir a-gender, être biologiquement femelle, être attiré par les femmes, trans ou cis, avec beaucoup d’androgéneïté. Je ne suis attirée ni par les hommes cis-genre, ni par les hommes trans. Enfin, jusque-là…

Après, il y a aussi l’orientation sexuelle : homo, hétéro, bi, pansexuel… Certains trans qui sont attirés par les femmes se définissent comme hétéros, d’autres comme queer, etc. Moi, je me définis plus comme « gouine ».

En tout cas, ce n’est pas parce qu’on a une chatte entre les cuisses qu’on n’est pas un homme, et vice-versa !

D’autres histoires

Imaginons, si je continuais à prendre de la testostérone, j’aurais de la barbe, et je pourrais avoir une carte d’identité avec la mention « sexe M ». Mais je peux toujours prendre un rendez-vous avec le gynéco, et je peux même être enceint ! C’est une histoire réelle que je connais. Enceint avec un gros ventre et une barbe : qu’est-ce qu’on dit de lui dans la rue ? Comment va-t-il être remboursé avec sa carte vitale qui commence par 1 ? Par exemple, à l’arrivée à l’hôpital, on peut lui demander : « Elle est où, la maman ? ». Et s’il répond « C’est moi », alors on va se mettre à l’appeler « madame » ! Ça peut être très dur pour lui d’aller voir un gynéco, car celui-ci risque de lui faire la morale : « Alors, comme ça, vous vous sentez un homme et vous voulez porter un enfant ? ».Dans les salles d’attente, les autres parents regardent les couples atypiques de travers.

Prenons aussi les asexuels, hétéro- ou homo-romantiques. S’ils veulent faire un enfant et ont besoin d’assistance médicale, celle-ci risque de leur être refusée ! Surtout s’ils ont tout le matériel médical nécessaire pour ça, mais qu’ils ne veulent pas de rapport sexuel, car ils sont asexuels. Ils vont peut-être entendre : « Oh bah, ils n’ont qu’à faire un effort, se forcer un temps ! » Il y a une injonction de la société à avoir une sexualité, qui doit être génitale et au moins une fois par semaine ! En tant que psy, si on s’appuie sur du matériel théorique très normatif, très hétéro-normé, on peut faire du mal aux gens. En même temps, on ne peut pas nier que cette norme existe et que les gen-te-s y sont confronté-e-s tous les jours…

Autoriser la PMA pour les couples de lesbiennes est en cours de discussion, enfin c’est toujours reporté (alors qu’elle est autorisée pour les hétéros). Elles peuvent aller en Belgique ou en Espagne, mais il faut en avoir la possibilité financière et matérielle. Un couple hétéro-romantique ne peut pas y avoir droit non plus.

De manière artisanale, ça peut se faire à la maison. On peut aussi avoir un rapport d’un soir, non protégé, avec un mec cis par exemple. Ou demander à une copine hétéro de conserver du sperme de son mec. Ou récupérer du sperme dans une back-room. Ou auprès d’un copain sympa qui file son sperme : mais si on sait d’où vient le matériel génétique, que devient la place du deuxième parent ? En plus, souvent, on n’ose pas demander les papiers de dépistage au brave mec ! C’est une prise de risque pour la santé côté HIV (sida) et IST (infections sexuellement transmissible).

Etre parent, ça peut se concevoir à plus que deux. On peut être poly-amoureux, dans plusieurs relations amoureuses où tout est cadré tou-te-s ensemble, en exclusivité ou sans exclusivité (« plan cul », sex friend, rapports sexuels sans relation amoureuse). On peut avoir plusieurs relations et habiter seul-e, ou en colocation avec des gens qui ne sont pas partenaires sexuels ou amoureux. Ou tout le monde peut aussi habiter ensemble : la question se pose alors de savoir si l’on donne une place particulière aux parents biologiques, ou pas ? Quelles sont les places de chacun autour de l’enfant, des enfants ?

Ca me rappelle cette personne qui avait deux relations, l’une avec un homme trans, l’autre avec un couple (lui cis et elle cis-lesbienne). Si le couple a un désir d’enfant, quelle va être la place de chacun ? Qui va vivre avec qui, et comment ? Qui souhaite porter l’enfant ? Avec l’ovule de qui ? et le sperme de qui ?

La famille, ce n’est pas seulement celle qu’on crée, c’est aussi celle d’où l’on vient. Et il y a toujours cette question : comment on le dit à la famille ? Je pense à cette femme qui devait annoncer à sa famille à la fois qu’elle était femme et qu’elle allait devenir mère ! Il y a des histoires de ruptures familiales : des jeunes qui sont mis dehors parce que non conformes… Une femme est venue me voir avec sa « fille qui voulait transitionner ». Je lui ai parlé de mon propre positionnement. En fait, ça l’a rassurée, car elle me testait ! Je lui ai dit : « Vous pourriez venir avec votre… fils ? » Ça l’a fait beaucoup rire : « Oh bah oui, mon fils, vous avez raison ! »

Il y a enfin toutes ces notions d’« instinct maternel » (ou paternel). Et ça me rappelle l’histoire de cette femme qui a eu deux enfants. Le deuxième, à sa naissance, elle n’arrivait pas à l’aimer. Alors l’équipe médicale a choisi de la laisser tranquille avec ça (ce qui doit être assez rare) ! Le bébé était en nurserie et l’enfant de deux ans en garderie, la maman vivait seule. Un jour, elle repasse, voit un bébé dans un berceau, le regarde, s’exclame « Qu’est-ce qu’il est beau ! »… et c’était le sien !

 

[La famille] Second week-end du chantier !

Samedi 9 et dimanche 10 janvier, les participant-e-s au chantier se sont retrouvés à Aubervilliers afin de poursuivre le travail de l’année sur le thème de la famille.

Samedi, Flo Arnold, psychopraticien, est intervenu pour parler de la notion de famille sous l’angle de la filiation et des questions d’adoption. Les problématiques liées au désir d’enfant et à l’adoption chez les couples homosexuels ou trans ont également été abordées, tout comme les origines, le désir de connaître ou non ses liens « biologiques » (voir ici le compte-rendu de son intervention).

Dans l’après-midi, en groupe, les participant-e-s ont travaillé sur plusieurs thématiques, en préparant des improvisations :

  • L’histoire d’un couple de femmes homosexuelles qui souhaitent avoir un enfant et les interrogations qui en découlent : le regard de la société, de la famille.
  • Les liens du sang : qu’est–ce qui fait qu’un jour, on décide de partir à la recherche de ses liens biologiques ?
  • Des histoires concrètes sur l’instinct maternel et/ou paternel, mais aussi sur leur absence.
  • Des histoires de « révélations » concernant la famille.
  • Désir d’enfant : quand on n’est pas ou plus en situation d’avoir un enfant, quand il n’est pas/plus possible d’en avoir un.

Le dimanche, après quelques jeux, les scènes travaillées la veille ont été jouées avant d’entamer un travail sur les sons pouvant servir à la création musicale du spectacle.

Puis d’autres groupes de travail se sont formés pour travailler sur de nouvelles scènes :

  • La perméabilité de la famille : a t-on vécu dans une famille ouverte ou fermée sur l’extérieur ?
  • La transmission dans la famille : qu’est-ce qui nous a été transmis de positif dans notre famille (valeurs, sensibilités, habitudes…) ?
  • L‘adoption : être adopté ou adoptant.
  • Les phrases rituelles qu’on entend dans nos familles depuis toujours.
  • Musique : travail sur les sons dans la famille.

Prochain rendez-vous du chantier les 16-17 et 30-31 janvier où nous accueillerons Mathilde Thimotée (juge aux affaires familiales), Céline Bessière et Sybille Gollac (sociologues, sur l’argent et le patrimoine familial). Un dernier week-end de formation aura lieu les 13 et 14 février avant de démarrer le travail d’écriture du texte du spectacle et les répétitions.

[La famille] Sandrine Dekens : « La famille, un réseau de liens qui obligent »

Le samedi 19 décembre, nous avons reçu Sandrine Dekens, la première intervenante de notre grand chantier sur la famille. Psychologue clinicienne, spécialiste de psychopathologie (la psychologie qui s’intéresse aux problèmes), elle a reçu une formation d’ethnopsychiatrie et travaille beaucoup avec des migrants, Africains notamment. Voici les grandes lignes de son intervention, et de ses échanges avec le groupe.

« Le fonctionnement psychologique n’est pas universel, il varie en fonction des cultures. J’ai découvert ça dans un lieu de soins à l’université de Saint-Denis, où on recevait des familles de migrants, surtout pas mal d’Africains. J’étais engagée dans la lutte contre le sida, et des femmes m’ont racontée des choses qui m’ont ahurie : une Ivoirienne me parlait du chant des génies qu’elle entendait dans la forêt, une autre des bijoux qu’elle portait à sa naissance… Et elles n’étaient pas délirantes. Je me suis dit que je devais me déplacer pour que ces énoncés-là soient qualifiables pour moi. Tobie Nathan, le fondateur de l’ethnopsychiatrie (ou « psychiatrie interculturelle »), était détesté par tout le monde : je me suis dit que je devais aller voir de ce côté-là !

Pour travailler en ethnopsychiatrie, il faut mener tout un dispositif. On reçoit toute la famille ensemble, et on est nous-mêmes en groupe de soignants : psychiatre, anthropologue, juristes… On regard le même objet mais avec des regards différents. Donc on sort du tête-à-tête.

La famille peut venir avec qui elle veut, même des voisins…

Le socle, c’est le médiateur culturel : il appartient au groupe familial, mais aussi au groupe des soignants. Il maîtrise les deux univers culturels. Il traduit les mots, mais aussi les concepts. Il s’attache aux mots « récalcitrants », ceux-là même qui n’ont pas de traduction : par exemple, le « blues » n’est pas traduisible en français.

C’est à partir de cette place-là que je suis venue vous parler de la famille. Toutes les disciplines ont quelque chose à dire sur la famille. C’est protéiforme : on y met tout ce qu’on veut, et même ce qu’on ne veut pas !

Je vais essayer d’être une bonne mère de famille, donc de bien vous nourrir !

En psychologie, la notion de « famille » est présentée comme quelque chose de positif : le droit de vivre en famille est reconnu dans la Convention des droits de l’enfant. Dans notre culture, la famille c’est bien ! En même temps, je vois beaucoup de patients qui sont traumatisés par ce qu’ils ont vécu dans la famille. C’est là que se vivent les processus parmi les plus destructeurs. Ainsi 4 millions de Français sont victimes d’inceste dans notre pays ! C’est de toute façon le lieu de nos carences affectives graves : l’abandon, notamment.

Donc c’est un concept et une pratique très ambivalents. C’est d’ailleurs l’ambivalence propre à toute clôture : à la fois ça protège, et il y a un risque d’enfermement. Si la clôture est trop étanche, cela devient une prison ! « Familles, je vous hais ! Foyers clos, portes refermées… », disait l’écrivain André Gide.

En Afrique, la concession familiale est close, mais en même temps assez poreuse.

Du point de vue des sciences sociales, la famille est une construction, qui varie dans le temps et dans l’espace (selon la culture où l’on vit). Il y a eu une époque où, même en Occident, l’amour n’existait pas ! Le fait que l’amour soit au cœur de la famille est quelque chose de tout à fait récent. Le modèle occidental est toujours celui de la famille conjugale. Mais il est interrogé par la multiplication des autres modèles : familles monoparentales, homoparentales, recomposées… On a dissocié la sexualité et la procréation, et aussi la procréation et la filiation… En fait, les familles sont extrêmement diverses aujourd’hui en France. Et puis, les anthropologues décrivent aussi plein de types de familles différents à travers le monde…

On peut définir la famille comme un « réseau de liens qui obligent ». Avec cette question qui se pose aussitôt : peut-on être attachés et libres, liés et autonomes, en même temps ?

La famille est aussi une institution. Or, nous sommes dans une société individualiste. Et l’envie de se distancier de la famille existe aussi chez tous les migrants : il y a à la fois une loyauté vis-à-vis de la famille (c’est grâce à elle qu’on est là !) et on a envie de ne plus les voir, de se débarrasser des obligations multiples liées au lien (par exemple, concernant les mariages). Les migrants se convertissent à des concepts qui contiennent une promesse d’universel : par exemple, l’amour.

La famille, c’est un concentré de normes qui se contractent dans la famille. Qu’est-ce que c’et qu’être un homme ? une femme ? comment nomme-t-on les enfants ? On pense parfois que ce sont les autres qui ont une culture ! Or, tout le monde a une culture : certaines ont une visée universaliste, d’autres pas. Nous sommes comme des poissons dans l’aquarium : la culture, c’est l’eau dans laquelle on baigne, sans même s’en rendre compte.

Ainsi, dans une famille ch’ti, ça joue beaucoup la place de chacun à table, le morceau qui est donné à chacun dans le plat commun. Il y a beaucoup de codes dans tout cela. Quand on change de culture, on commettre de gros impairs. Dans le Nord, il y a aussi le principe des « arbres à loques » : si j’arrive pas à avoir d’enfant, je fais une demande à la vierge et je lui promets un remerciement. Mais attention à honorer sa promesse, sinon l’enfant risque d’avoir des problèmes !

Les attitudes du corps sont aussi très importantes dans chaque culture. Par exemple, un enfant mandingue ne pose pas de questions, ne regarde pas un adulte dans les yeux. Des psys peuvent poser un diagnostic de dépression à partir de l’observation de telles attitudes, alors que ce n’est pas forcément le cas ! « Il va pas bien cet enfant ? ». Si, c’est juste qu’il est bien élevé. »

12 - Village de jumeaux Deux fois deux

 

Un village de jumeaux, Porto Novo, Bénin, 2005 (photo Sandrine Dekens)

 

Notions anthropologiques sur la famille

« En Afrique, la famille ce sont des groupes de personnes toutes reliées entre elle, et qui ont le même lien avec des divinités. On est aussi attaché par des invisibles et des non-humains. Pour les Maliens, par exemple, il est clair que « nous ne sommes pas seuls au monde » !

Deux grands systèmes régissent la structuration des familles : le système patrilinéaire et le système matrilinéaire (en France, on est un peu dans un système mixte).

Le système patrilinéaire est celui qui ressemble le plus à ce qu’on connaît : c’est la famille de la fille qui apporte une dot au mari. Et le chef de famille est l’aîné des garçons.

Dans le système matrilinéaire (qui domine en Afrique centrale, par exemple en République Démocratique du Congo, ou dans une partie du Ghana), c’est la famille du fils qui apporte une dot à la jeune mariée. Et le chef de famille est un conseil de famille du côté de la mère. Il y a des pères génétiques et des pères éducateurs (souvent c’est l’oncle maternel) : les psys et les assistantes sociales d’ici n’y comprennent rien quand on leur dit que le papa ne peut rien faire pour le fils, mais qu’on peut appeler le frère de la mère qui habite en Belgique !

Tout cela part de l’idée qu’un père et une mère ne suffisent pas à faire un enfant : il faut plus que deux humains, il faut au moins une divinité (ou, chez nous, la science ?). Dans les sociétés dites modernes, le bébé est une somme de potentiels, il est une personne dès qu’il arrive. Il va falloir qu’il trouve autour de lui les ressources nécessaires pour réaliser tout son potentiel, se déployer, s’épanouir… Une graine qui contient déjà en germe tout l’arbre qu’il deviendra. Ici, l’humain se développe de l’enfance jusqu’à sa maturité d’adulte, puis commence à décliner vers la vieillesse.

Dans les sociétés dites traditionnelles, c’est l’ancêtre qui a la propriété de l’enfant. Le bébé est extrêmement puissant, c’est une force brute venue du monde des ancêtres, qu’il faut canaliser et humaniser. Le processus d’humanisation est sans fin, du moins il ne décline pas car c’est un processus d’accroissement qui s’approfondit au fil des initiations. Plus on a de l’expérience, plus on devient un être humain. Ici, on dit que les vieux perdent la boule ; là-bas, on dit qu’ils explorent de nouvelles voies de la sagesse !

On accueille le bébé comme s’il venait d’un autre monde. On fait de la divination pour savoir d’où il vient… on ne se précipite pas pour le nommer ! Si on se trompe de nom, on rend l’enfant malade! Les vieux se réunissent pour discuter de tous les signes autour de la naissance (par exemple, comment se présente-t-il ?). Il faut savoir comment l’accueillir, comment lui parler… Quelquefois on prescrit une « renomination ». Quand l’enfant vient du grand-père, on peut l’appeler « papa » : les psychanalystes s’en arrachent les cheveux ! Mais il faut respecter tout cela, sinon ça désorganise tous les liens.

Les logiques des états-civils ne sont pas les mêmes entre ici et là-bas. Par exemple, dans la région des grands lacs : au départ, il n’y a qu’un seul et même nom pour désigner une personne (il n’y a pas de prénom + nom). Le nom de famille est nommé par le père, mais l’éducateur peut être l’oncle maternel. Il peut y avoir un nom pour « l’enfant né après les jumeaux » (on ne peut pas s’arrêter à des jumeaux au Cameroun ou au Congo). Quand des jumeaux naissent, ils réorganisent tout le système d’attribution des noms, car des jumeaux ont une place particulière dans la cosmogonie. Toutes les cosmogonies avant les religions monothéistes sont très marquées par les jumeaux. Chez les Yoruba, chaque jumeau a une statuette qui préside à son existence et qu’il ne faut surtout pas séparer. 

Chez nous, on transmet les choses aux enfants par la pédagogie, ailleurs la transmission se fait par l’initiation. Et on prend soin des liens affectifs de manière très différente selon les cultures : ici, on verbalise sur l’amour ; en Afrique centrale, ça s’exprime par le versant matériel, pas par l’expression des sentiments. Ca me rappelle l’histoire de ce psychologue qui convoque une mère congolaise car il a l’impression que son petit de 9 ans se sent mal aimé. La mère lui répond : « Je ne comprends pas, je lui achète des baskets neuves chaque mois ! » Le psy s’étonne : « Vous pourriez faire plus quand même ! ». Et la mère de lâcher : « Je peux pas, j’en ai pas les moyens ! »

Qu’est-ce que tout cela change dans le mode de vie et de société ? On communique avec le monde invisible. Les liens entre les invisibles et les humains sont entièrement codés, à travers des signes qui doivent être interprétés par des « collègues » du monde entier (par exemple, les officiants du vaudou en Haïti). Ceux-ci ont des rituels de guérison (car le premier mode de communication avec les invisibles, c’est de nous infliger des maladies si on ne satisfait pas à leurs besoins). On est au-delà du bien et du mal, c’est une force avec laquelle on va tenter de cohabiter en paix. Or, ce sont eux qui sont propriétaires de la terre. Ce sont des réseaux de lien entre vivants et morts, visibles et invisibles. Une maladie, c’est un message qu’il faut comprendre. On ne s’adresse pas en lien direct aux ancêtres, aux invisibles. Ce sont des mondes qui doivent coexister, mais il faut qu’ils soient bien séparés. 

C’est le cas des « enfants sorciers » de Kinshasa. Si l’enfant est maintenu dans le groupe familial, il risque de lui arriver malheur. Donc, on les met dans des orphelinats pour être adoptés. La procédure, c’est de faire sortir le sorcier de l’enfant. Alors, on frappe l’enfant pour le faire sortir. »

Échanges avec le groupe

Bacary : je suis originaire de Guinée-Bissau. Il y a un djin familial, et c’est celui qui a plus de puissance qui s’occupe de lui. Il a son autel à l’entrée de la maison. On le nourrit avec du vin rouge tous les jours. Une fois pas an, on lui fait une fête, mais je dois changer mon prénom. Je communique avec mon grand-père car je porte son nom. Si je dois faire des sacrifices pour lui et que je ne le fais pas, il apparaît dans mes rêves pendant trois jours de suite ! Je ne dois pas voir la hyène et pas manger le serpent.

Sandrine : ça crée énormément d’obligations, mais tout ce monde-là est construit sur le fait qu’il peut y avoir des rattrapages. Des systèmes qui proposent énormément de ressources. Ca donne aux thérapeutes la possibilité d’activer plein de choses, par exemple face à un enfant autiste. Les invisibles passent leur vie à se rappeler à nous, alors qu’on n’a de cesse que de les oublier. Ca anime énormément les liens et ça active les familles.

Kassia : je suis originaire des Philippines, mais j’ai plusieurs cultures en moi. Et puis, toutes les cultures traditionnelles se redécoupent entre les riches et les pauvres.

Sandrine : les cultures, ce n’est pas gravé dans un champ ancien et immuable, ça ne cesse d’évoluer. L’identité actuelle, c’est avec du multiple en soi. Quand on est métis, on apprend à vivre avec plusieurs cultures. Le risque, quand il y a du conflit, c’est d’être clivé et de penser que l’on va devoir choisir un camp contre l’autre.

Christelle : si la famille doit être réunie (par exemple, pour le sacrifice du bœuf) et qu’il y en a un qui veut pas, que fait le groupe ?

Sandrine : on va essayer de comprendre pourquoi, l’écouter, savoir s’il ne serait pas un sorcier, c’est-à-dire celui qui attaque le groupe social.

Sandy : je suis la première fille de mon père, la plus proche de lui avant sa mort, et ma grand-mère paternelle a des dons. Comme j’étais la plus rebelle, je me suis mis toute la famille à dos à partir de l’adolescence. Après que mon père soit décédé, je suis allée à mi-chemin de l’au-delà, et il m’a dit de revenir parce que mon heure n’était pas encore venue. Je sentais mon père toujours présent, traversant des pièces avec le peignoir que je lui avais offert. Ca m’a fait peur pendant longtemps. Mon premier fils porte son nom. Je communique toujours avec lui. Malgré les embûches, il me guide pour que tout se passe bien pour moi. Donc, c’est un lien bénéfique.

Sandrine : tu pourrais l’installer dans ta chambre. Aujourd’hui, c’est toi qui pourrais être le cœur rassembleur de la famille !

Marisa : il me reste un souvenir très fort de mes 7-8 ans, dans un petit village des Antilles. Chaque fois qu’il y avait un mort, c’était nous qui étions chargés de tout le rituel. Il y en avait un de nous qui entendait l’esprit et qui nous disait s’il fallait aller vite ou pas !

Sandrine : le rituel dit la manière de couper le lien avec le mort. On ne fait pas son deuil en Afrique, on change les modalités du lien. Chez les Bakongo, quand un père ou une mère meurt, on lance au-dessus du cercueil pour que l’enfant puisse ne pas trop penser au mort.

Abdel : si le mort a du pouvoir, pourquoi il n’utilise pas ce pouvoir pour rester vivant ?

Sandrine : il n’en a pas forcément envie, peut-être est-il content là où il est ?

Abdel : le monde invisible existe, mais il est pour nous !  Il y a des gens qui utilisent tout cela pour capter de l’argent.

Pierre : dans le monde occidental blanc, masculin, il y a exactement les mêmes phénomènes. Je n’aime pas ce terme d’« ethnopsychiatrie » : il faudrait changer de nom, car ça nous emmène vers les cultures « autres ». Et puis, nous ne sommes pas dans des sociétés individualistes, mais dans des sociétés d’interdépendance.

Sandrine : je suis tout à fait d’accord. Aujourd’hui, on emploie plutôt l’expression « Psychologie géopolitique clinique ». Et c’est vrai que nous sommes des personnes attachées. On peut même avoir des attachements politiques. Bruno Latour propose un « Parlement des attachements » : tout ce qui n’est pas visible et dans lequel nous baignons.

Renée : le sel, les tireuses de cartes, tout cela est aussi très important en Bretagne !

Sandrine : Jeanne Favret-Saada a travaillé sur la Mayenne. On a de quoi ré-enchanter notre monde.

Benoît : tu n’as pas du tout parlé de conflit ?

Sandrine : il y a aussi des conflits énormes, par exemple sur la question de savoir « à qui appartiennent les enfants ? »

Soshita : ces croyances ne peuvent-elles pas parfois conduire à de mauvais traitements sur les enfants ?

Sandrine : oui. Ca me rappelle un père soninké convoqué à l’école car son enfant n’avait pas le comportement voulu. Le père rentre chez lui, demande à l’enfant de ramasser un fil de fer électrique, et le frappe avec. Il est convoqué chez les policiers. Il ne comprend rien à tout cela, et se referme sur lui-même. Il faut se déplacer auprès de lui, s’appuyer sur son intention d’être « un bon père », le mettre en garde contre les comportements délictueux ou criminels.

Soshita : c’est vraiment dur d’être enfant dans ce monde-là !

Sandrine : oui, mais l’avantage, c’est qu’on a très envie de sortir de l’enfance !

Myriam : être dans une culture universalisante, est-ce que ça ne produit pas politiquement du racisme ?

Sandrine : en tout cas, ça produit de l’impérialisme.

Jean-Paul : oui, mais c’est aussi cette culture-là qui produit l’ethnopsychiatrie.

Sandrine : oui, il doit d’ailleurs y avoir eu des liens avec des mouvements marxistes, les luttes anticoloniales.

Dominique : je travaille avec des psychologues transculturels à Villiers-le-Bel dans le cadre de la « réussite éducative ». Quand l’enfant arrive à l’école, on lui enseigne « les valeurs de la République ». Si la pathologie vient du choc des cultures, comment peut-on travailler là-dessus ? Des groupes de réflexion en préfecture impulsent des formations à tout-va sur les valeurs de la République : ça me fout un peu les jetons !

Sandrine : la République demande un pacte qui est de renoncer à ces attachements antérieurs, c’est un prix cher payé ! Les migrants sont rattrapés par leurs invisibles. Il y a de la récalcitrance dans les liens antérieurs. Et ça ressort dans les consultations !

La conclusion de Sandrine

« La famille est ambivalente entre le positif et le négatif. Pour les Africains, l’endroit le plus dangereux qui soit pour eux, c’est leur famille. Sur le sida, la première hypothèse qu’ils faisaient, c’était que ça ne pouvait venir que de la famille. C’est à l’intérieur de la protection que ça s’est joué. »