Dans le cadre de notrre chantier sur la démocratie en 2006, nous avons rencontré Un simple citoyen de « Pièces et Main d’œuvre »
Notre compte rendu n’a pas été relu par notre intervenant, il peut donc comporter des erreurs.
Rencontre avec un « simple citoyen »
Comme nous, Christian est un simple citoyen. Sauf que lui ne se contente pas de le dire et de le penser, il agit et vit en tant que tel. Le 19 janvier, il est venu partager avec nous son expérience d’activiste, dérangeant et dérangé par le système, et qui réactualise la tradition du pamphlet. Il vit à Grenoble, « technopole de la neige », dont il a démonté le mythe pour nous.
Simple citoyen travaille ses dossiers comme un investigateur (qu’il a été puisqu’il fut journaliste). Entêté, il bosse à fond les dossiers qui concernent la vie de tous les citoyens grenoblois (les projets, leurs montages financiers, les décisions politiques, etc.), se documente, s’invite à des réunions de décideurs…
Sa spécialité, c’est le tract dérangeant, qu’il refuse de signer. Comme si mettre un nom sur ses textes risquait d’affaiblir leur crédibilité. « Je veux qu’ils soient jugés sur leur mérite. » Et après tout, signer « Simple citoyen », c’est signer.
Simple citoyen agit seul. « Je refuse d’appartenir à un groupe ou d’en fonder un car toutes les actions sont alors décidées selon le plus petit dénominateur commun. » Il considère que les gens sont interpellés lorsqu’il y a du sens sinon, cela ne sert à rien… et fait cette délicieuse référence au syndicalisme ou au militantisme politique : « On entre au parti pour changer la vie et, à la fin, on passe sa vie à changer le parti. »
Quelques exemples d’actions
Pour l’inauguration de la place François-Mitterrand, il écrit un pamphlet qu’il distribue lors de l’inauguration pince-fesses où se retrouve la crème des dirigeants, élus ou notables, de la ville. Lors du vernissage des Soldes du Magasin (un centre d’art contemporain très coté), il distribue des dizaines de tracts sur lesquels s’inscrit quelque chose comme « le seul art possible, c’est celui de la révolte ».
La presse est présente, tout le monde lit le papier. Personne ne le fiche dehors mais beaucoup de personnes viennent lui demander qui il est, pour qui il agit. « Par qui êtes-vous payé ? Pour qui travaillez-vous ? », lui demande-t-on… « J’agis comme un simple citoyen et ça les rend fous ! Ils ne comprennent pas qu’on ne me paie pas pour ça… »
Autre exemple : l’inauguration du multiplex de la ville, construit en lieu et place d’un parking très pratique pour les habitants. La mairie a bradé un lieu public pour laisser pousser ce bâtiment, où sont programmés les plus gros films du moment : un symbole de l’uniformisation rampante de la culture.
Simple citoyen se pointe avec sa petite bande de copains pour distribuer d’autres tracts. « Avons-nous envie de cette culture-là ? », demandent-ils. Ils signalent aussi une petite info croustillante qui semble avoir échappé à pas mal de monde : les propriétaires du multiplex ont fait fortune dans les salles de cinéma porno. Non pas que ce soit répréhensible, loin de là, mais cette information semble gêner les propriétaires. Le soir de l’événement, en voyant les tracts, le propriétaire est entré dans une colère noire et s’est mis à insulter les gêneurs devant le gratin grenoblois. La presse locale a relayé l’affaire. Objectif atteint !
Le mythe grenoblois
Le mécanisme grenoblois est un mélange savamment dosé entre l’université, les entreprises et le domaine public. Au XIXe siècle, l’industrie locale s’est greffée sur la « houille blanche », puis l’électrochimie ou l’électro-mécanique. Et Grenoble a une longue histoire avec les contrats militaires. Pendant la guerre de 14-18, on fabriquait du gaz pour les combats. Pendant la guerre du Vietnam, la ville a fourni l’armée américaine en défoliants. En 1947, Paul-Louis Merlin, grand industriel de la région, a créé l’association des amis de l’université avec la classe dirigeante de Grenoble : les ingénieurs, le commissariat à l’énergie atomique (CEA, dont l’antenne grenobloise s’appelle le CENG)… Grenoble en est à sa troisième génération de maires issus du CENG (en tant que chercheurs ou chargés de communication).
Dans les années 60, l’appareil politique s’essouffle. Il apparaît bien vétuste face aux dynamiques chercheurs en blouse blanche. Pour dépoussiérer tout cela, il faudrait une relève. Suite à un problème de distribution d’eau, Hubert Dubedout, alors adjoint à la mairie de Louis Néel, fonde un Groupe d’action municipale (GAM). L’élection de Dubedout, en 1965, débouche sur une première action concrète : la première maison de la culture est implantée à Grenoble.
Biopolis, un projet venu d’en haut
Aujourd’hui, la période nucléaire s’est doucement fanée pour laisser place aux biotechnologies et à l’informatique. Grenoble se spécialise dans ces technologies du futur.
Biopolis incarne le projet qui se décide d’en haut, sans consultation de la population. Ce centre, censé devenir un grand ensemble spécialisé dans les biotechnologies et les nanotechnologies, a été purement et simplement imposé à la population.
Une annonce de Claude Allègre, quand il est ministre de la Recherche, déclenche tout. Il dit : « La France est en retard dans les biotechnologies. » L’Etat vient de récupérer beaucoup d’argent grâce aux privatisations (France Telecom, entre autres). Et le ministère de la Recherche pousse pour créer des pôles « biotech ». A Grenoble, on affirme être le lieu idéal : l’infrastructure et le tissu local sont parés pour accueillir de tels projets…
Qui a décidé d’accueillir ce pôle ? 120 personnes regroupant le conseil général, la mairie, l’agglomération, la Région, l’Etat les présidents d’université, les chefs d’entreprise, les chefs de labos… Mais aucun citoyen n’a été convié.
Simple citoyen s’est invité tout seul à une réunion d’appels d’offre réservée à des étudiants ou chercheurs souhaitant développer un projet « biotech ». On leur promet un financement. Lui, il a interrogé les participants sur la présence du labo de recherche des armées au sein de Biopolis…