normes norme

Marie-José Del Volgo : « Trouver le temps de dire »

Marie-José Del Volgo est maître de conférences à la Faculté de médecine d’Aix-Marseille, directeur de recherche en psychopathologie clinique. Elle exerce en tant que praticien hospitalier à l’Assistance publique de Marseille.

Elle est notamment l’auteure de « L’instant de dire » (érès, 1997, réédition en poche 2012), « La douleur du malade » (érès, 2003), « La Santé totalitaire » (avec Roland Gori, Denoël 2005, réédition en poche Flammarion 2008 et 2014).

Elle a commencé son intervention par un premier récit clinique. Une patiente SDF de quarante ans, vieillie prématurément, née le 11 septembre, demande pourquoi elle suscite souvent des remarques d’étonnement, de surprise, quand elle dit être née à cette date, mais personne ne lui a jamais expliqué pourquoi. Le médecin lui raconte donc l’histoire de la démolition des tours jumelles et elle dit « Je n’ai pas de chance », enfin elle relie cette histoire à son enfance malheureuse. Cette femme comprend et peut alors donner du sens aux réactions des autres.

Traiter le patient avec humanité, ne pas s’occuper que de la maladie, c’est l’aider réellement, agir en opposition avec la violence de la société.

Dans son ouvrage The Impact of Inegality (2002), le médecin R. Wilkinson dit « L’inégalité nuit gravement à la santé ». Pour combattre la cruauté de notre temps, les inégalités, il faut trouver « le temps de dire », un « instant de dire », c’est-à-dire le moment de pause pour écouter au milieu de l’enchaînement des soins, mais aujourd’hui, la réussite médicale devient un exploit sportif ; l’humanité est remisée à l’arrière-plan.

Ainsi, en 2005, quand les journalistes parlent de la 2 500e greffe hépatique, ils n’évoquent que l’exploit scientifique, mais à aucun moment le patient. Il faut pourtant se souvenir que l’hôpital est un lieu de souffrance et de peine. La question de la mort y est souvent évacuée, pourtant c’est là qu’on meurt le plus.

Quand une patiente, âgée de 40 ans, après 30 ans de maladie, s’est jetée du 8e étage il y a quelques années, c’est un patient qui l’a appris au médecin. En médecine, le récit est très marginal, mais il faut revendiquer ce récit.

Un second récit fournit un autre exemple de ce qu’on peut faire pour aider les patients. Un patient en service de soins palliatifs, homme sans ressources vivant dans un bidonville, sentant la mort arriver, appelle les soignants et leur dit « Je ne veux pas mourir ». Il ne doit absolument pas tomber, mais pourtant il refuse les barrières. Les soignants acceptent, comprenant qu’il s’agit d’une demande d’attention supplémentaire. Une soignante va même lui chercher une canette de bière. Il est entouré, rassuré, on répond à sa demande, on l’aide à mourir en paix.

On vit aujourd’hui plus longtemps mais la fin de la vie se conjugue souvent avec la maladie. Beaucoup pensent qu’il suffirait de bien se conduire pour bien se porter, mais ce n’est pas le cas (exemple de la mucoviscidose).

Encore un exemple pour montrer l’inhumanité de notre société : la finance passe tellement devant l’humain que, dans l’Orégon, deux patients atteints de cancer ont reçu un refus de prise en charge de leur chimiothérapie parce que leur chance de survie était évaluée à moins de 5 % à cinq ans. En revanche, un suicide médicalement assisté (autorisé dans cet Etat) leur a été proposé !

Les soignants vont souvent plus mal que les malades. Les patients, ils veulent de l’espoir. Il y a donc un malentendu entre soignants et patients. Heureusement, tout un travail invisible se fait au quotidien, malgré les normes et contre elles, un peu partout.

Questions et débat avec les participants

 Avez-vous dispensé des formations sur ce nécessaire « temps de dire » ?

Marie-José Del Volgo a écrit de nombreuses publications sur ces questions, elles sont largement diffusées et elles aident les psychologues, mais la demande n’est pas importante car ce n’est pas la voie dominante, d’autant que la tarification à l’activité à l’hôpital a « massacré » l’humain. Une place réduite à la portion congrue.

 Est-ce que la dissidence s’organise ? S’internationalise ?

La revue Cliniques méditerranéennes, destinée en priorité aux psychologues et aux psychanalystes, a une bonne audience, une excellente reconnaissance scientifique. En psychopathologie clinique, ces travaux sont reconnus mais, en médecine, ils sont ignorés.

Avec la supervision dans les hôpitaux psychiatriques, les soignants sont en souffrance, il y a de moins en moins d’échanges de pratiques. Comment instaurer l’espoir d’en sortir ?

Michel Foucault dit « Si on veut connaître la nature d’un pouvoir, il faut étudier les formes de résistance qu’il modélise ».

Les collectifs permettent de résister, mais les résistances sont plus liquides, flexibles, protéiformes.

La culture a une lourde responsabilité dans la balance et on voit bien que son budget est en réduction. Gardons l’espoir, rappelons-nous que le geste de l’enfant d’attraper la lune comme une balle n’est pas vain (Walter Benjamin).

Une chose peut paraître inutile dans une société comme la nôtre et essentielle au développement humain.

Pourquoi bourre-t-on les patients de médicaments ?

La découverte des psychotropes et des antidépresseurs a été une formidable découverte qui a changé la vie des patients, mais il faudrait qu’ils puissent s’en passer dès que nécessaire. Le médicament devrait être le moyen de créer les conditions d’une psychothérapie, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui, tout simplement parce qu’on n’a plus les moyens d’accompagner les crises des patients.

Le personnel manque de moyens, il est malheureux, mais les jeunes médecins ne connaissent rien d’autre : ils n’ont pas de possibilité de comparaison, alors ils acceptent la situation.